Corpus Jérôme Paturot à la recherche d'une position sociale

2-IV : Les ambitions de madame Paturot.

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IV LES AMBITIONS DE MADAME PATUROT.

Quand le vertige s’empare d’une maison, ce n'est point à demi ; rien de plus contagieux que l’exemple. Il y a d’ailleurs au fond du cœur humain un invincible besoin d’essais et d’expériences. Un succès, si grand qu’il soit, ne le remplit pas entièrement, c’est à peine une halle dans la voie des désirs. Tient-on jamais compte des résultats passés quand on aspire à une conquête nouvelle? Les lois de l’ambition ressemblent à celles de la gravitation : l’intensité s’y accroît en raison du chemin parcouru. Certes, j’avais obtenu du sort au delà de ce qu’un bonnetier peut en attendre ; huit cent mille francs, une femme aimable et fort experte, deux enfants qui venaient à souhait. Où est le bonheur, si ce n’esl là, dans les joies de la famille, dans les douceurs de l’aisance ? Eh bien, cette situation ne me suffisait pas ; je prétendais à mieux : on eût dit que je voulais lasser le destin. Au premier souffle de la flatterie, ma vanité s’était échauffée ; elle avait entrevu un monde brillant dont chaque jour la fortune me rapprochait. Au-dessus de moi et presque à ma portée, je voyais s’épanouir la classe qui dispose aujourd’hui de l’empire. J’étais en voie de l’atteindre ; encore un effort, encore quelques cent mille francs, et je prenais mon rang dans cette phalange de parvenus. Dans la mémorable nuit de mon suicide, mon pauvre oncle me l’avait dit:

« Sois bonnetier, Paturot ; le vent souffle du côté des bonnetiers et des marchands de « chandelles. Un bonnetier peut aspirer à tout. Capitaine de la citoyenne, conseiller « municipal, maire peut-être, et que dis-je maire ? conseiller d’État, député, ministre !!! voilà « ton programme, Jérôme, il est moins chimérique que celui de l’hôtel de de ville ! »

Sois bonnetier, tu seras ministre !!! Ces mots retentissaient à mon oreille comme ceux des sorcières de Macbeth. Hélas ! que de filateurs, marchands de nouveautés, drapiers, meuniers et droguistes, les ont entendus comme moi, dans le silence des nuits, au milieu du tumulte de la journée! Qui se résigne aujourd’hui à n’être qu’un simple marchand ? Qui n’a pas été un peu ministre en rêve, et même président du conseil ? Qui n'a pas, dans le monde du négoce, arrangé les destinées de la France au point de vue de sa spécialité ? C’est le travers du jour : chacun y sacrifie. La science politique n’est plus l’étude d’une vie entière, le fruit d’une spéculation assidue ou d’une pratique patiente ; elle s’apprend dans les comptoirs, dans les ateliers, au milieu des mécaniques et des bordereaux. Un manufacturier est transformé en Colbert du jour au lendemain, et il se partage dès lors entre les soins de l’État et les foulons de ses fabriques. Faut-il le dire, esprit de corps à part, notre classe industrielle est arrivée trop tôt au pouvoir pour sa gloire ; elle aurait eu besoin d’un plus long noviciat ; elle poursuit son éducation aux dépens de la force, de la grandeur, de la dignité du pays. Le propre du commerçant, de l’industriel, est de voir d’abord dans les choses ce qui le touche : c’est une des qualités, un des titres de la profession. On n’y réussit qu’à ce prix. Or cette vue personnelle devient un dissolvant dans les affaires publiques, qui exigent surtout de l’étendue dans l’esprit et du désintéressement dans le cœur. Il se peut qu’avec le temps la classe industrielle s’améliore, qu’elle se mette à la hauteur de ses nouveaux devoirs, qu’elle s’élève jusqu’à la politique ; mais il n’en est pas moins vrai que les grandeurs l’ont surprise avant qu’elle fût apte à en porter le fardeau, et qu’elle a introduit dans la vie publique deux germes de décadence : la faiblesse dans les desseins, et les petits calculs de positions et de personnes.

J’en parle en converti, on peut me croire. Que n’ai-je aperçu, avant de m’y engager, les pièges de cette existence et les déceptions dont elle est semée ! Les industriels qui aspirent à se transformer en médiocrités parlementaires ou ministérielles ignorent ce qu’il en coûte de servir plusieurs maîtres et de porter deux souquenilles, l’une d'homme public, l'autre de marchand. Sans doute, l'État est bon prince ; il souffre des incapacités de tout le monde, et n’en rend personne responsable. C’est ce qui pousse vers ce service des prétendants si nombreux. Les expériences se font aux frais du trésor ; heureuses ou malheureuses, il paye sans murmure et sans recours. Ainsi, à ce point de vue, le risque est nul ; mais les honneurs ont d’autres embarras, d’autres ennuis. A peine étais-je capitaine d’une compagnie modèle, et déjà je les voyais fondre sur moi. J’avais des envieux, des ennemis ; mon propre parti commençait à se fractionner. À la tête des mécontents figurait un herboriste qui ne pouvait pas pardonner à ma maison l’indifférence qu’elle affectait en matière de tilleul et de camomille. Quoique cet homme fût peu considérable, l’activité chez lui suppléait à l'influence : son opposition n’ébranlait pas mon autorité, mais elle troublait mon repos. À la rigueur, j’aurais pu désarmer mon adversaire en lui prodiguant les commandes, sauf à précipiter ma famille dans les sédatifs qui ont pour base la guimauve et la graine de lin. Je ne le fis pas, en vue de ma dignité ; je dédaignai ce complot des infusions méconnues, je résistai à celte conjuration des plantes médicinales.

Au milieu de ces premières distractions de la grandeur, mes affaires n’avaient pas souffert. Malvina demeurait toujours au poste d'honneur, cest-à-dire, au comptoir et à la vente. L’inventaire qui s’achevait allait porter à un million le chiffre de notre fortune. Un article seul, une sorte de cache-nez dont elle avait eu l’idée, et qui s’était exécuté sous ses yeux, nous donnait plus de vingt mille francs de bénéfices. Les assortiments courants ne faisaient que paraître et disparaître : aux approches de l’hiver, le magasin était littéralement assiégé par les acheteurs. Cela dura ainsi jusqu'à ce qu’un événement singulier fût venu bouleverser notre maison et changer du tout au tout la vie calme que nous avions menée jusqu’alors. Cet épisode fut décisif, il demande à être raconté avec quelque détail.

Dans la clientèle élégante que nos articles de fantaisie avaient attirée, se trouvait une grande dame que l’on nommait la princesse palatine de Flibustofskoï. C’était une personne un peu mûre, mais pleine de majesté ; elle avait cet éclat qui tient à la fois de la nature et de l’art, et qui atteste des soins de conservation unis à une santé prospère. Rien de plus magnifique que ses épaules, de plus potelé et de plus royal que sa poitrine et les attenances. Si le regard était un peu fier, des cils noirs, d'une longueur idéale, lui donnaient on ne saurait dire quelle expression douce et quels tons veloutés. Tout dans cette femme accusait de la race : le port seigneurial, des cheveux cendrés à reflets bruns, une coupe de visage d’une distinction parfaite, un pied et une main admirables. Sa voix avait conservé le timbre argentin qui est ordinairement l’apanage de la jeunesse ; l’incarnat de ses lèvres était d’une pureté extrême ; ses dents n’avaient pas de rivales pour la blancheur et pour l’émail. À la voir descendre de son brillant équipage, appuyée sur le bras d’un chasseur de bonne maison, on eût dit une déesse, une Junon ou une Niobé. Rien n’approchait du goût de ses toilettes : les fourrures du Nord, les riches étoffes, les joyaux, les objets de prix y contribuaient, mais sans affectation, sans étalage. Tout cela était merveilleusement porté ; l’élégance en faisait excuser la richesse, la distinction en rehaussait la valeur. La princesse Flibustofskoï menait, d’ailleurs, grand train ; elle occupait, dans le plus beau quartier de Paris, un appartement somptueux, donnait des fêtes, avait une nombreuse livrée, vivait, enfin, sur le pied des plus grandes existences de l’aristocratie. Oscar, qu’on ne prenait jamais au dépourvu, la connaissait ; il la nommait la providence des artistes, ce qui m’autorisa à croire qu’il lui avait fait l’hommage onéreux de quelques-uns de ses herbages.

Sans que Malvina pût deviner pourquoi, la princesse Flibustofskoï l’avait prise depuis quelque temps en affection. Deux ou trois fois par semaine, son équipage s’arrêtait devant notre porte, ce qui était, pour les voisins, un objet de sourdes jalousies. Le marchepied s’abaissait, et la belle palatine venait s’asseoir familièrement près du comptoir de Malvina, qu’elle honorait de visites très-longues. Les commis déployaient quelques colifichets, quelques objets de luxe, la princesse choisissait et engageait ensuite l’entretien. On connaît madame Paturot ; on sait quel est son talent, sa facilité de parole ; toute princesse qu’elle fût, madame Flibustofskoï ne pouvait pas lui en remontrer de ce côté. Aussi ces conversations devenaient-elles à peu près interminables : Malvina, une fois lancée, ne s’arrêtait plus ; elle racontait sa vie à la princesse et les vicissitudes qui l’avaient traversée, lui parlait de ses malheurs d’autrefois, de son bonheur actuel, de la prospérité de sa maison et du million en chiffres ronds qui allait se trouver au bout de l'inventaire. Ces détails semblaient intéresser beaucoup la palatine, et la liaison devenait chaque jour plus intime, sans toutefois franchir l’intervalle qui sépare un marchand du client. En retour des confidences de Malvina, la grande dame prodiguait les attentions délicates, les prévenances affectueuses, s'informait de ma santé, de celle de nos enfants, enfin débitait une foule de petits riens qui avaient du prix, venant d’une bouche aristocratique.

Bientôt la princesse palatine eut un parti dans ma maison : Malvina en raffolait ; elle en parlait à toute heure, à tout propos. De loin en loin madame Flibustofskoï envoyait quelques jouets pour ma petite famille, et accompagnait ces envois de billets charmants. Mes enfants se déclarèrent donc en sa faveur, et eurent aussi son nom à la bouche. Notre bonne ne fut point insensible à quelques œillades du grand chasseur, et passa à son tour aux Flibustofskoï. Enfin Oscar, renchérissant sur le tout, célébrait sans relâche la haute position, la magnificence, la générosité de la princesse palatine. Il ne la nommait que la belle Moscovite, la majestueuse Moscovite, la superbe Moscovite, exaltait son goût pour les arts, et le talent de son cuisinier. Ainsi ma maison entière conspirait pour elle. Seul je résistais, seul je me défendais contre cette influence ; mais quand je m'avisais d'émettre quelques doutes, de montrer quelque tiédeur, j’étais sûr de voir éclater une explosion universelle. Le peintre ordinaire de Sa Majesté s’exaspérait plus, haut que les autres.

« Voilà comme tu es, Paturot, s'écriait-il, un sceptique, un vil sceptique ! O industriels ! vous ne savez que vous défier ! où serait la foi sans les artistes ?
— Mon Dieu, ne te fâche pas, Oscar.
— Non ; mais c’est que le commerce altère vos facultés. Vous vous y abrutissez, vous vous y encroûtez. Suspecter la princesse palatine, ô Jérôme !!!
— Mais, non !
— Une Flibuslofskoï !
— Eh bien, non !
— Une aussi majestueuse Moscovite !
— Non ! non !
— Jérôme, va-t’en de ma part à l'ambassade russe ; demande le secrétaire de la légation, un jeune blondin ; dis-lui de te montrer la carte de l'empire des Russes, dressée par les ordres de S. M. l’empereur Nicolas ; tu y verras les terres de la princesse palatine.
— Mon Dieu ! je m’en rapporte...
— Cent cinquante werstes carrées, mesure locale ; tu convertiras la chose en hectares, pour avoir le droit d’en parler en France.
— À quoi bon ?
— Ce n’est, pas tout ! Suis la récapitulation. Dix mille serfs et trois cent vingt-deux mille tètes de bétail paissant sur les rives fortunées du Don, département de l'Ukraine, sous-préfecture d’Azoff. Voilà ce que sont les Flibustofskoï ! Soupçonne encore, soupçonne !...
— Du tout, je me rends.
— Paturot, Paturot ! tes épaulettes t’égarent. De ce que cinquante épiciers, plus ou moins, t'ont porté au commandement d’une compagnie, tu te crois en droit d’accabler de tes mépris l’aristocratie européenne, d’insulter les blasons, de dédaigner les illustrations héraldiques. Mais sais-tu bien, malheureux, que si les alliés reparaissent en France, la princesse palatine pourra te faire tailler en pièces par quarante-quatre régiments de Cosaques?
— Elle est donc bien puissante ?
— Riche à millions ! Jérôme. Elle possède des mines d’or dans les chaînes de l’Oural, à deux pas des Demidoff, ces bienfaiteurs des critiques parisiens. Elle m’a fait une commande de trois paysages à cent écus la pièce : c’est princier, vois-tu. »

Ce dernier argument ne souffrait pas de réplique ; je cédai. Avec la maison entière, je fis chorus au sujet de la princesse Flibustofskoï, je la reconnus pour la palatine la plus généreuse et la plus adorable de l’univers. Au fait, pourquoi aurais-je montré plus de défiance ? Comme le disait victorieusement Malvina, la princesse payait comptant ; c’était un titre irrésistible. La conversation en resta là ; notre majestueuse Moscovite avait l’unanimité. Du reste, pendant un mois, il en fut peu question ; elle venait moins fréquemment au magasin, et je soupçonnai Oscar de détourner sur ses paysages une portion de ses libéralités. Au fond, je n’étais pas fâché de cette froideur : instinctivement, je n’éprouvais que de la répugnance pour une intimité semblable. Malvina, au contraire, regrettait beaucoup ses causeries avec la grande dame, et ne savait comment expliquer sa réserve après tant d’assiduités. Un soir, au sortir de table, nous nous en entretenions dans le salon, quand tout à coup la porte s’ouvre, et un valet de pied annonce à haute voix :

Madame la princesse palatine de Flibustofskoï !

C’était elle, en effet, elle dans notre appartement ! Malvina croyait rêver, et je cherchais vainement à m’expliquer le motif de cette visite. La princesse alla droit vers ma femme :

« Ma toute belle, dit-elle d’une voix caressante, je viens vous surprendre jusque chez vous. Chassez-moi, si je suis une indiscrète.
— Princesse, répondit madame Paturot, fière et troublée à la fois de l’honneur qu’on lui faisait, c’est trop de bonté... Je suis vraiment confuse... Peut-être n'a-t-on pas su vous servir à votre gré là-bas ?... Pardon, je vais descendre.
— Non vraiment, non, ma charmante; c’est vous que je viens voir. »

En même temps, elle se retourna de mon côté ; et, m’adressant le plus gracieux des sourires :

« Ah ! c’est monsieur Paturot!
— Madame la princesse, répondis-je en m’inclinant.
— C’est bien, monsieur. Il y a longtemps que je désirais vous rencontrer. J’ai des reproches à vous faire.
— À moi ! madame la princesse.
— À vous, monsieur. Quand on a tout ce qu’il faut pour briller dans le monde, on ne s’enfouit pas dans une arrière-boutique; on se produit, on se fait voir.
— Ah ! princesse...
— Et votre femme, monsieur, vous voulez donc I’enterrer vivante ! On ne l’aperçoit nulle part, et elle serait si bien partout ! Tant d'esprit et de grâce !... Seriez-vous jaloux, par hasard, monsieur ?
— Lui, princesse, répondit Malvina, lui jaloux ; il n’y a pas de danger ; c'est moi qui ai fait son éducation.
— À la bonne heure ! mais pourquoi alors ce séquestre, cette solitude ?
— Princesse, cela s'explique, dis-je un peu embarrassé ; le manque d'occasions...
— Pitoyable défaite, monsieur ; dites plutôt que vous êtes un despote ; que vous tenez votre femme sous des plombs de Venise.
— Pauvre chat, dit Malvina venant à mon secours, comme on le calomnie !
— Ne l’excusez pas, ma belle; il est impardonnable.
— Que de rigueur ! repris-je.
— Ce n'est que justice. Voulez-vous parier, monsieur, que votre femme ne sait pas seulement ce que c’est que le Théâtre-Italien, et comment chante Rubini ?
— Pour ça non, dit naïvement Malvina.
— Eh bien, vous le voyez, les tyrans de l’antiquité n’en faisaient pas pire. Malheureuse victime ! ajouta-t-elle d’un air compatissant. Vivre sans musique italienne : c’est un cas de séparation.»

Puis se retournant vers moi :

« Monsieur, dit-elle, vous avez abusé du droit de la force ; nous nous révoltons. Je vous enlève votre femme pour ce soir ; je l’emmène aux Italiens. Permis à vous de nous suivre.
— Princesse, que d'honneur !
— Capitaine Paturot, ajouta la sirène, je veux vous présenter au feld-maréchal Tapanowich, gouverneur des colonies militaires de la Crimée. Entre guerriers, on est fait pour se comprendre. »

Celte voix, ce langage, ce regard exercèrent sur moi une sorte de fascination. Je ne cherchai pas alors à m’expliquer ce qui pouvait motiver, de la part de la grande dame, une démarche aussi étrange et aussi inattendue. Machinalement je me laissai entraîner ; j obéis à ce prestige. Malvina éleva seule diverses objections que la princesse détruisait une à une. Elle n’en voulait pas démordre; il fallait se rendre aux Italiens avec elle, prendre place à ses côtés dans sa voiture et dans sa loge, subir les honneurs et affronter le cérémonial de cette intimité. Enfin, madame Paturot céda : la vanité l'emporta sur la raison. Dès ce moment, ce fut une toute autre femme. Aucune de mes chimères n’avait laissé de traces dans son esprit ; ni mes épaulettes civiques, ni la perspective de fonctions municipales ne l’avaient profondément touchée. Dans la carrière des grandeurs, elle ne voyait rien qui méritât une attention sérieuse. Mais cette fois, il s’agissait de toilette, d’exhibition publique ; il s’agissait de se décolleter, de se caparaçonner, de se lancer dans les falbalas et les panaches, de se produire au milieu de cette société choisie, étalage vivant de pierreries et de dentelles. Les ambitions de ce genre, une femme les comprend toujours, et madame Paturot plus qu’une autre. Aussi allait-elle et venait-elle, comme si une tarentule l’eût piquée, tantôt ne sachant â quelle toilette s’arrêter, tantôt regrettant de n’avoir pu se préparer un peu à l’avance. La princesse la conseillait et la calmait de son mieux.

« Allons, ma toute belle, point d’extravagances... c’est divin comme cela... Voyez-moi ; on va simplement aux Bouffes quand on le veut ;... il n’y a que les Anglaises qui se découvrent obstinément les épaules, et Dieu sait à quel point !... une autre fois nous ferons comme elles... il faut varier... Je vous enverrai mes faiseuses... Allons, venez ; vous êtes délicieuse ainsi.»

Malvina termina ses apprêts ; mais, dès ce moment, elle se promit de ne plus se laisser surprendre, et d’avoir des toilettes qui ne fussent pas improvisées. Les goûts de luxe et d’élégance sont instinctifs chez les femmes ; ils peuvent sommeiller, un rien les réveille. C’est par là que madame Paturot devait se laisser séduire. Quant à moi, pour faire honneur à la princesse, j’avais cru devoir me revêtir de mon uniforme.

« Fi donc, monsieur Paturot, me dit-elle en m’apercevant ; les épaulettes sont de très-mauvais goût aux Bouffes. C’est bon tout au plus pour les Tuileries. »

J’endossai un frac noir, et me mis galamment à la disposition de la noble palatine. Pendant ce temps, elle avait daigné se mêler aux jeux de ma .petite famille avec une grâce et un abandon adorables. Impossible de se montrer plus avenante et plus affectueuse. Qui eût dit, à la voir aussi affable, quelle avait des mines d’or et d’argent dans l’Oural, et trois cent vingt-deux mille têtes de bétail dans les campagnes de l’Ukraine!


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