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Quand on sut, à Siam, l’arrivée du roi, tout le peuple fut au-devant de lui, on détela les chameaux de sa voiture, et on le porta en triomphe jusqu’à la dernière cour du palais. Il combla de caresses et de remerciements tous ses sujets, il les revit avec plaisir, et fut revu de même. Il courut sur-le-champ auprès d’Idamée qui tomba en faiblesse à la vue de son époux. Il la rappelle lui-même à la vie, lui témoigne mille amitiés, la prie de ne plus s’occuper du passé, et lui jure qu’il l’a oublié lui-même tout à fait. Ces paroles ne la rassuraient point ; elle craignait que le mandarin n’eût été décapité ou renfermé pour le reste de ses jours ; mais elle apprit bientôt qu’il respirait, et qu’il vivait fort heureux dans la place honorable que venait de lui donner l’empereur. Soit qu’Idamée fût réellement touchée de la générosité du roi, soit qu’elle fût poursuivie par les remords, elle ne laissait pas passer un jour sans se faire conduire au temple pour adorer la divinité, et lui faire des sacrifices. Sa piété fit le plus grand plaisir à Almoladin ; mais elle avait perdu son estime et son amitié. Il ne pouvait que la plaindre. Le sentiment de la pitié a bien du pouvoir sur les âmes pures et honnêtes, et c’est tout ce qu’éprouvait le roi de Siam pour son épouse. Son fils
L’ambassadeur de ce monarque ne manquait pas de faire sentir à Almoladin que le sultan serait flatté de l’alliance de la princesse sa fille avec le prince de Siam. Le roi de Siam accueillit, on ne peut pas mieux, cette proposition, mais sans assurer que la chose se ferait. Il ne cacha point à l’ambassadeur que, comme ami du sultan, il serait enchanté de le revoir, de lui présenter son fils, mais qu’avant de conclure, il voulait examiner et juger si le prince et la princesse se convenaient mutuellement. Il ajouta qu’il ne voulait point suivre l’exemple de tous ses égaux ; que ce choix était plus important qu’on ne le pensait ; que ce n’était point la politique qu’il fallait consulter, ni les intérêts des deux couronnes ; qu’il s’agissait du bonheur de deux êtres
L’ambassadeur applaudit au projet du roi, et lui demanda la permission d’instruire son maître de son arrivée, ce qu’il lui défendit expressément ; et, pour s’assurer que l’ambassadeur exécuterait ses ordres, il ordonna que toutes les lettres pour son pays fussent interceptées. Il prépara promptement et en peu de jours tout pour son voyage. Il laissa à Siam son sage mandarin pour veiller aux affaires d’État pendant son absence ; il fit part à lui seul de son projet, et fit répandre partout, qu’il emmenait son fils visiter ses provinces. La reine parut affligée de ce départ ; malgré ses erreurs, elle avait le cœur d’une mère, et elle aimait le prince Noradin. Leur séparation fut touchante. Le roi prit fort peu de monde avec lui, et n’informa point son fils de son dessein ; on cingla vers les îles Maldives. Almoladin s’arrêta dans toutes les îles du roi des treize provinces. Il y faisait remarquer à son fils toutes les beautés qui s’y rencontraient. Avant d’arriver à Malé
À peine étaient-ils débarqués, qu’ils virent venir à eux un char rempli de femmes, parmi lesquelles on en découvrait une d’une beauté ravissante ; c’était une jeune personne de quinze ou seize ans. L’aspect des étrangers, cette escorte nombreuse les fit arrêter ; on n’entrait point dans cette île sans les ordres du sultan. Ceux qui environnaient le char demandèrent à Almoladin quel était son dessein. Celui de voir le sultan, et il n’en sera pas fâché, je vous en assure. Noradin regardait la jeune personne, et elle l’examinait à son tour.
On se disposait à conduire Almoladin devant le sultan ; Noradin ne manqua pas de faire remarquer à son père cette jeune beauté. Almoladin voulut faire des questions pour savoir qui elle était ; mais comme on croyait sa curiosité suspecte, on ne le satisfit point sur cet article.
À peine le char eut-il fait deux pas, que l’essieu
Almoladin ne cessait de considérer cette jeune personne. Il lui demanda la permission de la conduire chez elle, mais elle fut entourée sur-le-champ par la foule du peuple, et elle disparut à leurs yeux sans lui répondre ; eux-mêmes se trouvèrent seuls, sans leur suite qui s’était dispersée pendant le tumulte occasionné par cet accident. Almoladin, qui s’était aperçu du trouble de son fils et de l’inquiétude où il était plongé, pour savoir où on emmenait cette jeune beauté, lui dit : Voilà un événement bien triste, mon fils ; mais heureusement vous avez sauvé la plus jeune et la plus jolie de ces femmes. Il paraît qu’elle appartient à des gens riches et considérés du pays où nous sommes, puisque tout le monde est accouru après elle. Mon père, lui dit le prince, je n’ai jamais rien vu de plus intéressant. Ah ! si jamais j’étais maître de prendre une femme à mon choix, je ne voudrais que cette personne pour mon épouse. Quoi ! vous pensez déjà au mariage, mon fils ! lui dit le roi. Eh ! ne savez-vous pas qu’un prince ne peut suivre son inclination, et que son épouse doit sortir d’un rang illustre ? Je sais tout cela, mon père, répondit Noradin ; mais je sais aussi qu’un homme sage, prince ou roi, doit suivre la loi de la nature plutôt qu’un vain préjugé établi par les hommes. Je sais bien enfin que, s’il me fallait régner aux dépens de mon bonheur et de ma tranquillité, j’aimerais mieux renoncer à la couronne. Cette couronne est-elle un bien si flatteur, si doux, qu’elle puisse nous tenir lieu des plus douces affections du cœur. Le roi ne savait que répondre à ces raisonnements. Il les trouvait trop forts pour un prince de l’âge de son fils, et il vit qu’il avait tout à craindre ou à espérer d’une tête formée d’aussi bonne heure : il était alarmé des progrès rapides que cette jeune personne avait faits, dans cette entrevue d’un instant, sur l’esprit et le cœur de son fils. Il prit le parti de ne pas continuer la conversation, et de s’acheminer vers le palais du sultan. On cherchait déjà partout le jeune étranger qui avait sauvé les jours de la princesse. Ô surprise étonnante ! Rencontre heureuse ! Celui qui accompagnait le char reconnut les deux étrangers ; et prenant Noradin par la main, venez, dit-il, venez, jeune étranger, chercher la récompense due à la belle action que vous avez faite aujourd’hui. Il le tenait sous le bras, et le faisait marcher à grands pas. Almoladin avait peine à les suivre. Enfin, ils arrivèrent aux portes du palais du sultan où Almoladin trouva ses sujets ; mais il n’eut pas le temps de les interroger. Le sultan, qui brûlait de voir l’étranger qui avait sauvé sa fille, était sur un des balcons d’une galerie du palais ; sa fille, son épouse, ainsi que la famille royale, étaient avec lui. La princesse s’écria du plus loin qu’elle vit Noradin. Le voilà, mon père, parmi ces étrangers, celui à qui je dois mes jours et le bonheur de vous voir encore. Le roi de Siam et son fils reconnurent que la jeune personne était la fille du sultan. Quelle fut la surprise du sultan à son tour quand il reconnut Almoladin son bienfaiteur, celui qui l’avait remis sur le trône. Il se douta bien que c’était son fils qui avait sauvé sa fille ; et, sortant brusquement, il renversait tout ce qui s’opposait à son passage, et vola au-devant du roi de Siam. Ces deux souverains s’embrassèrent avec une tendresse inexprimable. Ah ! mon père, dit Noradin, vous m’avez caché que c’était à Malé que vous me conduisiez, et que le sultan, votre ami, avait une fille si intéressante. J’avais mes raisons, lui répondit Almoladin, pour en agir ainsi ; et cette surprise est cent fois plus intéressante à vos yeux que si je vous avais découvert mon projet.
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