Corpus Causes secretes de la Revolution

Division 17 : Vilate en prison

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Je reprends mon entrée à la ForceLa Force était une prison qui servit à la ville de Paris entre 1780 et 1845. Dans les années 1770, les prisons européennes étaient connues pour l'insalubrité et la surpopulation qui y régnait. La Force se démarque alors, dès son ouverture, par sa modernité. John Howard, réformateur anglais qui visita la prison en 1783, déclara qu'elle était « fondée sur ce principe, qu'il est injuste que ceux qui peuvent être innocents, subissent d'avance le châtiment des coupables ».. On me place dans une chambre appelée les Tuileries (1). Sans doute l’arrivée d’un juré du tribunal révolutionnaire, était un événement pour les détenus. J’eus à essuyer d’abord quelques plaisanteries. On se convainquit qu’un juré était un homme comme un autre ; on découvrit même qu’il pouvait être susceptible d’affections humaines et sensiblesVilate siégeait au Tribunal révolutionnaire: juridiction, qui, en trois ans d'activité, a condamné plus de deux mille personnes à mort.. La lecture des papiers nous était interdite ; nous ne correspondions avec personne ; nous ignorions toutRéférence aux nombreux évènements qui se sont déroulés du 8 au 10 thermidor, participant à la chute de Robespierre.. J’eus occasion d’admirer la résignation, la sérénité de toutes ces malheureuses victimes. La gaieté ne perdait rien de ses petits jeux, de ses plaisirs. On était calme, on parlait de la République avec une sorte de respect religieuxVilate veut ici mettre en avant le fait que les victimes des révolutionnaires, les prisonniers, sont les plus fervents républicains. Il fait attention à se compter parmi eux pour montrer qu'il n'était pas avec Robespierre.. La promenade, très-resserrée, entourée d’arbres verts, offre à l’œil surpris, un arrangement de briques en forme d’autel, sur lequel sont plantés de jeunes arbustes, des fleurs, avec une figure placée au centre, et couronnée d’un myrte. C’est, me dit un détenu, l’autel élevé à la Liberté : elle s’est réfugiée sous les verrous et les portes grillées. Cette statue, faite par un prisonnier, avec la pierre d’une muraille et son couteau, est celle de l’immortel Rousseau, qui, né républicain, n’en disait pas moins que la liberté est achetée trop cher du prix du sang d’un innocent. Je l’avoue dans toute la sincérité de mon cœur ; je rends grâce à la Providence d’avoir été mis à la Force. Que d’exemples d’un dévouement sublime et d’une patience héroïque, m’ont fait verser des larmes d’amertume ! que de réflexions sur les choses, sont venues m’éclairer ! ô j’ai connu le malheur ! j’ai appris à le respecter, à l’honorer ; j’ai sondé les profondeurs de l’humanité.

(1) L’identité de ce nom avec celui de mon habitation antérieure[Par Elise Martin de la Briere] Pour remercier Vilate de ses rapports de mission, le Comité de salut public le loge aux Tuileries, dans le pavillon de Flore. donna lieu à de très fines railleries.

Le 9 thermidor, sur les quatre ou cinq heures après midi, on m’appelle. Le concierge m’annonce que je suis en liberté. La liberté ! A ce nom je tressaillis. On me propose d’écrire que je vais me rendre au lieu désigné. Je m’imagine que c’est une formule ; je fais ce qu’on exige, et je vais pour sortir. Le sentiment de quitter des hommes dont j’avais fait connaissance, des hommes dans l’adversité, qui m’ont inspiré l’estime ; le désir de leur être utile m’emporte vers eux ; je les embrasse, je leur promets de ne pas les oublier, et de tout faire pour les sauver. Je descends ; on me dit au second guichet qu’il y a contre-ordre. Bientôt le tocsin sonneLe 9 Thermidor, aux alentours de 17h, l'arrestation de Robespierre est rendue public. La Commune fait alors sonner le tocsin (sonnerie de cloches) pour rassembler et pousser les patriotes à l'insurrection. ; les détenus attendent froidement le résultat du grand mouvement qui semblait s’opérer. Un gendarme est jeté à la Force, il en sort une heure après. La fluctuation des esprits est extrême (1). Un moment avant de nous coucher un prisonnier s’écrie : nous sommes tous aujourd’hui âgés de quatre-vingts-ans. Des complices de Robespierre arrivent avec une force armée, délivrent des fers leurs affidésDu latin médiéval affidare qui signifie « jurer fidélité à ». Ici cet adjectif désignerait les complices emprisonnés de Robespierre. : on ne parle pas de moiVilate était pourtant un partisan de Robespierre et aurait dû être délivré par les complices de ce dernier. ; je reste avec les autres victimes. A deux heures après minuit, on nous apprend la victoire de la convention remportée sur Robespierre et la commune rebelle : tout le monde s’en réjouitLes détenus de la Force y avaient été envoyés par le Tribunal révolutionnaire, donc par le parti de Robespierre. La chute de celui-ci leur donne l'espoir d'être libéré. . Quand j’ai été arrêté, toute ma fortune se montait à 850 livres : en entrant dans la maison d’arrêt, on m’a fait déposer cette somme. Je suis sans finances comme sans vêtementsVilate souligne le fait qu'il est pauvre, qu'il est un homme du peuple républicain..

(1) On annonce que des chariots sont à la porte, que la septembrisationRéférence aux exécutions en masse qui ont eu lieu entre le 2 et le 5 Septembre 1792. va recommencer.


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