Corpus Les Dangers de la coquetterie

Lettres LXXV à LXXVI

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LETTRE LXXV

La Vicomtesse de Thor à la Baronne de Cotyto.

Du Château de….

C ; texte perdu.je suis perdue pour jamais. C’est à Madame de Menippe que je dois ma ruine entière. Voyez à quel point elle a poussé la vengeance. C’est elle qui avait engagé le Financier à venir à la fêteVoir seconde partie, lettre LIX.. La brèche qu’il avait faite à ma fortune me mettant dans l’impossibilité de payer ce que je devais, je voulus tenter de réparer mes pertes, et je fis sommerSommer : demander à quelqu'un de tenir sa promesse. le vieux MondorLe vieux Mondor : l'expression qui désigne le personnage du Financier pourrait être une référence à la comédie-ballet en un acte de Jean-François Cailhava d'Estandoux, Les Étrennes de l'amour, représentée pour la première fois le 1 janvier 1769, dans laquelle on retrouve le personnage de « Mondor, vieux financier ». de la parole qu’il m’avait donnéeRéférence à la lettre LIX de la Seconde partie : « Le Financier m’a presque tout gagné ; il m’a promis de me donner ma revanche ».. J’invitai Madame de Menippe qui, oubliant sa rancune me fit proposer de venir chez elle un jour qu’elle tenait assemblée. Je jouai en étourdie ou plutôt comme une désespérée, et en moins de quatre heures j’ai perdu cent mille francs au-delà de ma fortuneLes jeux d'argent symbolisent la frivolité de la vicomtesse, sa coquetterie entraîne sa ruine financière. . Toute ma famille m’abandonne ; mon oncle ne veut plus entendre parler de moi ; que vais-je devenir ! Méritais-je un sort aussi déplorable ? Mon oncle qui, jusqu’à présent, paraissait avoir, de l’amitié pour moi, loin de m’aider, me déshériteLa sévérité de l'oncle prouve la rigidité des normes sociales de l'époque. En effet, une femme n'a de la valeur qu'en possession de son honneur, de sa fortune et de son entourage. . Tout cela n’est rien en comparaison de l’infamie de mes Amis ; ils me fuient depuis que j’ai perdu ma fortune. Le Chevalier de Lusak, auteur de tous mes malheurs, semble ne m’avoir jamais connue, ainsi que mille autres qui se croyaient trop heureux d’obtenir un regardL’attitude du Chevalier de Lusak met en avant l'hypocrisie qu'on trouve dans les relations sociales motivées par des intérêts économiques.. C’en est fait, mon parti est pris ; je pars, je vais en Angleterre cacher ma honte, et me soustraire à la poursuite de mes créanciers. Je profiterai de la nuit pour échapper ; mais que vais-je devenir ? Ah ! ma chère Amie, ne suis-je pas bien malheureuse ? il faut que je vous dise un éternel adieu. Quand tout le monde m’abandonne, puis-je espérer que vous vous intéresserez à moi. Non, j’ai tout perdu, il ne me reste que le parti de la fuite, puisque la fortune m’est contraireLa Vicomtesse de Thor envisage la fuite pour échapper au scandale, car en tant que femme elle ne pourra jamais retrouver une bonne réputation. L'Angleterre symbolise l'exil. . Je souhaite qu’elle vous traite mieux. Adieu pour jamais.

LETTRE LXXVI.

Le Chevalier de Zéthur au Marquis d’Hersilie.

De Besançon.

Oui mon Ami, mon repentir est sincère. Que ne pouvez-vous lire au fond de mon cœur ! vous ne balanceriez pas un instant à remplir votre promesse. Je hasarde d’écrire à Madame de Singa : son cœur est sensible, elle aura pitié des maux que j’endure ; elle voudra bien oublier que je me les suis attirésLe personnage de Madame de Singa contraste avec le personnage de Madame de Cotyto par sa vertu. Le Chevalier de Zéthur espère être pardonné par la jeune femme, tout en reconnaissant ses égards de comportement. ; et vous, mon Ami, vous engagerez Madame d’Hersilie à se joindre à moi pour obtenir mon pardon. Ah ! je vous devrai le bonheur de ma vie ; elle sera employée à réparer mes torts, et à mériter votre respectable Amie. Mon Père qui doute, comme vous, que le bandeau qui me couvrait les yeux soit dissipé, vient de m’ordonner de rester à mon Régiment, il craint sans doute mon retour à ParisL'autorité paternelle permet de protéger le Chevalier de Zéthur des dangers de la coquetterie présents dans le monde mondain. . Je lui obéirai, mais hélas ! qu’il en coûte à mon cœur. Je brûle du désir d’aller me jeter aux pieds de Madame de Singa, de lui montrer tout mon repentir, et d’y expirer si elle est inflexible. Tâchez, mon Ami, d’obtenir de mon Oncle qu’il engage mon Père à me laisser aller à Hersilie. Je vous donne ma parole que je ne m’arrêterai à Paris que le temps d’embrasser Madame de Fionie. Croyez votre Ami, il est incapable de vous tromper : une passion folle a pu m’égarer, mais mon cœur a toujours appartenu à Madame de Singa ; elle m’inspirait un respect tendre et passionné, tandis que la Baronne ne faisait qu’amuser mon espritDes sentiments vrais ne peuvent naître de la coquetterie.. Combien elle me coûte de regrets ! Si le sort propice à mes vœux, permet que j’aie des enfants, je veux que mon exemple les garantisse de la séduction des Coquettes ; je leur en ferai sans cesse le tableau : ce sont les êtres les plus dangereuxEn faisant le portrait d'un type de femme dont les capacités de séductions sont associées au danger, le Chevalier de Zéthur fait une morale sur les coquettes qui vise à prévenir de leurs dangers.. Ne pensez-vous pas comme moi ? Enfin, mon Ami, ni vous, ni moi, ne sommes joueurs, et nous ne faisions que ce métier. Entrait-il dans nos goûts de parcourir vingt endroits en un jour ? Non, et pourtant il ne se passait pas une heure que nous ne fussions en course, ou pour elle ou avec elle. Je l’ai connue trop tard ; mais ne croyez pas que ce soit l’ordre que mon Père a obtenu qui m’a fait juger Madame de Cotyto. Il y avait plus d’un mois que je cherchais des moyens de rompre avec ménagement, par égard pour moi-même : en voici la raison. Elle était à faire des folies avec le Marquis de Lubeck ; elle voulut fuir, un papier tomba de sa poche ; mon premier mouvement fut de le lui rendre ; mais la jalousie vint me souffler à l’oreille qu’il était d’un Amant préféré. Je courus vite m’enfermer pour le lire : c’était une lettre de Madame de Thor*Cette Lettre est la XIVe. ; jugez de mon indignation, quand je vis que sa correspondance avec cette abominable Coquette n’était qu’un tissu d’horreurs et de conseils pernicieuxConseils pernicieux : conseils qui causent un mal d'ordre moral ou social.. J’eus honte de moi-même pour la première fois. Madame de Singa se représenta à mon cœur, je la comparai à l’être à qui je l’avais sacrifiée. Je ne regrettais pas les sommes énormes qu’elle m’a coûtées, mais bien la perte irréparable d’une femme digne de l’adoration de tous les mortels. Quand on m’apporta l’ordre du Ministre, si mon Père avait consenti à me voir et à m’écouter, il aurait vu mon repentir, mes remords, et mon malheur n’aura point été consommé. Le souvenir de Madame de Cotyto ne m’a point suivi, mais bien les regrets de l’avoir connue. Adieu, mon Ami, que vos craintes cessent ; que Madame d’Hersilie plaide ma cause, et obtienne mon pardon, il pourra renaître encore pour moi un beau jour.


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