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CHAPITRE XIX.
Je passai le reste du jour dans une inquiétude mortelle ; le moindre bruit me faisait frissonner ; je me perdais dans mes réflexions. Au milieu de l’armée, mon nom et mon sexe connus ! Ce ne pouvait être le jeune Durand ; Dorothée m’avait mandé dans sa dernière lettre, qu’il avait eu une jambe emportée ; qu’il avait obtenu son congé, et était auprès de son père. Ce n’était pas Lavalé qui avait trahi mon secret : dans quelle intention, et pour quel motif ? Plus je cherchais à asseoir mes idées, moins j’en venais à bout.
Je tombai dans une espèce d’anéantissement. Je n’avais rien pris depuis la veille ; mon pain et mon pot d’eau étaient restés sans que j’y eusse touché ; j’étais épuisée, et mon imagination ardente, à force de travailler, avait usé les ressorts de ma pensée.
J’étais dans cet état de faiblesse, quand l’aide de camp reparut dans mon cachot ; il était accompagné d’un officier.
Grenadier, me dit-il, j’ai obtenu du général qu’on vous transférât dans une autre prison ; votre jeunesse et votre faible complexion ont plaidé en votre faveur : suivez-moi. J’entendais bien cette voix consolatrice, mais je ne pouvais faire aucun mouvement, mon épuisement était total. Il fut effrayé, appela le geôlier, et me fit sortir du cachot. L’air pur, quelques gouttes spiritueuses
Je reprenais difficilement mes sens. L’aide de camp s’adressa à l’officier qui l’accompagnait, et le pria d’aller rendre compte au général que le jeune grenadier était dans un état qui demandait de prompts secours ; dites-lui, camarade, que je le prie de permettre qu’il soit conduit à l’hôpital ; l’humanité doit marcher à côté de la justice.
L’officier nous quitta pour remplir sa commission. L’aide de camp, se voyant seul avec moi, me dit : Mademoiselle, j’ai vu avec plaisir que vous ne m’aviez pas reconnu ; la moindre expansion de votre part vous eut perdue, et m’aurait ravi le bonheur de vous servir. Je suis Blançai
Il est des êtres privilégiés qui inspirent la confiance au premier abord. Les vertus qu’ils professent sont un sûr garant qu’ils n’abuseront pas des aveux qu’on peut leur faire. Philippeaux est du petit nombre de ces êtres
Je ne trouvais pas de termes assez expressifs pour témoigner à Blançai toute ma reconnaissance ; je lui promis de suivre ponctuellement ses avis, je le priai de ne pas faire savoir à mon frère l’embarras dans lequel nous nous trouvions.
L’officier revint avec l’ordre de me faire transférer à l’hôpital ; je fus recommandée par Blançai, et parfaitement traitée.
Trois jours s’écoulèrent encore sans que ce représentant arrivât ; l’inquiétude que je témoignais de ce retard confirma le récit de Blançai ; je ne le voyais pas, mais il nous servait avec une chaleur et un zèle qui prouvaient incontestablement l’attachement qu’il nous portait.
Enfin l’arrivée de Philippeaux mit la joie et le désordre dans mon âme ; je craignais et je désirais ardemment de l’entretenir. Blançai me fit dire que le représentant m’entendrait le lendemain. Je passai la nuit à m’étudier ; la renommée de Philippeaux ne me laissait pas la moindre pensée de lui trahir la vérité ; il fallait tout lui avouer, même ma faiblesse pour Lavalé. Si ma conduite, me disais-je, est improuvée de cet homme estimable, ma franchise réclamera son indulgence ; d’ailleurs, le sentiment que m’inspirait Lavalé était trop pur, trop dégagé de tout ce qui tient à la faiblesse humaine, pour que je ne crusse pas qu’il y avait une sorte de gloire à en faire l’aveu. Je m’endormis dans cette douce idée, et le lendemain je parus devant le représentant avec une confiance proportionnée à sa réputation.
Blançai était avec lui lorsqu’on m’annonça : il se leva, me salua avec respect, et me dit : je vous ai, mademoiselle, aplani les premières difficultés. Le représentant m’a promis de vous écouter avec bienveillance : après cet avis, Blançai se retira.
Une physionomie où se peignait la candeur
J’entrai sur-le-champ en matière, et lui rendis compte de tout ce qui m’était arrivé depuis ma sortie de l’abbaye, sans omettre la moindre circonstance.
Quand j’eus fini mon récit, il me dit fort obligeamment, vous oubliez, mademoiselle, que par votre douceur et vos discours persuasifs, vous avez conquis à la République des amis. J’ai passé hier dans un village où tous les habitants sont les plus zélés défenseurs de la liberté et de la justice ; surpris de trouver au milieu d’un pays insurgé des gens aussi fidèles, j’en ai témoigné mon étonnement ; ils m’ont répondu qu’ils avaient donné leur parole au plus petit grenadier de l’armée, et qu’ils n’y manqueraient pas, quand ils devraient tous mourir. Blançai m’a dit que c’était vous qui aviez opéré ce miracle.
J’admirai la générosité de Philippeaux qui oubliait mes fautes, pour me louer d’une bonne action.
Vous pouvez, continua-t-il, vous reposer sur moi ; je vous donne ma parole, que vous et vos camarades en serez quittes pour la peur ; néanmoins, je vous engage à vous retirer du service, c’est un métier qui ne convient ni à votre sexe, ni à votre manière de penser. Au milieu d’un camp, vous avez dû être souvent exposée à rougir ; la dernière scène qui met votre ami si fort en danger, en est une preuve incontestable. Si vous étiez officier, vous éviteriez ces inconvénients ; mais dans l’ordre des choses actuelles, vous ne pouvez l’espérer que par une action d’éclat ; et cette action vous exposerait peut-être à divulguer votre sexe : la jalousie du nôtre ne permettrait pas qu’on vous sût gré de votre dévouement ; on ne voudrait voir que l’amante pour oublier l’héroïne
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