Corpus Le Docteur mysterieux

Tome 1 - Chapitre 25

Choisir un autre chapitre

chapitre précédent chapitre suivant

Télécharger le texte Editer le texte

Notes originales : Afficher tout Masquer tout


XXV [Par AudeHerbert] «La-croix-au-bois» : le texte propose deux orthographes différentes pour cette commune :"La croix-aux-bois" et "La-croix-au-bois" (aux pages 248 et 251, on relève ainsi les deux seules occurences du «au» au singulier). La Croix-aux-Bois est une commune française située dans le département des Ardennes, en région Grand Est. La commune est située au nord de la forêt d'Argonne. Le 14 septembre 1792, l’armée du duc de Brunswick est passée par un des défilés de l’Argonne avant d’affronter les armées françaises à la bataille de Valmy.La-croix-au-bois [Par GaelleGuilissen] Ce chapitre a été publié dans les numéros du Siècle du 2 et du 3 février 1870. Le titre est "La-Croix-aux-Bois" dans le feuilleton.

Deux heures après, toute l’armée était en marche et campait à quatre heures de Sedan.

Le lendemain, Dillon avait connaissance des avant-postes de Clerfayt[Par AudeHerbert] «Clerfayt» : Charles Joseph de Croix, comte de Clerfait, ou Clerfayt, est un Wallon né le 14 octobre 1733 au château de Bruille à Waudrez, Hainaut (Pays-Bas autrichiens) et mort le 21 juillet 1798 à Vienne (Autriche). Il fut feld-maréchal du Saint-Empire. Il prêta allégeance à la Monarchie de Habsbourg : lorsqu'en 1792 il fut mis à la tête d'un corps de 12 000 Impériaux pour attaquer la France de concert avec l'armée prussienne, placé sous les ordres du duc de Brunswick, il entra en Champagne, s'empara de Stenay, et fit une savante retraite après la bataille de Jemmapes., occupant les deux rives de la Meuse.

Une heure après, sous la conduite de Jacques Mérey, le général Miakinsky[Par AudeHerbert] "Miakinsky" : erreur sur le nom de ce général. attaquait avec quinze cents hommes les vingt-quatre mille Autrichiens de Clerfayt, qui, ainsi que l’avait prévu Dumouriez, se retirait et se renfermait dans son camp de Brouenne[Par GaelleGuilissen] [Brouenne] Le nom est écrit "Brouennes" dans le feuilleton..

Dillon passa devant le Chêne-Populeux[Par AudeHerbert] "le Chêne-Populeux" : Le Chesne est une ancienne commune française située dans le département des Ardennes en région Grand Est. Elle a été nommée Le Chesne-Pouilleux durant l'Ancien Régime, Le Chesne-la-Réunion durant la Convention. En septembre 1792, l'armée des Ardennes, conduite par Dumouriez, repousse les armées prussiennes, menées par Brunswick barrant les passages des défilés de l'Argonne (celui du Chesne est le plus septentrional), provoquant la bataille de Valmy (et la proclamation de la première République). C'est pendant la Révolution de 1789 que Le Chesne-Pouilleux est devenu Le Chêne-Populeux. (Revue des études anciennes, Société d’Édition "Les belles lettres", 1935, vol.37, p.64) C'est également une graphie en vogue au XIXe siècle. Le 7, le général Dubouquet occupa avec six mille hommes le passage du Chêne-Populeux. Il ne restait plus de libre que le passage beaucoup moins important de la Croix-aux-bois, situé entre le Chêne-Populeux et Grand-Pré. — (Adolphe Thiers, Histoire de la Révolution Française, 1815, vol.1, p.270) qui, nous l’avons dit, devait être occupé et défendu par le général Dubouquet, et continua sa marche entre la Meuse et l’Argonne, suivi par Dumouriez et ses quinze mille hommes.

Le surlendemain, Dumouriez était à Baffu ; là, il s’arrêtait pour occuper les défilés de la Croix-aux-Bois et de Grand-Pré.

Dillon continua audacieusement son chemin ; il fit garder la Chalade, en passant, par deux mille hommes, et arriva aux Islettes, où il trouva Galbaud avec quatre mille hommes.

Le général[Par GaelleGuilissen] [Le général] "Le colonel" était venu là de lui-même, et n’avait pas encore vu Fabre d’Églantine, qui courait après lui sur la route de Châlons.

C’est aux Islettes que Jaques Mérey fut d’une véritable utilité à Dillon ; il connaissait le pays, ravins et collines. Il indiqua au général, sur le haut de la montagne qui domine les Islettes, un emplacement admirable pour établir une batterie qui rendait ce passage inabordable et dont, après soixante-seize ans, on voit encore l’emplacement aujourd’hui.

Outre cette batterie, Dillon éleva d’excellents retranchements, fit des abatis d’arbres qui formèrent sur la route autant de barricades, et se rendit complètement maître des deux routes qui conduisent à Sainte-Menehould et de Sainte-Menehould[Par AudeHerbert] Sainte-Menehould : commune française, située à l'est du département de la Marne. Elle est la capitale de la région de l'Argonne, dont la forêt éponyme se situe en grande partie sur le territoire de la commune. Lors de la Révolution française, c'est dans cette ville qu'est reconnu Louis XVI, qui est ensuite poursuivi, notamment par Jean-Baptiste Drouet, et rattrapé à Varennes, non loin de là. à Châlons[Par AudeHerbert] Châlons : Châlons-en-Champagne, anciennement Châlons-sur-Marne est une commune française, préfecture du département de la Marne, en région Grand Est. Elle est devenue, sous l'Ancien Régime, la préfecture par la volonté des révolutionnaires d'effacer l'importance historique de Reims, ville des sacres. Le 21 juin 1791, la famille royale fuit Paris. Elle fait étape à Châlons...

Les travaux de Dumouriez à Grand-Pré étaient non moins formidables : l’armée était rangée sur des hauteurs s’élevant en amphithéâtre ; au pied de ces hauteurs étaient de vastes prairies que l’ennemi était forcé d’aborder à découvert.

Deux ponts étaient jetés sur l’Aire, deux avant-gardes défendaient ces deux ponts ; en cas d’attaque, elles se retiraient en les brûlant ; et, en supposant Dumouriez chassé de hauteur en hauteur, il descendait sur le versant opposé, trouvait l’Aisne qu’il mettait entre lui et les Prussiens en faisant sauter ces deux ponts.

Or, il était à peu près certain que l’ennemi échouerait dans ses attaques et que de ce poste élevé Dumouriez dominerait tranquillement la situation.

Le 8, on apprit que, la veille, Dubouquet, avec six mille hommes, avait occupé le passage du Chêne-Populeux ; le seul qui restât libre était donc celui de la Croix-aux-Bois, situé entre le Chêne-Populeux et le Grand-Pré. Dumouriez y alla de sa personne, fit rompre la route, abattre les arbres et y mit pour le défendre un colonel avec deux escadrons et deux bataillons.

Dès lors sa promesse était remplie ; l’Argonne, comme les Thermopyles, était gardée. Paris avait devant lui un retranchement que celui qui l’avait élevé regardait lui-même comme inexpugnable.[Par GaelleGuilissen] [celui qui l'avait regardé lui-même comme inexpugnable.] Fin de la partie du chapitre publiée dans Le Siècle du 2 février.

Le duc d’Orléans[Par AudeHerbert] "Le duc d'Orléans" : Louis-Philippe d’Orléans, duc de Chartres, puis duc d’Orléans (1785-1793), fils du précédent Louis-Philippe d'Orléans, son nom est changé en « Philippe Égalité » après 1792. Régicide, il est guillotiné par les révolutionnaires. avait tenu parole. Jour par jour, Dumouriez avait été instruit des massacres des prisons ; sous une apparente insouciance, ces hideux assassinats de madame de Lamballe[Par AudeHerbert] Les 2 et 3 septembre 1792, à l'instigation de meneurs comme Marat qui agitent la crainte des complots et celle, bien réelle, de l'invasion, des dizaines de sans-culottes envahissent les prisons parisiennes. À l'Abbaye, la Force, la Conciergerie, Bicêtre, ils massacrent les prisonniers prétendument contre-révolutionnaires. Au total un millier de victimes : aristocrates, prêtres réfractaires mais aussi droit commun et citoyens ordinaires. Parmi les victimes figure la princesse Marie-Thérèse de Lamballe, ancienne confidente de la reine, connue pour être aussi belle que vertueuse ! Elle avait été enfermée à la prison de la Force après avoir accompagné la famille royale à la prison du Temple. Son corps est mis en lambeaux par les émeutiers. Sa tête, plantée au bout d'une pique, est promenée sous la fenêtre de la cellule de la reine ! Avec ces massacres, la Révolution française entre dans sa phase la plus violente. à l’Abbaye[Par AudeHerbert] La prison de l’Abbaye est une ancienne prison française située à Paris qui fut en usage de 1522 à 1854. Ces origines qui remontent aux sources de l'histoire des rois de France confèrent une valeur symbolique particulière aux massacres qui y furent perpétrés en septembre 1792. Le 30 juin 1789, la prison fut envahie par la foule qui délivra les gardes-françaises emprisonnés pour avoir désobéi aux ordres et le 1er juillet, l'Assemblée députe vers le roi pour demander la grâce des soldats. Au commencement de la Révolution, la prison de l’Abbaye fut le théâtre de scènes affreuses et sanglantes. En septembre 1792, un grand nombre de détenus, parmi lesquels quelques ecclésiastiques y furent massacrés. , des enfants à Bicêtre, des femmes à la Salpêtrière[Par AudeHerbert] «des enfants à Bicêtre», «des femmes à la Salpêtrière» : Dumas reprend les écrits de Michelet à propos des «Massacres de Septembre» : Histoire de la Révolution, Michelet Livre VII. Chapitre VI. - Suite. - Le 3 et 4 septembre. http://www.mediterranee-antique.fr/Auteurs/Fichiers/MNO/Michelet/Revolution_Francaise/T4/T4_16.htm, lui soulevaient le cœur ; il notait les assassins sur le calepin des représailles, et se promettait, tout en souriant à ces horribles nouvelles, une affreuse vengeance si jamais il arrivait au pouvoir.

Le duc d’Orléans lui-même n’était pas resté impassible aux massacres. On avait porté la tête de madame de Lamballe sous ses fenêtres, sous prétexte qu’une amie de la reine devait être une ennemie du duc d’Orléans ; mais on l’avait forcé de saluer cette tête, mais on avait forcé madame de Buffon de la saluer. Elle s’était levée de table, et, pâle jusqu’à la lividité, à moitié morte, elle avait paru au balcon.

Le duc d’Orléans, qui payait un douaire à madame de Lamballe, écrivait à Dumouriez :« Ma fortune, à cette mort, s’est augmentée de 300 000 francs de rente, mais ma tête ne tient qu’à un fil.» Je vous envoie mes deux fils aînés, sauvez- les. »

Dès lors il n’y avait plus à balancer, il fallait les prendre. Le 10, le duc de Chartres[Par AudeHerbert] "Le duc de Chartres" : Louis-Philippe Ier, né le 6 octobre 1773 à Paris, mort en exil le 26 août 1850 à Claremont (Royaume-Uni), est le second et dernier souverain français à avoir régné sur la France avec le titre de « roi des Français », le premier étant Louis XVI. Il a porté successivement les titres de duc de Valois (1773-1785), duc de Chartres (1785-1793) et enfin celui de duc d’Orléans (1793-1830). Il devient roi des Français après la révolution de 1830, le duché d’Orléans fit retour à la Couronne. arriva de la Flandre française avec son régiment, dans lequel son frère, le duc de Montpensier[Par AudeHerbert] "Le duc de Montpensier" : Antoine-Philippe d’Orléans (1775 - 1807), duc de Montpensier, est un Prince du sang français membre de la maison capétienne d’Orléans. Fils cadet de Louis-Philippe d’Orléans (1747-1793). Le 12 mai 1788, Antoine-Philippe d'Orléans est baptisé, le même jour que son frère aîné Louis-Philippe, duc de Chartres puis duc d'Orléans (1793) et futur roi des Français. Leur parrain est le roi Louis XVI, leur marraine la reine Marie-Antoinette. Il est élevé avec son frère auquel une profonde affection le lie. Ils ne seront séparés que pendant la Terreur et les événements qui s'ensuivront, entre 1793 et 1797. En 1791, il est nommé sous-lieutenant dans le régiment de son frère, alors duc de Chartres, dit le « Général Égalité », en qualité d'aide de camp. Il est nommé adjudant général avant la bataille de Jemmapes, à laquelle il participe comme son frère. À Paris au moment du procès de Louis XVI, il tente, mais sans succès, de convaincre son père de ne pas voter la mort du roi. Il est arrêté en même temps que tous les Bourbons en avril 1793.Il meurt après avoir contracté la tuberculose. , servait comme lieutenant.

C’était à cette époque un beau et brave jeune homme de vingt ans à peine, ayant été élevé à la Jean-Jacques[Par AudeHerbert] «élevé à la Jean-Jacques» : Expression non référenciée dans le Littré, mais on la trouve dans d'autres oeuvres littéraires et notamment dans le Cours de littérature dramatique, volume 3 de Julien Louis Geoffroy et Etienne Gosse en 1819 qui mettent en opposition un enfant «élevé à la Jean Jacques» et «un enfant formé d'après les maximes ordinaires». Rousseau se fait le promoteur d'une pédagogie active,dont l'élève est l'acteur principal de son apprentissage. C'est une pédagogie concrète et utilitaire, l'enfant évolue par ses propres découvertes et expérimentations. C'est un apprentissage qui se développe sur l'herméneutique platonicienne et qui doit donc créer un besoin d'apprendre. Rousseau préfère l'expérience à l'apprentissage par la lecture et "l'apprentissage livresque", se basant sur la créativité qu'il faut stimuler chez l'élève. C'est enfin un type d'apprentissage qui pousse le degré de différenciation et d'individualisation au maximun. par [Par AudeHerbert] Genlis (Félicité Stéphanie Ducrest de Saint-Aubin, comtesse de). - Célèbre auteure. Nièce de Mme de Montesson, qui avait épousé secrètement le duc d'Orléans, elle entra par son crédit dans la maison de ce prince, et fut peu après chargée, avec le titre de gouverneur, de l'éducation de ses enfants (dont Louis-Philippe, le duc de Chartres et le duc de Montpensier et le comte de Beaujolais). Elle exerça bientôt sur le prince lui-même un grand ascendant; elle paraît même avoir puissamment contribué à lui faire prendre parti contre la cour. François Bessire et Martine Reid (dir.), Madame de Genlis, Littérature et éducation :"Madame de Genlis a expérimenté ses principes pédagogiques inspirés en partie de Fénelon et de Rousseau malgré les fortes critiques qu’elle émet contre ce dernier. En émigration, elle commence à vivre de sa plume. Sa notoriété et ses bons rapports avec Napoléon lui procurent ensuite le poste d’inspectrice des écoles de son arrondissement en 1812. À la Restauration, elle publie, reçoit et enseigne toujours. En 1825, elle fait paraître ses Mémoires, de son vivant comme elle le fait remarquer en tant qu’argument en faveur de leur crédibilité. " , extrêmement instruit, quoique son instruction fût plus étendue que profonde. Dans les quelques combats où il s’était trouvé, il avait fait preuve d’un rare courage.

Son frère n’était encore qu’un enfant, mais un enfant charmant, comme celui que j’ai connu et qui portait le même nom que lui.

Dumouriez les reçut à merveille, et dès ce jour une idée pointa dans son esprit.

Louis XVI était devenu impossible ; trop de fautes, et même de parjures, l’avaient rendu odieux à la nation. La République était imminente ; mais serait-elle durable ? Dumouriez ne le croyait pas. Le comte de Provence et le comte d’Artois, en s’exilant, avaient renoncé au trône de France. Il ne fallait que populariser, par deux ou trois victoires auxquelles il prendrait part, le nom du duc de Chartres, et, à un moment donné, le présenter à la France comme un moyen terme entre la république et la royauté.

Ce fut le rêve que fit et que caressa Dumouriez à partir de ce moment.

Avec le duc de Chartres et son frère, le corps que Dumouriez avait commandé dans les Flandres vint le rejoindre ; il était composé d’hommes très braves, très aguerris, très dévoués. S’il restait quelque doute sur Dumouriez, ce que les nouveaux venus racontèrent de leur général l’effaça[Par GaelleGuilissen] [l'effaça] "les effacèrent" (sic).

Puis Dumouriez, avec sa haute intelligence, comprenait que c’est surtout le moral du soldat qu’il faut soutenir. Il ordonna à la musique de jouer trois fois par jour. Il donna des bals sur l’herbe avec des illuminations sur les arbres, bals auxquels il attira toutes les jolies filles de Cernay, de Melzicourt, de Vienne-le-Château, de la Chalade, de Saint-Thomas, de Vienne-la-Ville et des Islettes. Les deux princes commencèrent leur étude de la popularité en faisant danser des paysannes. Les deux jeunes hussards les aidaient de leur mieux. Deux ou trois fois Dumouriez invita les officiers prussiens et autrichiens de Stenay, de Dun-sur-Meuse, de Charny et de Verdun à y venir : s’ils fussent venus, il leur eût fait visiter ses retranchements. Ils ne vinrent pas et il ne put se donner le plaisir de cette gasconnade.

Les souffrances cependant étaient à peu près les mêmes pour nos soldats que pour l’ennemi : la pluie cinq jours sur six ; on était obligé de sabler avec le gravier de la rivière l’endroit sur lequel on dansait ; mauvais vin, mauvaise bière ; mais il y avait dans l’air et dans la parole du chef la flamme du Midi ; en voyant le général gai, le soldat chantait ; en voyant le général manger son pain bis en riant, le soldat mangeait son pain noir en criant : « Vive la nation ! »

Un jour, il se passa une chose grave, et qui montra d’outre en outre l’esprit de cette armée[Par GaelleGuilissen] [l'esprit de cette armée] "l'esprit de toute cette armée" sur laquelle reposait le salut de la France.

Chaque jour, des détachements de volontaires arrivaient et étaient incorporés dans des régiments. Châlons, comme les autres villes, envoya son contingent ; mais Châlons s’était, au profit de la Révolution, débarrassé de ce qu’il avait de pis : c’était une tourbe de drôles, parmi lesquels se trouvaient une cinquantaine d’hommes qui, sur la circulaire de Marat, avaient septembrisé[Par AudeHerbert] "Septembrise est un néologisme contemporain des massacres de septembre signifiant tuer en masse. de leur mieux. Ils aboyèrent en criant : « Vive Marat ! la tête de Dumouriez ! la tête de l’aristocrate ! la tête du traître. » Ils croyaient rallier à eux les trois quarts de l’armée, ils se trouvèrent seuls. Puis, tandis qu’ils faisaient de leur mieux pour mettre la discorde parmi les patriotes, Dumouriez monta à cheval avec ses hussards. Les mutins virent d’un côté mettre quatre canons en batterie, de l’autre côté un escadron prêt à charger. Dumouriez ordonna à ses canonniers d’allumer les mèches, à ses hussards de tirer le sabre du fourreau ; il en fit autant qu’eux, et, s’approchant d’eux à la distance d’une trentaine de pas : – L’armée de Dumouriez, dit-il à haute voix, ne reçoit dans ses rangs que de bons patriotes et des gens honnêtes. Elle a en mépris les maratistes et en horreur les assassins. Il y a au milieu de vous des misérables qui vous poussent au crime. Chassez-les vous-mêmes de vos rangs ou j’ordonne à mes artilleurs de faire feu, et je sabre avec mes hussards ceux qui seront encore debout.» Donc, vous entendez, pas de maratistes, pas d’assassins, pas de bourreaux dans nos rangs. Chassez-les. Devenez bons, braves et grands comme ceux parmi lesquels vous avez l’honneur d’être admis !

Cinquante ou soixante hommes furent chassés. Ils disparurent comme s’ils s’étaient abîmés sous terre. Le reste rentra dans les rangs et prit l’esprit de l’armée, complètement pur des excès de l’intérieur.

Jusqu’au 10 septembre, le roi de Prusse resta à Verdun, répétant à qui voulait l’entendre qu’il venait pour rendre au roi la royauté, les églises aux prêtres, les propriétés aux propriétaires.

Ces mots, nous l’avons déjà dit, avaient fait dresser l’oreille au paysan. S’il ne s’était agi que de rendre l’église aux prêtres, le sentiment de la France, qui est profondément religieux, leur en eût de lui-même rouvert les portes, mais en rendant les églises aux prêtres, on rendait les biens au clergé[Par AudeHerbert] "on rendait les biens au Clergé" Le 10 octobre 1789, les biens du clergé sont nationalisés. Les états généraux ont été réunis par Louis XVI le 5 mai 1789 pour trouver une solution à la crise financière qui place le royaume au bord de la faillite. Les premières secousses révolutionnaires n'arrangent rien. Les impôts ne rentrent plus du tout et les épargnants refusent de continuer à prêter de l'argent au Trésor. « La banqueroute, la hideuse banqueroute est à nos portes ! » s'exclame Mirabeau en septembre 1789. C'est alors que le député Charles Maurice de Talleyrand, par ailleurs évêque d'Autun, propose à ses collègues de nationaliser les biens du clergé. Ces biens, constitués de propriétés agricoles et d'immeubles, sont très importants. On les évalue à 3 milliards de livres. En contrepartie, sur une suggestion de Mirabeau, l'État s'engage à prendre à sa charge l'entretien des ecclésiastiques, les frais du culte et aussi les très lourdes charges sociales et éducatives qui relevaient jusque-là de l'Église. La nationalisation des biens du clergé reçoit un accueil plutôt favorable des catholiques français et les paysans comptent bien en profiter pour arrondir leurs propriétés en se portant acquéreurs des domaines de l'Église. Sans s'en douter, les députés mettent le doigt dans un engrenage qui va diviser le pays et conduire la Révolution à sa perte. Dans l'immédiat, faute de pouvoir faire autrement, l'Assemblée nationale constituante laisse au clergé le soin de continuer à gérer ses domaines. Pour tirer concrètement parti de ces domaines sans attendre leur mise en vente, l'Assemblée décide de les mettre en gage (on dit aussi « assigner »). Par décret des 19 et 21 décembre 1789, elle émet des bons du Trésor pour un montant total de 400 millions de livres. En échange d'un prêt à l'État, les particuliers reçoivent un bon du même montant. Ce bon porte un intérêt de 5% qui correspond à la rémunération du prêt. Surtout, ce bon appelé « assignat » est gagé ou « assigné » sur les biens du clergé (désormais appelés biens nationaux). Autrement dit, son détenteur peut l'échanger à tout moment contre un bien national de même valeur (parcelle de terre...). De cette façon, les révolutionnaires gagnent sur les deux tableaux : en drainant l'épargne du public, ils comblent la dette de l'État ; en cédant les biens nationaux aux paysans aisés et aux bourgeois, ils s'assurent d'indéfectibles soutiens dans la population. Néanmoins, peu nombreux sont au début les Français qui font appel à cette possibilité... .

Or, on avait confisqué pour quatre milliards de biens aux couvents et aux ordres religieux, et par les ventes qui depuis janvier en avaient été la suite, ces propriétés avaient passé de la main morte à la vivante, des paresseux aux travailleurs, des abbés libertins, des chanoines ventrus, des évêques fastueux aux honnêtes laboureurs[Par GaelleGuilissen] [des évêques fastueux aux honnêtes laboureurs] On trouve ici un appel de note renvoyant à la note suivante : "Michelet, 4e vol., page 216". ; en huit mois, une France nouvelle s’était faite.

Le 10, cependant, les Prussiens se décidèrent à se mettre en mouvement ; ils sondèrent tous nos avant-postes, escarmouchèrent sur le front de tous nos détachements.

Sur plusieurs points, nos soldats étaient si désireux d’en arriver à une action décisive, qu’ils escaladèrent leurs retranchements et chargèrent à la baïonnette.

Le soir même, il y eut rapport chez le général. Jacques Mérey, qui n’avait aucune fonction fixe, s’était chargé d’inspecter tous les postes. Il revint de son inspection en disant que le passage de la Croix-aux-Bois n’était pas suffisamment gardé.

Mais, sur ce point, il ne se trouva malheureusement point d’accord avec le colonel qui y commandait. Le passage de la Croix-aux-Bois était le seul que les Prussiens n’eussent pas éprouvé. Le colonel prétendit qu’il leur était inconnu, et que non seulement il y avait assez d’hommes pour le garder, mais qu’il pouvait encore envoyer deux ou trois cents hommes au camp de Grand-Pré.

Jacques Mérey insista près de Dumouriez ; mais le colonel, qui tenait à prouver qu’il avait raison, envoya à la Chalade un bataillon et un escadron.

Il restait avec quelques centaines d’hommes.

La nuit suivante, tourmenté par ses pressentiments, Jacques Mérey monta à cheval et s’achemina vers le passage de la Croix-aux-Bois.

Mais peu à peu d’autres pensées que celles qui avaient déterminé son départ leur succédèrent dans son esprit, et il se mit à rêver comme il rêvait quand il était seul.

À Éva ;

À sa vie si vide depuis qu’elle semblait et même qu’elle était si agitée.

Oui, certes, Jacques Mérey était un excellent patriote ; oui, la France tenait dans son cœur la place qu’elle devait y tenir, mais elle n’y avait rien fait perdre à la toute-puissance du souvenir d’Éva.

Où était-elle ? que devenait-elle ? Ne lui avait-elle pas été arrachée avant que la création complète, non pas du corps, mais du cerveau, fût accomplie ?

Elle resterait belle, il y avait même à parier qu’elle embellirait encore ; mais son esprit serait-il assez soutenu par l’éducation pour conserver un sens moral qui pousse toujours son libre arbitre au bien ; sa mémoire serait-elle assez tenace pour continuer d’enfermer dans son cœur le souvenir de celui qui, après Dieu, l’avait faite ce qu’elle était ?– Oh ! murmurait Jacques, la clarté s’était faite dans son esprit, mais il y avait encore du trouble dans son âme...

Et il voyait peu à peu son image s’obscurcissant dans cette âme pour ainsi dire inachevée, jusqu’à ce qu’elle se confondit dans cette nuit du passé où flottent les rêves vains sortis par la porte d’ivoire[Par AudeHerbert] "la porte d'ivoire" : c'est la porte des songes trompeurs (empruntée par Énée pour quitter le monde souterrain dans l'Énéide de Virgile). Virgile qui, après la description de la descente aux enfers d’Enée rapporte que les rêves seront envoyés par les âmes des morts. Ceux qui racontent la vérité sortiront par une porte de corne, tandis que les rêves trompeurs emprunteront une porte d’ivoire. « IL y a deux portes du Sommeil : l’une est de corne, dit-on, par où les ombres réelles sortent facilement ; l’autre, brillante et d’ivoire éclatant ; mais par cette porte les Mânes n’envoient vers le monde d’en haut que des fantôm es illusoires. Anchise, tout en parlant ainsi, reconduit Énée et la Sibylle et les fait sortir par la porte d’ivoire. Le héros coupe au plus court vers sa flotte et retourne près de ses compagnons. Puis, sans s’éloigner des côtes, il gagne le port de Gaieté. Les proues jettent leurs ancres, et les poupes se dressent le long du rivage. » (Livre VI, toute fin). .

Jacques Mérey avait jeté la bride sur le cou de son cheval. Il n’était plus sur la limite de la forêt d’Argonne, il ne suivait plus les rives de l’Aisne, il n’allait plus surveiller le passage menacé de la Croix-aux-Bois. Il était à Argenton, dans la maison mystérieuse, sous l’arbre de la science ; il conduisait Éva dans la grotte où pour la première fois elle lui avait dit qu’elle l’aimait et où elle le lui redisait encore. Il revivait enfin sa vie heureuse[Par GaelleGuilissen] [Il revivait sa vie heureuse] "Il revivait enfin de sa vie heureuse", quand tout à coup il crut entendre le pétillement de la fusillade suivi du cri d’alarme[Par GaelleGuilissen] [suivi du cri d'alarme] "suivi du cri Alarme" !

D’un même mouvement, il se dressa sur ses étriers et son cheval hennit.

Toute la fantasmagorie du passé disparut alors comme dans une féerie. Pareil à un dormeur qu’un rêve avait transporté dans des jardins délicieux, sous un lumineux soleil, et qui se réveille la nuit dans un désert, au milieu des précipices, lui se réveilla dans un chemin boueux, dans une forêt sombre, trempé par une pluie fine et glacée, au milieu des éclairs de l’artillerie et de la fusillade qui illuminaient l’épaisseur du bois.

Jacques Mérey mit son cheval au galop, mais, en arrivant à la petite plaine de Longwée, il se trouva au milieu des fuyards.

Il devina tout, la Croix-aux-Bois avait été attaquée comme il l’avait prévu, la position était forcée par les Autrichiens et les émigrés commandés par le prince de Ligne.

Une espèce de bataillon carré s’était formé au commencement de la petite plaine. Jacques Mérey courut là où on résistait encore. Mais, comme il y arrivait[Par GaelleGuilissen] [Mais, comme il y arrivait] "Mais comme il arrivait", trois ou quatre cents cavaliers chargeaient le colonel français au milieu de ses quelques centaines d’hommes, avec lesquels il essayait de soutenir la retraite.

Jacques Mérey se jeta au milieu de la mêlée.

Le colonel luttait corps à corps avec deux des cavaliers, qui, par une charge de fond, avaient, au cri de « Vive le roi ! » rompu le carré. De ses deux coups de pistolets, Jacques les jeta à bas de leurs chevaux, mais à l’instant même il se trouva entouré ; il mit le sabre à la main ; puis, au milieu des ténèbres, para et porta quelques coups. La nuit était complètement sombre, on ne voyait qu’à la lueur des coups de pistolet. Deux ou trois coups échangés firent une de ces clartés éphémères ; mais à cette clarté Jacques crut reconnaître, sous l’uniforme gris et vert des émigrés, le seigneur de Chazelay. Il jeta un cri de rage, poussa son cheval sur lui ; mais au même instant il sentit son cheval faiblir des quatre pieds : une balle qui lui était destinée l’avait atteint à la tête au moment où il le faisait cabrer pour franchir l’obstacle. Il s’abîma entre les pieds des chevaux, resta un instant immobile, s’abritant au cadavre de l’animal mort ; puis, se relevant et se glissant par une éclaircie, il se trouva sous le dôme de la forêt, c’est-à-dire dans une profonde obscurité.

Il ne pouvait rien dans cette terrible échauffourée qui livrait un des passages à l’ennemi, mais il pouvait beaucoup s’il prévenait à temps Dumouriez de cette catastrophe. Il s’appuya au tronc d’un chêne, se tâta pour voir s’il n’avait rien de cassé ; puis s’orientant, il se rappela qu’un petit sentier conduisait de Longwée à Grand-Pré, et que ce sentier côtoyait une des sources de l’Aisne ; il écouta, entendit à quelques pas de lui le murmure d’un ruisseau, descendit une courte berge, trouva la source. Dès lors il était tranquille ; comme il avait trouvé le ruisseau il trouva le sentier, éloigné seulement d’une lieue et demie de Grand-Pré[Par AudeHerbert]https://www.google.fr/imgres?imgurl=http%3A%2F%2Fplaque.free.fr%2Fjpgs%2FFrance_Departements_Vuillemin_1843.jpg&imgrefurl=http%3A%2F%2Fplaque.free.fr%2Ff_rec7.html&docid=GdxDGmU5-frHBM&tbnid=y1LnIEg3YaoE7M%3A&vet=10ahUKEwi_3YX2lubTAhXEIcAKHTTADYwQMwgkKAMwAw..i&w=2200&h=1625&bih=708&biw=1517&q=france%201790%201815&ved=0ahUKEwi_3YX2lubTAhXEIcAKHTTADYwQMwgkKAMwAw&iact=mrc&uact=8 . Il y fut en trois quarts d’heure.

Deux heures du matin sonnaient au moment où, trempé tout à la fois de pluie et de sueur, couvert de boue et de sang, il frappait à la porte du général.

FIN DU TOME PREMIER


chapitre précédent chapitre suivant Editer le texte