Corpus Les Dangers de la coquetterie

Lettres LXXVII à LXXX

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LETTRE LXXVII.

Le Chevalier de Zéthur à Madame de Singa.

De Besançon.

Puis-je espérer, Madame, que vous pardonnerez à un homme qui s’est rendu aussi coupable ? Je n’ai point d’excuses à vous donner. J’ai tout sacrifié, l’amitié, la reconnaissance, l’honneur, l’amour même pour l’objet le plus méprisable. Aveuglé par une passion infâme, je me suis laissé entraînerLe Chevalier se dédouane sous le motif de l'ignorance, il laisse entendre que la responsabilité de ses actions ne repose pas entièrement sur lui. dans un abîme affreux, il ne me reste que la honte et le désespoir d’avoir perdu, peut-être pour toujours, celle qui devait faire le bonheur de ma vie. Croirez-vous à mes serments, lorsque je n’ai pas craint d’y renoncer publiquement, que j’ai violé la foi que je vous avais jurée ? Non, je ne dois plus compter sur vos bontés, votre clémence ne peut égaler l’énormité de mes fautes. Ah ! plaignez un malheureux, qui, oubliant combien il est criminel, ose encore vous supplier de l’écouter. Sans l’artifice dont la Baronne de Cotyto s’est servie pour me séduire, je jouirais maintenant du bonheur de vous posséder ; je ne serais pas déchiré par les remords les plus cuisants, et je n’aurais pas enfoncé le poignard dans le cœur d’un Père tendre, qui gémit sur mon inconduite. Vous-même, mais non, vous ne pouvez regretter le plus ingrat des hommes, celui qui fut assez pervertiPerverti : corrompu. pour demeurer insensible aux larmes qu’il vous fit répandre. Un espoir flatteur vient quelquefois me séduire, les temps fortunés que je passai auprès de vous viennent s’offrir à mon imagination, mais bientôt le triste souvenir de mes fautes fait disparaître mon illusion : il me semble entendre cet arrêt dur et sévère, mais trop justement mérité : Renoncez à moi pour toujours. Je ne puis vous promettre de le recevoir sans mourir, mais je n’en murmurerai point. Si un long repentir peut mériter votre indulgence, ne craignez pas de me rebuter. Oui, je jure par vos vertus, par mon Père, que je chéris, et par les sentiments que vous m’avez inspirés dès l’enfance, sentiments que j’ai méconnus, il est vrai, dans un moment d’ivresse et de folie, mais qui sont toujours restés dans mon cœur, que ma bouche ne fera jamais d’autre serment que celui de vous appartenir pour toujours. Vous tenez mon sort entre vos mains ; en vous perdant, je n’ai plus rien au monde, pour qui pourrais-je vivre ?

LETTRE LXXVIII.

Madame de Singa au Chevalier de Zéthur.

Du Château d’Hersilie.

Pouviez-vous douter un moment de votre pardon ? il ne tient pas à moi de vous le refuser ; c’est mon cœur qui le dicte ; mais puis-je espérer que ce retour est sincère ? Vous m’aviez si souvent répété ces serments, j’avais tant de plaisir à vous croire incapable de les trahir. Pardonnez-moi, mon Ami, si je vous offense, en paraissant douter de la sincérité de votre repentirRepentir : regret de ne pas avoir fait quelque chose.

; c’estsaut de ligne la dernière fois que je vous en parle. Je ne veux plus, désormais, m’occuper que de l’avenir qui me promet des jours doux et sereins. Effaçons jusqu’aux traces des chagrins que nous avons essuyés ; le souvenir de vos fautes vous rendrait malheureux, et pourriez-vous éprouver aucuns tourments que mon cœur ne les partageât ? Dans peu, je serai à vous pour toujours. Je chéris d’avance les liens qui doivent nous unir. Votre fortune est un peu dérangée ; mais n’en ai-je pas assez pour tous deux ? Ce ne sont pas les grands biens qui font le charme de la vie, les vraies richesses sont dans nos cœurs ; la sagesse, l’amitié, la douceur, une âme pure, et une conscience sans reproches, sont des dons plus précieux que tous les trésors de la terreCommentaire qui vise à mettre en supériorité les richesses morales et spirituelles, liées à la ligne de conduite d'un individu, par rapport aux richesses matérielles que recherchaient les coquettes.. À l’exemple de nos Amis, nous deviendrons cultivateurs. Si vous voyiez comme ils jouissent, depuis que M. d’Hersilie a recouvré sa raison, c’est d’eux qu’il faut prendre des leçons ; ils vous attendent avec impatience ; venez bien vite rendre le bonheur à votre Amie.

LETTRE LXXIX.

La Comtesse de Fionie à la Marquise d’Hersilie.

De Paris.

Le Ciel est juste, mon Amie, tout le monde a la récompense qui lui était dueCette lettre de conclusion fait état de la situation finale de chaque personnages et permet à l'autrice d'introduire la morale de son roman. : Madame de Cotyto vient d’éprouver le sort qu’une conduite aussi épouvantable que la sienne méritait ; il lui est arrivé une aventure cruelle, et qui est devenue funeste à son MariFuneste à son Mari : une aventure qui a coûté la vie à son Mari. . Pour elle, personne ne la plaint, et l’on s’accorde à dire que si M. de Cotyto eût pris ce parti, il y a deux ans, il se serait évité bien des chagrins. Voici le fait : la Baronne, depuis la ruine de la Vicomtesse de Thor, avait abandonné le jeu ; mais comme elle n’aime pas les privations, elle a voulu qu’un plaisir succédât à un autre : tous les jours elle donnait des soupers brillants où l’on tirait des loteries de différents petits riens qui coûtaient fort cher aux personnes qui désiraient lui faire la cour ; ces loteries ont fait du bruit, on a prévenu la Baronne d’y faire attention ; à son ordinaire elle s’en est moquée. L’on a écrit à M. de Cotyto de venir mettre ordre à la conduite de sa femme et sans prévenir personne, il est arrivé un jour de fête. Le Suisse, qui était nouveau, et qui par conséquent ne connaissait pas son Maître ne voulut jamais le laisser entrer. M. de Cotyto insista, le Suisse fort et robuste, et prenant le pauvre Baron pour un importun, se mit en devoir de le faire sortir à coups d’étrivières. Le Marquis de Lubeck, qui était le maître de la maison, entendant un bruit extraordinaire parut pour l’apaiser ; il vit un homme qui injuriait et battait sans distinction ; il voulut lui en imposer par un ton de maître. Le Baron outré de colère, a mis l’épée à la main contre le marquis, en l’apostrophant en personne ; ils se sont battus dans la cour de l’Hôtel ; en moins de cinq minutes le Marquis de Lubeck a été tué, et le Baron blessé dangereusement. La famille lui a représenté que c’était autoriser la conduite de sa Femme que de ne pas la séquestrer de la société. Ils ont obtenu une lettre de cachet, et elle vient d’être mise dans un Couvent de force. À vingt-trois ans, quel sort ! Elle s’est bien attiré le mépris général. La Coquetterie est une chose bien punissable, elle cause des maux qui sont d’autant plus grands qu’on ne peut les prévenir ; celles qui sont atteintes de ce vice si dangereux pour la société, croient, ou feignent de croire qu’on est injuste de les accuser, qu’il ne peut résulter aucun inconvénient des manèges qu’elles emploient pour captiver les hommes, qu’elles méritent les adorations des mortels ; elles ne voient pas qu’elles n’inspirent, par une conduite aussi reprochable, que le mépris le plus profondLa Comtesse condamne la pratique de la coquetterie qu'elle considère comme un vice. La place de la femme et de sa responsabilité peuvent être questionnées. En effet, la femme est punie, isolée et considérée comme seule responsable de sa conduite, réfutant ainsi tout argument de déresponsabilisation de la femme coquette, au contraire des hommes..

Conservez toujours votre aimable candeur, mon Amie ; vos plaisirs sont moins bruyants, mais ils ne sont suivis d’aucuns remordsLa personnalité de la femme coquette est considérée comme attractive mais dangereuse et qui doit être évitée, au profit d'un caractère plus pure mais moins attrayant.. Je me flatte d’aller bientôt partager votre bonheur.

LETTRE LXXX.

La Comtesse de Fionie à la Marquise d’Hersilie.

De Paris.

Je viens de recevoir, mon Amie, une Lettre du Marquis de Zéthur, qui me comble de joie : mon Beau-frère me mande qu’il arrive, et que je n’ai qu’à me préparer pour partir sur le champ ; qu’il ne veut pas attendre longtemps à Paris, et retarder le plaisir qu’il aura d’embrasser son aimable Fille. Il a tout pardonné au Chevalier, qui doit son bonheur à son retour à la vertu. Il est ici depuis hier. Je suis, comblée de son empressement. J’ai tant d’occupations, mon Amie, et pour les commissions du Père, et pour celles du Fils, et pour les préparatifs de mon départ, qu’il me reste à peine le temps de vous prévenir que j’aurai bientôt le plaisir de vous embrasser, et de vous dire de vive voix que je vous aime de toute mon âme, et que c’est pour la vie.

Fin de la Seconde et dernière Partie.

APPROBATION

DU CENSEUR ROYAL.

J’ai lu, par ordre de Monseigneur le Garde des Sceaux, un manuscrit intitulé : Les Dangers de la Coquetterie, et je n’ai rien trouvé, dans ce Roman moral qui ne doive en faire désirer l’Impression et goûter la Lecture. À Paris, ce 28 Juillet 1787.

ARTAUD.


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