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Je remerciai tendrement ce généreux jeune homme ; j’acceptai ses offres sans répugnance, et je me déterminai à suivre ses conseils, après l’avoir prié d’assurer mademoiselle de Stainville, que l’absence n’affaiblirait jamais l’impression qu’elle avait faite sur mon cœur. Je me séparai de lui, et je me rendis à Orl…, sans autre recommandation que mes malheurs et ma bonne volonté. Je ne tardai pas à m’y faire remarquer. Les vrais partisans de la liberté étaient alors estimés, considérés et recherchés avec soin ; aussi, peu de temps après, je fus employé par une des premières autorités de cette ville. J’y vécus assez paisiblement jusqu’au commencement de l'année mille sept cent quatre-vingt-treize
Depuis quelque temps, ce système affreux, qui, par la suite, versa à grands flots le sang des Français, étendait ses ravages sur la surface entière de la France. Une troupe de brigands s’était emparée de l’autorité judiciaire
Ce fut cependant parmi ces hommes farouches que le sort me plaça. Mon sincère attachement pour la cause de la liberté leur parut être un entier dévouement pour leurs principes ; ma haine pour l’inégalité des droits, dont j’éprouvais moi-même les pernicieux effets, leur parut une approbation tacite de leurs affreux désordres ; ils m’investirent d’autant plus volontiers de toute leur confiance, que la plupart d’entre eux savaient à peine signer les féroces arrêtés qu’ils prenaient. Ils me chargèrent donc exclusivement, de leur correspondance. La facilité que cela me procurait d’être utile à une foule d’infortunés me détermina à supporter les désagréments de mon emploi, et, au risque de me compromettre, je parvenais toujours à porter des secours aux malheureux qui gémissaient dans les fers.
Le président de ce redoutable comité, surnommé
Cet homme sans caractère, comme sans méchanceté, était une véritable machine : il était pourtant, après son collègue Britannicus, le membre du comité le plus instruit et le plus énergique. Malgré cela, j’avais assez d’empire sur son esprit pour en faire ce que je voulais : lorsqu’il s’agissait de signer l’élargissement de quelques proscrits
Cependant, malgré le plaisir que j’éprouvais à être utile aux malheureux, il me manquait encore une autre satisfaction, celle de voir ma chère Sophie. Je n’étais même pas sans inquiétude sur son compte ; il y avait longtemps que je n’avais reçu de ses nouvelles, lorsqu’un jour Britannicus entra dans la salle des séances, en annonçant, avec un sourire farouche, qu’il venait de faire saisir un excellent gibier. Il s’agit, dit-il à ses confrères, d’un ci-devant Comte qui s’avisa de vivre tranquille dans son château, en s’imaginant échapper à nos recherches ; je viens de le faire
Cette dernière phrase me fit trembler. Je songeai aussitôt à mademoiselle de Stainville ; je me la représentai aux prises avec ces scélérats, et faisant en vain valoir son innocence. Sans connaître celle dont il était question, je me promis bien intérieurement de la servir autant qu’il serait en mon pouvoir, et même de l’arracher, s’il m’était possible, au danger qui la menaçait. Déjà même je roulais dans ma tête le projet de la délivrer, lorsque je vis paraître Sophie elle-même et son malheureux père, les mains liées, et escortés des farouches agents du comité. Sophie me reconnut aussitôt ; je n’eus que le temps de lui faire comprendre la nécessité où elle était de se contraindre, et de ne pas avoir l’air de me connaître. J’en fis autant au Comte qui m’avait pareillement reconnu, et qui s’était cru perdu en tombant entre mes mains. Ah ! s’il eût pu lire dans mon âme, ce que je souffrais eût bien suffi pour le rassurer. — Eh bien ! qu’en dis-tu Caton, lui dit Britannicus, t’ai-je menti ? n’est-il pas dommage qu’un aussi joli minois soit la fille d’un conspirateur ? Ensuite ils se parlèrent tout bas, je ne pus les entendre, mais je jugeai à leur air que ces monstres méditaient un nouveau crime. L’honneur de Sophie me parut aussi en danger que sa vie. La fureur se glissa dans mes veines ; j’éprouvai un moment de rage qui pensa me trahir, mais réfléchissant qu’au lieu de les sauver, j’allais peut-être hâter leur perte, j’eus la force de me contraindre : je ne laissai rien éclater de ma juste colère, ni de mon indignation. Afin de parvenir à découvrir leur complot, je pris le parti de dissimuler, mais deux jours se passèrent, sans que je pusse rien apprendre d’eux : ils me parurent au contraire moins confiants et plus réservés qu’à l’ordinaire. Je fis de vains efforts pour pénétrer leurs projets, mes tentatives furent infructueuses ; je m’aperçus que je leur paraissais suspect : j’en frissonnai, mais je ne me décourageai point. J’étais parvenu à faire tenir à monsieur de Stainville et à sa fille, un billet par lequel je les invitais à ne point se laisser décourager, en leur assurant que je m’occupais de leur délivrance, mais je leur recommandai surtout de feindre et de ne point avoir l’air de me connaître ; c’était sur cette fausse ignorance que je fondais toutes mes espérances.
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