Corpus Jérôme Paturot à la recherche d'une position sociale

2-XXXI : Clichy. — La visite du philanthrope. — Le mont-de-piété.

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XXXI CLICHY. — LA VISITE DU PHILANTHROPE. — LE MONT-DE-PIÉTÉ.

Il existe, dans le cercle des relations sociales, une foule d'exploitations qui ne pèsent en général que sur les hommes éprouvés par l’adversité. Les riches y échappent ou ne les subissent que volontairement ; les classes aisées, les existences régulières n’en sont point atteintes. Le malheur seul reste donc le principal aliment de plusieurs industries, à partir de l’escompteur pour arriver au geôlier, en passant par l’huissier et le garde du commerce. Il faut que tout ce monde vive sur les positions embarrassées, les impose et les aggrave. Dès qu’on a descendu le premier degré de cette échelle fatale, on est livré à des mains qui, de charge en charge et d'expédient en expédient, conduisent infailliblement un homme à l’abîme. Vraiment la société n’a pas assez d’entrailles pour les êtres qu’atteint une sorte de déchéance ; elle est tenue à plus de protection et plus d’appui envers ceux qui tombent ; elle devrait empêcher qu’on ne partageât ainsi leur dépouille. La chute est assez lourde et l’expiation assez cruelle pour qu’on n’y ajoute pas les tortures de l’exploitation la plus ingénieuse et la plus raffinée.

Sans rien dire ici qui puisse blesser aucune classe, et en rendant justice à ce qu’il y a d’honorable dans toutes, il suffit de jeter un coup d’œil sur ce qui se passe au vu et au su de chacun. Dans les termes les plus ordinaires, et surtout pour les sommes modiques, une dette se double par les frais de procédure, et celui qui avec deux cent cinquante francs se serait libéré avant toute poursuite, ne voit guère lever son écrou à moins de cinq cents francs, quand les choses en sont allées jusqu’à l’incarcération. Les efforts désespérés qu’il a faits pour éluder la captivité ou pour en reculer le moment sont autant d’ajouté aux difficultés et souvent à l’impossibilité de la délivrance. On a vu quelquefois les charges s’élever dans une proportion plus forte encore, en dépit de la surveillance des magistrats et même des prescriptions de la loi. Sous le poids d’une servitude corporelle et d’un embarras de position, un homme ne conserve jamais l’idée bien nette de son droit, et devient presque toujours une victime résignée ; il ne se défend plus, il s'abandonne. Ce serait alors que la tutelle publique devrait intervenir d’une manière plus efficace, couvrir ces malheureux et les arracher à l’exaction. Des mesures bien simples suffiraient pour cela : un tarif de frais extrêmement modéré et une pénalité rigoureuse contre les hommes qui, en y dérogeant, essayeraient d’abuser de I’infortune. Avec une réforme dans ce sens et quelques exemples sévères, la chasse donnée au malheur n’aboutirait plus à une curée.

J’étais à peine installé à Clichy, et déjà les plaintes de la population qui l’habite frappaient mes oreilles. J’avais pu voir que, pour y vivre convenablement, il faut avoir constamment l'argent à la main : les millionnaires seuls s’y trouvent commodément et avec toutes leurs aises. Au moindre détail est attaché un salaire ; on ne porte pas de la geôle un journal, une bouteille de vin, une lettre, quoi que ce soit, sans qu’il y ait un factage attaché à ce service. Faire transsuder les poches du prisonnier, de manière à ce qu’elles restent complètement à sec, voilà quelle est la grande affaire de la hiérarchie des guichetiers. L’administration ne devrait pas souffrir qu’un pareil mobile dominât, même dans une prison pour dettes : elle est tenue à plus de générosité et de grandeur ; elle devrait se refuser à ces tarifs intérieurs qui ne sont qu’une exaction régularisée, et faire en sorte qu’une peine corporelle, subie dans un intérêt plutôt individuel que social, ne s’aggravât point de charges pécuniaires, que le plus grand nombre des prisonniers ne peuvent supporter sans douleur. L’administration, en outre, devrait être humaine. Dans toutes les prisons de malfaiteurs se trouve une infirmerie, où des soins leur sont assurés ; il n’y a rien à Clichy qui mérite ce nom. Les maladies y sont rares, dira-t-on ; cependant plusieurs prisonniers y sont morts ; ce qui prouve que l’on peut y tomber malade. Les créanciers sont intéressés à la santé de leur gage, et puisque la loi leur rend le service de le séquestrer, il est du devoir de l'administration, ne fût-ce qu'à ce point de vue, de ne pas le laisser périr.

J'avais passé près de vingt-quatre heures à Clichy, sans que personne fût venu m'y voir, et, de la part de Malvina, un si long retard m'étonnait. Je n’accusais pas son cœur ; mais je craignais quelque nouvelle catastrophe. Tant de secousses avaient ébranlé mon cerveau, que les idées les plus sombres l'assiégeaient. Seul dans ma cellule, les coudes appuyés sur la table, et tenant ma tête à deux mains, je me laissais aller à un profond désespoir, quand un bruit me réveilla. C’était elle, c'était ma femme; elle se jeta à mon cou, les yeux inondés de larmes :

« Mon Jérôme, s'écria-t-elle, enfin je t’ai rejoint ; ça n’est pas malheureux. Oh ! ces cerbères de porte clefs ! j’ai cru que je n'en finirais pas. Tiens, que je t’embrasse encore, mon homme, ajouta-t-elle en se jetant dans mes bras. Vrai ! j’ai pensé mourir deux cent cinquante fois depuis hier. J’en pleurais des ruisseaux de larmes. Toi ici ! Dieu ! si ce pauvre oncle vivait ! »

Elle sanglotait, et disait tout cela d’une manière entrecoupée, en m’embrassant et s'essuyant les yeux.

« Oui, Malvina, voilà où je suis venu aboutir, à Clichy ! La leçon est rude : plus d’amis, plus personne.
— Et ta femme donc, Jérôme ! Pourquoi oubliez-vous votre femme, monsieur ? Il ne faut pas m’en vouloir, mon ami : je suis venue deux fois hier, mais porte de bois. Passé trois heures, plus d’entrée. Ça n’est pas tout : pour arriver ici, il faut un permis de la police, rue de Jérusalem, au fond de la cour, un particulier roide comme un clou. J’y vais le soir ; ce monsieur était parti pour aller dîner avec madame son épouse. Ça a des femmes, à ce qu’il paraît. J’y retourne ce matin ; autre ennui. Une heure de queue, mon homme, comme à la Porte-Saint-Martin ; la prison donne, il faut croire. Enfin le respectable employé me délivre mon affaire. Tu n'as pas d’idée de cet air rogue : à empailler, quoi !
— Pauvre chérie, que de mal je te donne !
— Tu crois que c’est tout. J’arrive ici à la porte en deux temps ; trois francs la course ; le fiacre brûlait le pavé, un cocher de choix. Je montre mon permis, et je file vers le guichet. Ah bien oui ! — Madame ! qu’on me dit, madame ! — De quoi ? que je réponds, je vais voir mon mari avec l’assentiment de l’autorité. Vous ne connaissez donc pas la signature de vos chefs. — Si fait, madame, mais il y a une formalité à remplir ; veuillez passer dans le greffe. — C’est bien, que je réplique ; seulement dépêchez-vous.
— A-t-on vu vexation pareille ?
—Tu n’y es pas encore. J'entre, et je vois venir une femme qui me passe les mains sur le corps, sous le châle, sur le…, enfin, partout. A-t-on vu une horreur pareille ? On me prenait pour de la contrebande.
— Ah ! je devine, on voulait voir si tu n’entrais rien de prohibé, de l’eau-de-vie ou autre chose.
— Prohibé ou non, j'ai administré à la commère une poussée dont elle se souviendra. Tâter une femme ainsi : vilaine malhonnête !
— Tu te seras fait quelque mauvaise affaire, ma pauvre Malvina.
— Du tout, du tout ; elle a eu sa poussée. Maintenant elle ira se plaindre au roi si elle veut ; il ne la lui enlèvera pas.
— C’est le règlement de la prison.
— Je te dis qu’elle a eu sa poussée, et que si tout le monde lui en donnait autant, ça la dégoûterait du métier, la commère. Voilà.
— Toujours la même, cette Malvina. On peut le dire : toi, les grandeurs ne t’ont point changée.
— C’est bon, flatteur ! Mais parlons sérieusement. Jérome, il faut sortir de cet antre, il faut en sortir.
— J’y ai songé depuis hier, chérie. En prison, il n’y a que la réflexion de libre : aussi se donne-t-elle carrière. Il n'y a plus à reculer, mon enfant : le nom des Paturot est destiné à une dernière épreuve. Je remettrai mon bilan, c’est le seul moyen qui me reste. Il est tout dressé ; tu le feras porter demain au tribunal de commerce.
— Et quand sortirais-tu, Jérôme ?
— Dans quelques jours, Malvina, avec un sauf-conduit du juge : un huissier viendra lever l’écrou.
— Dans quelques jours, pas plus tôt : tu resterais une semaine dans cet enfer ! Ça ne me va pas !
— Comment faire ?
— Écoute, Jérôme, tu as ton moyen, suis-le ; moi, mon homme, j’en ferai à ma tête. Ces murailles me tombent sur les épaules ; je ne te dis que ça. Embrasse-moi vite, que je file : j'ai des affaires en ville, vois-tu. Adieu, mon pauvre mouton, adieu ! Et soyez sage surtout ; ne vous émancipez pas trop, ajouta-t-elle, en me tapotant les joues.

Elle disparut comme une biche, et de toute la journée je ne la revis pas. Je savais qu’elle s’occupait de moi, cela me consolait. J’essayai de me mêler au mouvement de la maison, je descendis au billard, dans le cabinet de lecture, dans la grande salle commune, où se confondent les prisonniers. Tout respirait la tristesse ; l’odeur même du local avait quelque chose de nauséabond. Cependant, ce jour-là il était facile de remarquer un air de propreté inaccoutumé. On attendait la visite d'un philanthrope connu qu’accompagnait le préfet de police. Dans ces occasions, la sollicitude des directeurs des prisons prend tout à coup un ressort extraordinaire. Ils se souviennent du procédé de Potemkin, et des villages postiches dont il sema l'itinéraire de Catherine de Russie. Par le même coup de baguette, les directeurs redorent et vernissent la cage de leurs administrés, et s’efforcent de donner à la prison un air de luxe et de fête. Les visiteurs trouvent que c’est là un séjour charmant dans lequel on doit nécessairement se plaire : ils félicitent le directeur, et tout est dit. Une note hyperbolique, insérée dans les journaux, complète l’inspection ; après quoi on passe à d'autres prisons et à d’autres exercices.

Le philanthrope qui devait accompagner le préfet de police est un homme qui s’est fait en ce genre une réputation européenne. Toutes les maisons de détention le connaissent ; les bagnes ont longtemps retenti de ses louanges. On lui doit l'amélioration du scélérat au point de vue du tête-à-tête et de l'influence personnelle. Quand il avait gardé un forçat ou un reclusionnaire pendant une demi-heure seulement, il le renvoyait parfaitement amélioré. Ce malfaiteur pouvait désormais prétendre à tout ; il avait droit au prix Montyon. Le philanthrope comptait dans sa vie une multitude de conversions éclatantes : il avait peuplé les bagnes de moralistes qui lui étaient dévoués, et qui y propageaient ses leçons. Jamais spectacle plus édifiant ne fut offert dans l’asile du crime. De quelque attentat qu’un homme se fût rendu coupable, assassin, parricide, peu importe, entrepris par le philanthrope, il cédait, et donnait dès lors l’exemple de toutes les vertus. Les natures les plus rebelles furent ainsi domptées, et il y eut un instant où les âmes pures étaient en si grand nombre dans les bagnes, qu’en comparaison la société paraissait peuplée de chenapans. C’était un danger très-grave. Pour le conjurer, il fallut prier le philanthrope d’améliorer moins complètement le détenu, afin que la société n’eût pas autant à rougir.

Ce philanthrope se rabattit alors sur l’alimentation du prisonnier, et chercha par quelles substances il pourrait se rendre agréable à cette classe intéressante de la société. Le potage de ses protégés se composait communément, soit de bœuf ou de porc salé, soit de bœuf ou de porc frais accompagnés de haricots: nourriture insuffisante ! inhumanité gratuite ! On avait sous la main les éléments des meilleurs consommés, des gélatines les plus substantielles, et, avec cette barbarie qui caractérise les industriels, on en faisait de petits sifflets, des jeux de dominos, des becs de parapluie et autres ustensiles peu pénitentiaires. Le philanthrope exécuta une rafle générale sur ces objets d’art, et les convertit en potages et bouillons alimentaires. Les détenus moururent d’inanition, mais bénirent leur ami ; c’était encore une manière de les amender. Depuis ce temps, le philanthrope vit partout des soupes salutaires et économiques ; il en vit dans les vieilles casquettes et dans les collets des habits, il en vit dans les feutres des chapeaux portés avec persévérance. Tout à ses yeux se transformait en potages, ce fut la seconde phase de sa gloire : elle fit autant de bruit que la première. Les mêmes journaux qui avaient célébré l'amélioration du détenu célébrèrent les perfectionnements de la gélatine : après avoir agi sur les cœurs, le philanthrope se portait au secours des estomacs, et visait à procurer des indigestions aux mêmes bagnes qu’il avait peuplés de moralistes.

Tel était l'homme célèbre qui honorait Clichy de sa visite. Il fut reçu à la porte par le directeur, qui l’attendait de pied ferme et connaissait le pèlerin. Ils échangèrent un regard amical, et l’inspection commença. On parcourut les salles, les cellules, la cuisine. Malheureusement quelques quartiers de bœuf y étaient pendus au croc. Ce spectacle rembrunit le visage de l'inventeur de la soupe aux dominos : il parut se scandaliser de voir que l’on nourrissait Clichy par un procédé si arriéré et si vulgaire ; aussi s’en vengea-t-il en passant dans la salle commune, où se trouvaient de grands bancs en cuir que l’usage avait horriblement graissés.

« Directeur, s’écria-t-il en se tournant vers ce fonctionnaire, quand vous réformerez ce meuble, n’oubliez pas que vous avez là d’excellents consommés. Je vous en donnerai la recette. C’est divin au goût, et tout à fait économique. »

Ainsi parla le philanthrope, tout en cherchant de l’œil, dans la phalange des détenus qui remplissaient alors la salle, s’il n’y en avait pas quelqu’un qui fût susceptible d’être amélioré. L’examen du personnel ne parut pas le satisfaire, et cela se conçoit. Il lui fallait de grands criminels, des scélérats fieffés, et il n’y avait là que de fort honnêtes gens. Aussi l’inspection fut-elle courte. L’essentiel était d’avoir paru sur les lieux, afin de justifier la note que l'on devait insérer dans les journaux du lendemain avec accompagnement de grosse caisse.

— « M***ce philanthrope que l’Europe nous envie, a visité hier la prison de Clichy, et s'est montré « satisfait de la tenue de l'établissement, comparable à tout ce que l'on connaît de mieux en ce genre en « Angleterre, en Prusse, en Amérique et à Otahiti. Il a obtenu une audience de Leurs Majestés pour leur rendre « compte des résultats de cette inspection. On ne saurait trop accorder d'éloges à cette sollicitude active qui « éclate en soupes économiques, etc. »

La comédie était jouée ; la prison reprit sa physionomie ordinaire. Le directeur n’en fut ni plus généreux ni plus attentif ; les guichetiers n’en furent ni plus polis ni moins avides ; le greffe se montra toujours aussi fiscal, et les visites corporelles n’en furent pas moins continuées à la porte. Rien n’était changé dans la prison ; il n’y avait qu’une inspection et une comédie de plus.

La journée se passa, la nuit aussi ; la matinée suivante s’écoula également sans que j’eusse des nouvelles du dehors. J'étais certain que Malvina ne m’oubliait pas : mais, que faisait-elle ? Le chapitre des suppositions était immense, et je ne l’avais pas épuisé, quand un commissionnaire attaché au service de la maison vint m’avertir que l’on me demandait au parloir. J’y courus : Malvina se trouvait là, elle venait de faire lever mon écrou ; j’étais libre. Le capitaliste d’Oscar avait été désintéressé : il ne restait plus qu’à régler avec le greffe. Quand j’arrivai, ma femme y exhalait sa mauvaise humeur :

«  Ah çà, disait-elle, c'est à n’en pas finir. J’irai dire à Louis-Philippe comment l'on tond le pauvre monde ! Encore douze francs ! mais c’est une horreur.
— C’est l’usage, madame, la levée de l’écrou !
— Il est propre, l’usage. Montrez-moi donc ou vous le prenez, l’usage ! Aussi bien, depuis ce matin, je ne fais que donner ! huissier par-ci, greffier par-là, guichetier, geôlier, timbre, quittance, levée d’écrou. Ce n’est pas possible, monsieur ; j’irai me plaindre à la Chambre des députés.
— Allez, madame, vous en avez le droit.
— Oui, et vous ne me rendrez pas mon Jérôme. Tenez, monsieur, ajouta-t-elle avec colère et en jetant trois pièces de cent sous sur la table du greffe, payez-vous. Aussi bien n’est-ce pas acheter trop cher le plaisir de ne plus vous voir. »

Le greffier ne répondit rien, retint sa somme, et rendit le reste : probablement il était habitué à de pareilles scènes. Mes préparatifs de départ furent bientôt faits ; une voiture nous attendait à la porte ; nous partîmes. Quand je franchis le seuil de la prison, il me sembla que je respirais plus librement. Malvina était radieuse.

« Comment as-tu fait ? lui dis-je.
— Ah ! ça, c’est mon secret, répliqua-t-elle.
— Voyons, parle, tu piques ma curiosité.
— Mon homme, quand une femme a son mari sous les verrous, elle n’a plus besoin de toilette, et, comme dit l’autre, le mont-de-piété n’a pas été inventé pour les habitants de la lune. J'ai emprunté dix mille francs à ma tante, voilà. »

Tout s’expliquait : les diamants, les bijoux, les châles de ma femme m’avaient servi de rançon ; elle y avait consacré les débris de notre opulence ; l’argenterie même avait pris ce chemin. C’était encore un de ces moyens qui ne servent qu’à aggraver le mal ; mais ici l’intention couvrait et justifiait tout. Cependant il fallut songer à dégager ces objets. Je déposai mon bilan et obtins de l’argent de la faillite les premières sommes disponibles pour opérer ce retrait. Il importait de toutes les manières à la masse des créanciers de rentrer dans des valeurs plus fortes que l’avance qui avait été faite. Je me rendis donc avec la reconnaissance d’usage dans le bureau que m’indiqua Malvina.

Ma pauvre femme avait été fort mal inspirée dans ce choix : guidée par ses souvenirs, elle s’était adressée à l’un des commissionnaires du mont-de-piété, qui grèvent d’un droit à leur profit les sommes qu’ils procurent. Cette institution est, dans bien des cas, un piège dont le gouvernement se rend complice. Les déposants qui se rendent dans ces maisons croient avoir affaire à des agents de l'État et non à des personnes qui opèrent pour leur compte ; elles ignorent qu’en s’adressant à l’établissement principal, elles y trouveraient de l’argent à trois pour cent de moins que dans ces succursales. Malvina avait eu affaire à l’un de ces intermédiaires, et il fallut supporter toutes les conséquences de son erreur. Je me présentai à son bureau avec la somme nécessaire pour retirer le gage. Le dépôt avait été fait un mois et un jour auparavant ; voici ce qu’il nous coûta et sous quel décompte j’obtins la restitution des objets :


Somme avancée : 10.000 fr.
Droit du commissionnaire : 2 centimes par franc, 2 p. 0/0 pour engagement : 200
Droit du commissionnaire : 1 centime par franc, 1 p. 0/0 pour Dégagement : 100
Droit de prisée : 1/2 p. 0/0 : 50
Intérêts et frais du mont-de-piété : 1 1/2 p. 0/0 (le mois commencé comptant pour un mois plein) : 150
500 fr.

C’est-à-dire que le gouvernement, qui proscrit et punit l’usure, m’avait prêté, sur gage, de l’argent à raison de 60 pour cent par an. Il est vrai que le mont-de-piété est une institution philanthropique.


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