Pouviez-vous douter un moment, mon Ami, que je ne partageasse vos maux. Je n’ai que trop éprouvé, par moi-même, jusqu’à quel point l’amour nous aveugle. Vous avez été témoin des extravagances que j’ai faites pour cette même Baronne ; en vérité, je n’y pense pas sans frémir d’horreur. Il a fallu un événement aussi affreux, et une conduite aussi infâme, après m’avoir fait exposer ma vie par un caprice, pour me dessiller les yeux.Pour me dessiller les yeux : pour me faire prendre conscience de la vérité. J’abandonnais mon Épouse, mes Enfants, tout ce que j’ai de plus cher, pour me mettre au rang des vils soupirants qu’une Coquette dédaigne, et qui sont en effet plus méprisables qu’elle. Madame d’Hersilie se joindra à moi avec la plus grande satisfaction, pour engager son AmieSon Amie : Madame de Singa. à vous pardonner ; elle emploiera, soyez-en sûr, tous les droits que lui donne leur amitié réciproque. Mais, mon Ami, votre repentir est-il bien sincère ? permettez-moi de vous faire cette question ; un feu mal éteint est souvent plus dangereux. Si vous ne devez votre guérison qu’à l’éloignement et à la perte de votre fortune ; si vous n’êtes pas convaincus de la fausseté des sentiments que la Baronne affectait d’avoir pour vous, de la noirceur de son âme, vous ne pouvez pas répondre de vous. Combien il serait cruel, si après avoir regagné l’estime et l’amitié d’une femme vertueuse, ranimé la tendresse que vous lui aviez d’abord inspirée, vous la forciez encore une fois à rougir de son indulgence, ne seriez-vous pas, aux yeux des gens honnêtes, l’homme le plus coupable ? C’est vous qui avez troublé sa tranquillité, elle était heureuse, elle faisait le bonheur de tous ceux qui la connaissaient, et vous avez empoisonné ses plus beaux jours. Qu’il faut des choses, mon Ami, pour réparer tant de maux ! Dans le temps de votre désordre, elle répétait souvent : Qu’il vienne, qu’il reconnaisse ses torts, et je lui pardonne ! Ce n’est que par une continuité de bonne conduite que vous pouvez faire renaître la confiance que vous méritiez avant vos égarements. Consultez bien votre cœur, mon Ami, et si votre repentir est aussi sincère, que j’ai de plaisir à le croire, nous mettrons tout en œuvre pour assurer votre tranquillité.
LETTRE LXXIV.
Madame de Singa à la Comtesse de Fionie.
Du Château d’Hersilie.
Partagez ma joie, mon Amie, le Chevalier de Zéthur a écrit à M. d’Hersilie ; il reconnaît sa faute, il assure qu’il m’aime. Ah ! que je suis heureuse ! Madame d’Hersilie est bien cruelle, elle n’a jamais voulu que je lui écrivisse. Il faut, dit-elle, l’éprouver auparavantL'éprouver auparavant : Lui avoir fait subir une expérience pénible, et la mettre à l'épreuve afin de juger de sa valeur.. Pourquoi ces détours ? Mon cœur n’est-il pas à lui ? Ne lui ai-je pas assuré que lui seul le possédait ? Ses craintes sont mal fondées ; c’est une offense. Il connaît trop bien ce cœur qu’il réclame et qu’il a toujours possédé, malgré son éloignement pour douter un moment de ma tendresse. Avec quel plaisir je l’en assurerai. Ah ! mon Amie, je crois encore au bonheur. Vous savez que je n’ai pas besoin des liens du sangMadame de Singa a une grande affection pour la Comtesse de Fionie ; puisque celle-ci l'a prise sous son aile dès l'âge de 15 ans. Dans ses romans, Gacon-Dufour met en avant les liens sociaux dans un environnement familial, à travers des thèmes comme l'adoption. pour vous chérir. Je ne puis vous aimer davantage ; mais combien nous serons heureux ! Vous aviez bien raison de dire qu’aussitôt qu’il ne verrait plus la Baronne, il reviendrait à ses Amis. Il craint d’avoir perdu mon estime. Dites-lui que jamais mes sentiments n’ont varié ; engagez le Marquis de Zéthur à pardonner à son filsSans le pardon de son père le Marquis de Zéthur, le Chevalier de Zéthur ne peut quitter son régiment, et épouser Madame de Singa.. Je suis la plus offensée et j’oublie tout. Oui, mon Amie, je regarde comme un avantage l’erreur du Chevalier, il est corrigé pour sa vie. M. de Saint-Albert, qui est un homme très raisonnable, me disait encore hier que, si j’étais sa fille, il consentirait avec plus de plaisir à mon mariage actuellement, qu’il ne l’eût fait il y a un an. Je voudrais que vous fussiez ici ; je suis bien sûre que j’obtiendrais de M. de Fionie de laisser revenir son neveu. Ma chère Amie, je suis bien folle ; mais pardonnez-moi, vous savez que je n’ai jamais aimé que M. de Zéthur ; lui seul m’a fait éprouver les peines et les plaisirs de l’Amour, et lui seul possédera mon cœur éternellement.