Corpus Les Dangers de la coquetterie

Lettres X à XII

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LETTRE X.

La Marquise d’Hersilie à la Baronne de Cotyto.

Du Château d’Hersilie.

Votre Lettre, ma chère Baronne, m’a causé un vrai chagrin. Est-il possible qu’avec autant d’esprit, vous donniez dans un travers qui vous perdra pour la vie ? Voyez où votre imprudence vous a déjà conduite ; ce n’est pas la dixième aventure de ce genre ; mais celle-ci est d’autant plus cruelle, que M. de Cotyto est absent. Vous avez raison de trembler qu’il ne l’apprenne, et beaucoup trop de gens s’empresseront de l’instruire. Vous avez des ennemis, et vous ne donnez que trop de prise à la médisance. Je vous afflige, j’en suis désespérée ; mais l’amitié que vous m’avez inspirée, malgré votre folie, m’autorise à vous parler vrai. Il est impossible que vous trouviez le bonheur dans le tourbillon[Par Clement P] Dans le tourbillon : dans l'agitation. où vous vivez : croyez-moi, la paix du cœur est préférable aux vains honneurs qu’on vous rend ; votre jolie figure, et votre étourderie, vous donnent seules des adorateurs ; ce ne sont point les qualités de votre esprit qu’on chérit en vous, ce sont vos grâces, et tel qui vous dit que vous êtes adorable, n’attend peut-être, pour chanter la palinodie[Par Clement P] Palinodie : rétractation, désaveu de ce que l’on a pu dire ou faire., que le moment où vous aurez comblé ses vœux. De quels remords ces réflexions ne doivent-elles pas vous accabler ? Vous pourriez faire le bonheur d’un Mari estimable, être chérie de vos Amis, et vous finirez par être méprisée ; oui, méprisée, le mot est dur, j’en conviens, mais il est appliqué. Vous êtes encore assez jeune, ma chère Baronne, pour réparer votre réputation : renoncez à vos erreurs, fuyez la société qui vous séduit et vous plaît, parce qu’elle vous amuse, mais qui vous perdra infailliblement. Si vous m’en croyez, allez passer l’été chez la Comtesse de Fronie[Par Clement P] Comtesse de Fionie et non de Fronie. ; c’est une femme charmante, et chez laquelle vous trouverez des ressources infinies[Par Clement P] Une femme [...] chez laquelle vous trouverez des ressources infinies : une femme qui vous apportera beaucoup. ; souvent je l’ai entendue vous plaindre sans vous blâmer, et désirer que le bandeau qui vous couvre les yeux se dissipe.[Par Clement P] Le bandeau qui vous couvre les yeux : tournure métaphorique, exprimant l'aveuglement de la Baronne de Cotyto face à ses désirs et agissements. Quand on vous verra liée avec une femme de ce caractère, on oubliera bientôt vos folies : c’est dans l’âge où l’on en peut faire qu’il faut les abjurer[Par Clement P] Abjurer : renoncer solennellement. ; si vous attendez que les ans aient moissonné vos charmes[Par Clement P] Que les ans aient moissonné vos charmes : que vous ayez vieilli., pour mettre une réforme dans votre conduite, le Public, loin de vous en savoir gré[Par Clement P] Vous en savoir gré : être satisfait de votre conduite., vous blâmera, et ne regardera votre conversion que comme un dépit ; vous ne recouvrerez jamais son estime, et vous finirez vos jours dans les tourments des remords. Vous me demandez des consolations, je suis trop votre Amie pour vous offrir autre chose que des conseils. Si vous craignez que la Comtesse ait appris votre aventure, venez me voir ; je mettrai tout en œuvre pour vous consoler ; je vous renverrai raisonnable, l’automne prochain : cette métamorphose me ferait bien de l’honneur, et je serais comblée que vous en retirassiez tout le fruit. Adieu, ma chère Baronne, réfléchissez bien à ce que je vous dis, suivez mes avis, et vous jouirez d’un bonheur bien préférable à l’illusion qui vous entoure.

LETTRE XI.

La Baronne de Cotyto à la Vicomtesse de Thor.

De Paris.

Venez bien vite, ma belle Amie, me consoler des chagrins que j’éprouve. Je ne sais plus où j’en suis ; mon aventure de la grotte fait le plus grand bruit. Il n’y a pas jusqu’à la Marquise d’Hersilie qui blâme fortement ma conduite ; je ne suis cependant pas coupable. Que peut-on me reprocher ? Rien, que d’avoir marqué trop de fermeté pour résister à l’attaque imprévue du Marquis de Lubeck. Il ne manque plus, pour ajouter à ma honte, que M. de Cotyto en soit instruit ; je suis une femme perdue sans ressource. Comment pourrai-je me justifier devant lui ? La Marquise d’Hersilie ignore que son Mari est l’auteur de cette affreuse catastrophe ; je vois maintenant combien je m’étais trompée. Je ne puis m’empêcher de convenir que Madame d’Hersilie a raison. Elle m’invite d’aller passer l’été chez la Comtesse de Fionie, son Amie, ou de venir avec elle ; cette proposition me flatte infiniment. Il est certain que la société[Par Clement P] Société : compagnie. d’une femme, dont la réputation est bien établie, pourrait contribuer à réparer la mienne que mon imprudence m’a fait perdre. Je sais aussi le plaisir que cela ferait à mon Mari, qui a pour ces deux femmes une parfaite estime. Ce n’est point un reproche que je veux vous faire ; je suis trop convaincue de votre amitié, pour ne pas dévoiler les secrets de mon cœur. J’ai toujours eu une extrême répugnance à mener une vie si bruyante ; c’est peut-être faute d’usage et d’esprit. Le rôle que vous voulez me faire jouer[Par Clement P] Le rôle que vous voulez me faire jouer : allusion théâtrale. ne me convient pas ; je prévois qu’il en pourra résulter une source de malheurs. Au milieu des plaisirs les plus vifs, je sens un vide affreux qui me tourmente. Pour la première fois de ma vie, je m’avise de réfléchir. Je ne partirai pas sans avoir reçu de vos nouvelles ; mais de grâce, ma chère Amie, ne cherchez pas à me détourner de la sage résolution que j’ai prise de changer de façon de vivre. La Lettre de la Marquise d’Hersilie m’a fait une telle impression, que je ne puis me refuser à ses raisons. Je vais encore essayer de courir après le bonheur. Il semble fuir devant moi au moment où je crois le toucher ; mais aussi c’est votre faute. Pourquoi vous absentez-vous aussi longtemps ? tout cela ne serait peut-être pas arrivé. Je ne sais comment vous faites, je ne vous ai jamais vu aucun chagrin dans le temps où votre Mari vous tourmentait sans cesse ; vous étiez, toujours aussi folle[Par Clement P] Folle : d’humeur enjouée. et aussi gaie ; on ne donnait pas une fête que vous n’en fussiez. Enseignez-moi votre secret, ou je pars sur le champ.

LETTRE XII.

Le Baron de Cotyto[Par Ethan P] Il s'agit de la seule et unique lettre de ce personnage. C'est une réponse directe aux inquiétudes des Lettres IX, X et XI dans lesquelles la Baronne de Cotyto s'inquiète du fait que son mari puisse être instruit de son aventure dans la grotte. au Chevalier d’Ernest.

De Nancy.

C’est à vous que je m’adresse, mon cher Chevalier, pour m’éclairer sur une aventure qui fait le plus grand bruit ; je ne l’ai apprise que par hasard. Un des Capitaines de mon Régiment [Par Clement P] Capitaines : chefs d’une compagnie de gens de guerre, soit à pied, soit à cheval. Régiment : unité militaire de l'armée, composée de plusieurs bataillons ou escadrons.avec lequel je suis fort lié, ayant entendu faire des plaisanteries indécentes sur le compte de Madame de Cotyto, m’en a prévenu. On raconte l’aventure de cent manières différentes ; mais un point sur lequel on s’accorde, c’est que le Marquis de Lubeck s’est battu pour elle avec le Marquis d’Hersilie ; que Lubeck est dangereusement blessé, et que la Marquise d’Hersilie s’est retirée dans sa Terre. Ce qui est un problème pour moi, c’est que Madame de Cotyto me mande qu’elle va passer l’été à Hersilie. Je n’y comprends plus rien ; en grâce, mon Ami, éclaircissez-moi cette affaire, vous sentez combien elle est importante pour moi. Je compte assez sur votre amitié, pour être persuadé que vous ne chercherez point à me déguiser la vérité.[Par Clement P] Déguiser la vérité : mentir. Ah ! mon Ami, que ceux qui ont des femmes raisonnables sont heureux !


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