Corpus Le Carnaval du dictionnaire

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Lettrine L : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k8630604m/f197.item.texteImage 

[Par Nathalie Preiss] L’ensemble de la lettre « L » parut initialement, en 1870, dans Le Charivari en deux tranches alphabétiques, qui se chevauchent : « Lacet-Lentille », le 4 juin, et « Larmes-Lundi », le 12 juin. Une tranche complémentaire, « Kermesse-Oubli », parut dans le numéro du 14 mars 1873, en vue de l’édition en volume. Mais les entrées suivantes, présentes dans les tranches de 1870, disparaissent dans les éditions de 1873 et 1874 : « Lacet — Le verrou d’une prison où souvent il n’y a pas de prisonniers « [entrée supprimée sans doute parce qu’elle faisait doublon avec l’entrée « Dégrafer »] ; « Laconisme — La constipation du langage »; « Lampion — Genre d’illuminations que les gouvernemens [orthographe d’époque conservée] allument en leur propre honneur pour se faire croire sans doute qu’il y a encore mèche » ; « Lapidaire — Écosseur de pierres précieuses » ; « Larcin — Le petit nom du vol » ; « Lavandière — Blanchisseuse en vers » ; « Légende — La bohème de l’histoire » ; « Légèreté — Dire que ce sont les femmes légères qui pèsent le plus lourd dans la balance des hommes (Un philosophe) » ; « Législateur — Railleur pour peuples » ; « Légitimation — Un post-scriptum signé, ajouté à une lettre anonyme » ; « Lentille — Verre et légume également grossissants » ; « Livre — Comme les champignons : un aliment ou un poison ». Les variantes entre les différentes parutions seront indiquées au fil du texte.LAIDEUR — Infirmité qui fait le désespoir d 'une femme et la joie de toutes les autres.[Par Nathalie Preiss] Entrée apparue dans la tranche complémentaire du 14 mars 1873, en vue de l'édition en volume.

LANGUE — L'arme qui a la plus longue portée connue[Par Nathalie Preiss] La version initiale, parue dans Le Charivari du 4 juin 1870, jouait sur la métaphore du « chassepot », fusil à aiguille : « Chassepot de salon » ; dans la mesure où Véron l’avait utilisée pour l’entrée « Accord » (voir ce mot), il l’a supprimée dans la tranche complémentaire parue le 14 mars 1873, en vue de l’édition en volume..

LARMES — Sécrétion aqueuse des glandes de l'œil. 

(Un médecin.)

— En fait de larmes, nous avons d 'abord la manne purgative.

(Un pharmacien.)

— Ce qu'il faut mettre dans l'arrosoir pour faire pousser les carottes[Par Nathalie Preiss] Au sens de « tromperie » pour obtenir de l’argent : voir l’entrée « Carotte »..

(Une petite dame.)

— 4,000 francs de recette tous les soirs.

(Un dramaturge.)

— Si on ne les avait pas pour brouiller la vue du monde, y aurait pas moyen de faire passer toutes les monnaies douteuses.

(Une marchande de couronnes.)

— Celles qui sont dorées, c'est trente sous de plus la paire.

(Un monsieur.)

— La dernière chose que versent mes actionnaires.

(Robert-Macaire.)[Par Coraline Hipolito et Nathalie Preiss] Avec le spéculateur Robert-Macaire, le type du blagueur (au sens du XIXe siècle), qui cache moins la présence de fonds véreux qu’il ne fait mousser une absence de fonds juteux, les actionnaires ne versent pas plus de larmes que ne leur sont versés de dividendes (voir les entrées « Actionnaire », « Actions », « Blague », « Chiper », « Poche »).

LAURIER — La vilaine plante, qui ne pousse qu'arrosée de sang ![Par Caroline Hipolito et Nathalie Preiss] Dans la version initiale du Charivari du 4 juin 1870, l’on pouvait lire cette définition du bien nommé « Dictionnaire de l’avenir » : « Jolie plante s’il ne fallait l’arroser rouge ». Cette version-ci apparaît dans la tranche complémentaire du 14 mars 1873 : en effet, après la guerre franco-prussienne et la capitulation de la France, les tranches alphabétiques parues dans Le Charivari de 1871 et 1872 et les tranches complémentaires de 1873, en vue de l’édition en volume, mettent l’accent sur la critique, récurrente par ailleurs dans le dictionnaire, du prétendu héroïsme guerrier, pourvoyeur des lauriers de la gloire (voir les entrées « Assaut », « Carnage », « Tuerie »).

LAYETTE — Notre préface à tous.[Par Nathalie Preiss] Entrée apparue dans la tranche complémentaire du 14 mars 1873.

LECTEUR — Un prisonnier qu'on a bien du mal à empêcher de s'évader.[Par Coraline Hipolito] Comme chez tout rédacteur en chef d’un journal, inquiétude constante de Pierre Véron, rédacteur en chef du Charivari, à propos du nombre d’abonnés (voir l’entrée « Abonné »). Cette entrée ne figurait pas encore dans la tranche alphabétique « Lacet-Lentille », parue dans Le Charivari du 4 juin 1870 ; elle apparaît dans la tranche complémentaire du 14 mars 1873, en vue de l’édition en volume, et pour cause : mieux valait ne pas effrayer ledit lecteur !

LÉGITIMITÉ — La jument de Roland.

Toutes les qualités ; seulement, elle est morteLa comparaison entre cette version parue dans la tranche complémentaire du 14 mars 1873, en vue de l’édition en volume, et la version parue dans Le Charivari du 4 juin 1870 est particulièrement intéressante : « Les lys ne filent pas, dit l’Évangile. Comme ils ont filé depuis, tout autre commentaire en est superflu » car elle illustre parfaitement la moderne contemporanéité baudelairienne de ce texte (voir l’« Introduction critique »). En effet, si Véron a modifié la version initiale en mars 1873 et l’a conservée pour l’édition d’octobre 1873 et, a fortiori, de 1874, c’est qu’entre 1870 et 1873, les lys, emblème de la monarchie légitimiste incarnée par le comte de Chambord, appelé à régner sous le nom de Henri V, ont bien tenté de revenir, en 1871 : il y a donc là référence à la caricature d’André Gill, « Henri V » de sa série Les Prétendants, parue dans L’Éclipse du 1er janvier 1871, représentant le comte de Chambord, écrasant de son poids son cheval fort fourbu [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1067552f/f1.highres] ; retour néanmoins raté, en raison du refus du drapeau tricolore par ledit Henri V. Le cheval, comparé ici ironiquement à la jument Veillantif du valeureux Roland dans La Chanson de Roland est donc en effet plus que fourbu, mort ; et cette nouvelle version de mars 1873 sonne encore plus vrai en octobre 1873, lorsqu’une deuxième tentative, pour la même raison, échoue : Veillantif est cette fois morte… et enterrée !.

LÈVRE — La rose sur laquelle on est exposé à rencontrer le plus de chenilles.

LIAISON — Prison d'agrément.[Par Coraline Hipolito] Liaison amoureuse et parfois dangereuse!

LIBERTÉ — Le plus imité de tous les diamants.[Par Nathalie Preiss] Version apparue dans la tranche complémentaire du 14 mars 1873 ; la version initiale du 12 juin 1870 était plus acerbe encore : « Il y a trop longtemps que nous ne l’avons vue pour faire son portrait de mémoire ».

LIBERTIN — Un imbécile qui oublie que, quand on a mangé son fonds, on fait faillite.[Par Nathalie Preiss] Entrée apparue dans la tranche complémentaire du 14 mars 1873, en vue de l'édition en volume.

LIBRAIRIE — Spécialité de cervelles crues.[Par Coraline Hipolito] Possible autopromotion par Véron de sa future nouvelle Le Raccommodeur de cervelles !

LICENCE — Une figure de rhétorique.[Par Coraline Hipolito] Justification plaisante de la licence des mœurs par le sens de « licence » en rhétorique, soit une liberté que s’octroie le poète par rapport à la règle et l’usage reçus.

LIE (du peuple) — Vous n'avez pas le droit de faire les dégoûtés, puisqu'on vous offre les moyens de la filtrer et que vous ne voulez pas.[Par Coraline Hipolito] Renouvellement de cette expression métaphorique figée par le rappel de son sens propre — le dépôt, à jeter ou filtrer, qui se forme au fond d’un récipient contenant une boisson fermentée (la lie de vin) — au service d’une ironique défense des bas-fonds populaires contre le discours de l’ordre moral et social.

LIERRE — Moi, j'en ferais l'emblème de la flatterie qui rampe aux pieds de la puissance, avec cette devise modifiée :

— On meurt où je m'attache.[Par Coraline Hipolito] Critique des partisans et courtisans du Second Empire déchu (cette entrée apparaît dans la tranche complémentaire du 14 mars 1873), par un renversement carnavalesque de la formule associée à la symbolique du lierre.   

LILAS — Le P. P. C. de l'Hiver.[Par Coraline Hipolito] « Pour prendre congé » : formule apposée sur un nouveau type de carte de visite de l’époque que l’on laisse au domicile d’une personne que l’on n’a pu rencontrer (Grand dictionnaire universel…, de P. Larousse, op. cit.). Le lilas, fleur de printemps, sonne bien le congé de l’hiver (cette entrée apparaît dans la tranche complémentaire du 14 mars 1873).

LINCEUL — Vêtement pour la coupe duquel il n'y a pas besoin de consulter les gravures de modes.

LIT — L'amour disant à la mort : Du même au même.

LITANIES — Le dogme du radotage.[Par Coraline Hipolito] Critique doublement anticléricale et contre le dogme de l'Infaillibilité pontificale  (discuté lors du concile Vatican I dès 1869 et proclamé, à son issue, le 18 juillet 1870) et contre ces prières fondées sur la répétition d'une même formule, comme la litanie catholique des saints.  

LITHOTRITIE — Système médical qui a pris pour devise : Diviser pour régner.[Par Coraline Hipolito et Nathalie Preiss] Selon son étymologie grecque, la lithotritie désigne une technique permettant de « casser » et de disperser, et donc d’éliminer, les calculs de la vessie notamment, d’où le renouvellement de l’expression consacrée, qui vise ici Napoléon III, atteint de cette maladie, et, surtout, le docteur Auguste Nélaton (1807-1873), qui l’avait soulagé grâce à la fameuse sonde de son invention (dite depuis « sonde de Nélaton »), et était devenu son chirurgien personnel… et sénateur impérial !

LITRE — On appelle ça une mesure de capacité. Demandez aux abrutis de l'ivrognerie ce qu'ils en pensent.[Par Coraline Hipolito] Jeu de mot sur le terme « capacité », pris tout à la fois au sens de mesure d’un contenant et au sens d’aptitude intellectuelle.

LOCATAIRE — Un sujet-despote, un despote-sujet.[Par Coraline Hipolito et Nathalie Preiss] Critique de mœurs récurrente au XIXe siècle sur les relations difficiles et réversibles entre locataires et propriétaires (d’où la série de Daumier, 1848-1856, Locataires et propriétaires), qui s’étaient encore tendues avec le moratoire sur les loyers voté le 13 août 1870 et sa suppression, le 7 mai 1871 (voir aussi l’entrée « Augmentation »), d’où l’apparition de cette entrée (comme celle d’« Augmentation ») dans la tranche complémentaire du 14 mars 1873.

LOGE (de concierge) —LOGE (D'ACTRICE) —

[Accolade]

Deux extrêmes qui se touchent par le Conservatoire.[Par Coraline Hipolito] Jeu sur un topos des études et romans de mœurs de l'époque : la fille de la portière (la concierge) aspire à devenir actrice et commence et finit comme figurante !

LOGIQUE — Un bon outil, qu'on nous vend presque toujours sans la manière de s'en servir.

LONGTEMPS — Un mot qui se dit on ne sait pourquoi.

LOUANGE — Un prêté qui appelle toujours son rendu.

LUETTE — Le loquet du gosier.

LUNDI — Le plus canonisé de tous les saints.[Par Coraline Hipolito] Jeu sur « canon » qui désigne, en argot, un verre de vin rouge et, dans le vocabulaire ecclésiastique, un décret permettant la canonisation, l’élévation d’une personne au rang de « saint », puisque le lundi, selon une coutume populaire, revivifiée au XIXe siècle avec l’industrialisation, était réputé jour de la « saint Lundi », et donc chômé, d’où quelques débordements, au sens premier du terme !


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