Corpus Le Docteur mysterieux

Tome 2 - Chapitre 50

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L Trahison de Dumouriez[Par GaelleGuilissen] Ce chapitre a été publié dans les numéros du Siècle du 2 et du 4 mars 1870.

Robespierre avait dit dans la fameuse séance de la Convention que nous avons essayé de mettre sous les yeux du lecteur :

Je ne réponds pas de Dumouriez, mais j’ai confiance en lui.

Si nous revenons encore à Dumouriez, c’est que le sort des girondins était lié à son sort, et que le sort de notre héros, Jacques Mérey, était lié au sort des girondins.

Certes nous eussions pu passer plus rapidement que nous ne l’avons fait sur ces époques terribles. Mais quel est l’homme de cœur, le vrai patriote qui, penché, la plume à la main, sur ces deux années 92 et 93, sur ces deux abîmes, ne sera pas pris du vertige de raconter ?

Peut-être eût-il mieux valu pour l’intérêt de notre livre, en rapprocher les deux parties romanesques, et n’écrire entre elles deux que ces mots :

« Jacques Mérey, nommé député à la Convention nationale, y adopta le parti des girondins, et, vaincu comme eux, fut proscrit avec eux. »

Mais, plus nous avançons en âge, plus nous marchons sur ce terrain mouvant de l’art et de la politique, plus nous sommes convaincus que, dans des jours de lutte comme ceux où nous sommes, et tant que le grand principe proclamé par nos pères ne sera pas la religion du monde nouveau, chacun doit apporter sa part de réhabilitation à ces hommes trop calomniés par les idylles royalistes, par ce miel de belladone et d’aconit, doux aux lèvres, mortel à l’intelligence et au cœur.

Revenons donc à Dumouriez, et, une fois de plus, lavons la Montagne, dans la personne de Danton, et la Gironde, dans celle de Guadet et de Gensonné, de toute complicité avec ce traître, qui n’eut pas même le prétexte de l’ingratitude du pays pour servir d’excuse à sa trahison.

Cette trahison, il l’avait déjà dans le cœur en quittant Paris au mois de janvier ; il s’était engagé vis-à-vis de la coalition à sauver le roi, et la tête du roi était tombée.

Pour prouver qu’il n’était point complice du meurtre royal, Dumouriez n’avait d’autre ressource que de livrer la France.

Et, en effet, il était mal avec tous les partis :

Mal avec les jacobins, qui, avec raison, le tenaient pour royaliste ou tout au moins pour orléaniste ;

Mal avec les royalistes pour avoir deux fois sauvé la France de l’invasion, l’une à Valmy, l’autre à Jemmapes ;

Mal avec Danton, qui voulait la réunion des Pays-Bas à la France, tandis que lui voulait l’indépendance de la Belgique. ;

Mal enfin avec les girondins, qui, tandis qu’il négociait avec l’Angleterre, avaient fait brutalement déclarer la guerre à l’Angleterre.

L’armée seule était pour lui.

Mais voilà que trois jours après celui où Robespierre, sans répondre de Dumouriez, avait affirmé sa confiance en lui, voilà qu’une lettre de Dumouriez arrive au président de la Convention, au girondin Gensonné.

C’était le pendant du manifeste de La Fayette.

Une séparation complète de principes, une menace à la Convention, un plan de politique complètement opposé à la sienne.

BarrièreBarrère voulait communiquer la lettre à l’instant même à la Convention, demander l’arrestation et l’accusation de Dumouriez. Mais un homme s’opposa à cette double proposition.

Le tribun, dans sa double force physique et morale, ne s’inquiétait jamais du mal qui pouvait résulter pour lui d’une adhésion ou d’une proposition faite par lui. Jusqu’au jour où il fut contraint pour sa propre défense, et pour ne pas tomber avec eux, de se déclarer contre les girondins, il ne sortit jamais de ses lèvres une parole qui ne s’échappât de son cœur.

Il disait, puis de ce qu’il avait dit arrivait ce qu’il plaisait à Dieu.

Cette fois encore, sans s’inquiéter de la défaveur qui pourrait rejaillir sur lui de son opposition à cette proposition d’accuser et d’arrêter Dumouriez :

– Que faites-vous ? s’écria-t-il. Vous voulez décréter l’arrestation de cet homme ; mais savez- vous qu’il est l’idole de l’armée ? Vous n’avez pas vu comme moi, aux parades, les soldats fanatiques baiser ses mains, ses habits, ses bottes. Au moins faut-il attendre qu’il ait opéré la retraite. Qui la fera, et comment la fera-t-on sans lui ?

Puis, d’une seule phrase, il jeta un rayon de soleil sur cette étrange dualité que chacun dès lors put comprendre :

– Il a perdu la tête comme politique, mais non comme général.

Le comité en revint à l’avis de Danton.

Alors cette question fut naturellement posée :

– Que faut-il faire ?

– Envoyer, répondit Danton, une commission mixte au général, pour lui faire rétracter sa lettre.

– Mais qui s’exposera à aller attaquer le loup dans son fort ?

Danton échangea un regard avec Lacroix son collègue.

– Moi et Lacroix pour la Montagne si l’on veut, répondit Danton, pourvu que Gensonné et Guadet viennent avec nous pour la Gironde.

La proposition fut transmise à Gensonné et à Guadet, qui se trouvèrent bien assez compromis comme cela et qui refusèrent.

Danton s’offrit alors de partir seul avec Lacroix ; le comité, de son côté, s’engagea à garder la lettre jusqu’à son retour.

Et, en effet, au milieu de son armée, Dumouriez était impossible à arrêter. Tous ces hommes qu’il avait menés à la victoire, tous ces braves qui lui croyaient un cœur français et qui ignoraient sa trahison l’eussent défendu.

Les volontaires, sans doute, qui quittaient Paris, qui avaient entendu crier tout haut la trahison de Dumouriez, qui avaient eu un instant l’intention de venir sur les bancs même de la Convention égorger les girondins comme ses complices, ceux-là se fussent engagés à aller arrêter Dumouriez jusqu’en enfer. Mais les soldats l’eussent défendu, et la guerre civile se trouvait alors transportée de la France à l’armée.

Il fallait que les soldats français le vissent au milieu des Autrichiens, fraternisant avec eux, pour que les armes leur tombassent des mains, pour que la confiance leur échappât du cœur.

Mais, avant que le jour se fût fait sur cette âme douteuse, avant que Danton l’eût rejoint, Dumouriez avait été contraint par l’ennemi, qui avait cinquante mille hommes et qui lui en savait trente-cinq mille seulement, Dumouriez avait été contraint par l’ennemi d’accepter la bataille.

La bataille fut une défaite. Elle s’appela Nerwinde, du nom du village où avait eu lieu l’action la plus meurtrière. Pris et repris trois fois, et la troisième fois par les Autrichiens, Nerwinde était un charnier de chair humaine, des rues duquel il fallut enlever quinze cents morts.

La disposition du terrain avait beaucoup de ressemblance avec celui de Jemmapes.

Le plan fut le même.

Miranda, un vieux général espagnol, calomnié par Dumouriez, devenu Français par amour de la liberté et qui devait redevenir Espagnol pour aider Bolivar à fonder les républiques de l’Amérique du Sud, Miranda commandait la gauche.

C’était la position de Dampierre à Jemmapes.[Par GaelleGuilissen] [C'était la position de Dampierre à Jemmapes.] On trouve ici un retour à la ligne dans le journal. Le duc de Chartres, comme à Jemmapes, commandait le centre.

Le général Valence, le gendre de Sillery- Genlis, commandait la droite.

De même qu’à Jemmapes on avait laissé écraser Dampierre jusqu’à ce que le moment fût venu de faire donner le duc de Chartres pour décider le succès de la bataille, de même, à Nerwinde, on devait laisser écraser Miranda jusqu’à ce que Valence, vainqueur à droite, et le duc de Chartres, vainqueur au centre, revinssent délivrer Miranda.

Mais le hasard fit que, dans l’armée que Dumouriez avait en face de lui, il y avait aussi un prince.

C’était le prince Charles, fils de l’empereur Léopold, qui, lui aussi, faisait ses premières armes et à la popularité duquel il fallait une victoire.

La supériorité du nombre la lui assura.

Miranda, qui, dans le plan de bataille, devait occuper Leave et Osmaël, en était maître vers midi. Mais c’est alors que Cobourg, pour ménager une victoire au prince Charles, avait poussé contre Miranda colonnes sur colonnes.

La plus forte partie du corps français commandé par le général espagnol se composait de volontaires qui, voyant ces masses profondes marcher vers eux, se débandèrent, entraînant le général jusqu’à Tirlemont, malgré ses efforts surhumains pour les arrêter.

Dumouriez, vers midi, avait eu l’annonce de la victoire de Miranda, mais il n’avait eu aucune nouvelle de sa défaite. Le bruit que faisait son propre canon l’empêchait de calculer le progrès ou le décroissement du canon des autres.

Enfin, la journée finie, chassé de Nerwinde, n’ayant plus que quinze mille hommes autour de lui, il comptait s’appuyer aux sept ou huit mille hommes de Miranda.

Mais, des sept ou huit mille hommes de Miranda, il ne restait plus que quelques centaines de fuyards.

Dumouriez apprend la défaite de son lieutenant au moment où, croyant la journée finie, il venait de mettre pied à terre. Il remonte à cheval, et, accompagné de ses deux officiers d’ordonnance, mesdemoiselles de Fernig, suivi de quelques domestiques seulement, part au galop, échappe par miracle aux uhlans qui battent la campagne, arrive à minuit à Tirlemont ; il y trouve Miranda presque seul, épuisé des efforts qu’il a faits.

C’est de Tirlemont qu’il donne des ordres pour la retraite.

Dès le lendemain, Dumouriez opérait cette retraite, et Cobourg avoue lui-même dans son bulletin, justifiant le mot de Danton, que si Dumouriez avait perdu la tête comme politique, il ne l’avait pas perdue comme général, que cette retraite fut un chef-d’œuvre de stratégie.

Mais il n’en est pas moins vrai[Par GaelleGuilissen] [il n'en est pas moins vrai] "il n'en était pas moins vrai" que Dumouriez avait perdu son prestige ; le général heureux avait été vaincu.

À partir de Bruxelles, Danton et Lacroix avaient trouvé la route pleine de fugitifs. D’après ces fugitifs, il n’y avait plus d’armée et l’ennemi pourrait marcher jusqu’à Paris sans obstacle.

De pareilles nouvelles faisaient hausser les épaules à Danton.

Les deux commissaires arrivèrent à Louvain.

On leur annonça que l’armée impériale ayant attaqué les deux villages d’Op et de Neervoelpe[Par GaelleGuilissen] Aujourd'hui, on écrit Neervelp., le général avait couru lui-même au canon.

Les commissaires prirent des chevaux de poste, et, dirigés eux-mêmes par le bruit de l’artillerie, ils parvinrent au cœur de la bataille, et là, trouvèrent Dumouriez qui repoussait de son mieux l’ennemi.

En les apercevant, le général fit un geste d’impatience.

Ils étaient parvenus à l’endroit le plus dangereux, et les balles et les boulets s’abattaient autour d’eux comme grêle.

– Que venez-vous faire ici ? leur cria Dumouriez.

– Nous venons vous demander compte de votre conduite, répondirent Danton et Lacroix.

– Eh, pardieu ! dit Dumouriez, ma conduite, la voilà !

Et, tirant son sabre, il se mit à la tête d’un régiment de hussards, chargea à fond et s’empara de deux pièces d’artillerie qui l’incommodaient fort.[Par GaelleGuilissen] [et s'empara de deux pièces d'artillerie qui l'incommodaient fort.] Fin de la partie du chapitre publiée dans Le Siècle du 2 mars.

Danton et Lacroix étaient restés impassibles.[Par GaelleGuilissen] [Danton et Lacroix étaient restés impassibles.] On trouve ici un retour à la ligne dans le journal. En revenant, Dumouriez les trouva.

– Que faites-vous là ? dit-il.

– Nous vous attendons, répondit Danton.

– Ce n’est pas ici votre place, répondit le général ; si l’un de vous était tué ou blessé, ce ne serait pas l’ennemi qu’on accuserait, ce serait moi. Allez m’attendre à Louvain ; j’y serai ce soir.

Il y avait du vrai dans ce que disait Dumouriez ; aussi les deux commissaires revinrent-ils au pas de leurs chevaux, ne voulant pas en presser l’allure de peur qu’on ne crût qu’ils fuyaient.

Dumouriez fut fidèle au rendez-vous.

On comprend que, dès les premiers mots, la conversation prit un ton d’aigreur qui n’était pas propre à avancer la réconciliation du général avec la Montagne.

Les deux opinions étaient tellement éloignées l’une de l’autre, celle de Danton voulant à tout prix garder la Belgique et lui faire accepter nos assignats, et celle de Dumouriez, au contraire, voulant que la Belgique restât libre, qu’il n’y avait pas moyen de s’entendre.

La soirée se passa en récriminations mutuelles. Dumouriez se refusa absolument à désavouer sa lettre ; tout ce qu’il fit fut d’écrire ces quelques mots :

« Le général Dumouriez prie la Convention de ne rien préjuger sur sa lettre du 12 mars avant qu’il ait eu le temps de lui en envoyer l’explication. »

Les députés partirent vers minuit avec cette lettre insignifiante.

Le lendemain, il y eut une nouvelle attaque de l’armée impériale ; Blierbeck fut attaqué et pris par une colonne de grenadiers hongrois.

Mais elle fut aussitôt chassée, avec perte de plus de la moitié des hommes, par le régiment d’Auvergne, commandé par le colonel Dumas, qui lui prit deux pièces de canon.

Trois attaques successives eurent lieu et furent repoussées. Les Autrichiens, très maltraités, se retirèrent de quelques lieues en arrière.

Mais, dès le matin de la nuit où les commissaires étaient partis, Dumouriez, qui désormais n’avait plus la crainte d’être dérangé dans ses négociations, envoya le colonel Montjoye au quartier général du prince Cobourg.

Il était chargé d’y voir le colonel Mack, chef de l’état-major de l’armée impériale.

Le prétexte était, comme toujours, une suspension d’armes, la nécessité d’échanger les prisonniers et d’enterrer les morts.

Mack laissa entendre qu’il serait heureux de conférer directement avec le général français.

Le lendemain de cette ouverture, le colonel Montjoye retournait au quartier général et invitait, de la part du général Dumouriez, le colonel Mack à venir le même jour à Louvain.

En parlant du colonel, Dumouriez dit dans ses Mémoires : « Officier d’un rare mérite. »

À cette époque, en effet, telle était la réputation de Mack.

C’était un homme de quarante et un ans, d’une famille pauvre née en Franconie, entré au service de l’Autriche dans un régiment de dragons, et qui avait passé par tous les grades avant d’arriver à celui de colonel.

Il avait fait la guerre de sept ans sous le comte de Lacy, et la guerre de Turquie sous le feld- maréchal Landon.

En 92, il avait été envoyé au prince Cobourg, qui lui avait donné le poste de chef d’état-major. N’ayant encore éprouvé à cette époque aucun des désastres qui l’illustrèrent depuis si tristement, il avait la réputation d’un des officiers les plus distingués de l’armée autrichienne.

Voici ce qui fut ostensiblement conclu avec lui :

1° Qu’il y aurait armistice tacite ;

Que, d’après cet armistice tacite, les Français se retireraient sur Bruxelles lentement, en bon ordre et sans être inquiétés.

2° Que les impériaux ne feraient plus de grandes attaques et que le général, de son côté, ne chercherait pas à livrer bataille.

3° Que l’on se reverrait après l’évacuation de Bruxelles pour convenir des faits ultérieurs.

Tout ce qui fut dit en dehors de ces trois conventions resta complètement inconnu à la France.

Ces conventions furent scrupuleusement tenues de part et d’autre.

Le 25, l’armée traversa Bruxelles dans le plus grand ordre et se retira sur Hal[Par GaelleGuilissen] [Hal] Le nom de la ville est écrit "Hall" dans le journal. Apparemment, on peut trouver les deux orthographes..


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