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Le jour commençait à peine à paraître, que je fus réveiller Dorothée ; nous relûmes encore la lettre de mon frère, et nous prîmes la route de la ferme. Dans notre course, nous rencontrâmes plusieurs mères de volontaires, qui nous prièrent de leur lire les lettres qu’elles avaient reçues. Vous pensez bien que nous ne nous y refusâmes pas ; tous parlaient de mon frère, et tous en disaient du bien.
M. Durand avait bien pensé que mon impatience me rendrait matinale. Nous trouvâmes le déjeuner prêt. Je sommai M. Durand de sa promesse : il commença ainsi son récit.
Il y a environ deux ans, qu’une femme d’une belle figure, vint louer une petite maison tout près de cette ferme. Elle avait l’air accablé de chagrin, vivait très retirée, et ne s’occupait que d’élever avec soin un jeune enfant encore à la mamelle ; elle avait acheté une vache, et paraissait très empruntée pour la soigner. Une des filles de la basse-cour allait souvent lui aider, et nous rapportait qu’elle la trouvait toujours en pleurs ; je soupçonnai qu’elle pouvait avoir quelques besoins, et j’allai la voir. Je la trouvai en effet très affligée ; je cherchai à gagner sa confiance, et lui offris mes services. Elle me dit qu’elle avait été élevée chez une dame de qualité ; qu’à sa mort elle était restée dans la maison ; qu’elle avait eu le malheur de se laisser séduire par son maître ; qu’elle était restée chez lui jusqu’au moment où elle était devenue enceinte, qu’alors elle avait quitté l’hôtel ; que son maître lui avait fait douze cents livres de rente, reversibles sur sa fille, mais que la révolution étant venue, le père de sa fille avait émigré, que ses biens étaient séquestrés, et qu’elle se trouvait sans ressource ; que depuis un an elle vendait ses effets pour vivre ; qu’elle sentait bien que sa fin approchait ; que son plus mortel chagrin était de laisser sa fille sans ressource et sans appui dans un si bas âge. Elle me remit son contrat, et me pria de servir de protecteur à sa fille. Je le lui promis ; cette assurance a rendu ses derniers moments moins affreux. Peu de temps après elle me fit appeler, me remit sa fille, en me faisant jurer que je ne la mettrais dans aucun de ces asiles destinés aux enfants abandonnés. Je le lui jurai sur mon honneur : le lendemain elle expira. Vous eûtes la bonté de vous charger de cette infortunée : sans doute un sentiment plus fort que la pitié vous inspira cette bonne action. Lorsque la réquisition vint, votre douleur vous fit m’avouer qui vous étiez ; votre nom que vous me déclarâtes, fût un trait de lumière pour moi ; j’allai consulter le contrat, et je vis que c’était le même ; j’en fis part à monsieur votre frère, qui me recommanda de vous instruire de cet événement. Voici, mademoiselle, le contrat que monsieur votre père fit à la malheureuse Julie ; Célestine est sa fille naturelle, et conséquemment votre sœur.
Je ne pouvais revenir de mon étonnement ; je remerciai M. Durand des soins qu’il avait donnés à cette infortunée, et je pris de nouveau l’engagement de ne jamais abandonner ma petite Célestine.
Je fis promettre à Dorothée de servir, après moi, de mère à Célestine, s’il m’arrivait quelques accidents imprévus
Nous passions les jours aussi agréablement que notre position le permettait. Je m’étais convaincue que l’oisiveté, dans laquelle j’avais passé les premiers moments de ma vie, ne m’avaient procuré que de l’ennui. Dorothée m’apprenait à broder, à toucher du forté-piano
Lavalé et Dorimond faisaient souvent des voyages à Paris ; quand ils étaient obligés d’y séjourner quelques jours, ils ne manquaient pas de nous écrire. Il y en avait huit qu’ils étaient absents, et nous n’avions point entendu parler d’eux. Je fis part de mon inquiétude à M. Durand, qui ne me répondit rien de consolant, et qui était même très contraint, ce qui redoublait mes craintes. Je remarquai aussi que madame Daingreville avait un air de tristesse, qu’elle cherchait en vain à cacher. Je proposai à Dorothée d’aller à Paris : mes moindres désirs étaient des lois pour elle. J’envoyai prier M. Durand de me prêter sa carriole
Notre arrivée calma Madame Daingreville, qui craignait que mon impatience ne m’eût engagé à aller jusqu’à Paris ; elle parut satisfaite de voir Dorimond, mais témoigna comme moi son inquiétude sur le compte de Lavalé.
Lorsque je consultais mes amis sur mes démarches, ils trouvaient toujours des raisons à opposer à mes désirs ; je me déterminai, sans rien dire à personne, à écrire à Lavalé, pour l’engager à venir sur-le-champ. Je fis partir le jardinier à la pointe du jour, et lui ordonnai de ne point revenir qu’il ne lui eût parlé, et qu’il n’en eût obtenu une réponse. J’avais défendu expressément qu’on dit à madame Daingreville que le jardinier était allé à Paris. Jamais je ne fus si active pour prévenir ma bonne tante ; chaque chose qu’elle paraissait désirer, j’allais la demander à la jardinière. Dorothée qui était la seule qui fût dans ma confidence, vint m’aider à cueillir les fruits ; personne ne se doutait de l’absence du jardinier. Il arriva comme nous étions à table : rien n’était plaisant comme l’embarras de sa fille, qui se cachait derrière madame Daingreville pour me faire signe. J’étais si peu accoutumée au mystère, que je me trahis à force de vouloir prendre des soins pour me cacher. Je me levai de table, et allai joindre mon commissionnaire
LAVALÉ,
« Combien je vous dois de remerciements, mademoiselle, de votre aimable sollicitude ; ma vie entière ne suffira pas pour vous témoigner la reconnaissance que j’éprouve de vos bontés. Je suis le plus fortuné des hommes, puisque j’ai pu vous intéresser ; je vais hâter, le plus qu’il me sera possible, les affaires de notre ami, et je vole à vos pieds vous jurer un attachement à toute épreuve. Disposez de mon existence, elle vous appartient ; je ne la prise que depuis l’instant où vous avez daigné me montrer quelqu’intérêt ».
En lisant cette lettre, je sentais mon cœur palpiter de joie ; mais je me repentais des expressions de la mienne, qui avait pu m’attirer une semblable réponse. Je n’osais la montrer à madame Daingreville ! Vous ne lui apprendrez rien, me dit Dorothée, il est impossible qu’elle n’ait pas lu dans votre cœur. L’inquiétude que vous avez témoignée depuis l’arrivée de mon père, l’a sans doute éclairée sur vos sentiments, quoique vous cherchiez à vous tromper vous-même. Le mérite de Lavalé a vaincu votre froideur. Croyez-moi, n’affligez point madame Daingreville par un manque de confiance qui lui causerait beaucoup de chagrin. Je sentais bien que Dorothée avait raison, mais je ne voulais pas en convenir ; néanmoins je me déterminai à donner cette lettre à madame Daingreville qui, après l’avoir lue, me la rendit sans faire aucune réflexion. Elle se contenta de dire qu’elle était enchantée de savoir que Lavalé n’était point retenu pour des affaires qui pussent le compromettre.
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