XV Où il nous faut abandonner les affaires privées de nos personnages pour nous occuper des affaires publiques[Par GaelleGuilissen] Ce chapitre a été publié dans les numéros du Siècle du 13 et du 14 janvier 1870.
En rentrant dans la ville d’Argenton, Jacques Mérey fut frappé d’étonnement à la vue du trouble qui paraissait s’être emparé de cette population, d’habitude si calme et si tranquille[Par AmyTounkara] Voir l’incipit (chapitre 1) où l’auteur construit l’image d’une ville hors du temps, immobile et à l’écart du reste du pays. .
Mais ce qui l’étonna bien plus, c’est que, aussitôt qu’on l’eût reconnu, cette population l’entoura en lui demandant des conseils sur ce qu’il y avait à faire dans une circonstance si critique.
Il faut d’abord, dit Jacques Mérey, avant que je vous donne des conseils, il faut d’abord que vous vouliez bien me dire de quoi il est question.[Par GaelleGuilissen] [Il faut d'abord [...] que vous vouliez bien me dire de quoi il est question] Dans le feuilleton, Jacques Mérey parle au conditionnel : "Il faudrait d'abord, dit Jacques Mérey, avant que je vous donnasse des conseils, il faudrait d’abord que vous voulussiez bien me dire de quoi il est question."
Comment ! vous ne savez pas ? s’écrièrent vingt voix.
C’est impossible ! s’écrièrent vingt autres.
Jacques Mérey haussa les épaules en homme qui n’est pas le moins du monde au courant de la situation.
Affaire politique ? demanda-t-il.
Je crois bien, affaire politique !
Eh bien, qu’est-il arrivé ?
Allons donc, dit une voix, vous faites semblant de ne pas savoir, et vous savez aussi bien que nous.
Mes amis, dit Jacques Mérey avec son exquise douceur, vous savez comment je vis ; à moins que ce ne soit pour faire une visite à quelque pauvre malade, je ne sors jamais de chez moi, et chez moi je travaille ; j’ignore donc complètement ce qui se passe au-dehors des quatre murs qui m’enferment, et où je fais de la science, avec l’espoir[Par GaelleGuilissen] [avec l'espoir] "avec l'espérance" que cette science sera utile un jour, à vous d’abord, et ensuite à l’humanité.
Ah ! nous savons bien que vous êtes un brave homme ; nous vous aimons, nous vous respectons et nous espérons vous en donner bientôt une preuve. Mais c’est justement parce que nous vous aimons et vous respectons que nous venons vous demander ce qu’il y a à faire dans l’extrémité où nous nous trouvons.
Eh bien ! voyons, mes bons amis, quelle est l’extrémité dans laquelle nous nous trouvons ? demanda le docteur.
On se bat à Paris, dit un des hommes qui entouraient Jacques.
Comment ! on se bat ?
C’est-à-dire qu’on s’est battu, mais, à ce qu’il paraît, tout est fini, maintenant, dit un autre.
Dites-moi ce qui est fini, mes enfants.
Eh bien ! reprit le premier, en deux mots, voilà ce que c’est : le peuple a voulu entrer aux Tuileries comme au 20 juin[Par AmyTounkara] Le 20 juin 1792 est une journée révolutionnaire au cours de laquelle un groupe de manifestants s’est introduit dans le chateau des Tuileries. Mécontente de l’attitude ouvertement hostile de Louis XVI, avec son refus de la déportation des prêtres réfractaires et de l’installation de camp de 20 000 gardes nationaux à Paris, la population vient réclamer directement au roi son soutien. Ils font coiffer à Louis XVI, le bonnet phrygien et lui font boire à la santé de la Nation. Il faut préciser que le bonnet phrygien ou bonnet rouge est emblème de la liberté. Au départ coiffé par les esclaves affranchi durant lAntiquité, il est repris lors de différentes insurrections en Europe par la suite. Le bonnet finit par être récupéré par les révolutionnaires français qui le décorent d’une cocarde tricolore., vous savez, le jour où Capet[Par AmyTounkara] Après la proclamation de la Ier République, le 21 septembre 1792, Louis XVI rejoins donc le rang de citoyen français. Il prend le surnom de « citoyen Capet » dans le langage courant, en référence à Hugues Capet, fondateur de la dynastie des Capétiens. C’est de cette dynastie dont est issu celle des Bourbons dont Louis XVI est héritier. Il y a là une volonté affiché de rattacher la monarchie à un passé féodal et donc désuète. Ce même télescopage est effectué par Alexandre Dumas dans son roman. a mis le bonnet rouge ?
Je ne sais rien, mes amis ; mais continuez.
Le roi s’y est opposé, et les Suisses ont tiré sur le peuple.
Sur le peuple ? les Suisses ont tiré sur les Parisiens ?
Oh ! il n’y avait pas que des Parisiens, il y avait des Marseillais et des gardes françaises. Il paraît que c’est ceux-là qui ont fait le plus grand carnage ; on s’est battu dans la cour des Tuileries, dans le vestibule, dans les appartements, dans le jardin. Il y a eu sept cents Suisses[Par AmyTounkara] La garde rapproché des rois de France est formée par les Gardes Suisses depuis 1616. Ce régiment d’infanterie a un statut de mercenaire à la solde du roi, ce qui le garantit de leur fidélité. Lors de l’invasion du 10 aout 1792, la garde de Louis XVI est composé de trois à quatre mille gardes suisses et nationaux tués, et onze cents citoyens.
Oui, dit un autre, il paraît que c’était terrible ; comme c’est Saint-Antoine et Saint-Marceau[Par AmyTounkara] Ce sont deux quartiers populaires de Paris dont la population s’est montrée très active lors des journées révolutionnaires. L’une des journées les plus meurtrières d’ailleurs éclate au faubourg Saint-Antoine le 28 avril 1789, avec 300 morts. Elle a pour origine le soulèvement des ouvriers d’une fabrique de papiers peints du quartier. Considérés comme les foyer de la revolution à Paris, Michelet fait de Saint-Antoine et Saint-Marceau, les acteurs principaux de l’insurrection du 10 aout dans le récit qu’il en donne. qui ont principalement donné, on a remporté les morts par charretées ; au sang, on pouvait les suivre ; puis on les étendait de chaque côté de la rue, et chacun venait reconnaître les siens au milieu des pleurs et des sanglots.
Et le roi ? demanda Jacques Mérey.
Le roi s’est retiré à l’Assemblée nationale avec toute la famille royale, se mettant sous la protection de la nation. Mais l’Assemblée nationale a répondu qu’elle n’avait pas mission de décider d’une si grave question ; que cela regardait la Convention[Par AmyTounkara] À l’issu de la prise des Tuileries, la monarchie est abolie. Une assemblée constituante est mise en place en attendant de décider de l’avenir de la France. qui allait s’ouvrir[Par GaelleGuilissen] [Mais l'Assemblée nationale a répondu[...] que cela regardait la Convention qui allait s'ouvrir] "Mais l’Assemblée nationale a été envahie, on a demandé la déchéance. L’Assemblée nationale a répondu qu’elle n’avait pas mission de décider d’une si grave question ; que c’était à la Convention qui allait s’ouvrir". Puis on a décidé que le roi habiterait le Luxembourg.
Au moins, là, dit Jacques Mérey avec un sourire, s’il veut se sauver[Par AmyTounkara] Jacques Merey fait allusion à la tentative de fuite de la famille royal à Varennes le 20 juin 1791., il aura la facilité des catacombes.
C’est justement ce qu’a dit le procureur de la commune, le citoyen Manuel[Par AmyTounkara] Pierre Louis Manuel est un homme politique qui va s’illustrer lors de la Révolution française comme procureur de la Commune de Paris en décembre 1791 et député de la Convention en septembre 1792. Membre du club des Jacobins. Alors, on a décidé que le roi serait enfermé au Temple ; on l’y a conduit et il y est prisonnier.
Et où avez-vous vu tout cela ?
D’abord dans l’Ami du peuple[Par AmyTounkara] Journal fondée par Marat le 12 septembre 1789, sous le nom au départ du Publiciste parisien. Composé d’une dizaine de pages, le journal prend davantage la forme de pamphlet dans lesquels Marat se fait le porte-voix de la révolution. Il lui doit sa renommée car son journal bénéficie d’une large diffusion., du citoyen Marat ; puis l’adjoint du maire est revenu de Paris, et il était à l’Assemblée nationale pendant toute la journée du 10 août.
Et sait-on quelle résolution a prise l’Assemblée nationale ? demanda Jacques Mérey.
Aucune, relativement au roi ; elle veut faire face à l’ennemi avant tout.
Oui, c’est vrai, dit Jacques Mérey avec un sentiment de tristesse profonde, l’ennemi[Par AmyTounkara] L’ennemi désigne à la fois le Saint-Empire germanique, gouverné par le frère de Marie-Antoinette, à laquelle la France a déclarée la guerre le 20 avril 1792 et la Prusse qui marche sur les frontières françaises. est en France. Et qu’a décrété l’Assemblée vis-à-vis de l’ennemi ? car là est le véritable péril.
Elle a décrété que la patrie en danger serait proclamée, et que les enrôlements volontaires se feraient sur la place publique.
Et quelles nouvelles a-t-on de l’ennemi ?
Il est à Longwy et marche sur Verdun. Jacques Mérey poussa un soupir.
Mes amis, dit-il, dans des circonstances comme celles où nous nous trouvons, chacun doit sonder sa propre conscience et l’interroger sur ce qu’il a à faire. Certes, tout ce qui est jeune, tout ce qui peut porter un fusil, tout ce qui ne peut servir la France que les armes à la main doit prendre les armes. Mais, avant tout, nous avons une Assemblée nationale brave et fidèle, nous devons nous reposer sur elle avec confiance du salut de la patrie. Ce que je puis vous dire d’avance, ce qui est ma conviction, c’est que la France ne périra pas. La France, mes amis, c’est la nation élue par le Seigneur, puisqu’il a mis en elle le plus noble des sentiments que puisse contenir le cœur de l’homme, l’amour de la liberté. La France, c’est le phare qui éclaire le monde. Ce phare a été allumé par les plus grands hommes que le XVIIIe siècle ait produits : par les Voltaire, par les Diderot, par les Grimm, par les d’Alembert, par les Rousseau, par les Montesquieu, par les Helvétius. Dieu n’a pas fait naître tant et de si beaux génies pour que leur passage soit inutile et leur trace effacée. Le canon de la Prusse peut renverser les remparts de nos villes, il ne renversera pas l’Encyclopédie[Par AmyTounkara] Un ouvrage dirigée par Diderot et D’Alembert qui a pour ambition de compiler tous les savoirs dans tous les domaines de l’époque. Un total de 150 spécialistes de tous les horizons scientifiques sont mis à contribution parmi lesquels Voltaire, Montesquieu, Rousseau, Condillac, d'Holbach, Daubenton, Quesnay, Turgot ou Jaucourt. L’Encyclopédie est l’oeuvre représentative de l’idéal des Lumières, c’est-à-dire un désir de connaissances et de raison. . Restez bons Français et laissez à la Providence le soin de conduire les événements.
Mais enfin, s’écrièrent plusieurs voix, il faut cependant que quelqu’un nous guide. Nous ne vous demandons qu’un conseil, un conseil ne se refuse pas.
Mes bons amis, dit le docteur, si j’avais habité Paris pendant ces derniers temps, si j’étais de l’Assemblée nationale, si j’avais suivi de l’œil et de la pensée tout ce qui s’est passé depuis quatre ou cinq ans en France et à l’étranger, peut- être en effet pourrais-je vous guider dans ce que vous avez à faire, vous autres provinciaux, en ces terribles circonstances, où l’incurie, la mauvaise foi et la trahison de la royauté vous ont mis. Mais je ne suis qu’un pauvre médecin n’ayant plus aucune prétention à la vie publique, et priant[Par GaelleGuilissen] [et priant] "en priant" la Providence de ne pas me détourner de ma voie, et de me laisser au milieu de vous pour y faire le peu de bien auquel je suis appelé.
Mais vous, docteur, qu’allez-vous faire maintenant ? demanda la foule.
Ce que j’ai fait par le passé, c’est-à-dire continuer ma mission ici-bas, vous soutenir dans vos défaillances, vous guérir dans vos maladies. Ébloui par les rêves de ma jeunesse et par les folles illusions de l’espérance, j’ai cru d’abord que j’étais né pour les grandes choses et que ma place était marquée au milieu des cataclysmes que les révolutions allaient imposer à la société. Je me trompais. Comme Jacob, j’ai lutté avec l’ange[Par AmyTounkara] Référence à un épisode biblique dans la Genèse au cours duquel Jacob passe une nuit à lutter avec un ange. À l’issu de cette lutte, il obtient la bénédiction divine et le nom d’Israël, car il a combattu avec Dieu. Le désir de créer la vie, place Jacques Merey dans la même lignée du patriarche qui concurrence Dieu par sa force et qui finit par accepter sa place d’homme. , et je suis las de la lutte. J’ai pensé un instant que l’homme était le rival de Dieu, et, à l’instar de Dieu, pouvait créer. Dieu a eu pitié de mon néant ; il m’a pris comme un sculpteur sublime prend un apprenti, et il m’a donné à achever son œuvre ébauchée. Voilà tout ; il m’a payé mon travail sinon en orgueil, du moins en bonheur. Merci à Dieu !
Ces paroles parurent causer à la foule qui les écoutait, non seulement un grand étonnement, mais une profonde tristesse ; quelques-uns de ceux qui paraissaient les chefs du rassemblement échangèrent quelques paroles entre eux, puis ils firent signe que l’on ouvrît les rangs pour laisser passer le docteur.
Mais un d’eux, se plaçant sur son chemin comme un dernier obstacle :
Si vous ne savez pas ce que vous valez, monsieur Mérey, nous le savons, nous, et nous ne permettrons pas qu’un homme de votre science et de votre patriotisme reste étranger et perdu dans une petite ville comme la nôtre, lorsque vont se passer les événements les plus graves que les annales d’un peuple aient déroulés à la face du monde ; l’ennemi est en France ; l’ennemi est à Paris surtout ; la France a besoin de tous ses enfants, et il ne sera pas dit qu’un des plus dignes lui aura fait défaut[Par GaelleGuilissen] [et il ne sera pas dit qu'un des plus dignes lui aura fait défaut] "et il ne sera pas dit qu'un de ses plus dignes lui aura fait défaut". Allez maintenant, monsieur Jacques Mérey, demain vous aurez de nos nouvelles.
Et il livra passage au docteur[Par GaelleGuilissen] [Et il livra passage au docteur] "Et il livra le passage au docteur", qui rentra chez lui sans que personne songeât plus à l’arrêter.
Le docteur avait hâte de revoir Éva. Depuis la veille au soir, il l’avait quittée, et, étant parti avant le jour, n’avait pas voulu la réveiller.
Éva l’attendait sur la porte du jardin.
Tu venais au-devant de moi, mon cher amour ? lui dit Jacques Mérey.
Je vous sentais approcher ; puis tout à coup vous vous êtes arrêté, n’est-ce pas ?
Oh ! ce n’est pas moi qui me suis arrêté, c’est cette brave population qui me demandait des conseils sur ce qu’elle avait à faire. Je lui ai dit qu’elle avait à me laisser revenir bien vite près de mon Éva.
Eh bien, moi aussi, je me suis arrêtée où j’étais, car j’avais déjà fait quelques pas au- devant de vous.
Et quand ils ne se sont plus opposés à mon retour ?
Je me suis sentie enlevée de terre, et je suis accourue.
Viens, chère Éva ! lui dit-il en enveloppant sa taille flexible de son bras ; j’ai à causer avec toi de choses sérieuses.
Et il l’entraîna sous le berceau de tilleuls.
*
Tandis que le docteur causait de choses sérieuses avec Éva, c’est-à-dire s’assurait de son amour et lui affirmait le sien, la ville était dans une agitation croissante, que redoublaient encore les élections à la nouvelle Assemblée, c’est-à-dire à la Convention nationale.
Ces élections se faisaient à Châteauroux[Par AmyTounkara] Du 2 au 10 septembre 1792 des élections au suffrage universel masculin ont lieu pour élire les députés de la Convention nationale..
À Argenton, comme ailleurs, les deux partis étaient en présence :
Le parti du roi ;[Par GaelleGuilissen] [Le parti du roi ; ] Il y a ici un retour à la ligne dans le journal. Le parti du peuple.
Ceux qui s’adressaient à Jacques Mérey et qui lui demandaient ce qu’il y avait à faire, c’étaient ceux du parti populaire qui, le regardant à la fois[Par GaelleGuilissen] [à la fois] "non seulement" comme un savant médecin, comme un ami des pauvres, comme un homme désintéressé, pensaient que la réunion de ces qualités devait faire un bon citoyen, et se tenaient prêts à suivre ses conseils en tous points.
Mais Jacques Mérey, homme de conscience avant tout, absorbé qu’il était depuis six ou sept ans dans son œuvre, s’étant complètement détourné des affaires publiques, n’était plus assez au courant de la situation de la France pour donner un conseil dont il pût affirmer la valeur.
Puis Jacques Mérey était à cet âge où, quand l’homme aime, il aime avec toutes les puissances de son être ; sans autre amour que celui de la science à l’époque où, dans toute sa sève juvénile, il éparpille son amour dans toutes les femmes, il avait gardé concentré en lui-même cet amour qui s’allume à l’adolescence et qui brille de tout son éclat[Par GaelleGuilissen] [de tout son éclat] "dans tout son éclat" dans ce printemps de la vie aux limites duquel il allait arriver, lorsque, comme une fleur qui s’ouvre[Par GaelleGuilissen] [lorsque, comme une fleur qui s'ouvre] "lorsque sous les yeux comme une fleur qui s'ouvre", comme un fruit qui se colore, Éva, rose et pêche à la fois, avait commencé de s’ouvrir et de se colorer sous ses yeux ; d’abord elle avait absorbé tous ses regards, puis toutes ses pensées.[Par GaelleGuilissen][toutes ses pensées] Fin de la partie du chapitre publiée dans Le Siècle du 13 janvier.
Jacques avait cru faire œuvre de science en caressant sa création, – il avait fait œuvre d’amour ; – et, quand Joseph lui avait parlé de ces parents inconnus qui pouvaient réclamer Éva un jour, lorsqu’il lui avait montré cette pièce d’or dont l’autre morceau demeurait menaçant dans des mains étrangères, il avait en quelque sorte jeté un regard sur ce que serait sa vie sans Éva, et, prêt à jeter un cri de désespoir à l’aspect d’une si profonde solitude, d’un désert si aride, il avait pris sa tête entre ses mains[Par GaelleGuilissen] [entre ses mains] "entre ses deux mains", en murmurant ces deux mots, qui sortent au moment de la douleur du cœur des athées eux-mêmes : – Mon Dieu ! mon Dieu !
Et c’était au moment où il revenait tout frémissant encore de la grande émotion qu’il avait éprouvée, qu’on lui proposait, à lui, de mettre de côté cet amour qui était devenu toute sa vie, et de s’occuper de ce problème insoluble qu’on appelle le Progrès, de cette déesse toujours fugitive qu’on appelle la Liberté.
Avant de revoir Éva, peut-être eût-il pu hésiter. Mais, après l’avoir revue, c’était chose impossible.
Cette femme, à peine femme encore, n’était- elle pas tout à la fois sa fille et son amante ? On a vu des cœurs, qui ont besoin d’aimer, s’attacher dans la solitude à un insecte, à un oiseau, à une fleur ; à plus forte raison devait-il s’attacher d’un amour invincible à la femme qui n’eût pas existé sans lui. Il avait trouvé l’écrin vide. Il y avait mis tout un trésor de jeunesse, d’intelligence et de beauté. Maintenant, l’écrin était bien à lui[Par GaelleGuilissen] [Maintenant, l'écrin était bien à lui] "Non, maintenant l'écrin était bien à lui" et il pouvait sans crainte et sans remords l’appuyer sur son cœur.
Et c’est ce que faisait Jacques Mérey en jurant à Éva de ne jamais se séparer d’elle.
Au moment où le docteur faisait ce serment, on entendait les sons aigus de la trompette de Baptiste, lequel – la trompette détachée de sa bouche – annonçait à haute voix et officiellement, la prise des Tuileries par le peuple, l’arrestation du roi et son incarcération au Temple.