Corpus Le Docteur mysterieux

Tome 1 - Chapitre 18

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XVIII Une exécution place du Carrousel[Par ShanonPomminville] [Place du Carrousel] Située entre les ailes Denon et Richelieu du palais du Louvre, dans le Ie arrondissement de Paris, la place du Carrousel est renommée la place de la Fraternité pendant la Terreur, et reprend son nom initial en 1814. Voir Dictionnaire administratif et historique des rues de Paris et de ses monuments, par Félix et Louis Lazare, Paris, Félix Lazare, 1844. La Commune décrète que les conspirateurs du 10 août seront mis à mort à l'endroit même où les crimes ont été commis, et fait déplacer la guillotine, originairement aménagée sur la place de Grève, sur la place du Carrousel. C'est dans ce contexte particulier que s'inscrit le déroulement de ce chapitre. [Par GaelleGuilissen] Dans le feuilleton, ce chapitre est le premier chapitre de la deuxième partie de Création et Rédemption. Il y aura donc désormais un décalage de dix-sept entre la numérotation des chapitres dans le feuilleton et celle de notre édition.

Le samedi 26 août 1792[Par ShanonPomminville] [le 26 août] En fait, il s'agit du 23 août 1792, date qui correspond à l'exécution d'Arnaud de Laporte. , la diligence de Bordeaux déposait rue du Bouloi le citoyen Jacques Mérey, député à la Convention.

Une tristesse profonde planait sur Paris. Décidément Longwy, chose dont on avait douté pendant trois jours, était pris par trahison, et l’Assemblée nationale avait décrété à l’instant même que tout citoyen qui, dans une place assiégée, parlerait de se rendre, après confrontation faite avec les témoins qui auraient entendu la proposition infâme, et affirmation de ceux-ci, serait, sans autre forme de procès, mis à mort.

Les souverains alliés avaient, le 24 août[Par ShanonPomminville] [le 24 août] Longwy capitule le 23 août 1792., pris possession de Longwy au nom du roi de France.

La Commune de Paris, dans laquelle s’était déjà incarné le sentiment de la République, avait exigé de l’Assemblée la création d’un tribunal extraordinaire, et, malgré la résistance de Choudieu[Par ShanonPomminville] [la résistance à Choudieu] Homme politique français, René-Pierre Choudieu (1761-1838) est membre de l'Assemblée nationale et de la Convention sous la Révolution. , qui avait dit : On veut une inquisition, je résisterai jusqu’à la mort ; malgré celle de Thuriot[Par ShanonPomminville] [malgré celle de Thuriot] Homme politique français, Jacques Alexis Thuriot (1753-1829) est député de la Marne à la Convention nationale sous la Révolution. , qui s’était écrié : La Révolution n’est pas seulement à la France, nous en sommes comptables à l’humanité[Par ShanonPomminville] [comptables à l'humanité] Nous n'avons pu retrouver ces citations ailleurs que dans l'Histoire de la Révolution française de Jules Michelet, laquelle a inspiré Dumas pour la rédaction de ce passage. Voir OEuvres complètes de Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, t. 4, Paris, Alphonse Lemerre, 1888, p. 434. Dumas utilise ces mêmes citations dans son Histoire de Louis XVI et de Marie-Antoinette (1850-1851). , le tribunal extraordinaire avait été voté[Par ShanonPomminville] [le tribunal extraordinaire a été voté] Précédant le Tribunal révolutionnaire créé le 10 mars 1793, le Tribunal criminel extraordinaire (aussi appelé Tribunal du 17 août) instauré par la Commune le 17 août 1792 est une juridiction exceptionnelle destinée à juger les personnes refusant l'acte d'abolition de la royauté et l'emprisonnement du roi à la prison du Temple. .

Il faut dire que, pendant les quelques jours qui venaient de s’écouler, la situation ne s’était point embellie. Le voile de deuil qui couvrait la France s’épaississait de plus en plus ; les Prussiens étaient partis de Coblentz le 30 juillet. Ils avaient avec eux toute une cavalerie d’émigrés ; – ces messieurs étaient trop fiers pour servir dans l’infanterie ; – ils voulaient bien sauver le roi, mais à cheval. Cette cavalerie montait à quatre- vingt-dix escadrons. Le 18 août, ils avaient fait leur jonction avec le général autrichien. Les deux armées, fortes de cent mille hommes, avaient investi et pris Longwy.

L’ennemi marchait sur Verdun.

La Fayette, républicain en Amérique, constitutionnel en France, La Fayette, qui n’avait pas fait un pas depuis 83[Par GaelleGuilissen] [qui n'avait pas fait un pas depuis 83] "qui n'avait pas fait un pas de 83", c’est-à-dire depuis l’indépendance de l’Amérique[Par GaelleGuilissen] [c'est-à-dire depuis l'indépendance de l'Amérique] "c'est-à-dire de l'indépendance de l'Amérique" jusqu’au 10 août, c’est-à-dire jusqu’à la chute[Par GaelleGuilissen] [c'est-à-dire jusqu'à la chute] "c'est-à-dire à la chute" de la monarchie française et que nous devions, sans qu’il eût fait un pas, retrouver en 1830 tel qu’il était en 1792, La Fayette avait appelé son armée à marcher sur Paris pour y défaire le 10 août ; mais l’armée n’avait pas bougé, et c’était lui qui avait été obligé de fuir, comme plus tard devait fuir Dumouriez, dont il eût fait le pendant dans l’histoire si les Autrichiens, en l’arrêtant et en le faisant prisonnier, n’avaient point donné à Béranger[Par CharisseBabouche] Pierre-Jean de Béranger (1780-1857). Chansonnier français. Le vers cité : "Des fers d'Olmütz nous effaçons l'empreinte" est extrait de la chanson Lafayette en Amérique (1824). Le 19 août 1792, Lafayette est reconnu traître à la nation. Après une fuite à l'étranger, il est arrêté en Prusse, puis transféré en Autriche. Il est emprisonné et torturé dans la forteresse de la ville d'Olmütz (en République tchèque) en mai 1795 après avoir tenté de se réfugier à l'étranger pour fuir son statut de "traître à la nation". Cette chanson célèbre le retour de Lafayette en Amérique dont il a soutenu l'indépendance. Lafayette jouit d'une grande popularité aux États-Unis et est souvent nommé le "héros des deux mondes", expression reprise par Béranger dans sa chanson. l’occasion de faire ce vers :

Des fers d’Olmutz nous effaçons l’empreinte [Par GaelleGuilissen] [nous effaçons l'empreinte] L'inscription n'est pas en italique dans le journal..

L’Assemblée l’avait décrété d’accusation. Dumouriez l’avait remplacé à l’armée de l’Est, en même temps que Kellermann remplaçait Luckner[Par GaelleGuilissen] [Luckner] Le nom est écrit "Lukner". à l’armée du Nord.

On apprenait en même temps l’insurrection de la Vendée.

À l’est, la guerre du grand jour, la guerre étrangère.

À l’ouest, la guerre des ténèbres, la guerre civile.

L’une marchant au-devant de l’autre, Paris mis entre les deux.

Sans compter deux ennemis puissants :[Par GaelleGuilissen] [deux ennemis puissants :] Il y a ici un retour à la ligne dans le journal. Le prêtre, la femme.

Le prêtre, inviolable dans cette sombre forteresse de chêne où il se retire et qu’on appelle le confessionnal.

La femme, endoctrinée par lui, et qui a pour elle les pleurs et les soupirs sur l’oreiller.

Qu’as-tu ? demande le mari.

Notre pauvre roi qui est au Temple ! Notre pauvre curé qu’on veut forcer de prêter serment ! la sainte Vierge s’en voile le visage ; le petit Jésus en pleure.

Et le lit devenait l’allié du confessionnal[Par ShanonPomminville] [l'allié du confessionnal] Ce passage fait écho au Chapitre II « Le prêtre, la femme et la Vendée » du Livre VIII de l'Histoire de la Révolution française de Michelet : « La femme, c'est la maison ; mais c'est tout autant l'église et le confessionnal. Cette sombre armoire de chêne, où la femme […] reçoit, renvoie, plus ardente, l'étincelle fanatique, est le vrai foyer de la guerre civile. La femme qu'est-ce encore ? Le lit, l'influence toute-puissante des habitudes conjugales, la force invincible des soupirs et des pleurs sur l'oreiller… Le mari dort, fatigué. Mais elle, elle ne dort pas. Elle se tourne, se retourne ; elle parvient à l'éveiller. […] « Mais, qu'as-tu donc cette nuit ? - Hélas ! le pauvre Roi au Temple !… Hélas ! ils l'ont souffleté comme Notre-Seigneur Jésus-Christ ! » - Et si l'homme s'endort un moment : « On dit qu'on va vendre l'église ! l'église et le presbytère !… » Voir Jules Michelet, Ibid., t. 5, p. 211-212..

Mais, par bonheur, voici l’arrière-garde du Nord qui s’avance. Un corps de trente mille Russes vient de se mettre en marche.

La Commune de Paris, plus en contact avec tous que l’Assemblée, sentait la conspiration contre-révolutionnaire ramper du palais à la mansarde et des carrefours aux prisons.

Elle rugissait.

L’Assemblée se sentait impuissante à repousser sans quelque grand coup l’ennemi du dehors, et surtout l’ennemi du dedans.

Elle s’effrayait.

Prenant un terme moyen, au lieu du grand coup que rêvait la Commune, elle avait décrété une grande démonstration. – Mais que demandent donc les républicains ? disaient les constitutionnels, les larmes aux yeux ; les Suisses sont morts, les Tuileries sont foudroyées, le trône est en poussière ; le roi est au Temple, les royalistes sont en prison. Demain va avoir lieu la fête expiatoire du 10 août[Par ShanonPomminville] [la fête expiatoire du 10 août] Voir la note sur cette fête au chapitre suivant. , et ce soir même, on exécute, en face des Tuileries, ce bon Laporte[Par ShanonPomminville] [ce bon Laporte] Arnaud de Laporte (1737-1792), intendant de la marine, émigre dès le début de la Révolution en Espagne, pour être rappelé en France par Louis XVI en janvier 1791 afin d'occuper la fonction d'intendant de la liste civile, avec le titre de secrétaire d'État et de ministre de la Maison du roi. Déjà compromis au lendemain de la fuite de la famille royale en apportant à l'Assemblée constituante une lettre du roi justifiant sa conduite et défendant aux ministres de contresigner les décrets de l'Assemblée, il est arrêté après le 10 août 1792, accusé d'avoir distribué des fonds secrets. Il est traduit devant le tribunal criminel le 17 août et guillotiné le 23 sur la place du Carrousel. , ce fidèle serviteur du roi, qui est venu annoncer à l’Assemblée nationale, au nom de son maître en fuite, que ce maître n’avait jamais juré la Constitution que contraint et forcé, de sorte qu’il aimait mieux quitter la France que de tenir son serment.

C’est vrai ! les cent-suisses[Par GaelleGuilissen] [les cent-suisses] "ces cent-suisses" étaient morts : mais la masse des royalistes était en armes et prête à agir ; le roi avait perdu les Tuileries, avait perdu son trône, avait perdu sa liberté ; mais, en perdant les Tuileries, le trône et la liberté, il gardait l’Europe ; mais, en rompant avec la France, il avait tous les rois pour alliés et tous les prêtres pour amis. On allait célébrer l’apothéose des morts du 10 août : mais, le soir où l’on avait appris la trahison de Longwy, les royalistes s’étaient montrés par groupes autour du Temple, échangeant des signes avec le roi ; on allait exécuter Laporte : mais, tandis qu’on punissait le valet innocent, on laissait le maître coupable conspirer tout à son aise.« L’histoire, dit Michelet, n’a gardé le souvenir d’aucun peuple qui soit entré si loin dans la mort. Quand la Hollande, voyant Louis XIV à ses portes, n’eut de ressource que de s’inonder, que de se noyer elle-même, elle fut en moindre danger, car elle avait l’Europe pour elle ; quand Athènes vit le trône de Xerxès sur le rocher de Salamine, perdit terre, se jeta à la nage, n’eut plus que l’eau pour patrie, elle fut en moindre danger ; elle était toute sur sa flotte, puissante, organisée dans la main du grand Thémistocle[Par AnneBolomier] [la main du grand Thémistocle] : homme politique athénien, Thémistocle est célèbre dans l'histoire d'Athènes pour avoir doté la ville d'un port, d'une flotte et de fortification. Cette flotte devient la principale contribution athénienne à la résistance contre le roi perse Xerxès. Élu stratège, Thémistocle en assume le commandement et s'impose aux autres chefs grecs à Salamine où sa tactique assure sa victoire. (Claudine Leduc « Thémistocle » dans Encyclopédie Universalis), et elle n’avait pas la trahison dans son sein ; la France était désorganisée et presque dissoute, trahie, livrée et vendue[Par ShanonPomminville] [livrée et vendue] Cette citation est tirée du chapitre III « L'invasion - Terreur et fureur du peuple » du livre VII de l'Histoire de la Révolution française de Michelet qui, avec le chapitre II « Le 10 août dans l'Assemblée - Lutte de l'Assemblée et de la Commune » du même livre, a grandement inspiré Dumas pour la rédaction des chapitres XVIII, XIX et XX de ce roman. . »

C’était juste en ce moment, c’est-à-dire dans l’après-midi du 26 août, que Jacques Mérey arrivait à Paris et se faisait conduire à l’hôtel de Nantes[Par GaelleGuilissen] [Nantes] Le nom n'est jamais en italique dans le journal., qui dressait ses cinq étages sur la place du Carrousel.

Jacques Mérey commença par réparer le désordre causé à sa toilette par une nuit et deux journées de diligence. Son intention était d’aller immédiatement rendre visite à ses deux amis Danton et Camille Desmoulins.

C’était Danton qui, du temps où il était avocat au conseil du roi, avait obtenu pour Baptiste la pension viagère qui avait si fort étonné les bonnes gens d’Argenton.

Mais, au moment où, sa toilette achevée, il s’approchait machinalement de la fenêtre, il vit s’arrêter à quinze pas de l’hôtel une charrette peinte en rouge et portant tout un mécanisme peint de la même couleur.

Deux hommes, avec des bonnets rouges et des carmagnoles, étaient assis sur la première banquette de la voiture.

Un cabriolet suivait. Un homme, tout vêtu de noir, en descendit.[Par GaelleGuilissen] [Un homme, tout vêtu de noir, en descendit.] Il n'y a pas de retour à la ligne dans le journal.

La Révolution ne lui avait rien fait changer à son costume : il portait la cravate blanche, les bas de soie et la poudre. Il paraissait âgé de soixante-cinq à soixante-six ans.

C’était Monsieur de Paris, autrement dit le bourreau.

Les deux hommes en carmagnole et en bonnet rouge étaient ses aides.

Le cabriolet s’éloigna. Monsieur de Paris resta pour faire dresser la guillotine.

Jacques Mérey était resté immobile à la fenêtre. Il avait beaucoup entendu parler de la nouvelle invention de M. Guillotin[Par ShanonPomminville] [la nouvelle invention de M. Guillotin] Joseph Ignace Guillotin (1738-1814), médecin et député du Tiers-État, soumet en décembre 1789 à l'Assemblée constituante un projet de loi proposant l'adoption d'une machine à décapiter (« une simple mécanique »). En dépit d'une croyance qui perdure, Guillotin n'est pas l'inventeur de la guillotine portant fatalement son nom, puisque sa proposition consistait à moderniser un instrument déjà connu depuis le Moyen Âge en Écosse, en Allemagne, en Italie et même en France. Voir Daniel Arasse, La guillotine et l'imaginaire de la Terreur, Paris, Flammarion, coll. « Champs histoire », 2010 [1987], p. 23.

, et il avait même soutenu avec le célèbre Cabanis[Par ShanonPomminville] [le célèbre Cabanis] Pour consulter les références biographiques de Cabanis, voir la note au chapitre VIII. une discussion sur la douleur plus ou moins grande que devait causer la section des vertèbres, et sur la persistance de la vie chez le décapité[Par ShanonPomminville] [persistance de la vie chez les décapités] Cette question fait l'objet d'une polémique pendant la Révolution connue sous le nom de « Querelle des têtes tranchées ». Deux conceptions du corps humain s'opposent, l'une localiste, l'autre totaliste. La première, notamment soutenue par le médecin Samuel Thomas Soemmering (1755-1830), entend démontrer que le siège de l'âme se situant entièrement dans la tête, celle-ci, au moment de la décapitation, prend conscience de sa mort imminente. La deuxième, entre autres défendue par Pierre-Jean-Georges Cabanis (1757-1808), soutient au contraire que le siège de l'âme ne pouvant se situer exclusivement dans la tête en raison de l'harmonie totale s'exerçant entre les différentes parties du corps, la décapitation engendre une mort immédiate et sans douleur. Il s'agit, par ailleurs, d'un thème de prédilection dans l'oeuvre d'Alexandre Dumas qui traite régulièrement de la question de la persistance de la vie chez les décapités, notamment dans Joseph Balsamo (1846), Les Mille et un fantômes (1849) et La Femme au collier de velours (1850). Voir la note à la fin du chapitre XX.

Il n’était pas du tout de l’avis de M. Guillotin, qui prétendait que les gens qui auraient affaire à sa machine en seraient quittes pour une légère fraîcheur sur le cou, et qui affirmait qu’il n’avait qu’une crainte, c’est que la mort par la guillotine serait si douce qu’elle accroîtrait le nombre des suicides, et qu’on ne saurait comment se défaire des vieillards las de la vie qui voudraient absolument finir à l’aide de la nouvelle invention.

Jacques Mérey ne pouvait pas descendre pour examiner de près le fatal instrument, qui grandissait à vue d’œil sous ses yeux ; mais il pouvait inviter Monsieur de Paris à monter chez lui, et avoir ainsi d’un professeur émérite tous les renseignements qu’il désirait obtenir sur l’invention et les améliorations de l’œuvre philanthropique qui, ne pouvant pas faire l’égalité des Français devant la vie, avait fait au moins l’égalité des Français devant la mort.

Et, comme il commençait à tomber une pluie fine[Par GaelleGuilissen] [comme il commançait à tomber une pluie fine] "comme il commençait de tomber une pluie fine" qui le servait à merveille dans son dessein : – Monsieur, dit-il à l’homme habillé de noir, il n’est point absolument besoin que vous restiez dehors et vous fassiez mouiller pour suivre l’érection de votre machine ; montez chez moi, vous verrez aussi bien que de la place, et vous serez à couvert. En outre, comme je sais que vous êtes un homme instruit, quelque peu médecin même, nous causerons sérieusement de notre art commun, car je suis, moi, médecin tout à fait.

Monsieur de Paris, reconnaissant à l’aspect et à la parole de celui qui l’interpellait, qu’il avait affaire à un homme sérieux et comme il faut, salua, et, donnant un dernier ordre à ses aides, il prit l’escalier latéral par lequel on montait aux appartements.

Jacques Mérey attendait l’homme noir à sa porte, qu’il tenait entrouverte pour lui indiquer l’endroit où il était attendu.

Le bourreau entra.

Tout le monde sait que l’exécuteur des hautes œuvres, M. Sanson, était un homme parfaitement distingué.

Jacques Mérey le reçut et le traita en conséquence.

Après les premiers compliments échangés :

Monsieur, dit-il à l’exécuteur des hautes œuvres, j’ai connu autrefois un très habile praticien qui s’était, avant M. Guillotin, beaucoup occupé de la même question qui a illustré ce dernier.

Ah ! oui, dit Sanson, vous voulez parler du docteur Louis[Par ShanonPomminville] [parler du docteur Louis] Antoine Louis (1723-1792), secrétaire perpétuel de l'Académie de chirurgie, notamment connu pour le rôle qu'il a joué dans l'affaire Calas et pour ses diverses contributions dans l'Encyclopédie, est le véritable concepteur de la guillotine. Voir Daniel Arasse, Ibid., n’est-ce pas ? celui qui était médecin par quartier du roi ?

Justement, dit Jacques, j’ai étudié sous lui, et j’ai été son élève.

Eh bien, monsieur, reprit Sanson, je peux vous donner sur le docteur Louis et sur ses essais tous les renseignements que vous pouvez désirer. Un jour, il nous convoqua à quatre heures du matin, dans la cour de Bicêtre[Par ShanonPomminville] [la cour de bicêtre] La guillotine est construite au printemps 1792, et fait l'objet d'une série d'expériences sur des cadavres humains le 17 avril dans une cour de l'hôpital général de Bicêtre, sous la supervision de Philippe Pinel, de Pierre-Jean-Georges Cabanis et d'Antoine Louis. . Un instrument dans le genre de celui-ci était dressé, et trois cadavres de la nuit même attendaient l’expérience qui devait être faite. Ce fut la première fois que je vis opérer le couperet et que je le mis en mouvement ; car, vous savez, monsieur, que ce sont mes aides qui font tout, et que je n’ai, moi, qu’à détacher l’anneau du clou qui le retient et à le laisser glisser dans la rainure, comme vous pourrez d’ailleurs le voir tout à l’heure, si vous voulez assister – et vous êtes à merveille pour cela – à l’exécution de ce pauvre diable de Laporte.

Oui, monsieur, c’est ce que je ferai, répondit Jacques Mérey, et au point de vue de la science, car je vous prie de croire que je ne suis nullement sanguinaire ; mais revenons à l’instrument du docteur Louis, qui, autant que je puis me le rappeler, s’appela même un temps la petite Louisette. Je crois que l’expérience dont vous parlez[Par GaelleGuilissen] [dont vous parlez] "dont vous me parlez" ne lui fut pas favorable.

C’est-à-dire, monsieur, que les deux premières exécutions réussirent à merveille. La tête fut détachée des cadavres comme elle l’eût été d’hommes vivants ; mais la troisième échoua.

Était-il arrivé quelque accident à la machine ou était-ce un vice de conformation ? demanda le docteur Mérey.

C’était un vice de conformation, non pas dans la machine, monsieur, mais dans le couperet. Le couperet tombait à plat, ce qui n’eût rien empêché s’il eût été secondé par une masse de plomb comme celle qui pèse sur lui aujourd’hui.

Ah ! je comprends ! dit Jacques Mérey ; ce fut le docteur Guillotin qui inventa la taille en biseau et, comme Améric Vespuce, il détrôna Christophe Colomb.

Non, monsieur, non ; la chose ne s’est pas passée comme cela ; le roi, – je vous demande pardon, c’est une vieille habitude, – le citoyen Capet, voulais-je dire, qui s’occupe de mécanique, voulut non pas voir celle du docteur Louis, mais s’en faire rendre compte ; on lui en fit un dessin exact, qu’il examina avec soin ; puis tout à coup, prenant une plume : « Là, dit-il, est le défaut. » Et il traça sur le fer cette ligne savante qui de carré le rendit triangulaire[Par ShanonPomminville] [le rendit triangulaire] Rumeur tenace, encore cette fois, c'est bien le Docteur Louis, et non le roi Louis XVI, qui suggère la forme oblique du couperet.. Le docteur Guillotin alla trouver le docteur Louis avec le dessin du roi, – pardon, du citoyen Capet ; – et, comme le docteur Louis était déjà fort ennuyé qu’on eût donné à son invention le nom de petite Louisette, n’ayant pas besoin de cela pour sa réputation, il autorisa son confrère, le docteur Guillotin, à faire à sa machine toutes les corrections qui lui conviendraient et même à la baptiser de son nom. Voilà comment le docteur Guillotin est devenu l’auteur de cet instrument de supplice qui abaisse notre profession au niveau des plus humbles professions mécaniques, puisque maintenant, pour trancher une tête, il s’agit tout simplement de décrocher un anneau d’un clou, et qu’il n’est plus besoin, comme au temps où on décollait avec l’épée, de force ni d’adresse.

Et vous regrettez ce temps là ? dit Jacques Mérey.

Oui, monsieur ; l’épée à la main, nous étions des justiciers ; la ficelle à la main, nous ne sommes plus que des bourreaux. Vous êtes jeune, vous, et vous regardez en avant ; moi je suis vieux et je regrette le temps passé ; mon fils, qui est mon premier aide et qui a quarante-deux ans, s’y est fait tout de suite ; mon petit-fils, qui en a douze, n’y pensera plus et fera la chose comme si elle s’était toujours passée ainsi.

Mais, dit Jacques Mérey, excusez mon indiscrétion, monsieur ; vous paraissez voir avec tristesse les préparatifs de cette exécution.

Oui, monsieur, c’est vrai. Je vous demande pardon de ne pas vous appeler citoyen et de ne pas vous tutoyer ; mais comme vous pouvez le voir, et comme je vous l’ai dit tout à l’heure, je suis vieux et ne puis arriver à perdre mes anciennes habitudes. Oui, cette exécution m’attriste profondément ; je puis vous l’avouer, à vous, monsieur, qui me paraissez être un philosophe ; nous sommes, dans notre famille, les vieux serviteurs de la royauté ; il m’en coûte, à mon âge, de changer de maître et de devenir le valet du peuple.

Mais alors pourquoi, pouvant déléguer votre fils à votre place pour l’exécution de ce soir, pourquoi la faites-vous vous-même ?

Quoique M. Laporte ne soit ni un grand seigneur, ni un noble, c’est un homme éminent, qui a servi le roi avec fidélité : j’aurais cru manquer à tous mes devoirs en n’assistant pas moi-même à ses derniers moments ; il peut avoir quelque mission suprême à me confier, quelque secret important à me dire ; je lui manquerais sur l’échafaud, et, quoique je ne sache pas si j’en descendrai vivant, tant je me sens faible, j’ai cru qu’il était de mon devoir d’y monter. Le soir de mon mariage, il y a de cela quarante-quatre ans, nous étions en train de danser joyeusement lorsqu’une troupe de jeunes seigneurs qui revenaient de quelque joyeuse expédition, voyant le premier étage que j’habitais illuminé comme pour une fête, monta et demanda le maître de la maison.» Je m’approchai et m’inclinai devant eux, attendant respectueusement qu’ils voulussent bien dire la cause de leur visite.» – Monsieur, me dit celui qui paraissait chargé de porter la parole pour les autres, nous sommes, comme vous pouvez le voir, des seigneurs de la cour ; il nous semble de bien bonne heure pour rentrer chez nous ; vous nous paraissez en fête, quelque baptême ou quelque mariage ? Nous vous promettons de ne porter malheur ni à l’enfant, ni à la mariée.» – Monsieur, répondis-je, ce serait un grand honneur pour nous, mais je doute que vous nous le fassiez quand vous saurez qui je suis.» – Qui êtes-vous donc ? demanda-t-il.» – Je suis Monsieur de Paris, répondis-je.» – Comment ! dit l’un d’eux, qui n’avait pas encore parlé ; comment, monsieur, c’est vous qui décapitez, qui pendez, qui rouez, qui cassez les bras et les jambes ?» – C’est-à-dire, monsieur, entendons-nous, ce sont mes aides qui font tout cela, lorsqu’il s’agit du commun et de criminels vulgaires ; mais lorsque, par hasard, le patient est un grand seigneur comme vous autres, messieurs, je me fais un honneur de remplir toutes ces fonctions moi-même.» Vingt ans après, nous nous retrouvâmes face à face sur l’échafaud, ce jeune homme et moi ; je lui tins ma parole, je l’exécutai moi-même, et je le fis souffrir le moins que je pus.[Par GaelleGuilissen] [je le fis souffrir le moins que je pus.] Il y a ici un retour à la ligne dans le journal. C’était le baron de Lally-Tollendal[Par ShanonPomminville] [c'était le baron Lally-Tollendal] Thomas Arthur (1702-1766), baron de Tollendal et comte de Lally, est décapité par les bourreaux Sanson père et fils sur la place de Grève en 1766 pour avoir « trahi les intérêts du roi ». Il est le père de Gérard Lally-Tollendal (1751-1830), connu pendant la Révolution pour avoir fait voter pour Louis XVI le titre de « restaurateur de la liberté française ». .

Jacques Mérey s’inclina ; il admirait cette conscience d’autant plus sincèrement qu’en effet Sanson était fort pâle, et, à la vue des premières baïonnettes qui apparaissaient au guichet du Carrousel, paraissait près de se trouver mal[Par GaelleGuilissen] [paraissait près de se trouver mal] "paraissait prêt à se trouver mal".

Jacques Mérey lui offrit un verre de vin.

Oui, monsieur, lui dit-il, si vous voulez me faire l’honneur de trinquer avec moi.

Je le veux bien, répondit le docteur ; mais à la condition que vous ferez raison à mon toast, quel qu’il soit.

C’est convenu, monsieur ; c’est bien le moins que je vous doive pour le grand honneur que vous me faites.

Jacques Mérey sonna, demanda une bouteille de madère et deux verres.

Il les emplit à moitié, en présenta un au bourreau, et, le choquant du sien :

À l’abolition de la peine de mort ! dit-il.

Oh ! de grand cœur, monsieur, dit Sanson. Dieu m’épargnerait ainsi de bien tristes journées que je prévois.

Les deux hommes choquèrent de nouveau leur verre et le vidèrent d’un trait.

Maintenant, dit l’exécuteur des hautes œuvres, serait-ce indiscret à moi de demander le nom de l’homme qui n’a pas dédaigné de toucher mon verre du sien.

Je m’appelle Jacques Mérey, monsieur, et suis député à la Convention.

Ah ! monsieur, laissez-moi vous baiser la main, car d’après ce que vous venez de dire, vous ne condamnerez pas à mort notre pauvre roi.[Par GaelleGuilissen] [vous ne condamnerez pas à mort notre pauvre roi.] "vous ne condamnerez pas notre pauvre roi à mort."

Non, parce que je crois fermement que nul homme n’a le droit de reprendre ce qu’il n’a pas donné et ce qu’il ne peut pas rendre : la vie ! Mais la peine la plus dure après la mort, je la demanderai pour lui, car ce baron de Lally, dont vous parliez tout à l’heure et que vous avez exécuté, était, près de l’homme qui a voulu livrer la France à l’étranger, plus blanc que la neige.[Par GaelleGuilissen] (plus blanc que la neige.] Il y a ici un retour à la ligne dans le journal. Allez, monsieur, faites votre office terrible, et n’oubliez pas, toutes les fois que vous passerez sur cette place, qu’il y a au premier étage de l’hôtel de Nantes un philosophe qui vous sait gré de plaindre les victimes que vous exécutez, d’appeler Louis XVI « le roi », et non « Capet », de dire « monsieur » au lieu de « citoyen », et qui est tout prêt à vous serrer la main chaque fois que vous lui tendrez la vôtre.

Sanson s’inclina avec la dignité d’un homme qui vient d’être relevé à ses propres yeux, et sortit.

En effet, les troupes commandées pour l’exécution commencèrent à envahir le Carrousel et formèrent un carré autour de l’échafaud, écartant tout le monde et laissant un espace vide entre les spectateurs et la fatale machine. La curiosité était encore grande, car c’était la quatrième ou cinquième fois qu’elle opérait, et comme l’avait dit le grand-père Sanson, c’était la première fois qu’il allait assister un patient.

Il était déjà sur l’échafaud lorsque le carré se forma. Il avait essayé du pied chaque marche de l’escalier ; il avait pesé sur les planches de la plate-forme pour s’assurer de leur solidité ; il faisait fonctionner la bascule pour voir si rien ne l’arrêterait ; enfin il faisait glisser le couperet dans sa rainure pour voir si la rainure était suffisamment graissée.

C’est ainsi que, avant la représentation d’une pièce importante, le machiniste fait, la toile baissée, la répétition de ses décors.[Par CharisseBabouche] Dumas fait le lien entre le théâtre et la politique puisque l'exécution découle d'une décision politique. Le théâtre de l'exécution devient le théâtre du recrutement des volontaires au chapitre XX. La soirée chez Talma au chapitre XXIX est l'apogée de cette réunion du politique et du théâtral.

L’exécution était fixée pour neuf heures ; elle devait se faire aux flambeaux pour produire une plus grande impression[Par ShanonPomminville] [une plus grande impression] Bien qu'elle soit attestée dans la tradition historiographique, cette description correspond néanmoins à l'exécution de Louis David Colennot d'Angremont (1748-1792), premier condamné politique de la Révolution, guillotiné le 21 août 1792 sur la place du Carrousel, et non à l'exécution de Laporte. La confusion provient de Michelet. Voir Jules Michelet, Ibid., t. 4, p. 436. Pour connaître les précisions que donne Gérard Walter sur cette inexactitude dans le texte de Michelet, voir Jules Michelet, Histoire de la Révolution française I, Édition établie et annotée par Gérard Walter, Paris, Gallimard, coll. « Folio histoire », vol. II, 1952, p. 1488. .

À huit heures trois quarts, on commença d’entendre les roulements du tambour, qui, détendu à dessein, rendait ce son sourd et funèbre qui accompagne les convois.

Bientôt les premières torches parurent à la porte du Carrousel qui donne sur la Seine. Le condamné venait de la Conciergerie, et, pour surcroît de peine, il devait être exécuté devant ce palais qu’il avait, pendant près de quarante ans[Par GaelleGuilissen] [pendant près de quarante ans] "près de quatre ans", habité avec le maître pour lequel il allait mourir.

La charrette où il était amené était entourée d’escadrons de cavalerie ; en tête du cortège marchaient[Par GaelleGuilissen] [en tête du cortège marchaient] "en tête marchaient" une soixantaine de sans-culottes portant des torches.

Le carré de soldats s’ouvrit pour laisser passer la charrette et son conducteur, assis sur le timon.

Le condamné était seul dans le fatal tombereau ; il avait refusé un prêtre assermenté, et nul n’ayant prêté serment n’avait osé risquer sa tête à l’accompagner sur l’échafaud. Il était en chemise, en culotte et en bas de soie noire ; le col de sa chemise était coupé au ras des épaules et ses cheveux au ras de la nuque.

Il regarda avec tristesse, mais non avec crainte, l’échafaud dressé devant lui.

Est-il temps de descendre ? demanda-t-il à haute voix.

Attendez que l’on vous aide, cria un des valets.

Inutile, répondit le patient, et, pourvu qu’on me mette le marchepied, je descendrai seul.

Puis, avec un sourire, et regardant le double rang d’infanterie et de cavalerie qui entourait l’échafaud :

Vous n’avez pas peur que je me sauve, n’est-ce pas ? dit-il.

On enleva alors la planche qui fermait le tombereau par derrière, on y plaça le marchepied. Le patient descendit seul et sans aide, tourna autour du tombereau, suivi du valet qui avait apporté le marchepied, et, en avant de l’escalier, où l’attendait le grand-père Sanson pour l’aider à monter sur la plate-forme, il trouva l’huissier, qui lui lut sa condamnation à mort « pour cause de trahison au peuple ».[Par GaelleGuilissen] ["pour cause de trahison au peuple".] Fin de la partie du chapitre publiée dans Le Siècle du 20 janvier.

Ne pourriez-vous ajouter : et de fidélité au roi ? demanda Laporte.

Ce qui est écrit est écrit, dit l’huissier. Vous n’avez pas de révélation à faire ?

Non, répondit Laporte, sinon que j’espère que les trois quarts des Français sont coupables comme moi, et, à ma place, se seraient conduits comme moi.

L’huissier se dérangea et démasqua l’escalier de l’échafaud.

Sanson lui offrit le bras. Le patient, orgueilleux de montrer qu’il avait conservé toute sa force en face de la mort, refusait de s’y appuyer.

Sanson lui dit deux mots tout bas, et il ne fit plus aucune difficulté de monter, aidé par lui.

Il monta lentement, mais chacun put remarquer que c’était l’exécuteur qui ralentissait son pas ; pendant ce temps, ils parlaient bas, et sans doute Laporte le chargeait-il de ses volontés dernières.

Arrivés sur la plate-forme, ils causèrent encore quelques secondes, puis Sanson lui demanda :

Êtes-vous prêt ?

M’est-il permis de faire ma prière ? demanda Laporte.

Sanson fit de la tête signe que oui.

Le patient s’agenouilla, mais il indiqua que ses mains liées derrière le dos le gênaient pour prier.

Sanson les lui délia à la condition qu’il se laisserait lier de nouveau lorsque la prière serait terminée.

Laporte rapprocha ses deux mains et dit à haute voix la prière suivante, que l’on put entendre au milieu du silence solennel qui se faisait autour de l’échafaud :

Mon Dieu ! pardonnez-moi mes péchés et regardez comme expiation[Par GaelleGuilissen] [comme expiation] "comme une expiation" la mort douloureuse que je vais supporter pour avoir été fidèle à mon roi. Qu’il sache que, à l’heure de ma mort, mon âme est à Dieu et que mon cœur est à lui.

Puis il ajouta en latin :

In manus tuas, Domine, commendo spiritum meum[Par ShanonPomminville] [commendo spiritum meum] « Entre tes mains, Seigneur, je remets mon esprit » (Ancien Testament, Psaume 31). . Amen ! dit à haute voix l’exécuteur.

De grands murmures coururent dans la foule ; mais lorsqu’on vit le condamné se relever, faire le signe de la croix en se tournant du côté des Tuileries, et donner sans résistance ses mains à lier, cette résignation de victime toucha la foule, qui se tut.

Ce qui suivit eut la durée de l’éclair.

Le condamné fut poussé sur la bascule, sa tête glissa à travers la lucarne, le couperet tomba.

La tête ! la tête ! cria la foule.

Le bourreau s’approcha d’un pas ferme, fouilla dans le panier, tirant par les cheveux blancs[Par GaelleGuilissen] [tirant par les cheveux blancs] "en tira par les cheveux blancs" la tête souillée de sang, et la montra au peuple, qui battit des mains.

Mais, en même temps, on le vit vaciller, ses doigts se détendirent et lâchèrent la tête, qui roula de l’échafaud à terre, tandis que lui tombait mort sur la plate-forme.

Un médecin ! un médecin ! crièrent les aides.

Me voilà ! répondit Jacques Mérey, et, se suspendant d’une main au balcon, il se laissa tomber dans la rue.

Non seulement la foule, mais la troupe elle-même s’ouvrit[Par GaelleGuilissen] [Non seulement la foule, mais la troupe elle-même s'ouvrit] "Non seulement la foule mais la troupe s'ouvrirent' devant lui. On le vit rapidement traverser l’espace vide, monter deux à deux l’escalier de la plate-forme, en criant :

Enlevez-lui son habit !

Alors, à genoux près du corps inerte, il lui posa la tête sur son genou, et, déchirant sa chemise de manière à mettre le bras à découvert, il fouilla rapidement la veine d’un coup de lancette.

Mais, quoiqu’il se fût passé dix secondes à peine entre la chute de l’exécuteur et la tentative du docteur pour le rendre à la vie, le sang ne vint pas.

Le bourreau, fidèle à son devoir, était mort près de la victime, mort fidèle[Par GaelleGuilissen] [mort fidèle] "morte fidèle" (accord avec "victime") à son roi[Par ShanonPomminville] [fidèle à son roi] Ici aussi Dumas confond l'exécution de Laporte avec celle de Colennot d'Angremont. Voir note plus haut sur la description que donne l'auteur de l'exécution. .


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