Corpus Causes secretes de la Revolution

Division 4 : Vilate est nommé juré au tribunal révolutionnaire

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Mon bonheur imaginaire est bientôt troublé ; le comité de salut public me place sur la liste des jurés du tribunal révolutionnaire. Cette fonction redoutable me semblait exiger la maturité de l’âge, et l’expérience des affaires politiques ; de plus, elle n’était ni dans mes affections de sensibilité naturelle, ni dans mes goûts de travail. A qui devais-je cette place ? Ce n’était point à Robespierre ; il ne me connaissait pas ; je ne l’avais vu qu’indifféremment aux jacobins ; il était absent du comité quand je fis mon rapport. Couthon ne m’avait pas revu. Hérault-Séchelles était incapable d’abuser de l’inexpérience d’un jeune homme. Je crus que c’était un présent de Barère ; j’allai le trouver au comité pour lui confier ma peine. En passant dans les galeries, j’avais acheté la tragédie de Mahomet ; je la tenais roulée dans la main. Barère était seul : il s’apprêtait à composer une carmagnole (1). Je commençai à entrer en matière : il aperçoit la brochure : il me demande si c’est là quelque chose de ma façonLe mot façon ne s'ignifie pas la même chose qu'ajourd'hui. Barère lui demande ici si la brochure a été réalisée par lui-même. : il l’ouvre et me la rend ; puis, sans presque d’interruption, il m’exhorte à vaincre mes répugnances. Une idée forte semble lui passer par la tète : il m’arrache Mahomet, l’ouvre, et déclame à voix basse cette superbe tirade de l’imposteurDébut de la scène V du premier acte de Le Fanatisme, ou Mahomet, de Voltaire. La réplique est tronquée et ne contient ni son début ni sa fin. : Chaque peuple à son tour a brillé sur la terre Par les lois, par les arts, et surtout par la guerre. Le temps de l’Arabie est à la fin venu : Ce peuple généreux, trop longtemps inconnu, Laissait dans ses déserts ensevelir sa gloire. Voici les jours nouveaux marqués par la victoire : Vois du nord au midi l’univers désolé, La Perse encor sanglante et son trône ébranlé ; L’Inde esclave et timide, et l’Égypte abaissée ; Des murs de Constantin, la splendeur éclipsée ; Vois l’Empire romain tombant de toutes parts, Ce grand corps déchiré dont les membres épars Languissent dispersés, sans honneur et sans vie ; Sur ces débris du monde élevons l’Arabie. Il faut un nouveau culte, il faut de nouveaux fers, Il faut un nouveau dieu pour l’aveugle univers. En Égypte, Osiris ; Zoroastre, en Asie ; Chez les Crétois, Minos ; NumaMinos et Numa, rois mythiques auxquels les légendes lient une appartenance divine, respectivement de la Crète et de Rome. dans l’Italie,À des peuples sans mœurs. . . Donnèrent aisément d’insuffisantes lois. Je viens, après mille ans, changer ces lois grossières.

Il était facile de sentir l’allégorie. Je n’eus pas l’idée de lui faire la réponse de ZopireDans la pièce de Voltaire, Zopire répond à Mahomet qu'il «ravage le monde en prétendant l'instruire», qu'il souhaite «changer la face de la Terre à son gré» en l'éclairant de quelques «affreux flambeaux»..

(1) Barère appelait de ce nom ses rapports sur les victoires.

Robespierre paraît : Barère ferme la pièce avec embarras. Robespierre semble se rappeler d’avoir entrevu quelque part ma figure, il demande : quel est ce jeune homme ? Il est des nôtres, répond Barère : c’est Sempronius GracchusTiberius Sempronius Gracchus : homme politique romain, célèbre pour son engagement en faveur de la plèbe et pour sa défense de mesures révolutionnaires.. J’avais eu la folie révolutionnaire de cacher l’obscurité du nom de mes pères, sous l’éclat d’un nom illustre de l’histoire romaineVilate est gêné parce que Tiberius Gracchus était avec son frère l'instigateur de tentatives de réformes du système agraire romain. Au moment où il écrit son texte, Vilate prétend qu'il est opposé à de telles réformes.. Sempronius Gracchus, des nôtres ! dit Robespierre, vous n’avez donc pas lu le traité des officesRobespierre fait ici référence à De officiis, ou "Traité des devoirs", de Cicéron (44 avant J.-C.). Dans ce texte, Cicéron critique les projets de réformes des Gracques, Tiberius Gracchus et Caïus Gracchus. ? L’aristocrate Cicéron, afin de rendre odieux le projet des deux Gracques exalte les vertus du père, et traite les enfants de séditieux. . . . . . . Je me retire une minute après.

L’idée du système agraire, voilà l’étincelle rapide qui sortit de cette scène pour m’éclairer dans les ténèbres où je marchais. Alors Collot-d’HerboisJean-Marie Collot d'Herbois, né le 19 juin 1749 et mort le 8 juin 1796, était un comédien et dramaturge qui fut élu en 1792, député de la Convention où il appuya toutes les mesures de la terreur. Il est aussi membre du Comité du Salut Public de 1793 à 1794 et Président à la Convention en juillet 1794. Il contribue à la chute de Robespierre, mais est déporté en Guyane après l'insurrection du 12 Germinal le 1er avril 1795. jouait ses sanglantes tragédies à Lyon. Alors Billaud-VarennesJean-Nicolas Billaud-Varennes, né le 23 juillet 1756 et mort le 3 juin 1819, était l'un des grands orateurs du club des Jacobins au début de la révolution. Il est élu par Paris à la Convention avec les principaux chefs de la Montagne tels que Robespierre, Danton et Marat. exhalait à là tribune ses froides fureurs. Alors Couthon, par ses infirmités, adoucissait la dureté de ses discours. Alors on jouait sur tous les théâtres Robert, chef de brigandsRobert, chef des brigands est un drame de Jean-Henri Ferdinand de la Martelière mis en scène en 1793 et adapté d'une pièce du dramaturge allemand Schiller. Il fait controverse à cause de la présence de brigands sur scène et de l'éloge qui est fait de ces personnages, volontairement présentés comme de plus haute morale que les dirigeants de la société. Voir Philippe Bourdin, «Le brigand caché derrière les trétaux de la révolution. Traductions et trahisons d'auteurs», Anales historiques de la révolution française [En ligne], 364 - avril-juin 2011, mis en ligne le 01 juin 2014. URL : http://ahrf.revues.org/12020.. On chantait la guillotine en tous lieux ; le nom de sainte semblait atténuer son horreur.


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