Corpus Cœur double - la légende des gueux

Seizième siècle. — Les Sacrilèges : Les Boute-Feux

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SEIZIÈME SIÈCLE — Les sacrilègesLes Boute-feux

L’année devant que le roi fût pris à Pavie, il y eut par le monde de grandes terreurs. ar le jour de la Saint-Sylvestre au soir, entre neuf et dix heures, le ciel devint ouleur de sang ; et il semblait qu’il fût ouvert. Toutes choses étaient illuminées ar une lueur rouge ; les animaux baissaient la tête, et les plantes étaient couchées terre. Puis il y eut un souffle de vent, et on vit au firmament une grande comète elle avait la figure d’un dragon flamboyant ou d’un serpent de feu. Et peu après lle alla vers les fossés de Saint-Denis, et on ne la vit plus.

Mais le même soir, passé minuit, les gens étant couchés déjà l’espace de quatre heures, arce que au mois de décembre les soirées sont longues, on entendit un émoi par les ues. Et bien y avait-il de quoi s’émouvoir ; car des messagers venus de Troyes en hampagne, disaient que la ville était presque toute brûlée. Or ils parlaient ainsi ans la nuit, sur la place de Saint-Jean-de-Grève, devant l’église ; des petits garçons ui dormaient encore tenaient leurs chevaux ; et leurs ceintures, leurs épées, leurs perons luisaient aux lanternes. Ils dirent que le feu durait depuis deux jours ; e Marché au Blé était brûlé et la rue du Beffroi avec la grosse cloche fondue, et ’Etape au Vin, et l’hôtellerie du Sauvage, où on mangeait andouilles fermes et grasses, vec vin clairet. Les boute-feux avaient tout allumé, de leur mixtion infernale, qui tait de poudre à canon, avec du souffre et de la poix. Personne n’avait pu les voir u les saisir ; et il était à présumer qu’ils étaient de Naples et qu’ils allaient n grand mystère brûler toutes les bonnes villes du royaume. On disait, environ la oël, que Paris était plein de Marrabais italiens qui prenaient les petits enfants ecrètement et les tuaient pour en avoir le sang. Et semblablement ces boute-feux taient de la même secte et confession.

Le prévôt et les échevins, vêtus de leurs robes mi-partie, avec les conseillers de a ville, quarteniers, sergents, archers, arbalétriers, et hacquebutiers avec leurs oquetons, sortirent incontinent, portant des falots ; et aussitôt fut enjoint et éclaré publiquement qu’on mènerait le guet de nuit par les rues, ce qui fut fait. t le lendemain on conduisit au gibet un homme inconnu, dont il semblait à un tavernier e la rue Saint-Jacques qu’il eût renié Dieu, et qui ne voulut rien dire devant le ieutenant de la prévôté, ni devant le Parlement. Il fut monté sur une mule depuis a Conciergerie, bonnet en tête, vêtu d’une robe de drap frisé, de couleur tannée u enfumée, avec un sayon de camelot, et on fit son cri en trois fois devant les gens u guet, à cheval ou à pied, et le peuple de Paris. Lui fut baillé pain et vin devant ’église des Filles-Dieu, comme de coutume ; et on lui donna dans la main une croix e bois, peinte de rouge. Puis lui fut son bonnet ôté, pour qu’il montât au gibet ête nue.

Et cette exécution rendue au plaisir de Notre-Seigneur, on fit diligence la nuit avec alots, lampes et chandelles pendues aux portes et gros guet à pied et à cheval de inq ou six cents hommes de la ville. On ne savait où aller, de peur. La coutume n’étant as d’avoir les rues et ruelles éclairées, les porches, embrasures, et coulées de ierre semblaient plus noires. Et tantôt il y passait des archers qui secouaient leurs orches. Les lumignons brillaient aux petits carreaux après le couvre-feu, qui était rande nouveauté. Les images de Notre-Dame étaient illuminées d’un falot, avec garde péciale, certains d’une secte hérétique ayant mutilé les saintes images en divers ieux.

Le lendemain, on dit par les rues et dans les boutiques, mêmement chez les barbiers, u’il était entré dans la ville quatre ou six hommes que l’on ne pouvait reconnaître, ar ils changeaient tous les jours d’habillement. Une fois ils étaient vêtus en marchands, ne autre en aventuriers, puis en paysans ; parfois ils avaient des cheveux sur la ête, et parfois ils n’en avaient pas. Et toutes gens dirent qu’ils guetteraient curieusement es hommes, étant certain qu’ils n’étaient autres que les boute-feux, venus à grand al et danger. Mais quelque diligence qu’on eût, au soleil levant plusieurs maisons urent trouvées marquées de grandes croix de Saint-André noires, qui avaient été faites, a nuit, par des gens inconnus.

Toute la ville était perdue. Et de par le roi, le cri fut fait à son de trompe, par ous les carrefours, que les aventuriers, gens de peu, faux mendiants et traîneurs e rues, vidassent les lieux, sur peine de la hart. Plusieurs gens du commun fuyaient evant les crieurs ; et, à la fin, il y eut une troupe qu’on mit dehors sur la grand’route, ar la porte Baudoyer.

Parmi ce menu peuple, il y en eut trois : Colard de Blangis, Tortigne du Mont-Saint-Jean t Philippot le Clerc, qui, doutant la rigueur de justice royale, restèrent sur la oute, hors la ville. Ils étaient d’assez pauvre renommée, mais plus mauvaise mine, t craignaient, le peuple étant inquiet et soulevé par la terreur des boute-feux, ’être meurtris par les rues. Et ils n’avaient pas non plus conscience blanche, pour ivers testons et florins au chat frappés à coins non pas royaux, et dont ils avaient chappé bien difficilement à être bouillis sur le Marché aux Pourceaux.

Ces galants donc, après avoir été sur les champs quelques jours en ça, commencèrent souffrir de faim, soif et froid ; d’autant que le pays étant en friche, et les oiseaux ombant morts par la gelée (ceux qui étaient restés), il n’y avait ni fruits de la erre ni gibier du ciel. Alors les galants mirent bâton au poing et marchèrent de açon guerrière, disant qu’ils allaient aux guerres du roi, ou, autrement, dans les arches de Guyenne, et qu’ils étaient contraints, pour manque de solde, de vivre sur e plat pays et les passants.

« Il est si vrai, disait Tortigne, que je vais en guerre, qu’il me court sur les talons ingt et cinq gens du guet, archers ou arbalétriers, ou autrement je faux. Et ils ’ont point d’autre but que de me joindre et de marcher avec moi ou moi avec eux. e sont gens fort polis et prévenants ; ils m’ont déjà fait asseoir dans des chaises, e façon très commode, qu’ils ont et qu’ils nomment ceps.

— N’as-tu point, dit Colard, été tourné au pilori ? C’est une mode nouvelle de choisir emmes ; elles vous viennent regarder, et messire le valet vous tourne vers la figure e chacune d’elles.

— Insigne réjouissance ! reprit Philippot, j’y fus trois fois ; et la dernière j’avais hoisi une dame de bonne façon, vêtue à la mode espagnole. Elle avait sur elle un iel d’or frisé, en tête une crépine de drap, faite de papillons d’or, où étaient es cheveux qui lui pendaient par derrière, jusqu’aux talons, entortillés de rubans un bonnet de velours cramoisi, une robe du même, doublée de taffetas blanc, bouffant ux manches au lieu de la chemise, les manches couvertes de broderies d’or. Sa cotte tait de satin blanc, forcé d’argent battu avec nombre de pierreries.

— Et tu eus le loisir, dit Colard, d’examiner et tenir en mémoire ces divers habillements Tu mens, par la sanglante mort-Dieu.

— Voire, répondit Philippot, et ne jure qu’à bon escient. Car le valet du bourreau ’arrêta devant la dame, de grande diligence, afin que le page de cette belle dame e mon choix et volonté pût me cracher commodément dans la figure. »

Ainsi devisant dans leurs galles, et plumant la poule sans crier, ils vinrent sur es basses marches du Poitou. Là, ils contrefirent les hommes de guerre jusqu’en une glise paroissiale, près de Niort. Ils entrèrent, criant et jurant ; le prêtre disait ne messe basse, vêtu de son aube. Ils prirent les vases de cuivre, d’étain et d’argent, uoi qu’il pût leur dire. Puis ils lui commandèrent de monter chercher le saint ciboire, u moins la coupe, qui était d’argent doré. Ce que le prêtre refusa. Sur quoi Tortigne ui attacha son aube sur la bouche, tandis que Philippot prenait le saint ciboire ur l’autel. Et, trouvant dans la coupe le Corpus Domini, ils le mangèrent solennellement ous trois, prétendant avoir faim, et qu’ils communiaient et se remettaient le péché u’ils venaient de commettre.

Puis ils descendirent dans une auberge basse, où l’on tournait bride à la fourche e deux chemins. Mais voulant boire, Colard vomit le vin ; Tortigne resta comme étonné, on verre dans la main, et Philippot laissa choir le sien. Ils devinrent fort blancs, t, disant qu’ils étaient saouls de ce qu’ils avaient mangé à l’église, ils tombèrent utour de la table en diverses façons. Et, tout à coup, on vit que des fusées de fumée rise, épaisse, puante, jaillissaient de la gorge de Colard, du dos de Tortigne, du entre de Philippot ; à quoi l’on aperçut qu’ils brûlaient, et bientôt ils furent ntièrement consumés, leurs figures et leurs membres étant noirs comme du charbon. e qui fut commenté par les gens du pays de manière variée ; mais il est hors de doute ue ces trois galants, ayant été marqués pour être punis à cause des boutements de eux, tombèrent, par grâce divine, dans leur sacrilège : car ils furent brûlés.


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