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Voilà, Firmin, me dit madame Bellegarde, lorsque j’eus cessé de lire, la confession sincère de tous les crimes dont je me suis rendu coupable. Le plus grand regret que j’éprouve est d’avoir causé les malheurs et la ruine d’une famille à qui j’avais tant d’obligations, et je ne me pardonnerai jamais de vous avoir séparé de votre amante. Rassurez-vous, lui dis-je, je n’en suis point séparé, elle est aujourd’hui ma femme : c’est moi qui suis l’auteur de sa délivrance, et qui ai préservé son père des fureurs de votre mari.
Ici je lui fis, à mon tour, le détail de tout ce qui m’était arrivé depuis notre séparation, et je lui racontai ce qui s’était passé depuis l’accident funeste dont elle avait été la cause
Madame Bellegarde tint parole. Peu de temps après Delville fut mis en liberté, et rayé définitivement de la liste des émigrés
Un soir qu’à notre ordinaire, Sophie et moi, nous prenions le frais devant la grille du parc de Stainville, nous aperçûmes de loin une voiture qui venait de verser[Par Olivier Ritz] De verser : de se renverser. dans le grand chemin qui traversait la plaine. Notre premier mouvement fut de voler au secours des voyageurs qui pouvaient être blessés. Nous ne nous étions point trompés ; en arrivant nous trouvâmes un homme seul tout froissé de sa chute, et hors d’état de continuer sa route. Nous l’aidâmes à se débarrasser de sa chaise, et tandis que nos domestiques aidaient le postillon à dételer les chevaux, nous conduisîmes l’inconnu au château, et nous l’invitâmes à s’y reposer jusqu’à ce qu’il fût parfaitement rétabli. Hélas ! nous dit-il en entrant, cette contrée m’est funeste ; voici un grand nombre d’années qu’il m’arriva, presque au même endroit, un malheur encore plus affreux ; quoiqu’il se soit écoulé, depuis cette époque, un grand espace de temps, le souvenir m’en est encore récent, et m’arrache encore des pleurs. Moins guidé par un motif de curiosité que par un certain mouvement d’intérêt qu’il m’était impossible de définir, je le pressai de nous faire part du sujet de sa douleur. Oui, continua-t-il en versant un torrent de pleurs, ce fut dans ce canton que je perdis les deux objets de mes affections, ou plutôt la moitié de moi-même. La mort impitoyable m’enleva une épouse adorée. Nous fuyons ensemble des méchants, lorsqu’en passant, au bout de ces avenues, elle fut surprise par les douleurs de l’enfantement. Malgré les fortes raisons qui pressaient notre fuite, nous fûmes forcés d’interrompre notre voyage. Une ferme, située non loin d’ici, nous servit d’asile. Mon épouse y perdit la vie en donnant le jour à un fils, dont, hélas ! j’ignore la destinée. Le sort qui s’acharnait à me poursuivre me força de m’exiler. J’errai pendant vingt ans à l’extrémité de la terre sans pouvoir rentrer dans ma patrie. À mon retour, je volai chez le laboureur à qui j’avais confié mon fils ; mais, par un nouveau malheur, ce vieillard n’était plus de ce monde…
Ici les pleurs de l’étranger redoublèrent : j’étais hors de moi ; j’éprouvais un pressentiment de l’événement extraordinaire qui devait m’arriver. — Y a-t-il longtemps, lui demandai-je avec empressement ? — Voici bientôt vingt-deux ans[Par Olivier Ritz] Si cette scène se passe en 1796, Firmin est né en 1775. On peut également dater sa rencontre avec Sophie : puisqu'il a seize ans à ce moment-là (première partie, chapitre 2), cette rencontre a lieu en 1790.. — Comment se nommait le bon laboureur à qui vous confiâtes ?… — Il s’appelait Thomassin. — Et votre enfant n’avait-il aucune marque distinctive[Par Olivier Ritz] Il ne manque rien à cette scène de reconnaissance, pas même la marque distinctive qui confirme l'identité véritable de Firmin. ? — Il avait un signe sous le sein gauche. — Ô mon père, m’écriai-je en tombant à ses genoux !… je suis votre fils… — Ciel, qu’entends-je ?… vous… mon fils !… — Oui, moi-même… Voici ma femme, lui dis-je en montrant Sophie, elle est aussi votre fille… À ces mots nous ne formâmes plus tous trois qu’un groupe uni par les plus étroits embrassements.
C’était mon père lui-même ; j’étais ce fils qu’il pleurait depuis vingt ans, je n’en pouvais plus douter ; je portais sous le sein gauche le signe qu’il me désignait… Bons cœurs, représentez-vous ma joie, mon bonheur !
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