Corpus Les Dangers de la coquetterie

Lettres XIII à XIV

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LETTRE XIII.

Le Chevalier d’Ernest au Baron de Cotyto.

De Paris.

Est-il possible, mon AmiMon Ami : cet usage de la correspondance dépasse ici la marque de politesse pour suggérer une véritable amitié., qu’avec de l’expérience vous ne soyez pas convaincu que la plus petite aventure, passant de bouche en bouche, finit par faire le sujet d’un roman compliquéFinit par faire le sujet d'un roman compliqué : se transforme en un récit exagéré par les rumeurs. ? Il est très vrai qu’il est arrivé une scène désagréable à Madame de Cotyto ; mais les Amants dédaignés et les femmes jalouses de ses charmes ont étonnamment grossi les objets. Loin d’en être affligé, je vous conseille de vous en réjouir ; car ce petit désagrément la corrigera de sa coquetterie, et c’est le seul défaut que je lui connaisse. Elle va passer l’été chez la Marquise d’Hersilie qui était partie bien avant cet événement, et même qui l’ignore. Le Marquis de Lubeck se porte beaucoup mieux, et je suis fort aise que d’Hersilie lui ait donné cette leçon ; il était trop présomptueux. Madame de Cotyto s’est alarmée trop légèrement, c’est encore une consolation pour vous ; une femme accoutumée à manquer à ses devoirs, ne se serait pas effrayée d’une légère tentative. Ses cris ont fait soupçonner un très grand malSaut de ligne à corriger

et le Marquis d’Hersilie a cru devoir prendre la défense de la femme de son Ami, surtout Madame d’Hersilie étant liée avec Madame de Cotyto. Je conviens qu’une tête un peu plus froide Une tête un peu plus froide : une personne gardant son calme et sa lucidité dans une situation difficile.se serait modérée, et aurait donné moins d’éclat à une misère ; mais le mal est fait, tout le monde blâme le Marquis de Lubeck et loue beaucoup Madame de Cotyto. Ainsi, mon Ami, puisque le Public est content, vous auriez tort de ne pas l’être. Un peu de philosophieLe Dictionnaire de l'Académie de 1798 définit ainsi le mot philosophie : "se dit aussi d’une certaine fermeté et élévation d’esprit, par laquelle on se met au-dessus des accidents de la vie, et des fausses opinions du vulgaire.", mon cher Baron, elle est nécessaire dans ce monde. Adieu, tranquillisez votre esprit.

LETTRE XIVCette lettre, qui joue un rôle dans le dénouement et qui a été plus souvent citée que d'autres, peut être comparée aux grandes lettres de la Marquise de Merteuil dans les Liaisons dangereuses..

La Vicomtesse de Thor à la Baronne de Cotyto.

Du Château de….

Ah ! Cela est trop risible ! Pour un petit événement prendre l’alarme ; vous aviez bien raison, ma chère Amie, de dire que ce genre de vie ne vous convient pas. Avant de vous le faire prendre, j’aurais dû étudier davantage votre caractère, et ne pas vous initier dans les sublimes mystèresSublimes mystères : expression qui fait référence à une initiation religieuse, ici elle est appliquée ironiquement au monde libertin. . J’espère dans peu vous voir figurer parmi les Sœurs GrisesParmi les Soeurs Grises ou les Dames de Charité : les deux expressions renvoient à des congrégations religieuses féminines qui viennent en aide aux pauvres et aux malades. ou les Dames de Charité. Cela sera tout à fait édifiantÉdifiant : incitant à la vertu, à la piété. ! Une des plus aimables et des plus jolies femmes de Paris abandonner le monde à vingt ans, et renoncer à tous les plaisirs qui volaient en foule sur ses pas ; quel exemple allez-vous donner ! Ah ! Ma chère Amie, vous êtes bien enfant ; cela n’est pas pardonnable ! Croyez-vous que la Marquise d’Hersilie, qui s’érige en censeur et qui fait la prude, se serait retirée dans ses Terres sans murmurer, si elle n’eût pas eu des raisons que, sans doute, elle a l’adresse de cacher ? Vous vous êtes alarmée sans sujet ; sommes-nous responsables de la sottise des hommes ? Ils se battent pour nous, le grand malheur ! N’ayez pas d’inquiétude, ils ne se tueront pas tous. Et puis, n’aviez-vous pas raison ? Si vous eussiez laissé faire M. de Lubeck, que devenait votre vertu ? On plaisante ici nos deux champions d’une jolie manière. Vous me paraissez tellement décidée à vous retirer du monde, que je vais travailler d’avance à vous faire canoniserCanoniser : admettre une personne défunte au catalogue des saints pour qu'elle soit l'objet d'un culte officiel.. Vous trouverez peu de gens qui auront foi à vos reliquesReliques : objets auxquels on attache un grand prix, une grande valeur sentimentale et que l'on garde en souvenir. ; on ne manquera pas de dire que c’est un désespoir amoureux qui vous a engagé à prendre un parti si violent. Voilà le monde ! Faites bien, il trouve toujours du louche dans vos actions, criez ou ne criez pas, cela est égal. Vous me demandez mon secret, rien n’est plus simple. Je me gouverne selon mes goûts : je prends mon plaisir où je Je trouvetexte à corriger, sans jamais m’inquiéter de ce qui peut en résulter. Rien ne me divertit autant que de voir tous ces sots se disputer un cœur qu’ils n’auront jamais. Je les traite comme de vils esclaves que mes charmes tiennent enchaînés, et je regarde leurs hommages comme un tributTribut : offrande, hommage. dû à la Beauté ; notre sexe est fait pour régner. Est-il rien au-dessus de notre sort, quand la Nature, nous prodiguant ses dons, nous met au rang des divinités que les mortels adorent ? Mais vous dédaignez tous ces vains hommages, vous allez priver inhumainement Paris de son plus bel ornement, pour aller jouer d’après nature la comédie dans les magnifiques granges de la Marquise d’Hersilie, et régner avec elle sur son petit peuple ailé : ce sont les seuls Amours qui habitent cet antique Château ; on n’a pas besoin de leur couper les ailes pour les fixer. Si vos occupations sérieuses ne me chassent point de votre souvenir, écrivez-moi ; car, s’il me prend quelque jour la fantaisie de devenir raisonnable, j’aurai besoin de vos sermons ; la Marquise d’Hersilie est très vexée sur ce point, et vous serez bientôt en état de faire ensemble un nouveau Traité sur le Mépris des Vanités de ce monde. Si vous parvenez à me convertir, vous ferez un grand miracle. Adieu, ma belle recluseRecluse : personne menant une vie strictement cloîtrée..


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