Corpus Causes secretes de la Revolution

Division 6 : portraits de Robespierre et de Barère

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On conçoit que ce fameux dîner devait me procurer des facilités, par exemple, de voir chez eux Saint-Just, Robespierre, de leur parler dans les rencontres ; il facilita mes entrées au comité de salut public, à la convention, au sein même de ses membres. Les loges de plusieurs spectacles me furent ouvertes. Ces avantages, à leur tour, me firent rechercher, m’introduisirent dans les sociétés brillantes, et me donnèrent la connaissance des premiers artistes, de plusieurs représentants des plus distingués.

Robespierre avait dans ses mœurs une austérité sombre et constante, rapportant les événements à sa personne, donnant à son nom de Maximilien, une importance mystérieuse. Triste, soupçonneux, craintif, ne sortant qu’accompagné de deux ou trois sentinelles vigilantes ; l’entrée de son logement lugubre, n’aimant point à être regardé, fixant ses ennemis avec fureur, se promenant chaque jour deux heures, avec une marche précipitée ; vêtu, coiffé élégamment. La fille de son hôte passait pour sa femme, et avait une sorte d’empire sur lui. Sobre, laborieux, irascible, vindicatif, impérieux. Barère l’appelait le géant de la révolution : mon génie étonné, disait-il, tremble devant le sien.

Barère formait un contraste parfait avec Maximilien ; léger, ouvert, caressant, aimant la société, surtout celle des femmes ; recherchant le luxe, et sachant dépenser. Dans l’ancien régime, il avait désiré de passer pour gentilhomme. Le sobriquet de VieusacC'est celui de Bertrand Barère, qui se faisait appeler Barère de Vieuzac avant la Révolution. ne flattait pas peu son amour-propre. Varié comme le caméléon, changeant d’opinion comme de costume ; tour à tour feuillant, jacobin, aristocrate, royaliste, modéré, révolutionnaire ; cruel, atroce par faiblesse, intempérant par habitude, selon la difficulté de ses digestions, athée le soir, déiste le matin, né sans génie, sans vues politiques, effleurant tout ; ayant pour unique talent, une facilité prodigieuse de rédaction (1).

(1) Avait-il un sujet à traiter, il s’approchait de Robespierre, Hérault, Saint-Just, etc., escamotait à chacun ses idées, paraissait ensuite à la tribune ; tous étaient surpris de voir ressortir leurs pensées comme dans un miroir fidèle.

Barère avait à Clichi, une maison de plaisance, tout à la fois séjour des jeux de l’amour et repaire odieux où les VadierMarc Guillaume Alexis Vadier, né le 17 juillet 1736 et mort le 14 décembre 1828, était député aux États généraux en 1789 et siégeait avec les constitutionnels à l'Assemblée Constituante. C'est un Montagnard. Membre du Comité de sûreté générale à partir de septembre 1793, il prit position contre Robespierre. Après le 9 Thermidor, il est condamné à la déportation, mais parvient à se cacher., les VoulandJean Henri Voulland, né le 11 octobre 1751 et mort le 12 février 1801, était un homme politique français. Il fait partie des Montagnards qui votèrent la mort du roi. Il était membre de la Convention et du Comité de sûreté générale. inventaient avec lui les conspirations que la guillotine devait anéantir. Ils s’y rendaient deux fois par décade. L’enjouée Bonnefoi y accompagnait DupinAntoine Dupin, né vers 1758 et mort vers 1829, était un conventionnel. Il est lié avec les Montagnards mais cela ne l'empêche pas d'être parfois en accord avec les Girondins. Pour se soustraire aux soupçons d'incivisme, il fréquenta la société des Jacobins., aussi fameux dans sa coterie par sa cuisine de fermier général, qu’il l’est dans la révolution par son rapport sur les fermiers généraux. On connaît l’échange bizarre de Versailles entre le ci-devant duc de Liancourt, et je ne sais quel autre courtisan. Barère avait cédé cette virtuose à Dupin, et Dupin à Barère la Demahy, courtisane logée dans un superbe hôtel, rue de Richelieu. Ces deux belles, avec une autre plus belle et plus jeune, étaient les trois Grâces qui embellissaient de leurs attraits les charmilles délicieusesAllées couverte par une haie taillée en topiaire constituée de charmes, sous lesquelles on avait pour habitude à l'époque de se promener. à l’ombre desquelles les premiers législateurs du monde dressaient leurs listes de proscription. Un jour madame de Bonnefoi, fixa les regards de FayauJoseph-Pierre-Marie Fayau des Brétinières, né le 25 mars 1766 et mort lors du 8 Germinal an VII, soit le 28 mars 1796, était un député montagnard et révolutionnaire français., représentant du peuple, invité parfois à ces parties. J’ai su que la sensibilité inquiète du tendre Dupin, en avait été vivement alarmée. Le vieux Vadier se mêlait aussi des jeux perfides de l’amour : le laid Vulcain Vulcain, dans la mythologie romaine, est le dieu du feu, de la forge et des volcans. Il est connu pour avoir été si laid et difforme à la naissance que sa mère, Junon, honteuse, l'a jeté à la mer. Il était également le mari trompé de Vénus (déesse de l'amour). , dans l’Olympe, ne fut jamais davantage l’objet des sarcasmes et des railleries.

On se tromperait, si l’on croyait que j’allasse souvent à Clichi. Hélas ! retiré seul dans ma chambre, des réflexions cruelles avaient trop fait soupirer mon cœur, après les deux ou trois fois seulement que j’y étais alléVilate insiste sur l’aspect pathétique de sa désillusion : il est seul, isolé, en opposition avec ceux qu’il admirait autrefois. Plus loin il écrit : «Le moral trop affecté de tant de ravages, de tant de désastres, je tombai dangereusement malade».. J’avais vu avec joie, avec délices, la destruction de la cour honteuse de Louis XVI et de l’archiduchesse d’AutricheMarie-Antoinette. , source corrompue des maux affreux de toute la France, et je voyais renaître parmi les destructeurs de cette cour scandaleuse, les scènes nocturnes des jardins de Versailles et du petit TrianonLe petit Trianon désigne un château d'agrément situé à l'écart de Versailles ayant été offert par Louis XVI à sa femme en 1774..

A son retour de Clichi, le lendemain d’un quintidi ou d’une décadeDans le calendrier républicain, chaque mois est divisé en trois décades (comparables à nos actuelles semaines mais comportant 10 jours), et le quintidi est le cinquième jour de la décade. , Barère, à la première rencontre, me souhaitait ainsi le bonjour : nous avons taillé hier de l’ouvrage au tribunal, il ne chômera pas. Vouland, quelquefois à côté de lui, approuvait d’un petit sourire doucereux et perfide.

Tous les matins, l’antichambre de Barère était remplie de solliciteurs, avec des pétitions à la main, attendant l’heure de son heureux réveil. Il se présentait enveloppé de la robe d’un sybariteDésigne les habitants de « Sybaris », ville de la Grande Grèce dont les habitants sont réputés être le peuple le plus corrompu et le plus amolli de l’Antiquité. Par extension, désigne ceux qui sont mous, efféminés et corrompus par les plaisirs de la luxure. , recueillait, avec les manières et les grâces d’un ministre petit-maître, les placets qu’on lui présentait, commençant par les femmes, et distribuant des galanteries aux plus jolies. Il prodiguait les promesses et les protestations ; puis rentrant gaiement dans son cabinet, à l’exemple du honteux cardinal Dubois, il jetait au feu la poignée de papiers qu’il venait de recueillir. Voilà ma correspondance faite. J’ai vu cette horreur. . . . était-il le seul ?. . .


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