Corpus La Bande noire

Tome 1 - Chapitre 9

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IX.

Une des fatalités les plus déplorables de la vie est cette séparation que la société ou le sort impose aux âmes qui ont besoin l'une de l'autre pour se compléter[Par Yohann] Cette nouvelle maxime générale ouvre le chapitre sur la possibilité de rapprocher un topos littéraire, celui de l'amour impossible (Tristant et Iseult, Roméo et Juliette, Phèdre...), et la réalité vécue. Un horizon d'attente est d'emblée installé : de quel amour impossible va-t-il être question ici ?. Qui n'a eu à gémir sur ces rigueurs du destin qui nous éloigne à jamais de ceux qui auraient sympathisé avec nous, pour nous rapprocher misérablement de ceux qui nous seront toujours étrangers par les sentiments aussi bien que par les intérêts ? Que de rencontres étranges deviennent d'insupportables amitiés ! Que de hasards fortuits unissent inséparablement des êtres dont les caractères sont antipathiques, et les goûts contraires ! Il semblerait qu'une divinité, amante des contradictions, se plaise à brouiller tous les fils de nos existences, à frapper de mort nos espérances à mesure qu'elles éclosent, à jeter, aux mains du plus grossier malotru, la fleur la plus suave, la plus délicate et la plus parfumée ?

Les femmes ne sont pas les seules qui aient à souffrir de ces caprices de la destinée, les hommes aussi ont mille occasions de s'en plaindre, et surtout, parmi les hommes, ceux dont l'âme est candide et le cœur nourri d'illusions.

Henri était un de ces derniers[Par Yohann] Le caractère si particulier de Henri est donc le fruit de ses affinités avec ce modèle romanesque topique. Le présent chapitre va nous en fournir l'explication tout autant que l'illustration.. Dès l'âge de quinze ans, il avait rêvé un bonheur idéal, un accomplissement magnifique des espérances de son cœur ; et à mesure qu'un des fleurons de sa couronne poétique se détachait au frôlement de la vie réelle, il pleurait ce dépouillement de ses richesses intimes comme un avare pleure la perte d'une partie de son trésor[Par Yohann] Inscription paradoxale, par analogie, du type ridicule de la comédie de mœurs dans le contexte du roman sentimental.. Ainsi s'explique la douleur qu'il éprouvait à voir Marguerite toute prête à se mettre à la merci d'Arthur Raimbaut, Marguerite qu'il aurait voulu entourer de sa protection généreuse avançant vers l'abîme sans qu'il pût la retenir ! Eh quoi ! elle n'avait donc point compris l'avertissement qu'il lui avait donné[Par Yohann] Le discours indirect libre, indiquant un changement de focalisation qui annonce la lettre à venir, permet la révélation de ce qui demeurait de l'ordre du mystère. ! elle méprisait donc ses conseils, elle ne voulait point de son dévouement ! Qu'allait-il faire ? Devait-il s'abandonner à son désespoir sans chercher de nouveau à sauver Marguerite ? Fallait-il au contraire marcher jusqu'au bout dans sa voie d'abnégation personnelle, et sacrifier sans cesse son bonheur au bonheur de celle qu'il aimait d'un amour si pur et si passionné à la fois ? Ces doutes furent cependant levés dans son âme, et après de longues souffrances solitaires, il écrivit à Marguerite la lettre suivante :

Madame[Par Yohann] Cette lettre peut-elle/doit-elle être considérée comme un cliché de lettre galante ? Elle en accumule soigneusement tous les topoï. Elle se signale en outre par son caractère ambigu : la déclaration d'amour qui va prendre la forme d'un encouragement à la rupture avec l'autre.[Par Yohann] Plus d'espace avant la lettre et changer les marges pour le passage en epub (les agrandir),

J'ignore quelle faute je commets en vous écrivant, je ne sais si j'aurai tort à vos yeux, ou si j'ai tort aux miens, mais ce que j'affirme, c'est que je ne puis me taire davantage, c'est que, si je ne vous apprends pas toutes les pensées qui troublent ma raison et me torturent le cœur, j'en souffrirai à en mourir. Et aussi, si vous ne trouvez dans votre âme aucune pitié pour un malheureux ; oh ! alors, dans l'un et l'autre cas, je suis coupable, et votre dédain n'est plus qu'une justice.

Toutefois, madame, la lettre que je vous adresse n'est pas aussi insolite qu'elle peut vous le paraître. Je vous connais depuis quelques années, vous étiez bien jeune que j'avais déjà placé en vous tout mon bonheur et toutes mes espérances. C'était un bien que je m'étais créé, un bien que je disputais aux jeunes gens de mon âge ; c'était un plaisir à moi seul connu, un mystère dont je ne devais compte qu'à moi. Vous n'avez pas oublié sans doute la ville de Lisieux[Par Yohann] La Normandie comme lieu des amours premières, quoique déçues, trouve une sorte d'écho dégradé dans la Brie (voir la description de la Brie comme erzatz de Normandie dans le chapitre 1) : Marguerite, Henri et Arthur (apprendra-t-on plus tard), y ont connu des amours déçues durant leur jeunesse. Il s'agit du lieu originel où s'est nouée une partie importante de l'imbroglio amoureux autour duquel tourne le roman. La vallée d'Auge, dont le souvenir revient au chapitre 11, est à ce titre décrite comme une sorte de locus amoenus, terre pastorale d'un âge d'or disparu. Le retour rêvé à cette terre originelle sera vérifié par la fin du roman. et la pension de la rue des Prés, trop peu de jours vous en séparent ; et puis, toute jeune femme ne se souvient-elle pas avec bonheur de la retraite où se sont écoulées ses premières années, où s'est gardée religieusement la virginité de ses innocentes pensées, où tous ses sentiments se bornaient à l'amitié et à la reconnaissance.

Vous étiez jeune et folâtre alors, le jeu était pour vous le jeu[Par Yohann] Pour Henri, il existe une différence entre le jeu innocent qui ne porte à aucune conséquence et le jeu adulte : la spéculation foncière (fréquemment désignée par analogie comme un jeu) apparaît comme un symbole possible pour déplorer la spéculation galante., et quand je vous voyais si ardente à ces naïfs plaisirs dont vous ignoriez tout le danger, moi, je souffrais déjà ; car je savais comprendre tout le prix que j'attachais à tenir votre main dans la mienne, car je sentais un frisson parcourir tous mes membres, lorsque le sort vous condamnait à embrasser un autre que moi. Que de fois, joyeux ou triste, confiant ou jaloux, heureux ou misérable, j'ai voulu vous éclairer sur les mille dangers qui vous entouraient ; combien de fois, j'ai voulu me plaindre à vous de vous-même, et vous reprocher votre légèreté, mais je ne sais quelle honte de ternir tant d'innocence m'arrêtait. Je me suis tu, et je vous ai laissé votre ignorance ; je me suis tu, sans en avoir le mérite auprès de vous, sans que vous ayez deviné tous les combats qui se livraient pour vous dans mon cœur. Ai-je jamais su seulement si vous m'aviez remarqué ; et si, dans cette foule si empressée de plaire à la charmante jeune fille, du plus obscur vous aviez conservé le moindre souvenir ?

Mais que dis-je ! dans quel espoir mon cœur s'égare-t-il ! qu'ai-je besoin de vous rappeler le passé ! Malheureux que je suis, le passé n'existe que pour moi : ne vous en a-t-on pas séparée à jamais ; ne vous a-t-on pas donnée à un homme à qui vous devez compte de tous vos souvenirs ? Vous le connaissiez à peine, vous l'aimiez encore moins ; mais votre famille s'est dit : "Marguerite sera riche, Marguerite sera considérée" ; et elle a conclu. Que lui importait le fond de cette grave question ? Ne doit-on pas être heureux lorsqu'on a de la fortune ? Qu'est-ce que les sympathies, qu'est-ce que les jouissances d'une organisation délicate ? Un homme qui fait honneur à ses engagements, qui entretient la prospérité de sa maison, qui en édifie les bases sur l'ordre et l'économie, cet homme n'est-il point prédestiné à assurer le bonheur d'une femme ?

Si elle a une éducation supérieure à la sienne, si elle est douée d'une imagination vive mais mobile, d'un cœur tendre mais facile, d'un bon mais faible caractère, il ne la comprendra point ; qu'importe ! il faudrait veiller sur cette jeune plante, il faudrait entretenir les bonnes dispositions de cette âme candide, et empêcher que le mal ne prit sa source dans le bien ; il faudrait qu'une organisation forte dominât cette belle quoique molle organisation, et rien de tout cela... Son mari va à ses affaires, et ne la voit qu'à ses heures perdues ; il l'aime assez peut-être pour se trouver heureux auprès d'elle, elle est si jeune et si jolie, mais son amour grossier ne saisit rien au delà ; où vont ses pensées en son absence, d'où viennent-elles ? ce sont des questions que jamais il ne s'adressera. Et si, d'aventure, il lui vient quelques doutes sur le bonheur dont jouit sa femme,... la confiance dans sa position, l'abondance qui règne dans son intérieur, l'estime dont on l'entoure, toutes ces considérations ne sont-elles pas de nature à repousser ces doutes absurdes selon lui ? aussi, cet examen terminé, il sourit en se disant : "Ma femme doit être heureuse, donc elle l'est."

Mais je m'arrête, effrayé du tableau que j'ai présenté à vos yeux ; je m'arrête, confus de mon audace ; je m'arrête tout tremblant sous la sévérité de votre regard ! Sais-je si je ne vous ai point mortellement offensée ? Je vous en supplie, madame, ne laissez pas mon front courbé sous le poids de votre colère ; c'est à vos genoux que j'implore le pardon d'un fou, c'est à vos yeux que je demande quelques lueurs de pitié pour un insensé qui s'accuse autant qu'il vous justifie.

Et puis, si je vous demande indulgence c'est que je sens en moi les moyens de me faire pardonner ! Ne croyez pas que ce soit l'assurance d'un homme présomptueux qui a calculé et établi d'avance toutes ses chances de succès ; c'est, au contraire, la confiance que donne un amour naïf, mais pur, qui a accepté d'avance tous les sacrifices ; c'est le désintéressement d'un cœur libre, qui n'a aucun souvenir à retrancher de sa vie, et qui ne demande point au présent de plaider pour lui contre le passé. Son avenir d'ailleurs est tout entier dans l'espérance, et c'est à vous, madame, qu'il la demande. Ah ! dites-lui que vous acceptez le dévouement de son amour, dites-lui que vous lui pardonnez ; et que la honte de son aveu trouvera un refuge dans la bonté de votre cœur.

Mais si vous étiez sans pitié, si vous n'accueilliez qu'avec indifférence et dédain l'expression de mon amour, si je vous avais déjà rendue coupable en vous faisant mépriser vos devoirs rigoureux mais sacrés ; malheureux ! j'aurais mérité votre malédiction, car j'aurais éveillé en vous des pensées criminelles, et je ne les partagerais pas pour vous éloigner du danger ; car j'aurais éclairé votre cœur, et ce serait stérilement pour moi ; car j'aurais troublé votre raison, et cet adorable délire me serait inconnu ! Ah ! madame, songez à toute la tristesse de cette position ! Et si ce n'est pour moi, songez-y pour vous. Il faut à votre âme naïve et belle de tendres et douces sympathies, il faut à votre existence manquée la consolation d'un cœur passionné et fort à la fois ; il ne faut pas plus que votre sensibilité exquise vienne se briser contre l'esprit stupide d'un paysan, que se heurter à l'égoïsme d'un homme qui ne vous parlerait que pour vous perdre, qui ne vous aimerait que pour vous entraîner dans l'abîme.

Et maintenant, madame, pour comprendre les dernières paroles que j'ai à vous dire, vous devez interroger votre conscience, vous devez rappeler tous vos souvenirs. Il y a trois mois, il vint dans votre village un homme qui vous parut aussi grand par le cœur que par l'esprit, et tel qu'il m'a toujours paru à moi-même. Cet homme, vous l'avez sauvé d'un danger imminent ; et comme il vous en montrait une reconnaissance pleine de tendresse, vous avez cru, dans votre candeur, que c'était lui qui serait l'appui que vous cherchiez, que c'était lui qui deviendrait votre consolation et votre sauve-garde. Oh ! madame, je ne sais comment avoir le courage de vous désabuser, je ne sais comment vous dire que votre espoir est une illusion décevante dont il faut vous garder comme d'un piège. Croyez-moi : cet homme a une âme noble en effet, mais sceptique et désenchantée, cet homme possède à un trop haut degré l'expérience des vanités de ce monde pour s'abandonner encore à des sentiments doux et purs ; et déjà, hélas ! je crains que vous ne vous soyez trop confiée sur lui du soin de votre bonheur. N'avez-vous pas vu sur ses traits combien son cœur était froid, et incapable à l'avenir de toute exaltation ? N'avez-vous pas aperçu sur son front la trace de doutes inguérissables ? N'avez-vous pas reconnu, dans les rides précoces dont sa figure est traversée, que désormais il ne pouvait rien croire, rien aimer[Par Yohann] La présence des stigmates justifie ici aussi une lecture physiognomonique du monde et des caractères humains. ? Oh ! je le connais, moi ! je sais tout ce que son âme a dû perdre d'illusions et d'espérances, pour en venir à cette indifférence profonde qui l'entoure comme de ténèbres épaisses ; je sais que pour toujours l'incrédulité est son partage.

Résistez donc, résistez, je vous en conjure, à l'entraînement que vous éprouvez pour lui : il y va de votre honneur, il y va de votre vie peut-être ! Si vous saviez ce qu'il m'en coûte de vous apprendre le danger qui vous menace, vous comprendriez que la prière que je vous fais, que le conseil que je vous donne vient du cœur le plus dévoué. La conduite que je m'impose serait infâme, si elle n'avait pour but votre bonheur auquel je dois sacrifier l'estime de moi-même. Mais je ne veux rien ajouter, madame, je crains déjà de vous avoir fatiguée de mes plaintes, de mes accusations et de mon amour ; j'attends votre réponse, je l'attends avec toute l'angoisse qui saisit un malheureux sous le doute d'une condamnation ou d'un triomphe, je l'attends avec impatience mais aussi avec résignation ; et quelle que soit votre décision, la culpabilité de ma conduite se trouvera rachetée dans votre esprit, je l'espère, par le dévouement désintéressé que je vous ai voué pour toujours.

Henri[Par MagalieMyoupo] Cette lettre est intéressante dans la mesure où elle donne enfin la parole à un personnage timide et souvent mutique. La longueur de l'aveu contraste avec la difficulté que le personnage éprouvera à parler directement à la fermière. Qui plus est, il prend une certaine importance narrative car il révèle l'épaisseur psychologique du personnage d'Arthur..

En écrivant cette lettre, Henri avait l'agitation de la fièvre, sa main volait comme ses pensées ; mais quand il eut tout dit, la fièvre disparut, et fit place à un abattement profond. Le jeune homme se renversa sur son siège, les bras pendants et les yeux fixés, avec une expression indéfinissable, sur les pages qu'il venait de remplir. Arthur était son ami, son protecteur au milieu d'un monde qu'il haïssait et qu'il méprisait déjà ; Arthur avait distingué Henri, lui avait voué une affection toute paternelle, et, en retour, Henri venait de s'élever contre lui en dénonciateur ; il avait abusé de sa confiance, il avait révélé ce qu'Arthur lui avait laissé voir du secret de son âme, il s'en était servi pour éloigner de lui une femme qu'Arthur aimait peut-être. La jalousie la plus basse eût-elle agi autrement ? et pourtant ce sentiment était loin de son âme généreuse ; son affection pour Arthur avait fléchi sous une affection plus forte, et dans un combat inégal Henri voulait tendre au faible une main secourable. Oui, si Marguerite avait pu trouver le bonheur dans cet amour, si l'âme d'Arthur eût été de nature à s'amollir sous cette douce influence, Henri eût souffert volontiers, et pas un mot de plainte, pas un mot d'accusation ne serait sorti de sa bouche.

Il eut donc besoin de rappeler tout son courage pour mener jusqu'au bout la tâche de dévouement qu'il avait entreprise ; cependant, résolu de remettre lui-même la lettre à Marguerite, il partit pour la ferme de Guillaume Évon, sachant qu'il n'y trouverait pas celui-ci, appelé à Corbeil par ses fonctions municipales. Il marchait précipitamment, faisant craquer sous ses pieds la couche de glace qui couvrait la terre ; le ciel était couvert d'un brouillard lourd et impénétrable ; de temps en temps quelques flocons de neige venaient frapper la figure de Henri ; et l'impression de froid, qui pour lui en était la suite, rendait du calme à son âme, tout en ébranlant sa résolution. Cependant une puissance à laquelle il ne pouvait résister, l'entraînait toujours vers Marguerite ; il fallait qu'il la vit, et, s'il ne se sentait pas la hardiesse de lui parler, qu'au moins il lui remit la lettre. Il allait donc fatalement vers la ferme, et si on avait aperçu ainsi, par une nuit sombre, fuyant à travers champs, dans la direction du village, on l'eût prit à coup sûr pour quelque malfaiteur poussé au crime par le vice ou par la faim. Mais personne ne le rencontra ; et le vent qui sifflait entre les branches des arbres, la rafale qui s'engouffrait dans les taillis, les oiseaux de nuit qui poussaient leurs cris sinistres dans la tempête, étaient les seuls bruits qui fissent diversion au tumulte de ses pensées.

Quoi qu'il en soit, ces avertissements que le ciel semblait lui donner dans, sa colère, ces retards que la nature bouleversée imprimait à ses pas, rien ne put l'arrêter ; et plus les tourbillons se précipitaient contre lui avec rage, plus il activait sa démarche en s'affermissant sur le sol glacé de la prairie[Par Yohann] S'il semble abusif de parler ici de paysage état-d'âme, il n'en reste pas moins qu'Henri, personnage sensible, est réceptif aux variations atmosphériques de la nature qui dicte sa conduite..

Quand il parvint au village, toutes les portes étaient closes, toutes les lumières éteintes, l'obscurité la plus profonde enveloppait chaque maison, et n'eût été le vent qui, resserré dans des espaces étroits, augmentait de sonorité et d'énergie, on eût pu penser que la mort plutôt que le repos régnait sur ces lieux[Par Yohann] La première visite à la ferme, par Arthur, révèlait un paysage rieur, ici dégradé par l'avancement de la saison comme de la direction prise par la structure narrative..

Marguerite veillait encore ; Henri n'en fut point étonné, mais il tressaillit, et fut obligé de s'arrêter quelques instants dans la cour de la ferme, oppressé par les battements de son cœur.

— Si je l'ose, dit-il, en s'avançant vers la porte, je parlerai, je lui révélerai moi-même ce que cette lettre devait lui apprendre, et il me semble que ma conduite, pour être plus franche, en sera moins odieuse.

Mais quand la porte lui eut été ouverte, quand il fut arrivé auprès de Marguerite, cette résolution s'évanouit. À cette simple question : "Qui vous amène ?" prononcée d'une voix calme et tranquille, Henri sentit une rougeur cruelle lui monter au visage, comme si Marguerite avait pu deviner le motif qui le conduisait près d'elle à cette heure. Il n'avait point la force de parler, quelques mots inarticulés tombaient un à un de ses lèvres ; enfin la compression physique qu'il éprouvait fut telle que, malgré sa résolution, il ne put que donner la lettre à Marguerite en lui disant :

— Madame, rappelez-vous le billet qui vous fut remis hier ; c'était moi qui vous l'avais écrit, et je vous en apporte aujourd'hui l'explication.

En terminant ces mots, qu'il avait prononcés avec peine, tant son émotion était vive, tant sa honte était insurmontable, Henri, sans attendre la réponse de la fermière, se retira brusquement.

Marguerite, restée seule, lut deux fois la lettre de Henri, mais elle ne le plaignit point, elle ne comprit pas son amour, ses sacrifices, ses douleurs, surtout elle ne crut point au danger qui la menaçait ; c'en était fait : elle aimait Arthur[Par Yohann] La chute soudaine du chapitre, ménagée par le brusque changement de focalisation, confirme les craintes d'Henri ainsi que les nombreux indices tragiques qui émaillent ce texte. L'action du jeune homme est ainsi discréditée : elle se révèle tout-à-fait inefficace. !


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