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Palémon ne fut pas insensible à tant de charmes. Il ne put leur résister. Le premier trait de l’amour pénétra dans son cœur, et la jeune princesse en fut de même blessée,
Le roi de Golconde envoya un ambassadeur extraordinaire pour demander la main de la princesse pour son fils ; c’était le grand ami de son père, et il ne pouvait guère refuser cette demande du monarque. Il répondit qu’il y consentait, si le roi de Golconde pouvait avoir le consentement de l’ancien roi de Siam, son père, dont il n’ignorait pas l’absence. Tous les souverains furent priés de faire chercher le roi Almoladin, chacun dans son royaume : toutes les recherches furent vaines. Almoladin vivait trop rustiquement pour qu’on pût le reconnaître. On le cherchait dans les villes, parce qu’on savait qu’il était grand observateur, tandis qu’il n’était plus qu’un simple habitant du hameau de Galles, un laboureur. On ne soupçonne plus ; on ne va plus chercher les grands hommes à la charrue. De façon que le roi de Siam, sous le nom de Corydas, resta parfaitement inconnu :
Son fidèle mandarin ne manqua pas de lui faire part de l’élévation étonnante et rapide de son fils Palémon. De son côté, Palémon proposait à son père de le présenter au roi de Siam, qui, disait-il, désirait absolument connaître toute sa famille. Almoladin, sous le nom de Corydas, répondit à son fils d’assurer le roi de tous ses remerciements et de son respect, mais qu’il était né au village, et qu’il ne voulait point connaître la cour. Palémon se proposait d’aller voir en triomphe les auteurs de ses jours, mais l’amour avait fait de grands progrès dans son cœur, et la jeune princesse étant tombée malade, tant d’amour que de crainte d’être unie à tout autre qu’à Palémon, cela dérangea ses projets. Oui, disait en elle-même cette jeune princesse, si on ne me forçait pas du moins dans mes vœux, je vivrais auprès de mes parents, en l’aimant secrètement toute ma vie. Une barrière immense est entre lui et moi, et je serai toujours malheureuse. Enfin, on désespérait de ses jours. Un des plus habiles médecins de Siam dit qu’il fallait envoyer la princesse à la campagne, et lui laisser le choix, en hommes comme en femmes, de ceux qui conviendraient le mieux à son caractère, et qui lui seraient le plus agréables ; qu’il y avait plus d’ennui et de langueur dans sa situation, qu’un genre décidé de maladie.
Il fut donc arrêté
La joie de la princesse ne peut se concevoir. À peine a-t-elle abandonné les portes de Siam, que l’air de la campagne, l’aspect de son amant, raniment insensiblement ses forces, et lui donnent un nouvel éclat de beauté. La faveur étonnante de Palémon excite la jalousie ; et les complots de cour font en peu de temps de rapides progrès. Tous les souverains de l’Asie redoutaient le roi de Siam, depuis qu’il avait à la tête de ses troupes ce guerrier intrépide, ce héros redoutable.
Malgré tous ses avantages, Palémon ne se croyait pas digne de la princesse. Il se regardait comme le dernier des hommes ; son amour s’augmentait par la contrainte et les difficultés qu’il prévoyait. Quoi ! se disait-il en homme d’esprit, le roi m’a nommé son frère, l’appui de sa couronne, et je n’ose prétendre au titre d’époux de sa fille ! Mon courage a mérité son estime ; peut-être sans moi serait-il au pouvoir de ses ennemis, et le préjugé l’empêche de me récompenser par le don de la main de sa fille. Qui sert bien sa patrie et son souverain, ne peut-il pas prétendre à la couronne ? Je n’ai point cette ambition, mais je désirerais que le roi, pour prix de mes heureux travaux, m’accordât le titre de son gendre
La princesse était entourée de serviteurs perfides, qui voyaient avec peine la préférence de Palémon sur tous les autres courtisans. Malheureusement pour lui et pour la princesse, sa première femme d’honneur éprouvait la plus vive passion pour Palémon ; et son dédain irrita cette femme jusqu’à la haine, et la porta à conspirer contre l’homme qui avait cependant su l’intéresser. Mais l’amour-propre blessé chez les femmes les rend presque toujours cruelles
La déclaration que venait de faire la princesse à cette cruelle confidente, lui inspira le projet de mettre cet aveu à profit pour ses propres intérêts. Elle se décida à faire part au jeune héros de la passion que la princesse avait pour lui, pour juger, par la manière dont il recevrait cette confidence, s’il était lui-même insensible à l’amour. S’il n’est pas indifférent, si la princesse est payée de retour, alors, dit-elle, je lui ferai apercevoir tous les dangers de cet amour peu sortable, et j’espère qu’il écoutera plus favorablement mes sentiments et ma tendresse. Elle affecta de plaindre beaucoup sa maîtresse, en lui disant même, qu’elle servirait son amour, si elle pouvait se persuader que Palémon en fut digne ; et qu’elle mettrait tout en usage pour combler ses vœux. Ah ! qu’il ignore à jamais mes sentiments secrets, lui répondit la jeune princesse, je serais bien plus à plaindre s’il en était jamais instruit ; mais il était nécessaire pour moi de m’épancher dans le sein d’une amie. Elle finissait ces paroles quand le roi et Palémon arrivèrent ensemble. La princesse se leva, fut au-devant de son père, mais elle ne put retenir ses larmes ; elle était agitée par la crainte que son père ne lui parlât de mariage. Elle ne se trompa point ; le roi lui dit : ma fille, je suis au comble de mes vœux. Mon bonheur est parfait de vous voir rétablie. Le roi de Golconde vous attend avec impatience. Ô mon père, s’écria-t-elle, en se jetant à ses pieds, qu’importe le roi de Golconde à mon bonheur, à votre félicité ! Je suis la seule qui vous reste de vos enfants, et vous voulez me sacrifier aux usages ordinaires. Ah ! mon père, que je vive toujours auprès de vous, près de la reine, et je passerai les jours les plus heureux ; je préférerai mon sort au sceptre le plus brillant, à l’empire du monde : le roi serra sa fille dans ses bras, et chercha tous les moyens possibles de la consoler et de la calmer. Palémon détourna son visage pour cacher ses larmes ; le roi s’en aperçut : Ah ! ne cachez pas vos pleurs, lui dit Noradin ; guerrier magnanime, je vois que ma fille vous intéresse. Vous lisiez bien dans son cœur quand vous m’avez voulu détourner de cette alliance ; je vous en ai beaucoup d’obligation ; et toi, ma fille, rassure-toi, je vais tenter tout pour rompre cet hyménée
La princesse prit le change ; et convaincue de la fidélité et de l’attachement de sa confidente, elle ne s’opposa point à son éloignement. Palémon se voyant seul avec la princesse, bonheur dont il n’avait encore pu jouir jusqu’à ce moment, retrouva l’usage de la parole, et il osa dire à la princesse que, quoiqu’il ne désirât point qu’elle s’éloignât jamais du roi et de la reine, il ne pouvait s’empêcher de plaindre le roi de Golconde, qui perdait l’espoir de la voir jamais devenir l’épouse de son fils. Ah ! lui répondit-elle, quels regrets peut-on avoir d’une femme qu’on n’a point vue ? … Que serait-ce, madame, s’il avait joui du bonheur de vous voir ! Sans doute il serait bien plus à plaindre. La princesse ne savait que répondre : elle ne s’aperçut que trop de tout l’amour de Palémon. Elle craignait de lui en imposer, en détournant la conversation, mais en la lui laissant continuer, elle craignait encore davantage. ― Ah ! lui dit-elle enfin, que les filles des souverains sont infortunées ! croyez-vous, madame, reprit Palémon, que les fils de laboureurs le soient moins, quand ils ont les sentiments aussi élevés que ceux des fils de rois ? — Ah ! que ne suis-je, dit la princesse, dans un rang obscur ! Ils formaient ainsi tous deux des vœux contraires, et qui cependant avaient le même but. Que le jeune Palémon se serait cru heureux s’il avait eu une véritable connaissance de son sort ! mais la destinée voulait encore qu’il l’ignorât. La confidente revint heureusement pour les deux amants ; mais l’Amour, qui les avait déjà blessés l’un et l’autre avant cette conversation, se fit sentir plus vivement à leurs cœurs depuis qu’ils étaient convaincus de leur flamme réciproque.
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