Corpus Le Docteur mysterieux

Tome 1 - Chapitre 4

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IV Comme quoi le chien est non seulement l’ami de l’homme, mais aussi l’ami de la femme[Par GaelleGuilissen] Ce chapitre a été publié dans Le Siècle du 31 décembre 1869.

Le lendemain, Jacques Mérey reçut un message du château. Dans une lettre tout juste assez polie pour ne pas être blessante, le seigneur de Chazelay, qui cependant à la vue du chien s’était retiré et enfermé chez lui, le seigneur de Chazelay, qui se piquait d’être un esprit fort[Par AmelieDelattre] Un esprit fort : celui qui affecte de se mettre au-dessus des opinions reçues, surtout en matière religieuse. (Littré) [Par AmelieDelattre] Esprit fort : Dans ce contexte, on évoque l’événement du chapitre précédent où Jacques Mérey semble effectuer un miracle en calmant très simplement un chien qui passait pour enrager. Le Seigneur Chazelay se défend bien de prétendre croire à un miracle, considérant qu’il existe forcément une raison scientifique derrière out ça, allant jusqu’à dire que le chien ne devait juste pas être enragé du tout., témoignait ne point croire au miracle accompli la veille par le docteur, quoique de sa fenêtre il eût pu voir ce miracle s’accomplir.

Un chien s’était en effet glissé dans la ferme du château, et de la première cour était entré dans la seconde, où il avait porté le trouble et le désordre avec lui ; mais ce chien était-il réellement enragé ?

Là était le doute ; que des gens simples et ignorants crussent à la fascination[Par AmelieDelattre] Fascination : Puissance que les adeptes du magnétisme prétendent exercer sur les personnes soumises à leurs opérations. (Littré) Elle est comparée à celle exercé par les animaux sur leur proie. C’est-à-dire que par la concentration du sujet se retrouve complètement happé par celui qui utilise cette méthode de magnétisme. du regard et de la volonté, rien n’était plus naturel ; mais des gens instruits et bien nés ne pouvaient raisonnablement admettre de semblables prodiges.

Comme cependant le docteur avait fait preuve d’énergie[Par AmelieDelattre] Energie : L'énergie d'un sentiment, la force qu'il possède. (Littré) Dans ce cas, il s’agirait de la force, de la passion mise en œuvre par Mérey pour effectuer cette tâche. Il était déterminé, comme l’implique le terme « révolution », employé conjointement. et de résolution en affrontant la morsure d’un chien qui paraissait être enragé, le châtelain lui envoyait deux pièces d’or[Par AmelieDelattre] Deux pièces d'or : D’après « La réforme monétaire de 1785 » de Guy Thuillier, les années alentour 1785 ont connu de grands changements économique. D’abord, on pouvait constater une perte du poids du lui en or, ce qui lui donnait une valeur moindre à ceux des autres pays. Il a donc fallu effectuer une refonte, une réforme. Les Louis devaient être remplacés par des nouveaux. Après moult péripétie, le Louis d’or a retrouvé une nouvelle valeur à partir de 1785, notamment grâce à l’arrêt de considérer le Louis par son poids mais aussi par l’intégration du change. , qu’il le priait d’accepter à titre d’honoraires.

Jacques Mérey déchira la lettre et refusa les deux pièces d’or. La science n’était pas la préoccupation morale de Jacques Mérey, on peut même dire qu’il n’aimait la science que par rapport à un but. Ce but vers lequel tendaient toutes les forces de son esprit, tous les mouvements de son cœur, c’était le but de la philosophie du XVIIIe siècle[Par AmelieDelattre] Philosophie du XVIII : la philosophie de XVIII a connu de grands philosophes, qui étaient alors souvent des savants dans d’autres domaines, comme les mathématiques ou la physique. De ce fait, on essaie d’appliquer des raisonnements universels à la philosophie, « avec une force qui suffirait à la liberté, à l’ordre et au bonheur du genre humain » (Mémoire historique sur le XVIIIe siècle, sur les Principaux Personnages de la Révolution Française, de D.J. Garat). L’explication sur ces principes est expliquée plus bas dans le texte., le bonheur du genre humain.

Il interrogeait avec M. de Condorcet le moment, encore éloigné sans doute (mais qu’importe la distance !) où la raison perfectible de l’homme découvrirait les causes premières des choses, où les nations ne se feraient plus la guerre, et où les hommes, délivrés des maux qu’engendrent la misère et l’ignorance, accompliraient sur la terre[Par GaelleGuilissen] [accompliraient sur la terre] "accompliront sur la terre" une existence indéfinie. L’Écriture sainte[Par AmelieDelattre] L'Écriture sainte : ou, absolument, l'Écriture, les Écritures, c'est-à-dire l'Ancien et le Nouveau Testament (Littré). Il s’agit donc d’un texte religieux. n’avoue-t-elle pas elle-même que la mort est la dette du péché[Par AmandineLeHouedec] Epitre aux Romains 6,23 : "Car le salaire du péché, c'est la mort". Traduction œcuménique de la Bible. , c’est-à-dire la violation des lois naturelles ? Or, le jour où l’homme connaîtrait ces lois et où il les observerait, l’homme s’affranchirait de sa dette, et, comme cette dette, c’était la mort, l’homme ne mourrait plus[Par AmandineLeHouedec] Genèse 3,4-5 : "vous ne mourrez pas du tout, mais Dieu sait que le jour où vous en mangerez, vos yeux s'ouvriront et vous serez comme des dieux possédant la connaissance du bonheur et du malheur." TOB.

Créer et ne plus mourir, n’est-ce point l’idéal de la science ? Car la science est la rivale de Dieu. L’homme connût-il les mystères de toutes les choses de ce monde, l’homme arrivât-il à exposer devant Dieu lui-même d’irréfutables théories, Dieu lui répondra : – Si tu sais tout, tu n’es qu’à la moitié de ta route ; maintenant, crée un ver ou une étoile, et tu seras mon égal.

Abîmé dans ces rêves de bonheur lointain, dans cet espoir de puissance indéfinie, dans cet âge d’or de l’humanité que les poètes avaient placé au commencement du monde, parce que les poètes sont les sublimes enfants de la nature, Jacques Mérey voyait avec un frémissement d’impatience les obstacles moraux et les barrières matérielles qu’opposait la classe des privilégiés à l’accomplissement des destinées de l’homme sur la terre.

Nature douce et sensible, comme on disait alors, il était venu à la haine par l’amour.

C’est parce qu’il aimait les opprimés qu’il détestait les oppresseurs.

À part les deux ou trois fois qu’il l’avait croisé sur son chemin, le seigneur de Chazelay lui était personnellement inconnu. Il est vrai que Jacques Mérey, esprit supérieur, n’en voulait point aux hommes, mais aux abus et aux inégalités sociales dont les nobles étaient la vivante incarnation. Il refusa l’or du château avec le même dédain qu’il eût refusé les présents d’un ennemi.

Cette sombre apparition du moyen âge féodal[Par AmelieDelattre] Féodal : Qui appartient à la féodalité, en tant que mode de gouvernement. Gouvernement féodal, celui d'un pays partagé en fiefs, c'est-à-dire en domaines possédés par des vassaux et arrière-vassaux, de sorte que le roi est suzerain, non souverain, la souveraineté étant répartie entre les seigneurs ; Il se dit, par dénigrement, pour caractériser ce que le régime féodal a d'antipathique à la liberté moderne. (Littré). Dans le texte, il est donc employé de façon péjorative et suggère les prémices de la Révolution Française, grand enjeu de ce roman. remuait dans son sang plébéien[Par AmelieDelattre] Plébien : Dans les sociétés modernes, celui celle qui n'appartient pas à la noblesse. (Littré) des souvenirs de colère ; il voyait dans ces vieux murs le signe d’une domination qui, bien que diminuée, durait encore ; il se demandait quelle force pourrait jamais déraciner ces titaniques[Par AmelieDelattre] Titaniques : Qui appartient aux Titans. Orgueil, entreprise titanique. (Littré). Titans : Nom des géants qui, selon la fable, voulurent escalader le ciel et détrôner Jupiter. Jupiter foudroya les Titans. (Littré). En somme, les Titans étaient considérés comme des êtres vraiment gigantesques. Aussi, au sein du texte il souligne que ces bâtiments sont vraiment imposants. monuments de la race conquérante[Par AmelieDelattre] Race conquérante : l’auteur évoque certainement la noblesse, comme « race ». « Conquérante » en tant qu’ils ont pris le pouvoir. Les « races » seraient donc considérées selon un sang noble ou non. C’est pour cela que plus tard, le personnage évoque les dégénérescences produites par les nobles qui ne se reproduisent qu’entre eux.. Alors, découragé par la lenteur du progrès, par l’énormité des obstacles que rencontre l’affranchissement d’un peuple, il se plongeait avec désespoir dans l’étude de la nature, seul asile que la société telle qu’elle était faite eût laissé à la science[Par GaelleGuilissen] [seul asile que la société telle qu’elle était faite eût laissé à la science] "seul asile que la société telle qu’elle était faite avait laissé à la science".[Par LucienMauri] La solitude de Jacques Mérey est présentée par Dumas comme une conséquence logique de son entreprise prométhéenne : l’idée de communauté humaine est indissociable ici des principes sociétales de la féodalité, et inspire de ce fait au personnage un sentiment de découragement et de désespoir. Dumas qualifie son héros d’ « esprit supérieur » quelques lignes plus haut, ce qui rend d’autant plus intense la critique de la communauté que Mérey rejette : si cette société féodale, symboliquement représentative d’une humanité encore vierge de réformes, inspire découragement et désespoir au scientifique humaniste, que la morale prométhéenne considère comme une divinité en gestation, c’est qu’elle n’est pas simplement dérangeante mais impie, impure, contre nature.

Seul, il faisait souvent des promenades au plus profond des bois, et, là, grave, attentif, pareil à Œdipe devant le Sphinx[Par AmelieDelattre] Œdipe devant le Sphinx : Le Sphinx est une créature mythologique au visage et à la poitrine de femme, doté des pattes et d’une queue de lion et des ailes d’un oiseau. Il aurait été envoyé par un des dieux pour punir le roi Laïos ou les Thébain (selon les versions). Cette créature posait une énigme aux voyageurs qui passaient par là et, si ils répondaient mal, les dévorait. Le jeune Œdipe, décida alors d’aller affronter la créature, et répondant correctement à son énigme vaincu le Sphinx, qui partit mettre fin à sa vie. C’est ainsi que Œdipe remporta la victoire ainsi que la main de Jocaste (qui était le prix pour vaincre le Sphinx), qui n’était autre que sa propre mère (chose dont il n’avait pas connaissance), ce qui fera perdurer l’histoire tragique de cette famille. Dans le Docteur Mystérieux, cette comparaison met en lumière la réflexion intense de Jacques Mérey lorsqu’il se promène dans les bois. Il semble réfléchir intensément, comme si il essayait de répondre à une énigme.

, il semblait interroger l’âme de l’univers.

Le chien qu’il avait sauvé de sa propre fureur était devenu son ami le plus sincère et le plus dévoué ; il suivait le docteur dans toutes ses courses ; doux et caressant, il lui obéissait comme l’ombre de sa pensée.

Aussi le curé de Chazelay ne manqua-t-il pas de dire qu’il y avait dans l’histoire des sorciers plusieurs exemples de cette accointance[Par AmelieDelattre] Accointance : Fréquentation et familiarité (Littré). Ici, Jacques Mérey passe la plupart de son temps avec le chien, il semble qu’un lien se soit directement tissé entre eux.

d’un esprit familier[Par AmelieDelattre] Esprit familier : sorte de génie que l'on croyait attaché à une personne pour la guider, l'inspirer (Littré). En effet, le lien créé entre Mérey et le chien s’est établi comme par magie et, comme ils ne se quittent plus, on peut le voir comme un lien mystique et magique. sous la forme d’un animal domestique. Cet animal à coup sûr devait avoir des cornes[Par AmelieDelattre] Avoir des cornes : Sans aucun doute, une référence au diable. Le curé prétend que le chien renferme un esprit maléfique. D’où le fait qu’il chercherait à le cacher pour « mieux cacher son jeu », à cause de son esprit de duplicité machiavélique. , et s’il ne les montrait point, c’était pour mieux cacher son jeu.

Un jour que Jacques Mérey était parti de bonne heure pour herboriser[Par AmelieDelattre] Herboriser : Aller dans les champs recueillir des plantes. (Littré), il se trouva, sans trop savoir comment il était arrivé là, sur la lisière d’un bois touffu, emmêlé, impénétrable, comme il en existe encore dans cette partie du Berri[Par GaelleGuilissen] [comme il en existe encore dans cette partie du Berri] "comme il en existe encore tant, dans cette partie du Berri", véritable forêt d’Amérique[Par AmelieDelattre] Forêt d’Amérique : Peut-être une référence aux jungles sauvages et danse de l’Amazonie. D’ailleurs, un peu plus bas dans le texte, le narrateur semble décrire l’endroit comme une jungle, avec sa flore menaçante et sa faune cachée. en petit, où nulle route frayée ne gardait la trace d’un pas humain.

La solitude plaisait au docteur, nous l’avons déjà dit ; il aimait à se rapprocher de la nature, nous l’avons dit encore ; mais la profonde nuit qui régnait dans ce bois sauvage, l’aspect menaçant des herbes et des broussailles remplies de couleuvres ; la masse compacte des rochers qui découpaient leur verdure de mousse sur la sombre verdure des chênes, tout cela saisit le docteur aux entrailles ; il hésitait à l’entrée de ce bois comme un initié des mystères d’Éleusis[Par AnneBolomier] [comme un initié des mystères d'Éleusis au seuil du temple, où l'attendait les redoutables épreuves et les ténèbres]: Les Éleusinies ou « mystères d'Éleusis » sont une fête en l’honneur de Déméter. D'après le Dictionnaire de la Fable de Noël, rien n'était plus expressément défendu que de divulguer les mystères. D'abord novice, les candidats au mystère entrevoyaient de loin les cérémonies auxquelles ils se destinaient. Après un délai, ils devenaient Epoptes c'est-à-dire, contemplateurs. « Les redoutables épreuves et les ténèbres » dont parle Dumas se rapportent à la cérémonie qui se déroulait durant la nuit et pendant laquelle les initiés subissaient une suite d'interrogations et où on les faisait passer rapidement par des alternatives continuelles de lumière et de ténèbres. On terminait la cérémonie en exposant à leurs yeux l'objet de leur attente. La référence de Dumas à cette célébration, de toutes les solennités grecques la plus célèbre et la plus mystérieuse peut renvoyer au secret qui entoure Éva, que Jacques Mérey s'apprête à découvrir ainsi qu'au statut particulier du docteur mystérieux, capable de comprendre chaque être.

au seuil du temple, où l’attendaient les redoutables épreuves et les ténèbres.

Alors, le chien s’approcha du docteur avec une physionomie étrange ; léchant les mains de son maître et le tirant par l’habit, il semblait le conjurer de le suivre dans l’épaisseur du bois.

C’était un de ces points de doctrine sur lesquels Jacques Mérey s’accordait avec les illuminés[Par AmelieDelattre] Illuminés : un illuminé, une illuminée, celui, celle qui est visionnaire en matière de religion. (Littré), en somme, des gens très liés à la religion., les cabalistes[Par AmelieDelattre] Cabalistes : Homme savant dans la cabale des juifs. (Littré), La cabale étant : Tradition juive touchant l'interprétation de l'Ancien Testament. Les docteurs de la cabale. (Littré). et même les historiens, que les animaux sont doués quelquefois d’un esprit de divination[Par AmelieDelattre] Divination : Art chimérique de savoir et de prédire l'avenir par des sortiléges ou de fausses sciences, telles que l'astrologie, la chiromancie, l'interprétation des songes, etc. (Littré), dans le cas des animaux, ils auraient la capacité de « deviner », sans avoir besoin de passer par ces méthodes.. La science des présages et des augures[Par AmelieDelattre] Augures : Celui dont la charge était, chez les Romains, de tirer des présages du vol et du chant des oiseaux. (Littré). Mantique de la divination, reposant donc sur les mouvements des oiseaux dans le ciel, datant de l’Antiquité., cette science vieille comme le monde, à laquelle ont cru tous les sages de l’antiquité depuis Homère[Par AmelieDelattre] Homère : c’était un poète grec antique. Célèbre pour avoir supposément été celui qui a couché sur papier l’Illiade et L’Odyssée, il est toujours connu de nos jours comme un des plus grands Aède de l’Histoire. Il aurait peut-être vécu durant le VIIIe siècle avant Jésus Christ. jusqu’à Cicéron[Par AmelieDelattre] Cicéron : il s’agissait d’un homme politique important durant l’Antiquité (environ 1er siècle avant Jésus Christ). , n’était point une chimère[Par AmelieDelattre] Chimères : Une chimère était un Monstre qui jetait du feu par la gueule, et avait la tête et le poitrail d'un lion, le ventre d'une chèvre et la queue d'un dragon. (Littré). Mais qui désigne également : Vaines imaginations (Littré). Dans ce cas, c’est la deuxième acception qu’il faut entendre, dans la mesure où Mérey semble croire à ce cet esprit divinatoire des animaux. aux yeux du docteur.

Il pensait que les animaux, les plantes, les objets inanimés eux-mêmes, ont un langage, et que ce langage, interprète des éléments de la nature, peut donner à l’homme des avertissements salutaires.

Et, en effet, interrogez à la fois la fable et l’histoire, et vous les trouverez toutes deux d’accord sur ce sujet.

N’est-ce point un bélier qui découvrit à Bacchus[Par AnneBolomier] [Bacchus] : on dit que Bacchus, étant sur le point de mourir de soif dans l'Arabie déserte, implora le secours de Jupiter, qui lui apparut sous la forme d'un bélier, lequel frappant la terre du pied, fit jaillir une source d'eau. On dressa à cet endroit un autel superbe à Jupiter, qui fut surnommé Ammon, à cause des sables qui sont dans cette contrée. (Dictionnaire de la Fable de Noël)., mourant de soif, ces sources du désert autour desquelles verdissent aujourd’hui les oasis d’Ammon ? Ne sont-ce point deux colombes qui conduisirent Énée[Par AnneBolomier] [Énée] : la légende d'Énée, prince troyen et fondateur de Rome est racontée par le poète romain Virgile dans L'Énéide. Énée guidé par la sybille de Cumes, se rend aux Enfers pour voir une dernière fois son père Anchise et entendre de lui les prophéties de la fondation de Rome. Mais pour accéder aux Enfers, le héros troyen doit d'abord cueillir un rameau d'or pour l'offrir à Proserpine, épouse du dieu des Enfers. C'est la déesse Vénus, mère et protectrice de Énée qui sous la forme de deux colombes indique l'emplacement de l'arbre recherché, sur les rives du lac Averne, d'où parait-il, sortait des exhalaisons si infecte qu'on croyait que c'était l'entrée des Enfers. du cap Misène au rameau d’or caché sur les rives du lac Averne ? Et n’est-ce point une biche blanche qui fraya le chemin d’Attila[Par AnneBolomier] [Attila] : Dumas a déjà fait référence à cette légende dans Othon l'archer, roman publié en feuilleton dès 1838 : « Une biche avait conduit Attila à travers les Palus Méotides, et il descendait vers l’Allemagne, précédé par la terreur qu’inspirait son nom ». Or il semble qu'il y ait une confusion dans cette légende attribuée à Attila, célèbre chef des Huns. L'historienne Edina Bozoky fait mention d'un récit semblable, dans le Chronicon Pictum réalisé sous le règne de Louis d'Anjou en 1358, un texte qui raconte l'origine commune des Huns et des Hongrois Magyars : « Le récit remonte aux temps bibliques : Thana, fils de Japhet, eut un fils qui partit au pays d'Evlath et eut deux fils : Hunor et Magor. Un jour, les deux jeunes hommes poursuivaient une biche qui les attira dans les marais près du lac Méotis, la région entre la mer Noire, la mer Caspienne et le Caucase, pays originel des Scythes. Les frères trouvèrent le pays très avantageux pour leurs troupeaux et s'y installèrent ; plus tard, ils prirent pour femmes deux sœurs, filles d'un chef alain. Les Huns et les Hongrois descendirent de ces deux unions.» http://www.clio.fr/BIBLIOTHEQUE/attila_entre_l_histoire_et_la_legende.asp à travers les Palus-Méotides ?

Jacques Mérey suivi donc le chien, persuadé qu’il le conduisait à un but quelconque.

L’animal s’avança dans le bois[Par GaelleGuilissen] [L'animal s'avança dans le bois] "Et en effet l'animal s'enfonça dans le bois" ; le docteur marchait derrière lui, péniblement, le visage à chaque instant fouetté par les branches, les jambes perdues dans les herbes, ne voyant devant lui que la queue de son chien, boussole vivante, et n’entendant que le froissement des plantes et le bruit des reptiles fuyant sous les orties.

Après un quart d’heure de marche, l’homme et le chien, le chien d’abord, parvinrent à une clairière au milieu de laquelle, appuyée au tronc d’un chêne immense, s’élevait une cabane.

La queue du chien remua de joie.

Cette cabane devait appartenir soit à un bûcheron, soit à un braconnier ; peut-être celui qui l’habitait exerçait-il ces deux états.

Elle était située au centre d’une forêt appartenant à M. de Chazelay. Comment M. de Chazelay, si grand amateur de la chasse, permettait-il qu’un braconnier, dont il était impossible qu’il ignorât l’existence, s’établît ainsi sur ses terres ?

Jacques Mérey s’adressa vaguement toutes ces questions ; mais l’habitude où il était de sacrifier les choses importantes aux choses secondaires fit qu’il laissa de côté la cause et ne s’occupa que de l’effet.

Le chien se dressa contre la porte ; puis, comme la pression n’était pas assez forte, il laissa retomber ses deux pattes de devant à terre et poussa la porte avec son museau.

La porte céda assez à temps pour que de sa main le docteur l’empêchât de se refermer. Sa vue pénétra alors dans l’intérieur.

Cet intérieur était assez propre et indiquait un état au-dessus de la misère. Une vieille femme assise sur un escabeau filait tranquillement sa quenouille, tandis qu’un homme d’une trentaine d’années, qui devait être le fils de cette femme, nettoyait les pièces démontées de la batterie d’un fusil. Devant la cheminée, où flambaient des branches sèches, un quartier de chevreuil était en train de rôtir et répandait ce fumet à la fois aromatique et appétissant de la venaison[Par AmelieDelattre] Venaison : Chair de bête fauve ou rousse, comme cerf, chevreuil, sanglier, etc. Pâté de venaison. (Littré). Il s’agit donc, dans le texte, de la chaire du chevreuil..

Au moment où le chien entra, la vieille femme poussa un cri de plaisir[Par GaelleGuilissen] [la vieille femme poussa un cri de plaisir] "la vieille poussa un cri de plaisir" et l’homme bondit de joie. Jamais on ne vit reconnaissance plus touchante ; c’étaient des caresses, des embrassements, des transports à n’en pas finir.

Puis des dialogues auxquels le chien répondait par des modulations[Par AmelieDelattre] Modulations : Modulation est à l’origine un terme de musique qui désigne : « Passage d'un mode à un autre, dans le chant ou dans l'harmonie. Aujourd'hui, passage non-seulement d'un mode, mais d'un ton à un autre. » ou « Action de moduler le chant ou l'harmonie, et effet qui en résulte. Les règles de la modulation. » (Littré). Ainsi, on peut comprendre que le chien établie des changements de ton, de mode au sein de son « discours ». qui eussent fait croire qu’il entendait les reproches qu’on lui faisait et qu’il essayait de se disculper.

D’où viens-tu, misérable bandit ? d’où viens-tu, affreux vagabond ? lui disait l’homme.

Qu’as-tu fait pendant quinze grands jours que tu nous a laissés dans l’inquiétude ? demandait la femme.

Nous t’avons cru mort ou enragé, ce qui revient au même, reprenait l’homme.

Mais, non, Dieu merci ! Il se porte bien ; pauvre Scipion[Par AmelieDelattre] Scipion : Il s’agit probablement d’une référence à Scorpius l’Africain, qui était un grand général de la Rome Antique. Il remporta de nombreuses victoires militaires et historiques, notamment contre Hannibal durant la guerre de Carthage. En politique, il semble avoir une certaine influence sur le Sénat, devenant même censeur et Princeps du Sénat. Néanmoins, ses ennemis finirent par avoir raison de sa carrière politique, entrainant un procès contre Scipion et son frère. Sans être condamné, Scipion fini en exile. ! il a l’œil limpide [Par AmelieDelattre] Limpide : « style dont la clarté et la pureté sont comparées à celles d'une eau limpide ». (Littré) Ainsi, il a l’œil claire, le chien est en bonne santé.comme une goutte d’eau et vif comme un ver luisant.

Tu dois avoir faim, mauvais drôle[Par AmelieDelattre] Mauvais drôle : En un sens tout à fait injurieux, un mauvais drôle, ou, simplement, un drôle, une personne méprisable. C'est un drôle. (Littré) Il s’agit d’une petite remontrance envers Scipion à cause de son abscence. ! tiens, mords là-dedans.

Et l’enfant prodigue, fêté, caressé, à son retour au logis, se voyait offrir le reste du déjeuner ou du souper de la vieille[Par GaelleGuilissen] [du souper de la vieille] "du souper de la veille" avec le même empressement et les mêmes excitations que s’il eût été un véritable convive.

Alors seulement Scipion, dont le docteur venait d’apprendre le véritable nom – nom qu’il devait sans doute à un parrain plus lettré que ne l’était son maître, – Scipion, qui avait déjeuné avant de quitter la maison du docteur, ayant tout dédaigné, le bûcheron releva la tête et s’aperçut de la présence de Jacques Mérey.

La vue de cet étranger parut lui déplaire ; l’homme fronça le sourcil, et la femme eût pâli si sa peau n’eût pas été depuis longtemps tannée par l’âge et par le soleil.

Jacques Mérey, voyant l’effet désagréable que causait à ses hôtes son apparition inattendue, s’empressa de leur raconter l’histoire de Scipion, et comment il l’avait sauvé des fourches et des fléaux des garçons d’écurie du château de Chazelay.

Une larme se forma lentement dans l’œil aride de la vieille femme, et mouilla le lin de sa quenouille.

Quant au bûcheron, il éprouva le même sentiment de reconnaissance sans doute pour l’homme qui avait sauvé son chien ; cependant,[Par GaelleGuilissen] [pour l'homme qui avait sauvé son chien ; cependant] "pour l'homme qui avait sauvé son chien, mais cependant" un nuage sombre ne resta pas moins sur son front.

Le docteur se croyait tombé, nous l’avons dit, dans une cabane de braconnier ; il attribua le trouble de ces gens au métier qu’ils faisaient et à la crainte d’être découverts. Mais, avec le sourire d’un patriarche et les lèvres d’un jeune homme : – Rassurez-vous, mes amis, leur dit-il, je ne suis point un espion du château ; le Seigneur, qui est au-dessus des seigneurs de la terre, a donné les animaux à l’homme pour que l’homme en fît sa nourriture[Par AmandineLeHouedec] Genèse 9,3 : "Tout ce qui se remue et qui vit vous servira de nourriture" TOB. Cette parole est donnée après le Déluge. . Or, Dieu n’a point établi de distinction entre le noble et le roturier ; nos mauvaises lois sociales ont seules fait cela ; elles ont donné le droit de chasse aux uns et l’ont refusé aux autres, et les nobles, qui ne respectent rien, pas même la parole de Dieu, ont violé la promesse que Jéhovah avait faite à Noé et à ses successeurs dans la personne de Noé. [Par GaelleGuilissen] Un retour à la ligne précède la citation "Tout ce qui se meut sur la terre et dans les eaux vous appartient".« Tout ce qui se meut sur la terre et dans les eaux vous appartient »[Par AmandineLeHouedec] Genèse 9,2., a dit le Seigneur.[Par LucienMauri] On peut comprendre que Dumas considère que la vraie nature du dieu chrétien a été mal interprétée par les sociétés féodales. Cette nature est clairement présentée par Dumas comme transcendantale : l’homme est le fruit d’un dédoublement divin et la dimension physique dans laquelle il évolue n’est qu’un support, un accessoire à son ascension. Il est intéressant de noter que les « Saintes écritures » semblent toujours résidentes de la sphère intellectuelle de l’époque, même si le livre saint sacralise dorénavant l’humain.

Mais, au moment où le docteur achevait sa démonstration du droit de chasse, droit universel, droit indestructible, puisqu’il est basé sur les Saintes Écritures, un spectacle aussi nouveau qu’inattendu frappa ses yeux.

Une espèce d’alcôve pratiquée au fond de la cabane était voilée par des rideaux de serge[Par AmelieDelattre] Serge : Étoffe commune de laine qui est croisée. (Littré) ; le chien venait de soulever et d’écarter ce rideau avec sa tête, et, dans la pénombre, Jacques Mérey distingua comme un paquet inerte de membres humains appartenant évidemment à un enfant qui avait l’air de vivre.

Qu’est cela ? s’écria-t-il.

Et il saisit le rideau pour l’écarter.

Mais le braconnier se leva d’un air solennel.

Monsieur, lui dit-il, pour avoir vu ce que vous venez de voir, tout autre que vous ne sortirait pas vivant d’ici ; mais je m’aperçois que mon chien vous aime ; il vous doit de n’avoir pas été tué à coups de fourche et de ne pas être mort de la rage ; or, mon chien, voyez-vous, c’est mon seul ami ; en considération de mon chien, je vous fais grâce ; mais jurez-moi que vous ne raconterez à personne ce que vous avez cru voir[Par GaelleGuilissen] [ce que vous avez cru voir] "ce que vous avez vu, et surtout ce que vous avez cru voir".

Monsieur, dit Jacques Mérey en lâchant le rideau, mais en croisant les bras en homme décidé à aller jusqu’au bout, vous oubliez que je suis médecin et qu’un médecin est le confesseur du corps : je veux savoir ce que c’est que cet enfant.

Les yeux du bûcheron, qui avaient d’abord jeté une flamme, s’adoucirent.

Vous êtes médecin !... dit-il en devenant pensif. En effet[Par GaelleGuilissen] [En effet] "Et, en effet", vous avez rendu la vie et la raison à mon chien qui avait déjà perdu l’une et qui allait perdre l’autre.

Puis, tout à coup :

Oh ! s’écria-t-il, quelle idée ! si ce que vous avez pu pour un animal, vous le pouviez...

Il secoua la tête avec découragement.

Mais non, dit-il, c’est impossible !

Rien n’est impossible à la science, mon ami, répondit le docteur d’un ton radouci ! Jésus-Christ n’a-t-il pas dit : « Si vous avez la foi seulement gros comme un grain de sénevé, vous direz à cette montagne : “Remue-toi et jette-toi dans la mer,” et la montagne se remuera et se jettera dans la mer. » [Par AmandineLeHouedec] Évangile selon Matthieu 17,1.Oh ! s’écria le docteur, la foi n’est que le premier âge de la science ; le second, c’est la volonté.[Par GaelleGuilissen] [c'est la volonté] Il y a ici un retour à la ligne dans le journal. Vouloir, c’est pouvoir. Jésus n’a-t-il pas ajouté. : « Les œuvres que je fais, celui qui croit en moi les fera ? »[Par AmandineLeHouedec] Evangile selon Jean 14,12.[Par GaelleGuilissen] La citation « Les œuvres que je fais, celui qui croit en moi les fera ? » forme un paragraphe à elle seule dans le journal. Or, brave homme, vous êtes chrétien : je le vois à ce crucifix placé à la tête de votre lit. Mais ou votre christianisme est faux, ou vous devez admettre que tout chrétien a le droit de faire ce qu’on appelle des miracles, et ce que moi, qui ne crois pas aux miracles, j’appelle le produit de la souveraineté de l’intelligence sur la matière.[Par LucienMauri] Dumas considère ici que la chrétienté est fondamentalement porteuse d’un message prométhéen : les distinctions sociales entre les hommes sont présentées comme arbitraires et chimériques alors que plus loin est évoquée l’évidence de la « souveraineté de l’intelligence sur la matière ». Ce ne sont plus les lois humaines que Dumas hiérarchise mais bel et bien les lois naturelles, et en s’appuyant sur des citations de l’ancien et du nouveau testament. La réflexion de Jacques Mérey est, de ce fait, absurde : il dénonce l’injustice des lois sociales qui distinguent les hommes entre eux en soutenant que cela va à l’encontre du principe d’unité chrétien, pour finalement déclarer un peu plus loin dans son discours que l’homme, légitimé par ses habilités naturelles propres, peut utiliser comme il l’entend l’environnement dans lequel il évolue. Cette « souveraineté » est de droit divin, un privilège naturellement associé à la condition humaine. Le Dieu chrétien que dépeint Dumas dans ce passage est paradoxale en ce qu’il est intrinsèquement responsable de son propre démembrement : en distinguant les parties qui le constituent par des principes de souveraineté, il va à l’encontre de son caractère cosmologique.

Ces paroles n’étaient pas très compréhensibles pour le braconnier ; aussi, après avoir réfléchi un instant :

Je ne comprends rien à vos beaux raisonnements, monsieur, dit-il ; mais je me dis comme ça à moi-même que ce serait une fière providence qui vous aurait amené[Par GaelleGuilissen] [ce serait une fière providence qui vous aurait amené] "ce serait une fière providence qui nous (sic) aurait amené si...".

Il s’arrêta et toussa plusieurs fois comme si ce qu’il allait dire ne pouvait passer par sa gorge.


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