Corpus Causes secretes de la Revolution

Division 18 : réponses aux accusations

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Voilà la vérité des faits : je n’ai rien déguisé, je n’ai rien dissimulé, j’ai voulu dire la vérité tout entière ; je l’ai crue utile ; malheur à ceux qu’elle pourrait blesser. Jeune encore, je préfère à la vie, l’honneur, l’estime de mes concitoyens. Plutôt la mort que de rester encore plus longtemps sous le poids affreux des soupçons, de l’erreur, de la calomnie ; mais j’ai le sentiment de mon innocence. Je vais appeler la plus sévère attention sur toute ma conduite.

Suis-je coupable d’avoir accepté la place de juré au tribunal révolutionnaire ? je sais que ce titre inspire d’odieuses préventions. On m’a objecté cette réponse fameuse dans l’histoire de la LigueLa Ligue catholique fut le nom donné pendant les guerres de religion à un parti catholique ayant pour projet la défense de la religion catholique contre le protestantisme. Il s'agit d'un conflit entre familles de nobles (incluant notamment la maison Bourbon et la maison de Lorraine). de la part d’un magistrat de province à la cour de Charles IXCharles IX a régné de 1560 à 1574. En montant sur le trône, il hérita d'un royaume en pleine division religieuse, opposant catholiques et protestants. : Sire, j’ai trouvé parmi vos soldats de braves et fidèles, sujets, mais je n’ai pu y trouver d’assassins. Sans doute ce trait est beau, il est digne d’un fier républicain ; mais la révolution française est infiniment au-dessus des troubles ridicules arrivés entre les maisons de Bourbon et de Lorraine, sur le prétexte encore plus ridicule de quelques misérables points de superstition. Il n’y avait pas là le grand et majestueux intérêt de la puissance nationale, luttant contre tous les rois de l’Europe altérés de domination, et faisant décider, par la force des armes, qu’un peuple est le maître d’adopter le gouvernement dans lequel il a placé son bonheur et sa gloire. Sans doute le jeune citoyen, enthousiaste de la liberté, séduit par l’annonce éclatante d’une grande régénération a pu et dû accepter la fonction redoutable de contribuer à la punition des ennemis de la patrie et de l’humanité. Telle était l’opinion générale sous laquelle on envisageait l’érection du tribunal révolutionnaire ; alors il était présidé par l’homme (1) vertueux et sensible qui préside celui d’aujourd’hui.

(1) Dobsent

Il est vrai que j’ai été continué, même sous la loi arbitraire du 22 prairial Loi initiée par Robespierre, renforçant la Terreur en procédant à la réorganisation du Tribunal révolutionnaire. Elle prive les accusés du droit de défense et de recours. ; mais j’en appelle à la conscience de tous les hommes vrais et probes. Logé dans le palais national, connu des hommes qui jouaient les premiers rôles sur la scène du monde, possesseurs de la confiance d’un grand peuple, soit par la hardiesse de leurs vastes conceptions, soit par l’art de leurs discours fallacieux, m’était-il possible de voir la vérité au milieu des nuages brillants dont j’étais environné ? Une force invincible ne m’entraînait-elle pas malgré moi ? C’était un atome emporté violemment par un torrent rapide. Ce chef ne peut faire judiciairement la matière d’une accusation ; il ne peut être que du ressort de l’opinion, comme un point de morale.

On n’a pas oublié ma conduite honorable envers Camille Desmoulins, mon éloignement du tribunal depuis sa perte ; qu’on fouille dans les archives, on se convaincra que je n’ai jamais figuré dans aucune affaire qui puisse me faire soupçonner d’avoir été l’instrument de telle ou telle personne, de tel ou tel partiVilate s'exprime comme s’il était devant un tribunal, essayant de prouver son innocence et d’attendrir l'audience. ; mes maladies, effets de ma sensibilité, et les soupçons formés contre moi à cause du dîner avec Danton, m’en ont heureusement éloigné. Depuis le sacrifice de Desmoulins, je n’y ai paru que rarement et dans des occasions où le fauteuil n’était occupé que par un très-petit nombre d’accusés. Je n’ai jamais dénoncé ni fait incarcérer qui que ce soit. Je pourrais citer quelques personnes qui m’ont serré dans leurs bras, comme leur libérateur ; loin d’avoir participé aux forfaits des destructeurs de l’humanité, l’âme pénétrée d’indignation contre eux, je ne les ai plus vus qu’avec horreur.

Serais-je coupable d’avoir connu Robespierre, Barère, Billaud et compagnie, et me ferait-on un crime d’avoir su, sans le dévoiler, leur projet de décimer la convention nationale.

La convention nationale a aussi connu Robespierre ; elle lui a donné une grande confiance. Elle a contribué à l’erreur et à la crédulité communes.

Qui n’aurait pas mis de l’intérêt, peut-être de l’orgueil, à l’approcher, à lui donner un déjeuner frugal le jour de la fête à l’Être Surpême Voir plus haut, lorsque Vilate raconte sa rencontre avec Robespierre le jour de la fête de l'Être suprême.?

Sous l’empire de Tibère, un Romain fut mis en jugement pour avoir eu des liaisons avec Séjan Ministre de l'empereur romain Tibère, qui conspira contre lui. Tibère le découvrit et déjoua ses desseins, le faisant condamner et exécuter.. Je n’en eus jamais avec Robespierre ; le tyran n’était pas homme à liaison. Au surplus, je répondrais comme le républicain de Rome : « Lorsque vous élevez quelqu’un sur nos têtes, il ne nous appartient pas de juger de son mérite ni de vos motifs. Faites attention, non aux derniers jours de Séjan, mais aux temps antérieurs de sa puissance. On regardait comme un grand honneur d’en approcher. . . . . . . . Qu’on punisse les complots contre la république, mais non de simples liaisons. Notre intention était la même que la vôtre, et nous justifie également (1) ». Loin d’être complice des crimes des conspirateurs, on a vu qu’ils m’ont révolté, et que j’ai travaillé à les divulguer ; j’ai recueilli les noms de toutes les victimes pour ce but salutaire. J’ai dévoilé publiquement leurs projets par des indiscrétions affectées, même envers plusieurs députés. J’ai dû agir avec cette prudence, parce que les décemvirs, avec un prétexte de leur façon, m’auraient conduit à l’échafaud avant les proscrits. DossonvilleJean-Baptiste Dossonville (1753 - 1833) est un policier français et agent provocateur, membre de la police politique du Comité de sûreté générale de l'an II. n’en a pu faire disparaître le tableau, que parce qu’il avait connaissance du complot, et j’ai été arrêté précisément à cause que je le dévoilais. Si l’on n’eût pas été excité par ce motif, pourquoi m’aurait-on privé de la liberté ? S’il en eût été autrement, Billaud-Varennes, un des auteurs de la conspiration, aurait appliqué l’expression de scélérat que j’ai employée dans la société des jacobins au parti dont les décemvirs avaient résolu de se défaire. On ne m’aurait pas fait arrêter, par ce qu’on n’aurait conçu ni crainte ni soupçons.

(1) La fermeté de ce discours, ajoute l’historien, et la joie d’entendre exprimer ce que chacun pensait au fond de son cœur, firent une impression si vive, que les accusateurs de Térentius Térentius est accusé d'avoir été l'ami de Séjan (Ier siècle avant J.-C.), qui organisait un complot visant à renverser l'empereur Tibère : «Je défendrai à mes seuls périls tous ceux qui, comme moi, furent innocents de ses derniers complots […]. Vouloir deviner les secrètes pensées du prince et ses desseins cachés, est illicite, dangereux ; le succès d'ailleurs manquerait à nos recherches. Pères conscrits, ne considérez pas le dernier jour de Séjan ; pensez plutôt à seize ans de sa vie. […]. Que conclure de ces réflexions ? qu'elles donnent également l'innocence à tous les amis de Séjan ? non, sans doute ; il faut faire une juste distinction : que les complots contre la république et les attentats à la vie du prince soient punis ; mais qu'une amitié qui a fini, César, en même temps que la tienne, nous soit pardonnée comme à toi.» (Discours de Térentius lors du procès. Tacite, Annales, VI, II, trad. Burnouf, 1828.), déjà coupables d’anciens délits, furent tous exilés ou mis à mort. Annales de Tacite, liv. VI t. II.

M’accuserait-on d’avoir eu le dessein d’entrer dans la conjuration de Robespierre et de la Commune, aux journées des 9 et 10 thermidor. J’étais dans les fers dès le 3, et ma conduite antérieure démontre ce que j’aurais fait.

Peut-on m’accuser sur l’incertitude de la part que j’aurais prise à des événements dans lesquels je n’ai pas figuré ? non, sans doute.

Objecterait-on la circonstance singulière que la commune de Paris Nom donné au gouvernement révolutionnaire de Paris suite à la prise de la Bastille, le 14 juin 1789. Devenue commune insurrectionnelle après le 10 Août 1792, elle se fait la porte-parole des éléments révolutionnaires du mouvement parisien. a prononcé ma liberté.

Je réponds qu’il peut se faire que quelqu’un, sachant que je voyais quelquefois Robespierre, mais ignorant mes sentiments et ma conduite, ait pu conjecturer que j’entrerais dans son parti, et expédier un ordre de mise en liberté ? Le fait d’autrui peut-il me compromettre ? puis-je être responsable de l’opinion erronée que l’ignorance a pu former sur mes principes ?

Objecterait-on, enfin, qu’à la présentation de mon acte de liberté j’ai écrit de me rendre à la Commune ? Mais le désir de briser mes chaînes, le défaut de connaissance de ce qui se passait, la curiosité d’acquérir cette connaissance, l’idée que ce pouvait être une formule, le respect dû aux autorités constituées, tout a pu me déterminer à souscrire ce qu’on a voulu que je souscrivisse. Or, je le demande, y a-t-il un seul des détenus de la Force, qui, à ma place, n’en eût fait autant pour recouvrer sa liberté ?

L’enlèvement des complices de Robespierre par la force armée, sur les neuf heures du soir, 9 thermidor ; le silence gardé à mon égard, démontrent que les conjurés ne me croyaient point disposé à les favoriser. Je suppose que je fusse sorti, qui peut dire que je me serais réuni à la conspiration ? . . . Le tribunal révolutionnaire en a acquitté quarante qui s’y étaient réunis, c’est une preuve infaillible qu’il sait distinguer l’erreur du crime.


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