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Le docteur attendit un instant, espérant que le braconnier achèverait sa phrase suspendue.
Mais comme il continuait de garder le silence
La providence qui m’a conduit ici, dit-il, la voilà.
Et il montra
Il est bien vrai que ce brave animal a toujours été l’âme, le défenseur, le bon génie, et je dirai même quelquefois le pourvoyeur de notre cabane. Et puis...
Il s’arrêta de nouveau.
Et puis ? insista le docteur.
Et puis, dit le braconnier, c’est stupide à dire, je le sais bien, mais il l’aime tant, elle !
Qui, elle ? demanda le docteur, ne pouvant croire qu’il fût question de la petite idiote et de
Eh ! mon Dieu, oui, elle, dit le braconnier, dont les traits s’adoucirent ; la pauvre créature qui est là !
Et, tout en haussant les épaules, il désignait de la main le rideau derrière lequel s’agitait cette forme humaine inachevée.
Mais quelle est donc cette créature ? demanda le docteur.
Une pauvre innocente.
On sait que les paysans, par
Comment ! fit le docteur ; vous avez chez vous un pauvre enfant dans cet état-là, et vous n’avez pas consulté les médecins ?
Bon ! dit le braconnier ; avant qu’elle fût ici, elle en a eu, des médecins, et des premiers encore, on l’a conduite à
Il ne fallait pas vous contenter de cela, vous ; et lorsque l’enfant vous a été rendue ou donnée, – je ne cherche pas à savoir vos secrets, – il fallait vous enquérir de votre côté ; il y a autre part qu’à
Où voulez-vous qu’un pauvre diable comme moi aille chercher ces gens-là ? Je ne sais pas seulement où ça demeure, la médecine. Tel que vous me voyez, tenez, je n’ai jamais pu vivre dans les villes ; vos maisons alignées et pressées les unes contre les autres m’étouffent. On ne respire pas là-dedans. Il me faut, à moi, le grand air, le mouvement, le plafond des forêts, la maison du Bon Dieu, enfin. Braconnier, oui, c’est une vie qui me va, celle-là ; vivre de mon fusil, respirer l’odeur de la poudre, sentir le vent, la rosée, la neige dans les cheveux ; la lutte, la liberté, avec cela on est heureux comme un roi.
Eh bien, maintenant que vous m’avez trouvé sans me chercher, et qu’à trois ou quatre mots qui vous sont échappés vous m’avez laissé croire que la Providence n’est pas étrangère à notre rencontre, me laisserez-vous voir le pauvre enfant ?
Oh ! mon Dieu ! oui, dit le braconnier.
C’est une fille, avez-vous dit ?
Ai-je dit que c’était une fille, monsieur ? Alors, je me suis trompé ; ce n’est, sauf votre respect, qu’un animal immonde que nous avons toutes les peines du monde à tenir propre ; mais au fait, libre à vous de regarder. Tenez, la voilà.
Et, soulevant tout à fait le rideau de serge, il indiqua du doigt une créature inerte, ramassée sur elle-même, et se roulant sur une mauvaise paillasse.
Alors, les entrailles du docteur frémirent.
C’était une de ces natures d’élite qui tressaillent de pitié devant toutes les infortunes et devant toutes les dégradations ; plus un être était abaissé, plus il se sentait attiré vers lui par le magnétisme du cœur.
La pauvre idiote ne s’aperçut nullement de la présence d’un étranger ; sa main, nonchalante et molle, que l’on eût cru privée d’articulations, caressait le chien. Il semblait que ces deux êtres inférieurs fussent en communication, sinon de pensée, du moins d’instinct, et qu’ils se portassent l’un vers l’autre en vertu de la grande loi des affinités. Seulement, le chien était dans sa nature, la petite fille n’y était pas.
Le docteur réfléchit longtemps ; il se sentait attiré vers ce néant de toutes les forces de sa charité.
L’enfant poussa une plainte.
Elle souffre, murmura-t-il. L’absence de la pensée serait-elle une douleur ? Oui, car tout aspire à la vie, c’est-à-dire à l’intelligence.
Le braconnier alors, lui montrant l’idiote, dont rien ne pouvait attirer l’attention, secoua douloureusement la tête.
Vous voyez
Mais le docteur, se parlant à lui-même :
Elle s’occupe du chien, dit-il.
Et, sur ce mouvement de sympathie que l’enfant avait montré à l’animal,
Ça, c’est vrai, répéta le braconnier ; elle s’occupe du chien, mais c’est tout.
Cela suffit, dit
Je ne connais pas le levier d’
Tenez, continua-t-il, elle ne m’entend même pas, elle ne reconnaît même pas ma voix.
Non, reprit le docteur en secouant la tête de haut en bas, non, mais elle a entendu et reconnu le chien ; c’est tout ce qu’il me faut, à moi.
Mais le chien le suivit jusqu’à la porte seulement, et, quand
Le docteur s’arrêta tout pensif.
Il y avait plus d’un renseignement pour lui dans cette persistance du chien à rester près de la petite idiote.
Et, en effet, il réfléchit que, s’il voulait sérieusement traiter cette enfant, c’étaient des soins de tous les jours, de toutes les heures, de toutes les minutes ; c’étaient des inventions et des imaginations toujours nouvelles qu’il lui fallait. D’ailleurs, il se sentait déjà par la pitié attaché à ce petit être isolé, qui ne correspondait à rien dans la nature, et qui représentait le néant de l’intelligence et de la matière au milieu des êtres animés qui se
Les anciens cabalistes, voulant donner à Dieu un motif d’impulsion pour le faire sortir de son repos, disent que Dieu créa le monde par amour.
Les circonstances au milieu desquelles le docteur s’était trouvé lui avaient permis d’étudier non seulement les mœurs des hommes, mais encore les instincts et les inclinations des animaux.
Il avait abandonné volontairement la société des villes pour se rapprocher de la nature et des êtres inférieurs qui la peuplent, persuadé que les animaux, dans une enveloppe plus ou moins grossière, ont une étincelle du fluide divin
Il avait souvent observé, avec cet intérêt qui naît dans les esprits profonds, tout incident, si léger qu’il soit, qui dénote un fait en réserve pour l’avenir. Il avait souvent regardé un jeune chien et un jeune enfant jouant ensemble.
En écoutant les sons inarticulés qu’ils échangeaient au milieu de leurs jeux et de leurs caresses, il avait souvent tenté de croire
À coup sûr, quelle que fût la langue qu’ils parlaient
En regardant les animaux, c’est-à-dire les humbles de la Création, en voyant l’air intelligent des uns, l’air doux et rêveur des autres, le docteur avait compris qu’il y avait un profond mystère entre eux et le grand tout. N’est-ce point pour établir ce mystère et pour les envelopper dans la bénédiction universelle qui descend sur nous et sur eux pendant cette sainte nuit de Noël, que le Seigneur, type de toute humilité, voulut naître dans une crèche, entre un âne et un bœuf ? L’
En un instant, ce monde de pensées, résumé de l’histoire et des travaux de toute sa vie, se présentèrent à l’esprit de
Il rentra donc dans la cabane, et, s’adressant au braconnier et à la femme qui paraissait être sa mère :
Braves gens, leur dit-il, encore une fois, je ne vous demande pas votre secret sur cette enfant ; vous avez évidemment fait pour elle tout ce que vous pouviez faire, et, de quelque main que vous l’ayez reçue, vous n’avez point trompé la main qui vous l’a confiée. C’est à moi de faire le reste. Donnez-moi, ou plutôt prêtez-moi cette petite fille, qui vous est un fardeau inutile ; j’essayerai de la guérir et de vous rendre à la place de cette matière inerte et muette une créature intelligente qui vous aidera dans vos travaux et qui, en prenant place dans la famille, y apportera sa part de forces et de capacités.
La mère et le fils se regardèrent alors, puis tous deux se retirèrent dans le fond de la cabane, discutèrent quelques instants, parurent se ranger au même avis, et le fils, revenant vers le docteur, lui dit :
Il est évident, monsieur, que vous êtes ici par l’intervention visible du Seigneur, puisque c’est ce chien que nous avions cru perdu et dont nous avions déjà fait notre deuil qui vous y a conduit. Prenez l’enfant et emportez-le. Si le chien veut vous suivre, qu’il vous suive et s’en aille avec l’enfant ; la main de Dieu est dans tout cela, et ce serait une impiété de notre part de nous opposer à sa volonté sainte.
Le docteur déposa sur une table sa bourse et tout ce qu’elle contenait ; il enveloppa l’enfant dans son manteau, et sortit accompagné du chien, qui, cette fois, ne fit aucune difficulté pour le suivre, et qui, plus joyeux qu’il ne l’avait jamais été, allait et revenait devant lui, flairant de son nez et donnant de petits coups de tête à l’enfant, qu’il ne pouvait voir, mais qu’il devinait dans son enveloppe ; puis il repartait, aboyant avec la même fierté qu’un héraut d’armes qui proclame la victoire de son général.
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