Corpus Jérôme Paturot à la recherche d'une position sociale

1-V : Paturot journaliste.

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V PATUROT JOURNALISTE.

J’ignore, poursuivit Jérôme, combien de temps dura mon évanouissement et ce qui eut lieu pendant cet intervalle. À peine me reste-t-il un souvenir confus du moment où je revins à moi. Ma première sensation fut celle d'une lassitude générale, d'une prostration complète. Mes membres étaient brisés comme à la suite d’un exercice violent : une douleur aiguë me parcourait la tête et l’étreignait avec la force d’un crampon de fer. Mon bras gauche, comprimé par un bandage, était engourdi au point que j’essayai en vain de faire jouer les phalanges de la main. À plusieurs reprises, je voulus ouvrir les yeux, mais les muscles ne servaient plus ma volonté. On eût dit que mes paupières étaient de plomb, que la mort les avait scellées. L’ouïe seule recouvrait peu à peu ses fonctions. On parlait à mes côtés, et les sons, qui ne m'arrivaient d'abord que comme un vague bourdonnement, prirent à la longue un sens plus précis, une signification plus nette.

«  Mademoiselle, ne vous inquiétez pas, disait-on, la syncope touche à sa fin. Le pouls se rétablit, le masque s’anime.
— Carabin, répliquait une voix de femme, parlez-moi avec la franchise de votre âge. Je veux sauver mon Jérôme, voyez-vous. Si vous n’êtes pas de force, avouez-le sans tortiller. J'irai chercher M. Dupeytrin, s’il le faut. Il en coûtera ce qu’il en coûtera. »

Malgré l'état de demi-léthargie où je me trouvais, la voix qui parlait ainsi me frappa : il me semblait qu'elle m’était familière. Je redoublai d'attention.

« Finissez, carabin, point de ces manières. Soyons à notre malade, monsieur.
— Il n’y a plus rien à faire, mademoiselle. Trois saignées coup sur coup ; Bouillaud ne l'eût pas mieux traité.
— Non : c’est que peut-être vous regardez à la dépense. Pas de ça, carabin. On mettra tout en plan plutôt que de refuser un médicament quelconque à ce pauvre chéri. Ça serait un cataplasme de poudre d’or, qu’on le lui passerait tout de même. Allez toujours : il y a crédit illimité chez le pharmacien.
— C'est inutile, le pouls continue à se relever ; le malade va reprendre connaissance. La lancette ! la lancette ! Il n'y a rien de tel, ma belle enfant.
— Possible, mais à bas les pattes. »

Pendant cette conversation, le sentiment de ma position m’était graduellement revenu. Ce son de voix me rattachait au passé avec une telle puissance, que mes idées s’éclaircirent par degrés, et que ma mémoire se ranima. Vaguement, je comprenais que Malvina n’était pas loin, qu’elle m’était revenue, qu’elle veillait sur moi. Cependant je n’osais pas me livrer à cette pensée : je craignais que ce ne fût un rêve, une illusion de malade. Il fallut, pour me convaincre, que la vue vînt confirmer le témoignage de l’ouïe. En entrouvrant les yeux, je l’aperçus qui se défendait avec résolution contre les familiarités d’un jeune homme. Plus de doute, c’était elle ; il n’y avait pas à s’y tromper. Je jetai un cri :

« Malvina ! »

Elle ne fit qu’un bond jusqu'à mon lit :

« Tiens ! tiens ! tiens ! Le voilà qui revient sur l’eau, cet agneau adoré. Enfin !!! ça n’est pas malheureux ! Carabin, cette cure vous fera honneur. »

Le jeune homme s’approcha et me tâta le pouls ; je vis que j'avais affaire à un docteur imberbe, joli cavalier d’ailleurs, et d’une heureuse physionomie.

« C’est un voisin, dit Malvina : mansarde en face, septième au-dessus de l’entre-sol ; garçon plein de moyens, mais entreprenant auprès des femmes. Tu as bien fait de ressusciter.
— Ah çà ! et toi, comment es-tu ici ? lui dis-je.
— Je te conterai cela quand tu seras sur pied, reprit-elle en faisant une pirouette. Le carabin a recommandé le silence. Bois un verre de tisane et ferme l’œil là-dessus : c’est tout ce qu’on peut te permettre. »

Je fis ce qu’elle voulut : à peine m’en restait-il la force. Le jeune praticien donna encore quelques instructions, et s’en alla en promettant de revenir. Il y avait à craindre que la fièvre ne se déclarât après une aussi rude secousse. Elle vint, en effet, et avec une grande violence. Pendant huit jours et huit nuits, Malvina ne quitta pas le chevet de mon lit, épiant mes moindres mouvements, surveillant mon délire, essuyant la sueur qui me baignait le visage. Le cerveau était pris, et le mal me jetait tantôt dans une agitation extrême, tantôt dans un assoupissement profond. Le bitume de Maroc jouait un grand rôle dans mes rêves ; il m’apparaissait sous toutes les formes, avec mille prestiges ; il se changeait en palais, en monuments, en cathédrales ; il réalisait les merveilles du prospectus. L’odieuse figure de mon escroc était l'accompagnement obligé de ces visions qui m'inondaient le cœur d’amertume et d’angoisse. Cela dura ainsi pendant plus d’une semaine, et Malvina se montra héroïque de dévouement. Elle supporta sans faiblir le spectacle de cette lutte douloureuse où la puissance de la jeunesse balançait seule les progrès de la destruction. Je lui dus la vie, monsieur : ses soins me sauvèrent. À la suite d’une dernière crise, la fièvre tomba. J’étais hors de danger.

Durant les premiers jours de ma convalescence, il me revint que j’avais une énigme à éclaircir. Comment expliquer l’absence et le retour de Malvina ? C'était, monsieur, un abîme d’iniquité que la pauvre fille me dévoila plus tard.

« Vois-tu, mon petit, me dit-elle, il y a de quoi donner cent trente pulsations à la minute. Figure-toi que, le matin de son départ, ce monstre de Flouchippe me propose d’aller te rejoindre à Bercy pour y manger en commun une matelote. — C’est bien, que je dis, puisque Jérôme en est, j’ai mon chaperon, j’accepte ; ça me va. Il me fait monter dans un fiacre et nous roulons. Quand nous sommes à Bercy, rien de plus étonné que moi de voir le sapin gagner la campagne, toujours sous prétexte de matelote. Cela me donne à réfléchir, mais je dissimule afin de vérifier jusqu’où mon drôle poussera l’audace. Nous passons Conflans, Charenton : très-bien ; c’est un peu fort de matelote, mais ça commence à devenir curieux. Maintenant voici le superlatif : à demi-lieue plus loin, le fiacre s’arrête en pleine route. Qu’est-ce que je vois alors en fait de matelote, mon petit ? Une berline, rien que ça, avec deux postillons et quatre chevaux blancs. Excusez du peu. Je cherche des yeux le milord à qui appartient cet équipage : le milord, c’est Flouchippe. Il abaisse le marchepied et me prend par la main pour m’insérer dans le carrosse : exactement comme dans M. Dupont, de Paul de Kock. — Ça prend couleur, que je me pense ; voyons où il veut en venir. Au fait, il ne me dévorera pas, et s’il s’écarte des lois de la civilité, je me mettrai sous la protection de la gendarmerie. Je me risque donc, je monte dans la berline, une voiture très-bon genre, très-cossue, faut rendre justice à ce misérable. — Clic ! clac ! fouette, postillon ; on part. Comme dans la Laitière de Montfermeil, tu sais. C’était le moment de demander une explication : — Eh bien, et elle matelote ? lui dis-je. Il se met à rire. — Vous allez tout savoir, qu’il me répond. Alors ce monstre d’homme commence à me raconter comme quoi il a fait sauter la grenouille de la société, et comme quoi il veut m’escamoter par la même occasion. Tu devines si je bondis d’horreur à cette déclaration. — Ah ça ! lui dis-je, mais vous êtes donc un particulier dépourvu de toute espèce de délicatesse ? — Malvina, calmez-vous ! — Un vrai Cosaque, un forban, un Papavoine, un goujat ! — Malvina ! — Postillon, ouvrez la portière ; je veux aller faire ma déclaration au juge de paix le plus voisin. — Allons, Malvina. — N’approchez pas, scélérat ! ou je fais un événement. Postillon ! postillon ! arrêtez !— Quand ce chenapan vit que je le prenais sur ce ton, et que je crierais jusqu'à extinction de chaleur naturelle, il réfléchit qu'il fallait avant tout sauver la caisse. Il fit arrêter la berline et m’aida à descendre ; puis, sans me dire seulement bonjour, il repartit au grandissime galop. Vieux pandour, va ! J’étais fraîche, à 2 kilomètres de Paris et en brodequins gris-perle ! Enfin je rencontre un coucou et je me tire d’affaire. Voilà l’histoire, mon petit : c’est tout un roman, n’est-ce pas? On ne m’y prendra plus à courir après des matelotes. »

Ainsi toutes les circonstances de mon malheur étaient éclaircies : l’escroc avait fui à l’étranger et se trouvait dès lors à l'abri des poursuites. Je restais seul sous le coup de la responsabilité qu’il m'avait perfidement créée. L’avenir se présentait à moi sous les couleurs les plus sombres. Au lieu d'avancer, je reculais ; loin d’atteindre à une position sociale, je voyais les obstacles surgir de toutes parts. Qu’est-ce donc qu’une vie, monsieur, dont les abords sont si difficiles et où les plus belles années se consument dans l’impuissance et dans le tâtonnement ? Que faire ? qu’essayer encore ? Je me laissais aller au découragement et à la tristesse. L’existence me pesait ; je regrettais parfois que la maladie m’eût épargné. Malvina cherchait bien à me distraire, mais la mélancolie était la plus forte. Notre jeune docteur devait seul achever ma guérison. Il faut vous dire que nous nous étions étroitement liés. Il se nommait Saint-Ernest ; il venait de prendre ses grades. Gai, ouvert, résolu, ce garçon n’était jamais à bout d’expédients. Il aimait Malvina à cause de sa gaieté, et moi comme son premier malade. Des habitudes de familiarité s’étaient déjà établies entre nous. « Tu m’appartiens, Jérôme, me disait-il souvent ; si tu ne meurs pas de mon fait, je serai volé. »

Évidemment j’avais alors besoin d'une diversion, et les impressions du passé ne pouvaient céder qu’à une préoccupation nouvelle. C’est là ce que Saint-Ernest voulait amener, et le topique souverain qui devait couronner sa cure. Malvina se mettait en quête de son côté. On s’adressa aux bureaux de placement, qui n’eurent à offrir qu’un poste de teneur de livres chez un fabricant d’allumettes chimiques ; encore demandait-on un cautionnement de cent écus et cinquante francs pour les honoraires de l’agence. Un frotteur, un garçon de caisse auraient trouvé de l’emploi dans les vingt-quatre heures, mais un jeune homme littéraire, un poète, un socialiste, ne pouvait parvenir à se rendre utile et à s’occuper. Évidemment, l’équilibre des fonctions n’est pas, dans notre monde, ce qu’il devrait être. Les éducations d’élite sont celles qui aboutissent avec le plus de difficulté. L’instrument sert d’autant moins qu’il semble acquérir plus de puissance. Cela tient à ce fatal usage des distinctions et des catégories que toute société, même démocratique, a jusqu’ici maintenues. On s’obstine à considérer de certaines professions comme dignes et honorables par-dessus les autres, et le plus grand nombre s’y précipite. Qu’en résulte-t-il ? qu’on s’y étouffe et que, pour se tirer d’affaire, on abaisse, on dégrade la profession. Dites donc, une fois pour toutes, que c’est l’homme qui honore la fonction, et qu’un bon ouvrier rend plus de services à la société qu’un méchant écrivain. Alors vous serez dans le vrai, et l’équilibre dans les diverses carrières se rétablira de lui-même. Le bel avantage, vraiment, que celui d’avoir une foule inquiète de postulants pour des places déjà prises : écrivains sans éditeurs, avocats sans clients, médecins sans malades, ingénieurs sans emplois, artistes sans commandes, population improductive, presque parasite, que les atteintes de la misère ne guérissent pas toujours des inspirations de l’orgueil.

J'étais destiné à vivre longtemps de cette vie, monsieur, tant les illusions sont opiniâtres quand on est jeune. Il fallait plus d’une leçon avant que j’eusse un sentiment plus vrai des réalités, et des notions plus saines sur les choses de ce monde. Les échecs me rendaient bien accessible à la réflexion, mais, au premier appel, je me mettais de nouveau en route vers des conquêtes fantastiques. Un jour, Saint- Ernest arriva radieux dans notre mansarde : jamais je ne lui avais vu le teint plus animé, la physionomie plus triomphante :

« Mes amis, dit-il, je tiens l’instrument de notre fortune. Nous allons tous nager dans l’or. Un homme de finance, dont je soigne le palefrenier, a une intrigue de cœur dans les coulisses de l’Opéra. Il veut fonder un journal pour soutenir sa protégée contre un directeur tyrannique et libertin. C’est la cause des opprimés ; je me suis offert pour la défendre. Voilà ton affaire, Jérôme ; tu es un homme de style, tu feras tes preuves. Un journal, d’ailleurs, c’est une arme, c’est une chaire, c’est une tribune, c’est un quatrième pouvoir. Enfin, nous pourrons lui dire son fait, à cette société qui méconnaît des êtres de notre valeur ! Elle n’a qu'à bien se tenir, nous lui ferons une rude guerre. »

L’exaltation de Saint-Ernest était si grande, que, pendant vingt minutes au moins, je ne pus parvenir à placer un mot. Cependant, lorsque ce volcan de paroles se fut refroidi, j’essayai quelques objections. Le but était louable, lui disais-je; mais le point de départ l’était-il ? Nous convenait-il de servir les amours financiers de ce Jupiter et de nous faire les champions de sa Danaé ? Le jeune docteur avait réponse à tout ; il trouvait mes scrupules puérils, ridicules ; Malvina ajoutait à ces épithètes celle de stupides : j’étais battu des deux côtés.

« Ne soyons point si casuistes, Jérôme, ajoutait mon ami. L’intention purifie tout. Mademoiselle Fifine est une danseuse fort agréable : on peut faire son éloge sans offenser Terpsichore. D’ailleurs, est-ce là notre affaire, à nous ? Il nous fallait un levier, nous allons l'avoir. Nous ne serons plus alors des individualités obscures, sans importance….
— Des gringalets, disait Malvina en appuyant.
— Nous serons des puissances : il faudra compter avec nous. Cela nous assure une position.
— Et des loges aux théâtres, » continuait ma fleuriste, que le côté positif dominait toujours.

Je me rendis, et cette fois avec joie, il faut l’avouer. Cette position du journaliste était un de mes rêves : je l'avais toujours enviée. Établir entre sa pensée et la pensée de tous une communication quotidienne ; s’inspirer de l'opinion publique pour la résumer et l’exprimer ; se faire l'écho des sentiments élevés et des plaintes justes ; surveiller le mouvement politique, littéraire, économique d’un pays ; ne rien laisser d'inexploré dans le domaine des arts, dans la sphère des institutions, dans la région des faits comme dans celle de la pensée ; s’emparer de tout un monde de lecteurs, tantôt par la raison, tantôt par l'esprit, un jour par le drame, l'autre jour par l'attrait comique : embrasser le globe entier et en retracer la vie heure par heure ; n’y a-t-il pas là de quoi tenter l'ambition d'un homme, si vaste qu’elle soit ; et quand ce programme ne devrait être suivi que d’une réalisation incomplète, n'est-il pas beau, séduisant, glorieux d’oser l’envisager, sans faiblir, et de se le proposer comme idéal ? Pour moi, je fus subjugué, et je souscrivis à tout ce que voulut Saint-Ernest.

Malheureusement, mes embarras n’étaient pas finis. Comme gérant de la société du bitume de Maroc, j’étais en butte à une foule de poursuites. Chaque jour il tombait une feuille de papier timbré chez le portier, à mon intention et à mon adresse. Elles se ressemblaient toutes par une teneur cruellement uniforme.

« Pour se voir ledit Napoléon Paturot, auxdits noms, condamner au remboursement de « la somme versée dans ladite société par ledit demandeur, non compris les intérêts, « arrérages, dommages-intérêts légitimement dus, et sans préjudice des peines « correctionnelles encourues aux termes de l’article 405 du Code pénal. »

J’allais être traduit en justice, me voir flétri par un jugement, tandis que le misérable qui avait emporté le fonds social menait grande vie à l’étranger. C’était une triste perspective. Je m’ouvris à Saint- Ernest, qui m'aboucha avec un jeune stagiaire nommé Valmont, notre futur collaborateur au journal en projet. Valmont avait de l’activité, du liant. Il alla voir les actionnaires, leur exposa ma situation, fit valoir ma bonne foi, ma jeunesse, retraça les déplorables circonstances de cette affaire. Parmi ces hommes il en est qui furent accommodants ; mais d’autres se montrèrent moins traitables. Croiriez-vous, monsieur, que l’un d’eux exigeait non-seulement un remboursement intégral, mais encore les bénéfices présumés de l'exploitation ? Valmont parvint à modérer ces prétentions excessives, et par une transaction il obtint que, moyennant dix mille francs de dividende, cette affaire serait assoupie.

Dix mille francs, c’était raisonnable : ma première école valait bien cela ; mais où les trouver ? Le temps pressait : un délai de dix jours me séparait à peine de celui de l’audience. Je pris un parti désespéré : j’allai voir mon oncle le bonnetier, et, les larmes dans les yeux, je lui racontai tout. Le brave homme me fit d’abord un accueil sévère, mais, quand il vit ma douleur, cette glace se fondit.

« Jérôme, dit-il, ce n’est pas dix mille francs qu’il te faut, mais cinquante mille. Les Paturot n’ont jamais demandé grâce à personne. Ce qu’on doit, il faut le payer. À ma mort, tu trouveras cela de moins. Donne-moi tes papiers, je me charge de l’affaire.
— Mon bon oncle !
— Maintenant, veux-tu que j’y ajoute un conseil ? Tu bats une mauvaise marche : ta vanité te perdra. Tu as ici le pain et le couteau pour faire ta fortune. Le commerce est sûr, la maison ancienne, bien famée, l’achalandage excellent. Quoique vieux, je tiens tête à la besogne, mais pour toi seul. Tu es le fils de mon frère, le dernier qui reste de notre nom. Je mourrai à la peine, mais j’aurai rempli mon devoir jusqu'au bout. »

Le digne parent s’arrêta là ; je vis bien qu’il n’osait pas conclure, et que, par délicatesse, il me laissait le soin d’achever sa pensée. Hélas ! je résistai encore : à la vue des bonnets de coton, ma répugnance instinctive, presque nerveuse, était revenue. D’ailleurs, j’avais alors en perspective une carrière qui me promettait quelque gloire. L’idée de rendre mon oncle fier de mes succès, de faire rejaillir un peu d'éclat sur cet humble nom de Paturot, me remplissait tout entier. Aussi pris-je un ton solennel pour répondre :

« Père Paturot, lui dis-je, je ne vous demande que six mois, et vous aurez de mes nouvelles. Si ça ne tourne pas alors comme vous l’entendez, la brebis rentrera au bercail.
— Et ce jour-là, nous tuerons le veau gras, me répondit le brave homme. Tâche que ce soit de mon vivant, Jérôme. »


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