[Par AmandineLeHouedec] Le Chapitre II est publié initialement dans le journal Le Siècle dans les numéros des 29 et 30 décembre 1869. II Le docteur Jacques Mérey
Les plus acharnés parmi les détracteurs de Jacques Mérey étaient certainement les médecins : les uns le traitaient de charlatan, les autres d’empirique[Par ClaudeMillet] Dans le vocabulaire médical, empirique désigne encore au XIXe siècle un médecin ou un remède tâtonnant dans l’expérience sans se fonder sur la rationalité scientifique (THLF). Le terme d’empirique comme celui de charlatan expulse donc de celle-ci les recherches et la pratique médicales de Jacques Mérey, hétérodoxes au regard de la médecine académique., et mettaient sur le compte de la crédulité la plupart des prodiges que l’on racontait.
Voyant néanmoins que l’instinct du merveilleux, si vif chez les classes ignorantes, résistait à leur critique et rapprochait du docteur cette foule qu’ils voulaient vainement en écarter, ils se décidèrent à faire franchement cause commune avec le préjugé religieux, et traitèrent de diabolique la science de cet homme qui osait guérir en dehors des formes autorisées par l’école[Par ClaudeMillet] Alliance objective des dogmatiques officiels symétrique à celle de la science de Jacques et des croyances populaires. Voir la note 1 p. 21.??????????????????????.
Ce qui appuyait ces accusations, c’est que l’étranger ne fréquentait ni l’église ni le presbytère ; si on lui connaissait une doctrine, soulager son prochain, on ne lui connaissait pas de religion. On ne l’avait jamais vu se mettre à genoux ni joindre les mains, et cependant on l’avait surpris plus d’une fois contemplant la nature dans cette attitude de recueillement et de méditation qui ressemble à la prière.
Mais les médecins et le curé avaient beau dire, il était peu de malades et d’infirmes qui résistassent au désir de se faire soigner par le mystérieux docteur[Par AmandineLeHouedec] Le Siècle, 29 décembre 1869 : "le ténébreux docteur"[Par ClaudeMillet] Le titre du roman se donne ainsi à lire comme la légère reformulation d’une expression dialogique où la voix du peuple se mêle à celle du narrateur contre le discours des médecins et du curé. , quitte à se repentir plus tard de leur guérison et de brûler un cierge en guise de remords s’il était vrai qu’ils fussent délivrés de leur mal par l’intervention du diable.
Ce qui contribuait surtout à populariser ces légendes qui s’attachaient à Jacques Mérey comme à un être extraordinaire, c’est qu’il ne prodiguait point à tout le monde les bienfaits de sa science et de son ministère. Les riches étaient obstinément exclus de sa clientèle[Par ShanonPomminville] [exclus de sa clientèle] Encore dans une dynamique de transferts où Dumas puise dans ses oeuvres précédentes pour édifier le présent roman, l'on retrouve ici des caractéristiques propres au « médecin révolutionnaire » ayant déjà été attribuées au personnage de Marat dans Joseph Balsamo. Bien que ces deux personnages soient construits sur des bases bien différentes - l'on pourrait dire dans cette mesure que Marat est le pendant négatif de Jacques Mérey - néanmoins, Mérey, tout comme Marat, repousse l'aristocratie au point de se consacrer exclusivement aux malheurs du peuple. Voir Joseph Balsamo, chapitre 68 « Le champ des morts ». . Plusieurs d’entre eux ayant réclamé à prix d’or les consultations du docteur, il répondit qu’il se devait aux pauvres et qu’il y avait, sans lui, assez de médecins à Argenton [Par ClaudeMillet] ça sert à qqch ???avides de soigner des malades de qualité. Que, d’ailleurs, ses remèdes, presque toujours préparés par lui-même, étaient calculés sur le tempérament rustique de la race[Par ClaudeMillet] La race (voir note 5 p. 17?????????) désigne ici une classe sociale, le peuple. Grand lecteur d’Augustin Thierry, comme le manifeste en particulier Gaule et France (1833), Dumas lui emprunte l’idée (héritée du penseur de la réaction nobiliaire, Bougainvilliers) selon laquelle la noblesse descend de la « race » franque venue dominer la « race » gauloise – le peuple. L’épithète « rustique » vient infléchir la représentation agonistique du corps social que sous-tend cet emploi du mot race en l’intégrant dans un Berry pastoral. à laquelle il les appliquait.
On pense bien que, pendant cette époque où commençaient à se soulever toutes les oppositions philanthropiques[Par ClaudeMillet] Entre la fin du XVIIIe siècle et les années 1840 se sont développés des pratiques et des discours dans le domaine du secours public et des associations de bienfaisance, pratiques et discours auxquels les contemporains ont donné le nom de philanthropie. Cf. Duprat Catherine, « Pour l'amour de l'humanité » : le temps des philanthropes. La philanthropie parisienne des Lumières à la Monarchie de Juillet, tome 1, Paris, CTHS, 1993. La philanthropie de Jacques Mérey est donc un trait d’époque. L’alternative entre les « oppositions philanthropiques ou populaires » dit l’essence bourgeoise de la philanthropie, que dénoncera Marx (non Dumas). Elle est quoi qu’il en soit à l’origine des politiques en direction des défavorisés. ou populaires, cette résistance donna libre carrière à la critique des beaux esprits. Ils cherchèrent plus que jamais à jeter des doutes sur une vertu curative qui se bornait aux cures démocratiques, et, n’osant affronter l’épreuve des gens comme il faut, aimait à envelopper ses services dans la ténébreuse reconnaissance des classes ignorantes[Par ClaudeMillet] L’espace idyllique du Berry, avec ses habitants placides et insouciants au premier chapitre laisse ici place à une représentation (subreptice) d’une société moins consensuelle à la veille de la Révolution, peuple et philanthropes d’un côté, « beaux esprits » de l’autre. Le roman entre comme par palier dans les conflits historiques..
Jacques Mérey les laissa dire et n’en poursuivit pas moins son œuvre silencieuse et solitaire. Comme il menait une vie très retirée, comme sa maison était impénétrable, comme on voyait chaque nuit veiller à sa fenêtre une petite lampe, étoile du travail, les hommes intelligents et sans parti pris avaient tout lieu de croire, comme nous l’avons déjà dit, que le savant docteur était venu chercher dans le Berry une solitude aussi inviolable que celle que les anciens anachorètes allaient chercher dans la Thébaïde[Par ClaudeMillet] « De Thébaïde, nom d'une région désertique du sud de l'Égypte où se réfugièrent, dans les premiers siècles du christianisme, un grand nombre de chrétiens pour fuir les persécutions et mener une vie ascétique » ; par extension, lieu sauvage et retiré (CNRTL). La référence à la Thébaïde, pour stéréotypée qu’elle soit, associe une nouvelle fois la figure du héros à celle du saint (voir note 2 p. 24). .
Quant aux pauvres et aux paysans, que n’égarait ni la superstition ni la malveillance, ils disaient de lui : – M. Mérey est comme le bon Dieu, il ne se montre que par le bien qu’il fait.
Or, le 17 juillet 1785, par une chaleur de vingt-cinq degrés, Jacques Mérey était à son laboratoire surveillant dans une cornue[Par ClaudeMillet] Attribut incontournable du savant dans les représentations non-savantes, la cornue est un réceptacle dont se servent les chimistes (et dont se servaient les alchimistes) dans leurs travaux de distillation. les premiers tressaillements d’une opération difficile qui avait déjà plus d’une fois avorté sous sa main.
Il était chimiste et même alchimiste[Par ClaudeMillet] La « philosophie chimique » est un courant de pensée qui traverse l’Occident de l’antiquité de Paracelse au XVIIe siècle de Bacon et Newton en passant par le Moyen-Âge. Son lien, ou plutôt son identité avec la chimie ne se sont brisés qu’au cours du XVIIIe siècle. Mais les romantiques, Balzac, Hugo, Dumas, ont réaffirmé la continuité de l’alchimie et de la chimie, de même qu’aujourd’hui (évidemment dans une autre) des historiens des sciences comme Bernard Joly. Voir son article intitulé « À propos d'une prétendue distinction entre la chimie et l'alchimie au XVIIe siècle : Questions d'histoire et de méthode », Revue d'histoire des sciences, 1/2007 (Tome 60), p. 167-184. http://www.cairn.info/revue-d-histoire-des-sciences-2007-1-page-167.htm (consulté le 30.01.2017). Notons parmi les quêtes alchimistes la création d’un être humain. ; né dans une de ces époques de doute scientifique, politique et social, où le malaise qui pèse sur une nation pousse les individus à la recherche de l’inconnu, du merveilleux[Par ClaudeMillet] Cette merveillosité de la science dès lors qu’elle ne suit pas les sentiers du positivisme académique est un thème récurrent au XIXe siècle, chez les écrivains romantiques mais aussi les vulgarisateurs et les auteurs de romans relevant précisément du « merveilleux scientifique » (que nous appellerions science-fiction), dont se rapprochent les premiers chapitres du Docteur mystérieux. , de l’impossible même, il avait vu Franklin[Par ClaudeMillet] Benjamin Franklin (1706-1790) est un homme politique américain, mais aussi un écrivain et un naturaliste, inventeur du paratonnerre. Ces travaux sur l’électricité furent reconnus par la Royal Society dès 1754, renforçant plus tard l’ambition de Mesmer et de ses disciples de voir reconnaître le fluide animal par la science officielle, d’autant que dans ses recherches Franklin associe fluide électrique et fluide magnétique. découvrir l’électricité et commander au tonnerre ; il avait vu Montgolfier[Par ClaudeMillet] Ces deux industriels français (que Dumas ramène à un seul), Joseph (1740-1810) et Etienne (1745-1799) Montgolfier ont fait monter une première montgolfière chargée de deux hommes en 1783. Dumas parle d’espérance parce que les montgolfières se révélèrent inaptes à « conquérir (…) le domaine de l’air ». Mais les montgolfières ont été intégrées comme les paratonnerres de Franklin dans la science académique : façon de préparer dans le texte la référence, tenue pour très discutable en 1869, à Mesmer. enlever ses premiers ballons et conquérir, en espérance, il est vrai, plutôt qu’en réalité, le domaine de l’air. Il avait vu Mesmer[Par ClaudeMillet] Voir n. Xxxxxxx p. xxxx??????????????? professer le magnétisme animal, mais il n’avait point tardé à laisser le maître derrière lui, car on sait que Mesmer[Par ClaudeMillet] ça sert à qqch ?[Entrée ajoutée par ClaudeMillet] Joly Bernard, "A propos d'une prétendue distinction entre la chimie et l'alchimie au XVIIe siècle : Questions de méthode", in Revue d'histoire des sciences 1/2007. , tout ébloui des premières manifestations de cette force inhérente qu’il rêva, qu’il reconnut, mais qu’il ne perfectionna point, s’était arrêté devant les convulsions, les spasmes et les merveilles du baquet[Par ClaudeMillet] Pour pouvoir guérir plus de clients, Mesmer inventa à Paris ce fameux « baquet » (voir ill. n°x). Dumas en fait la description dans Le Collier de la reine : « une vaste cuve fermée par un couvercle ». Voir note 1 et annexe ???????????? enchanté ; qu’il n’avait[Par AmandineLeHouedec] Le Siècle, 29 décembre 1869 : "du baquet enchanté ; mais qui n'avait point poussé" point poussé ses recherches jusqu’au somnambulisme, à peu près semblable en cela à Christophe Colomb, qui, tout heureux d’avoir découvert quelques îles du nouveau monde, laissa ensuite à un autre l’honneur d’aborder au continent américain et de lui donner son nom.
M. de Puységur, on le sait, avait été l’Améric Vespuce de Mesmer, et Jacques Mérey était le disciple direct de M. de Puységur.
Il avait donc appliqué à la science de guérir la vague découverte du maître allemand. Emporté tout jeune par l’inquiétude du merveilleux, Jacques Mérey s’était jeté dans la forêt Noire des sciences occultes[Par ClaudeMillet] Ensemble des connaissances ésotériques et de pratiques touchant à la magie qui ne sont reconnues ni par la science ni par la religion. L’expression serait apparue en 1829 sous la plume d’Eusèbe de Salverte, qui intitule son ouvrage Des sciences occultes. Le socialiste Pierre Leroux dans De l’humanité (1840), le fouriériste Eliphas Lévi (qui illustra Le comte de Monte-Cristo) dans Dogme et rituel de la haute magie (1854) ont été les premiers à parler d’occultisme. Il faut attendre cependant la fin du XIXe siècle pour que l’occultisme prenne véritablement son essor dans la culture française. . Ce que cet esprit curieux avait exploré de voies nouvelles et ténébreuses, les antres obscurs dans lesquels il était descendu pour consulter les modernes Trophonius[Par ClaudeMillet] Le Dictionnaire de la fable[Entrée ajoutée par ClaudeMillet] Noël François, Dictionnaire de la Fable, Paris, Le Normant, 1801 de Noël lui consacre un long article. Son mythe fait de lui un architecte qui aurait ménagé un passage secret pour accéder à la chambre du trésor d’un roi de Béotie. Dédale lui tendra un piège et après avoir tué son frère pour sauvegarder son secret, Trophonios sera englouti par la terre. Un oracle lui sera consacré en Béotie. Associant architecture et initiation, il est possible que les « modernes Trophonios » soient une allusion discrète à la franc-maçonnerie. Cf. le[Entrée ajoutée par ClaudeMillet] Sudarskis Solange, Vocabulaire du franc-maçon, Paris, éditions de la hutte 2013 Vocabulaire du franc-maçon de Solange Sudarskis, Paris, éditions de la hutte, 2013, p. 311. , les puits souterrains par la bouche desquels il s’était plongé au centre des initiations, les heures qu’il avait passées, muet et debout, devant l’implacable sphinx des connaissances humaines ; les combats de Titan qu’il avait engagés avec la nature pour la faire parler malgré elle et lui arracher l’éternel et sublime secret qu’elle cache dans son sein, tout cela eût pu faire le sujet d’une épopée scientifique[Par ClaudeMillet] Héritière du poème encyclopédique des XVIIe et XVIIIe siècles, mais inscrite dans le développement du positivisme, l’épopée scientifique traverse l’ensemble du XIXe siècle. Mais Dumas la traite comme une possibilité irréalisée : à la place de l’épopée, le roman du « Titan ». dans le genre du poème de Jason à la recherche de la Toison d’or[Par ClaudeMillet] Dans la mythologie grecque, l’argonaute Jason fut chargé de ravir la « toison d’or » d’un bélier ailé. Les traditions orphico-pythagoriciennes firent dès l’Antiquité de ce mythe un mythe du passage vers une vie humaine supérieure. La toison d’or figure plus généralement l’objet d’une quête héroïque. L’or ici peut renvoyer à l’alchimie. .
Ce qu’il avait le moins rencontré dans ce voyage fabuleux, c’était la toison, c’était l’or.
Mais Jacques Mérey, en vérité, ne s’en souciait guère, et il était habitué à compter comme ses écus toutes les étoiles du ciel.
Puis quelques voix indiscrètes disaient qu’il était riche et même très riche[Par ClaudeMillet] voir n. ??????????????????????.
Les rêveries des rose-croix[Par ClaudeMillet] Ordre hermétiste chrétien dont l’origine remonte au XVIIe siècle. Les recherches des rosicruciens se nourrissent alors de l’alchimie pour découvrir les secrets de la nature et son harmonie. Au XIXe siècle (surtout en sa fin), ils participeront à l’essor des sciences occultes (voir note ????? p. 29). Les rosicruciens ont offert très tôt un modèle de la société secrète, des illuminés[Par ClaudeMillet] Participants au mouvement de l’illuminisme, courant de pensée qu’illustrèrent au XVIIIe siècle Swedenborg, Martinès de Pasqually, Saint-Martin, dom Pernéty, Fabre d’Olivet, Lavater. L’illuminisme est un syncrétisme qui associe christianisme, néo-platonisme et ésotérisme. Leur conception harmonique de la nature, leur ésotérisme et leur mysticisme ont marqué les romantiques, en particulier Balzac. Cf. Auguste Viatte Les Sources occultes du romantisme : illuminisme-théosophie, 1770-1820 (1927), Champion, 1969 , des alchimistes, des astrologues, des nécromanciens[Par ClaudeMillet] Pratique divinatoire par interrogation des morts. En 1869, la nécromancie peut-être considérée comme une forme archaïque de la science spirite. , des mages, des physiognomonistes[Par ClaudeMillet] La physionognomie, cette science qui fait du corps et surtout du visage un ensemble de signes à interpréter pour connaître l’intériorité d’un individu, remonte à l’antiquité. Redécouverte au Moyen-Âge par le relais de textes arabes, elle investit le champ du savoir jusqu’au XVIIe siècle. Après une période de reflux, elle est mobilisée à nouveau à la fin du XVIIIe siècle par Lavater (voir note 2 p. 31). Ses travaux eurent un immense succès dans toute l’Europe. Mais si leur importance est cardinale dans l’histoire du roman réaliste, comme approche sémiologique du réel, ils furent délégitimés par la science positive dès le second tiers du XIXe siècle. C’est dans cette perspective que les physionognomistes bouclent ici une série de types de savants dont le dénominateur commun est la relégation par la science du XIXe siècle hors de son champ : les sciences occultes., il avait tout parcouru, tout sondé, tout analysé, et de tout cela il était ressorti pour son esprit et pour sa conscience une religion à laquelle il eût été bien difficile de donner un nom. Il n’était ni juif, ni chrétien, ni turc, ni schismatique, ni huguenot ; il n’était ni déiste, ni animiste, il était panthéiste[Par ClaudeMillet] Au regard des panthéistes, tout est Dieu. Ce panthéisme approximatif (il est « plutôt » panthéiste) de Jacques Mérey est cohérent avec son refus d’un scientisme matérialiste, plutôt ; il croyait à un fluide universel répandu dans tout l’univers et reliant par une atmosphère vivante et pleine d’intelligence les mondes entre eux. Il croyait, ou plutôt il espérait, que ce fluide créateur et conservateur des êtres pouvait se diriger selon la puissante volonté de l’homme et recevoir son application de la main de la science[Par ClaudeMillet] Le mesmérisme de Jacques Mérey hésite entre optimiste scientiste et foi. Comme Balzac, Dumas prend appui sur l’hypothèse du magnétisme animal (ou fluide universel) pour élaborer une théorie de la volonté capable de faire plier la matière par son énergie magnétique. .
C’est sur cette base qu’il avait élevé un système médical dont l’audace aurait fait hurler toutes les académies et tous les corps savants ; mais une fois que notre docteur s’était dit, je dois croire ceci, ou je dois faire cela, il tenait peu au jugement des hommes, à leur blâme ou à leur approbation ; il aimait la science pour la science elle-même et pour le bien qu’il pouvait en tirer et appliquer au profit de l’humanité[Par ClaudeMillet] Cet adossement à un progressisme politique d'inspiration philanthropique est un trait du mesmérisme souligné par Jean-Pierre Peter (art.cit.) .
Quand, ravi au troisième ciel de la pensée, il voyait ou croyait voir les atomes, les simples et les composés, les infiniment petits et les infiniment grands, les cirons et les mondes, tout cela se mouvant en vertu du droit qu’il appelait magnétique, oh ! alors, tout son corps débordait d’amour, d’admiration et de reconnaissance pour la grandeur de la nature, et les applaudissements du monde entier ne lui eussent pas semblé valoir mieux en ce moment-là que le bruit à peine perceptible que fait l’aile d’un moucheron qui vole.
Il avait étudié la chiromancie dans Moïse et dans Aristote[Par ClaudeMillet] Pratique divinatoire qui consiste à lire l’avenir sur les lignes de la main. Le Zohar s’appuie sur un passage de l’Exode (XVIII, 21) pour faire de Moïse un chiromancien. Une Chiromancia d’un pseudo-Aristote a été publiée en Allemagne en 1490.[Par ClaudeMillet] l'appel de note était inscrit, mais sans possibilité de remplir celle-ci. J'ai voulu la supprimer en vain. J'ai refait un appel de note et la note et voilà le résultat...
; la physiognomonie avec Porta[Par ClaudeMillet] Giambattista della Porta (1535-1615) est un savant renommé qui s’intéressa à la « magie naturelle » (celle qui se cantonne aux lois secrètes de la nature). De humanana physiognomia (1586) connut un grand succès. Son nom associe donc ici dans les sciences occultés par le positivisme magie et physionognomie. et Lavater[Par ClaudeMillet] Le théologien suisse Johann Karl Lavater (1741-1801) a relancé en Europe la physionognomie grâce au succès de son Art de connaître les hommes par la physionomie (1777-1778). ; il avait, déroulant les lobes du cerveau, pressenti Gall[Par ClaudeMillet] Franz Joseph Gall (1758-1828) est un médecin allemand inventeur de la phénologie, ou « crânioscopie ». Cette « crânioscopie » croise une théorie locationniste des facultés du cerveau et une approche physionognomiste des bosses du crâne. Réfugié au début du XIXe siècle à Paris, il voit ses travaux réprouvés par l’Académie des sciences mais connaît un grand succès dans les milieux artistiques et littéraires. et Spurzheim[Par ClaudeMillet] Johann Gaspar Spurzheim, né en Allemagne en 1766 et mort à Boston en 1832 est un disciple de Gall. C’est lui qui donna à la « crânioscopie » le nom de phrénologie. Il publia aussi un traité sur la folie en 1817. Dire que Gall et Spurzheim ont fondé « la plupart des découvertes en physiologie moderne » dit combien la culture scientifique de Dumas est tributaire des premières années du siècle, et peu orthodoxe. , et devancé ainsi la plupart des découvertes modernes en physiologie. Ses aspirations, – et cela, nous l’avons dit, tenait à l’époque de malaise[Par ClaudeMillet] L'atmosphère placide d'Argenton au début du chapitre I a disparu, à moins qu'il ne faille penser que ce malaise ne touche que les élites intellectuelles. dans laquelle il vivait et qui précède tous les grands cataclysmes sociaux et politiques, – ses aspirations, il faut le dire, allaient même plus loin encore que les limites artificielles de la science.
Il est un rêve pour lequel Prométhée a été cloué à son rocher avec des clous d’airain et enchaîné avec des chaînes de diamant [Par ClaudeMillet] C’est à Eschyle que Dumas emprunte ces chaînes de diamant. La référence à Prométhée fait une nouvelle fois de Jacques Mérey un titan (voir p. x). Prométhéen, son mesmérisme noue ensemble domination de la nature et émancipation de l’humanité. ; ce qui n’a pas empêché les cabalistes du moyen âge, depuis Albert le Grand[Par ClaudeMillet] Il ne manquait plus qu’une référence à la Cabale dite chrétienne ou philosophique pour inscrire la médecine de Jacques Mérey dans des traditions ésotériques lointaines. Associer la Cabale à Pierre le Grand, ce maître de Thomas d’Aquin qui fut au XIIIe siècle théologien, philosophe, alchimiste et magicien au savoir encyclopédique, c’est au fond inscrire (à sa louange) toute la science médiévale dans les « sciences occultes »., dont l’Église a fait un saint, jusqu’à Cornélius Agrippa[Par ClaudeMillet] Pas plus que celle de Pierre le Grand, l’œuvre de ce théologien et savant allemand (1486-1535), un temps médecin des Valois, ne saurait se réduite à un ésotérisme, quand bien même il aurait pratiqué lui aussi alchimie (voir note x p. X) et magie (avant de renier cette dernière). Mais de fait il enseigna la Cabale chrétienne, ce qui le fit accuser d’hérésie. Plus hétérodoxe et plus critique que Pierre le Grand (il se rapprocha un temps de Luther), il fut condamné par les facultés de théologie de Louvain et de la Sorbonne. , dont l’Église a fait un démon, de poursuivre la même chimère audacieuse ; ce rêve était de faire, de créer, de donner la vie à un homme.
Faire un homme, comme disent les alchimistes, en dehors du vase naturel, extra vas naturale, tel est l’éternel mirage, tel est le but qu’ont poursuivi de siècle en siècle les inspirés ou les fous[Par ClaudeMillet] On retrouve la même gémellité, ou indécidable ressemblance, entre savoir ésotérique et folie dans Les Illuminés de Nerval. L’hypothèse de la folie de Jacques Mérey ne sera cependant pas posée. Elle sera même infirmée en creux par son abandon du rêve de la création ex nihilo au profit de la cure de l’idiotie d’Eva.
Alors, et si on arrivait à ce résultat, l’arbre de la science confondrait à tout jamais ses rameaux avec l’arbre de la vie ; alors, le savant ne serait plus seulement un grand homme, il serait un dieu ; alors, l’antique serpent aurait le droit de relever la tête et de dire aux successeurs d’Adam : – Eh bien ! vous avais-je trompé ?
Jacques Mérey, qui, pareil à Pic de la Mirandole[Par ClaudeMillet] Humaniste et théologien italien (1463-1494) Pic de la Mirandole est le fondateur de la Cabale chrétienne. Il entendait trouver une origine commune à la Bible et à la philosophie grecque., pouvait parler sur toutes les choses connues et sur quelques autres encore, passa en revue tous les procédés dont les savants du moyen âge s’étaient servis pour créer un être à leur image ; mais il trouva tous ces procédés ridicules, depuis celui qui couvait la génération de l’enfant dans une courge, jusqu’à cet autre qui avait construit un androïde d’airain.
Tous ces hommes s’étaient trompés, ils n’avaient pas remonté aux sources de la vie.
Malgré tant d’essais infructueux, le docteur ne désespérait point, voleur sublime, de rencontrer le moyen de dérober le feu sacré[Par ClaudeMillet] Nouvelle association de Jacques Mérey à Prométhée.
Cette préoccupation avait étouffé chez lui tous les autres sentiments ; son cœur était resté froid, et à l’état purement matériel de viscère chargé d’envoyer le sang aux extrémités et de le recevoir à son tour.
C’était une nature de Dieu, incapable d’aimer un être qu’il n’aurait point créé lui-même. Aussi, seul et triste au milieu de la foule pour laquelle il n’avait pas de regards, ou n’avait que des regards distraits, il payait cher l’ambition de ses désirs.
Comme le Seigneur avant la création du monde, il s’ennuyait.
Ce jour-là, Jacques Mérey était assez content de la manière dont se comportait dans la cornue la dissolution d’un certain sel dont il étudiait les plus heureuses vertus curatives, quand trois coups précipités retentirent à la porte de la rue.
Ces trois coups éveillèrent les miaulements furieux d’un chat noir, que les mauvaises langues de la ville, les dévotes surtout, prétendaient être le génie familier du docteur.
Une vieille servante connue dans tout Argenton sous le nom de Marthe la Bossue, et qui jouissait pour son compte d’une nuance d’impopularité inhérente à celle du docteur, monta tout essoufflée l’escalier de bois extérieur, et entra précipitamment dans le laboratoire sans avoir cogné à la porte, comme c’était l’usage formellement imposé par le docteur, qui n’aimait point à être dérangé au milieu de ses délicates opérations.
Eh bien ! qu’avez-vous donc, Marthe ? demanda Jacques Mérey ; vous avez l’air tout bouleversé !
Monsieur, répondit-elle, ce sont des gens du château qui viennent vous chercher en toute hâte.
Vous savez bien, Marthe, répondit le docteur en fronçant le sourcil, que j’ai déjà refusé plusieurs fois de m’y rendre, à votre château ; je suis le médecin des pauvres et des ignorants ; qu’on s’adresse à mon voisin, au docteur Reynald.
Les médecins refusent d’y aller, monsieur ; ils disent que cela ne les regarde pas.
De quoi s’agit-il donc ?
Il s’agit d’un chien enragé, qui mord tout le monde ; si bien que les plus braves garçons d’écurie n’osent pas l’aborder, même avec une fourche, et qu’il jette en ce moment la consternation chez le seigneur de Chazelay, car ce malheureux chien s’est réfugié dans la cour même du château.
Je vous ai dit, Marthe, que les affaires du seigneur ne me regardaient pas.
Oui, mais les pauvres gens que[Par ClaudeMillet] J'ai effacé du texte en essayant de corriger une erreur d'alignement e encore, cela vous regarde, il me semble. Et, s’ils ne sont pas pansés immédiatement, ils deviendront enragés comme le chien qui les a mordus.
C’est bien, Marthe, dit le docteur, c’est vous qui avez raison et c’est moi qui avais tort. J’y vais.
Le docteur se leva, recommanda à Marthe de bien surveiller sa cornue, lui ordonna de laisser aller le feu tout seul, c’est-à-dire en s’éteignant, et descendit dans la salle du rez-de-chaussée, où il trouva en effet deux hommes du château, qui, tout bouleversés et tout pâles, lui firent un sinistre récit des ravages que causait l’animal furieux.
Le docteur écouta et répondit par ce seul mot :
Allons !
Un cheval sellé et bridé attendait le docteur. Les deux hommes remontèrent sur les chevaux fumants qui les avaient amenés, et tous trois, ventre à terre, prirent le chemin du château.