Corpus Les Dangers de la coquetterie

Lettres XVII à XIX

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LETTRE XVII.

La Comtesse de Fionie à la Marquise d’Hersilie.

Du Château de Fionie.

Il faut que je vous écrive, ma charmante Amie, car si j’attendais que vous en prissiez la peine, je serais encore longtemps sans recevoir de vos nouvelles. M. d’Hersilie est bien plus aimable que vous, il est venu me voir ; et cela n’est pas peu de quitter Paris pour la campagne, aussi lui en ai-je la plus grande obligationObligation : engagement qui naît d'un service reçu.. Il m’a cependant fâchée contre vous, en m’assurant que vous préfériez le séjour de la Province à celui de ParisNous avons appris dès la première lettre que c'est M. d'Hersilie qui est à l'origine du départ de la Marquise. Nous voyons ici un exemple de circulation des mensonges et informations erronées dans le cadre polyphonique du roman épistolaire.. Rien ne vous appelle donc auprès de vos Amies ? Auriez-vous sitôt oublié combien elles vous aiment ? Ce serait une injustice dont je vous crois incapable ; mais, en grâce, réparez vos torts promptement ! Comment passez-vous votre temps ? Je suis bien sûre que vous ne vous ennuyez pas. Quand on a autant de ressources dans l’esprit, on trouve aux endroits les plus déserts, des occupations qui savent remplir tous les moments. J’aurais bien du chagrin s’il n’y en avait pas un pour moi pendant le cours d’une journée, et vous seriez bien ingrate ; car vous n’avez pas d’Amie plus sincère. Si la santé de M. de Fionie l’eût permis, nous aurions été vous voir avec le Chevalier d’Ernest et Madame de Singa ; ils vous sont aussi bien sincèrement attachés. Le Chevalier m’avait dit que la Baronne de Cotyto devait aller passer l’été à Hersilie ; il paraît qu’elle en a décidé autrement : une pareille retraite lui aurait fait grand bien. Cette jeune femme se perdSe perd : se déshonore, se fait du tort dans l'opinion des autres. sans s’en douter. Adieu, ma charmante Amie, soyez aussi heureuse que vous le méritez.

LETTRE XVIII.

La Marquise d’Hersilie à la Comtesse de Fionie.

Du Château d’Hersilie.

Non, mon Amie, vous ne m’auriez pas prévenue, que je n’aurais pas oublié mon attachement pour vous. Je réclame votre indulgence. Vous n’ignorez pas combien un changement de domicile cause d’embarras. Mon départ a été si précipité, qu’à peine ai-je eu le temps de me reconnaîtreDe me reconnaître : de reprendre mes esprits.. Mais il le fallait : car comment aurais-je pu me débarrasser des instances de ma famille et de mes Amis, qui auraient employé le pouvoir qu’ils ont sur mon esprit, pour me détourner de ce voyage ? il était nécessaire d’après le projet que j’ai d’élever moi-même mes enfants ; il faut des soins auxquels la vie dissipéeUne vie dissipée : une vie occupée davantage par les plaisirs que les devoirs. que l’on mène à Paris ne permet pas de se livrer. Ma Lise est dans l’âge où tous les moments sont précieux. Je n’aurais rien à désirer, si M. d’Hersilie eût consenti à venir partager mes travaux.Dans ce paragraphe, la Marquise d'Hersilie choisit de répéter le mensonge de son mari concernant son départ.

Beaucoup de personnes me plaignent, à ce qu’on m’a écrit : ah ! c’est qu’elles ne connaissent que la vie bruyante. À la campagne tout est jouissance. À Paris, lorsque je me levais, le soleil avait déjà parcouru la moitié de son tour, et les jours n’avaient point de fin. Ici, la multiplicité de mes occupations champêtres me les fait trouver une fois trop courts. Jamais je n’avais goûté le plaisir de contempler le lever de l’aurore. On ne vit point à la ville. Mon appartement est au levant. De ma terrasse on découvre une immensité de pays entrecoupés de montagnes et de vallées arrosées de rivières et de ruisseaux qui les fertilisent. Je ne puis me lasser d’admirer avec quelle majesté s’élève au-dessus de l’horizon l’astre qui vivifie toute la nature : à son aspect tout prend un air riant. Vous ne me reconnaîtriez pas, mon Amie, je suis une vraie fermière. Le matin, je vais présider à tous les ouvrages de ma basse-cour. Je donne moi-même à déjeuner à mon petit peuple babillardBabillard : qui parle avec abondance, sans réfléchir., qui, sitôt que je parais, vole au-devant de mes pas, et plein d’impatience, me monte jusque sur les épaules. Je m’occupe aussi du jardinage ; mais vous pouvez penser que mes travaux ne sont pas bien fatigants. J’y gagne de l’appétit au moins, et c’est une chose inestimable. Je joue aussi, ne vous en déplaise, avec mes enfants, qui folâtrent à leur aise jusqu’à l’heure où nous nous occupons plus sérieusement ; car tous nos moments sont marqués. Combien je m’applaudis de n’avoir pas négligé les talents qu’on m’a donnés ! J’ai vu des femmes, après dix ans de mariage, être d’une ignorance impardonnable. Il me manque encore bien des connaissances pour suivre l’éducation de ma fille, mais j’espère m’instruire avec elle, et me mettre en état de lui montrer tout par moi-même.Dans ces dernières phrases, Gacon-Dufour fait entendre ses idées féministes à travers la voix de la Marquise d'Hersilie. Elle met en avant l'importance de l'éducation des filles, et des mères, pour s'émanciper.

M. de Saint-Albert m’a donné un gouverneur pour Fanfan, j’en suis parfaitement contente. C’est un homme de condition qui a éprouvé des malheurs. Je suis enchantée de pouvoir les réparer. Il est d’une société fort douce Une société fort douce : une compagnie fort douce., et je pense que mon fils en pourra faire son Ami. Tous ces détails seraient fort ennuyeux pour toute autre ; mais je sais combien vous vous intéressez au sort de vos Amis, et je suis persuadée que vous serez satisfaite d’apprendre que je suis heureuse. Quand viendrez-vous être fermière avec moi ? Je suis bien désespérée que ce soit la maladie de M. de Fionie qui me prive de cette satisfaction.

LETTRE XIX.

M. de Saint-Albert au Chevalier d’Ernest.

De Moulins.

Depuis un siècle, mon cher Chevalier, je n’ai entendu parler de M. d’Hersilie : je n’ignore point la raison qui l’a déterminé à exiger de sa femme de se retirer dans sa terre. L’oubli total dans lequel il laisse elle et ses enfants, est impardonnable. Vous, qui êtes son Ami, essayez donc de le faire revenir. De son aveu, il n’a aucun reproche à faire à Madame d’Hersilie, pourquoi donc se comporter d’une manière aussi étrange ? J’ai appris par un des Officiers du Régiment du Marquis de Lubeck, qu’il s’était battu pour la Baronne de Cotyto. Quelle est cette femme ? D’après ce qu’on m’en a dit, je la crois fort dangereuse ; et je suis désespéré que M. d’Hersilie se trouve lié avec elle. C’est une chose bien étrange que l’homme : aussitôt qu’il possède, il tombe dans une satiété qui finit par lui rendre odieux l’objet qui absorbait tous ses désirs. Si vous aviez vu comme moi, M. d’Hersilie lorsqu’il épousa Mademoiselle de TorbeMademoiselle de Torbe : nom de jeune fille de Mme d'Hersilie., vous ne pourriez pas croire que ce soit le même homme qui l’ait condamnée à un exil aussi peu mérité. Veillez sur lui, mon cher Chevalier, je compte sur votre amitié ; tranquillisez la mienne, en détruisant mes craintes ; je n’en ai point fait part à sa femme, je me voudrais du mal de troubler sa tranquillité. Si vous voyiez avec quel soin elle veille à l’éducation de ses enfants, vous en seriez enchanté. En vérité, qui la connaît ne peut que blâmer M. d’Hersilie de son aveuglementComme dans le Mémoire pour le sexe féminin contre le sexe masculin Gacon-Dufour blâme la conduite des hommes..


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