XLIV L’agonie[Par GiorgiaFoti] [L'agonie] Selon Littré "agonie" dérive du grec "agonia" signifiant "combat", "angoisse", et désigne : l'"État dans lequel le malade lutte contre la mort. L'agonie n'a lieu que dans les maladies où la vie s'éteint par degrés". Littré en énumère ensuite les différentes étapes : "L'agonie est caractérisée par une altération profonde de la physionomie, l'aphonie, la sécheresse ou la lividité de la langue, des lèvres, le râle, la petitesse et l'intermittence du pouls, le froid des extrémités qui s'étend graduellement au tronc". Il semble d'ailleurs qu'elles structurent le chapitre. Nous pouvons aussi relier le terme "agonie" au grec "agôn" qui désignait l'assemblée ou, dans le cadre de la tragédie grecque, la scène qui donnait à voir et à entendre un débat entre deux personnages défendant chacun une thèse opposée. Dumas pense aussi à cette dimension spatiale, puisque la figure de l'agonisante est prise dans une véritable mise en scène avec pour lieu central "une chaise longue" sur laquelle Mme Danton est couchée, et autour de laquelle se donne à voir sinon une lutte, du moins plusieurs forces en tension. [Par GaelleGuilissen] Ce chapitre a été publié dans les numéros du Siècle du 20 et du 23 février 1870.
Pendant ce temps, Jacques Mérey, fidèle à la promesse qu’il avait faite à son ami, luttait contre le mal[Par GiorgiaFoti] [luttait contre le mal] Dans la mise en scène de l'agonie, la mort est à la fois mort chrétienne et mort laïque, puisque, au chevet de Mme Danton, se trouvent les figures du prêtre et du médecin. Néanmoins, le chapitre s'ouvre sur Jacques Mérey engagé dans une lutte contre le mal, terme ici dénué du sens religieux qu'on pourrait lui attribuer, pour désigner davantage un mal physique. La lutte religieuse entre le bien et le mal autour du lit de l'agonisante est retardée au profit d'une lutte profane, celle de la médecine contre la maladie, contre la mort. Rappelons le rôle particulier et croissant du médecin au XIXème siècle dans l'épreuve de l'agonie. Michel Vovelle, dans son ouvrage Histoire de la mort en Occident de 1300 à nos jours, au chapitre intitulé "La mort bourgeoise au XIXe siècle" note : "Aux siècles pour lesquels le prêtre était l'intermédiaire obligé du dernier passage commence à faire suite le temps du triomphe de la médecine". (Vovelle, 1983, p. 530) Il s'agit peut-être moins d'une lutte que d'une collaboration (Anne Carol, "Prêtres et médecins face à la mort et aux mourants en France, XIXe-moitié du XXe siècle", http://rives.revues.org/514). Jacques Mérey se placerait du côté du corps, quand le prêtre s'attacherait au salut de l'âme. Comme une forme de compromis symbolique, c'est Jacques Mérey qui, finalement, parvient à trouver, à la Convention, le prêtre qui saura apaiser la mourante, l'abbé Grégoire assermenté. de tout le pouvoir de la science.
En quittant Danton dans le cabinet d’un des secrétaires de la Convention, il avait laissé à celui-ci deux heures pour faire ses adieux à sa femme ; mais les adieux du terrible olympien[Par GiorgiaFoti] "olympien". Selon Littré, "adjectif pour qualifier ce qui appartient à l'Olympe, relatif aux dieux." C'est également un néologisme qui prend le sens de "majestueux, puissant". n’étaient pas de ceux que l’on fait à une femme mourante[Par GiorgiaFoti] "mais les adieux du terrible olympien n'étaient pas de ceux que l'on fait à une femme mourante". Dumas sous-entend certainement une relation sexuelle entre Danton et sa femme agonisante, ni tout à fait vivante, ni tout à fait morte. C'est un événement qui annonce l'adieu au corps mort de l'être aimé, la scène implicite de nécrophilie à la fin du chapitre XLV. .
Il trouva madame Danton souriante et brisée tout à la fois.
À cette époque, où les travaux chimiques du dix-neuvième siècle sur le sang n’étaient point faits encore et où l’on ignorait sa composition et ses éléments, la maladie dont madame Danton était atteinte n’était point ou était à peine connue sous le nom d’anémie[Par GiorgiaFoti] "anémie". Littré insiste sur la distinction que Dumas explicite également : cet état ne consiste pas « comme le mot l'indique, en une diminution absolue de la masse du sang, mais en un abaissement des globules de ce liquide ». Dumas insère dans la définition médicale un élément fictionnel, qui est aussi une croyance de l'époque aujourd'hui réfutée, une cause psychologique et non physiologique à l'anémie : « les chagrins et l'abattement moral » permettent d'entretenir le lien entre la mort de Mme Danton et les événements de la Révolution. Au XIXème siècle, anémie et chlorose se confondaient. Les textes littéraires du XIXème siècle multiplient les occurrences de la chlorose ou anémie pour définir un type féminin, caractérisé par une pâleur extrême, signe d'un trouble psychique ou sexuel. C'est d'ailleurs sous ce détail physique que Mme Danton est introduite dans l'oeuvre au chapitre XIX., mais sous le nom d’anévrisme[Par GiorgiaFoti] "anévrisme". Selon Littré, c'est une « Tumeur produite sur le trajet d'une artère par la dilatation des membranes (anévrysme vrai), et aussi tumeur formée par le sang épanché hors d'une artère (anévrysme faux) ». Dumas souligne sans doute la confusion possible entre "anémie" et "anévrisme" du fait de la paronymie, et non du fait des symptômes. , avec lequel on la confondait.
Toute excitation exagérée et persistante du système nerveux peut amener l’anémie, c’est-à- dire sinon l’absence du moins l’appauvrissement du sang ; mais ce sont surtout les chagrins et l’abattement moral prolongés qui ont ce résultat fatal ; alors les globules sanguins qui composent en partie le sang diminuent dans des proportions effrayantes, et des hémorragies se produisent par l’effet plus aqueux du sang.
On comprend parfaitement, le tempérament de madame Danton étant donné comme celui d’une femme calme, douce et religieuse, que les événements auxquels son mari avait pris part, que ceux bien plus encore dont il avait été le héros, eussent produit sur la santé de sa femme ce terrible changement.
Jacques Mérey l’avait déjà examinée avec la plus grande attention ; mais le docteur, au courant de la science, la dépassant quelquefois à force de travail et de génie, ne pouvait voir autre chose dans l’état de madame Danton que ce qu’y eût vu le plus habile médecin.
La malade était couchée sur une chaise longue ; elle avait le visage blême, les lèvres pâles, les joues décolorées. Il découvrit les bras et la poitrine : les bras et la poitrine avaient la teinte blafarde du visage. La langue et toutes les muqueuses participaient à cette pâleur.
Il lui prit le poignet ; le pouls était petit, insensible, intermittent ; parfois la chaleur de la peau était diminuée.
Madame Danton regarda tristement Jacques Mérey.
– Voulez-vous me dire ce que vous éprouvez ? lui demanda-t-il.
– Une grande difficulté de vivre, répondit la malade ; de l’essoufflement au moindre exercice.
– Des palpitations ?
– Oui, des étourdissements, des étouffements, des éblouissements, des tintements d’oreille.
– Y a-t-il longtemps que vous avez perdu du sang ?
– Ce matin, la valeur d’un verre à peu près.
– Par la bouche ou par le nez ?
– Par le nez.
– L’a-t-on mis de côté ?
– Oui, ma belle-mère a dû le mettre à part.
Jacques appela madame Danton la mère ; elle apporta le sang qu’elle avait conservé dans un plat creux.
La fibrine[Par GiorgiaFoti] "fibrine". Selon Littré, "terme de chimie organique. Substance organique blanche, insipide et inodore, naturellement liquide, mais pouvant se coaguler spontanément", et que l'on rencontre notamment dans le sang. était presque nulle, tout était tourné en sérosité[Par GiorgiaFoti] "sérosité". C'est la partie liquide du sang qui reste après la coagulation. .[Par GaelleGuilissen] [tout était tourné en sérosité.] Fin de la partie du chapitre publiée dans Le Siècle du 20 février.
Jacques prit un papier et une plume.
Puis il prescrivit une décoction de quinquina[Par GiorgiaFoti] "quinquina". Selon Littré, "nom collectif d'un grand nombre d'écorces médicinales". et une préparation martiale[Par GiorgiaFoti] "martiale". Qui contient du fer. , espèce d’opiat que l’on faisait avec de la limaille[Par GiorgiaFoti] "limaille". Selon Littré, "petites particules métalliques que la lime détache des métaux". de fer et du miel.
Madame Danton devait prendre trois petits verres à bordeaux de quinquina en décoction par jour, et toutes les heures manger une cuillerée à café de miel et de limaille.
Elle devait boire, chaque fois qu’elle aurait soif, une tisane amère.
Jacques prit congé de madame Danton.
Elle le suivit des yeux, et, lorsqu’il fut à la porte, comme il se retournait, leurs yeux se rencontrèrent.
– Vous voulez me demander quelque chose, dit Jacques, qui se rappela les confidences que Danton lui avait faites relativement aux tendances religieuses de sa femme.
– Oui, dit-elle.
Jacques se rapprocha de son lit.[Par GaelleGuilissen] [Jacques se rapprocha de son lit.] On trouve ici un retour à la ligne dans le journal. Elle lui prit la main et le regarda.
– Je suis femme, dit-elle, et fidèle à la croyance de nos pères, je ne voudrais pas mourir hors de l’Église. Promettez-moi de me dire quand il sera temps d’envoyer chercher un prêtre.
– Rien ne presse, madame, répondit Jacques.
– Il ne faudrait point par crainte de m’impressionner, continua madame Danton, m’exposer à ne pas remplir mes devoirs religieux. Je ferais une mauvaise mort[Par GiorgiaFoti] "une mauvaise mort". Il ne s'agit pas ici de la "male mort" qui désignerait une mort violente et subite par opposition à une mort naturelle et plus douce. Dans ce contexte, la "mauvaise mort" est l'inverse de la "belle mort", une représentation iconographique de la mort chrétienne, développée par ailleurs dans les traités des Artes moriendi, l'art de bien mourir. Philippe Ariès nous décrit alors l'agonie comme un combat entre les forces du bien et du mal : "Des êtres surnaturels ont envahi la chambre et se pressent au chevet du "gisant". D'un côté la Trinité, la Vierge, toute la cour céleste, et de l'autre Satan et l'armée des démons monstrueux (…) Mais Dieu n'apparaît plus avec les attributs du Juge. Il est plutôt arbitre ou témoin (…) Dieu et sa cour sont là pour constater comment le mourant se comportera au cours de l'épreuve qui lui est proposée avant son dernier soupir et qui va déterminer son sort dans l'éternité." (Ariès, 1975, p.36).. Et d’ailleurs, ajouta- t-elle, il me faut un peu de temps pour trouver un prêtre.
– Vous voulez un prêtre non assermenté ? demanda le docteur.
– Oui, fit-elle en baissant les yeux.
– Prenez garde, ces hommes-là sont des fanatiques qui ne comprennent point la parole de Dieu. Ils seront implacables.
– Pour moi ? n’ai-je pas toujours été bonne mère et chaste épouse ?
– Non, pour votre mari.
Elle resta pensive un instant.
– Je veux essayer d’abord d’un prêtre non assermenté[Par GiorgiaFoti] "un prêtre non assermenté". Un ecclésiastique n'ayant pas prêté serment à la Constitution civile du Clergé du 12 juillet 1790, qui impose notamment l'élection des évêques et clergés par tous les électeurs. Louis XVI approuve la Constitution le 22 juillet 1790, contre l'avis du pape Pie VI. Le 27 novembre 1790, l'Assemblée exige du clergé qu'il prête le « serment d'être fidèle à la nation, à la loi et au roi, et de maintenir de tout son pouvoir la constitution ». Une majorité du clergé s'y oppose et seuls 4 évêques prêtent serment. C'est la rupture entre assermentés et insermentés. , dit-elle ; s’il est trop sévère, vous m’en irez chercher un autre à votre choix.
Jacques s’inclina.
– Cette pensée de la confession vous tourmente-t-elle ? demanda Jacques.
– Oui, je l’avoue.
– Eh bien ! quand il sera temps, je préviendrai votre belle-mère et elle viendra avec le prêtre.
Madame Danton sourit, laissa retomber sa tête sur le dossier de la chaise longue, et poussa un soupir de satisfaction.
Pendant un jour ou deux, les remèdes du docteur opérèrent avec une certaine efficacité. Mais le troisième jour les symptômes fâcheux reprirent le dessus. La vue se troubla, des points noirs se dessinèrent sur les objets, la susceptibilité nerveuse devint extrême.
Jacques constata ces symptômes, ordonna les toniques[Par GiorgiaFoti] "toniques". Selon Littré, "Se dit des médicaments qui ont la faculté d'exciter lentement et par degrés insensibles l'action organique". les plus efficaces qu’il put trouver, mais, en quittant madame Danton, il dit à la belle- mère :
– Demain, allez chercher le prêtre.
Le lendemain, le docteur comptait n’aller voir la malade qu’à sa sortie de la séance, afin de lui laisser tout le temps d’accomplir ses devoirs religieux ; mais, vers les deux heures de l’après-midi[Par GaelleGuilissen] [vers les deux heures de l'après-midi] "vers deux heures de l'après-midi", Camille Desmoulins accourut, lui annonçant que madame Danton était au plus mal.
Il priait Jacques de tout quitter pour lui porter secours.
Le docteur fut étonné ; il connaissait les accidents habituels de la maladie, et ne croyait pas à la mort avant quatre ou cinq jours.
Il interrogea Camille, qui ne put rien lui dire autre chose, sinon que la belle-mère de madame Danton était accourue chez lui pour lui dire que sa fille était au plus mal.
Jacques prit une voiture et se fit conduire passage du Commerce ; les enfants et la belle- mère pleuraient ; madame Danton priait, les yeux fermés et les mains jointes.
Des larmes coulaient entre ses paupières fermées.
Il demanda ce qui s’était passé.[Par GaelleGuilissen] [Il demanda ce qui s'était passé.] On trouve ici un retour à la ligne dans le journal. La belle-mère secoua la tête.
– Le prêtre, oh ! le prêtre, murmura-t-elle.
– Il a refusé l’absolution ? demanda Jacques.
– Il l’a maudite.
– Pourquoi lui avez-vous dit chez qui il était ? Le nom des mourants n’est pas un péché, et le prêtre n’a pas besoin de le savoir.
– Oh ! je ne l’avais pas dit, répondit madame Danton la mère ; je m’étais rappelé votre recommandation. Mais, en entrant ici, il a vu le portrait de mon fils, par David[Par GiorgiaFoti] [le portrait de mon fils, par David]. Jacques-Louis David (1748-1825) est un peintre d'Histoire. Avec la Révolution, il abandonne les sujets antiques ou tirés de la mythologie pour se consacrer à l'Histoire contemporaine. On lui doit Le Serment du jeu de paume (1790-1794), La Mort de Marat (1793) ou encore Le Sacre de Napoléon (1806-1807). La mention du peintre par Dumas introduit l'Histoire dans la sphère intime, pour dire la perméabilité entre l'espace privé et l'espace historique. Dumas s'inspire directement de Michelet qui mentionne ce tableau : "J'ai sous les yeux un portrait de cette personnification terrible, trop cruellement fidèle de notre Révolution, un portrait qu'esquissa David, puis il le laissa, effrayé, découragé, se sentant peu capable encore de peindre un pareil objet. Un élève consciencieux reprit l'oeuvre, et simplement, lentement, servilement même, il peignit chaque détail, cheveu, poil à poil, creusant une à une les marques de la petite vérole, les crevasses, montagnes et vallées de ce visage bouleversé. (…) Ce qui épouvante le plus, c'est qu'il n'a pas d'yeux ; du moins on les voit à peine. Quoi ! Ce terrible aveugle sera guide des nations ?... Obscurité, vertige, fatalité, ignorance absolue de l'avenir, voilà ce qu'on lit ici. Et pourtant ce monstre est sublime." (Michelet, Histoire de la Révolution française, Livre IV, chapitre VI). Michelet situe la réalisation du portrait de Danton de son vivant, en 1790. Il répertorie deux autres portraits de Danton par David, "fait à la plume, dans une séance de nuit de la Convention" qui "donne Danton après, Danton à la fin de 93". Enfin, entre ces deux dessins, Michelet mentionne deux autres croquis où l'on voit Danton de profil. Dans Le Docteur mystérieux, la femme de Danton agonise entre le 3 et le 7 mars 1793. On peut en déduire que Dumas se réfère au premier portrait mentionné et décrit en détails par Michelet (https://www.google.fr/search?q=portrait+de+danton+david&client=safari&rls=en&source=lnms&tbm=isch&sa=X&ved=0ahUKEwjasc2wu9PTAhVTGhQKHUx0BaMQ_AUICigB&biw=1439&bih=746#imgrc=EiJUE3RRkFajNM:). . Il l’a reconnu, alors sa poitrine s’est gonflée de colère, ses yeux sont devenus sanglants, il a étendu la main vers la peinture.
» – Pourquoi avez-vous le portrait de ce réprouvé ici ? a-t-il demandé.
» Nous n’avons répondu ni l’une ni l’autre.
» – Tant que ce portrait sera ici, a-t-il dit en étendant le poing vers lui, Dieu n’y entrera pas !
» Alors Georges, l’aîné des fils de Danton, s’est avancé vers le prêtre et lui a dit :
» – Pourquoi montrez-vous le poing à papa ?
» – Cet homme est ton père ! s’est écrié le prêtre.
» – Mais oui, cet homme est mon père, a répondu l’enfant.
» – Arrière, reptile !
» – Monsieur ! a dit ma belle-fille en étendant les bras vers son enfant.
» – Ah ! vous êtes sa mère, ah ! vous êtes la femme de cet homme, ah ! vous avez vécu avec ce Satan, avec ce réprouvé, avec cet antéchrist, et vous espérez le pardon du Seigneur. Jamais ! jamais ! jamais ! mourez dans l’impénitence finale. Je vous maudis, et que ma malédiction tombe sur lui[Par GaelleGuilissen] [que ma malédiction tombe sur lui] Dans le journal, on lit : "que malédiction tombe sur lui" (sic)., sur vous et sur vos enfants, jusqu’à la troisième et la quatrième génération.
» Et il est sorti.
» Les enfants pleuraient, ma fille s’est évanouie. J’ai couru chez Camille et vous l’ai envoyé. Voilà l’histoire telle qu’elle s’est passée.
– Le misérable ! s’écria Jacques. Je l’avais prévu.
Puis, se tournant vers madame Danton, qui restait muette et immobile :
– Je vais vous en chercher un, moi, dit-il, et qui ne vous maudira pas.
Il sortit, remonta dans son fiacre, courut à la Convention et ramena l’évêque de Blois[Par GaelleGuilissen] "courut à la convention, et en ramena l'évêque de Blois", le digne Grégoire[Par GiorgiaFoti] "le digne Grégoire". Henri Grégoire (1750-1831) est un curé élu député du clergé aux États-Généraux. Présent au Jeu de Paume, il est aussi le premier à voter la Constitution civile du Clergé et à prêter serment. Évêque constitutionnel de Blois dès 1791, il fait prononcer le 20 septembre 1792 l'abolition de la royauté après la tentative de fuite de Louis XVI. Néanmoins, il refuse par le suite de voter la mort du roi. Il participe notamment à la promotion du décret qui abolit l'esclavage le 4 février 1794 et obtient, en février 1795, la proclamation de la liberté des cultes..
Celui-ci entra avec le sourire sur les lèvres et la bénédiction dans le cœur.
– Je ne vous ferai qu’une question, madame, lui dit-il.
Elle rouvrit ses yeux pleins de larmes, et, voyant le costume épiscopal de son visiteur :
– Laquelle, monseigneur ? demanda-t-elle.
– Aimez-vous votre mari ?
– Je l’adore, dit-elle.
– Eh bien ! répliqua l’évêque, vous avez dû souffrir au-delà des péchés que vous avez commis. Je vous absous.
Alors il s’assit près d’elle, lui parla de Dieu, de sa bonté infinie ; il alla chercher les fibres les plus secrètes du cœur de la mère et de l’épouse, et, comme il vit que[Par GaelleGuilissen] [comme il vit que] Dans le journal, on lit : "comme elle vit que" (sic)., rassurée sur elle, c’était pour le salut de son mari qu’elle tremblait, il lui montra Dieu créant dans sa science de l’avenir les hommes pour les époques où ils doivent vivre, et mesurant sa miséricorde aux missions terribles que les Titans révolutionnaires reçoivent de lui.
Il l’avait trouvée dans les larmes et rebelle à la mort. Il la quitta pleine d’espérance et tendant les bras à la grande consolatrice de tous les maux[Par GiorgiaFoti] "la consolatrice de tous les maux". La mort est ici désignée par une périphrase, explicitée par la suite avec le redoublement périphrastique "le terrible passage de l'éternité". Nous pouvons ainsi relever une opposition entre les termes "consolatrice" et "terrible". Il y a alors une tension entre le catholicisme qui pense la mort comme un passage orienté vers le salut de l'âme, et le matérialisme de Jacques Mérey pour qui la mort, si elle est "éternité", n'est pas l'éternité spirituelle de l'âme mais l'éternité du néant qui passe par la décomposition matérielle du corps. .
Jacques, dès lors, n’eut plus qu’à adoucir matériellement, autant qu’il était en son pouvoir, le terrible passage de l’éternité.
Le lendemain, la maladie avait fait de nouveaux progrès et les symptômes étaient plus graves. La vue se perdait tout à coup, et, pendant des intervalles qui allaient toujours s’augmentant, l’enflure des jambes gagnait le corps ; il y avait des syncopes[Par GiorgiaFoti] "syncopes". Selon Littré, "diminution subite et momentanée de l'action du coeur, avec interruption de la respiration, des sensations et des mouvements volontaires". pendant lesquelles on croyait que la malade allait succomber ; la parole devenait lente et inintelligible.
La journée du 4 au 5 se passa ainsi.
Les journées du 5 et du 6 ne furent qu’une longue agonie. De temps en temps, la malade rouvrait les yeux et les fixait sur le portrait de son mari, qu’elle voyait comme à travers un brouillard. Elle voulait parler, mais elle ne pouvait articuler qu’une espèce de souffle modulé dans lequel on croyait reconnaître le nom de baptême de son mari : Georges.
Enfin, vers le soir du 6, le coma s’empara d’elle ; vers minuit, elle fit quelques mouvements produits par une convulsion ; enfin, entre minuit et une heure, elle prononça distinctement le mot :[Par GaelleGuilissen] [elle prononça distinctement le mot :] Il n'y a pas de retour à la ligne ici dans le journal.
« Adieu ! » et expira[Par GiorgiaFoti] "expira". Antoinette Gabrielle Danton meurt véritablement à Paris, le 17 février 1793, en accouchant d'un quatrième fils qui décède également le même jour. .
Jacques Mérey alla à la pendule, et l’arrêta à minuit trente-sept minutes.
C’était juste l’heure à laquelle Danton avait affirmé qu’elle lui était apparue.
Jacques suivit de point en point les instructions de Danton ; il plongea le cadavre dans une dissolution concentrée de sublimé corrosif[Par GiorgiaFoti] "dissolution concentrée de sublimé corrosif". Solution de chlorure de mercure qui, au XIXème siècle, était notamment utilisée pour la conservation des cadavres laissés ainsi exposés à visage découvert selon le souhait des familles. , il le mit dans une bière de chêne s’ouvrant à l’aide d’une serrure, dont il garda la clef. Enfin, après toutes les cérémonies de l’Église, après une messe mortuaire, où officia l’évêque de Blois, le cadavre de la noble créature fut déposé dans un caveau provisoire du cimetière Montparnasse.
Celui qui la conduisit à sa dernière demeure ne se doutait pas que, dans ce même pays où il avait contribué à détruire la royauté et la superstition, sous le règne du fils de Philippe-Égalité[Par GiorgiaFoti] "sous le règne du fils de Philippe-Égalité". Voir les notes sur Philippe-Égalité et son fils Louis-Philippe Ier. , l’archevêque de Paris, M. de Quélen[Par GiorgiaFoti] "l'archevêque de Paris, M. de Quélen". Hyacinthe-Louis de Quélen (1778-1839) est le cent vingt-cinquième archevêque de Paris. Sous la monarchie de Juillet, il est suspecté par Louis-Philippe Ier d'être favorable au rétablissement de la royauté capétienne et se fait aussi remarquer en 1831 pour son intransigeance vis-à-vis de l'abbé Grégoire. Alors que ce dernier avait refusé de renoncer au serment prêté à la Constitution civile du Clergé en 1791, l'archevêque de Paris lui refuse les derniers sacrements et les funérailles religieuses. Néanmoins, l'abbé Guillon célèbre la messe dans l'église de l'Abbaye-aux-Bois et une foule de citoyens se rassemblent autour de La Fayette pour conduire le corps de l'abbé Grégoire au cimetière du Montparnasse., refuserait une messe à son cadavre, et qu’il serait porté à sa dernière demeure sans prières et sans prêtre, au milieu du concours vengeur de vingt mille citoyens.