Corpus Les Dangers de la coquetterie

Lettres XXVI à XXVIII

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LETTRE XXVI.

La Baronne de Cotyto à la Vicomtesse de Thor.

De Chatou.

Enfin, ma chère Amie, pour recouvrer la paix, il faut que je renonce au bonheur ; il faut que je rompe tout commerceCommerce : ici, rompre tout échange et tout lien. avec vous. Que je suis malheureuse ! guidez-moi dans le parti que je dois prendre. Il me semble que je ferai mieux d’aller chez la Comtesse de Fionie, elle n’aura que le droit des conseils, et ma Mère me donnera des ordres, et puis chez Madame de Fionie il y a toujours toujours de la société ; je ne serai qu’à cinq lieuesCinq lieues : environ 24 kilomètres. de Paris ; au lieu que chez ma Mère je n’aurai d’autre amusement que de jouer au Loto avec son vieux Curé ; je n’y vivrais pas six mois. C’est pourtant cette méchante Madame de Menippe qui est cause de tous ces embarras. Ah ! vous avez raison, j’aurais dû ne pas me vengerDans les lettres précédentes de la Baronne de Cotyto à la Vicomtesse de Thor, il n'est pas question de vengeance. Dans les romans épistolaires, l'auteur ne fait pas apparaître toutes les lettres qui circulent, par principe d'économie, et pour créer un rythme dans la narration. En revanche, c'est le Chevalier d'Ernest qui lui tient ce discours dans la lettre précédente. ; le mépris était ce qui lui convenait, mais comment prendre sur soi d’oublier une insulte aussi forte que celle qu’elle m’a faite ? Madame de Saint-Hæmon est furieuse contre M. de Cotyto ; en effet, c’est fort mal d’exiger que je la quitte ; quelle raison peut-il donner ? c’est une femme très honnête, son mari est on ne peut pas plus aimable ; il faudrait qu’ils lui ressemblassent tous. Sa Femme est maîtresse absolue de toutes ses volontés ; aussi l’on n’invite point Madame de Saint-Hæmon sans son Mari, parce qu’on sait qu’il n’est pas ridicule. J’attends de vos nouvelles avec une vive impatience.

LETTRE XXVII.

La Vicomtesse de Thor à la Baronne de Cotyto.

Du Château de….

Que de tapage pour rien ! En vérité, ma chère Amie, il faut convenir que vous avez bien peu de tête. J’aurais donné la moitié de ma fortune pour que pareille aventure m’arrivât ; au lieu de me troubler, comme vous l’avez fait, j’aurais reproché hautement à mon Mari son inconstance et sa légèretéLégèreté : manque de sérieux, de valeur intellectuelle, souvent associé à l'inconstance. ; j’aurais feint de l’avoir reconnu, et de m’être servie de ce stratagème pour le confondre. Il serait maintenant à mes genoux, me demandant pardon de son infidélité, et il ne l’obtiendrait qu’à de bonnes conditions. J’aurais ainsi mis les rieurs de mon côté, et la Comtesse de Menippe crèverait de dépitDépit : amertume passagère éprouvée par l'amant(e) déçu(e).. Comment, je ne parviendrai jamais à vous formerLa thématique de la formation libertine d'une autre femme à une autre est récurrente dans les romans libertins. En ce sens, la Vicomtesse de Thor peut être mise en parallèle avec la Marquise de Merteuil des Liaisons dangereuses, qui entreprend, malgré elle, de former la jeune Cécile au libertinage. ! vous seriez la seule à qui je n’aurais pas pu donner l’usage du grand monde. Il est malheureux pour vous que je sois obligée de passer l’été chez mon oncle ; votre imprudence vous met dans la dure nécessité de ménager votre Mari. Je ne puis vous plaindre, c’est votre faute ; vous l’avez accoutumé à prendre un empirePrendre un empire sur : posséder un ascendant sur quelqu'un. Ici, M. de Cotyto possède un ascendant, une influence morale sur la Baronne de Cotyto. Le principe de l'autorité du mari sur sa femme fait l'objet d'une critique féministe forte au 18e siècle. sur vous, qui est tout à fait indécent. Que feront les femmes de dix-sept ans, si une femme de vingt se laisse mener comme un enfantC'est précisément la Vicomtesse de Thor qui semble dans cette lettre s'adresser à la Baronne de Cotyto comme à une enfant, en l'accusant de réagir excessivement et d'agir sans réfléchir à la conséquence de ses actes. ? Il ne vous manquerait plus que d’aller en retraite chez votre Mère, prendre un directeur et faire une confession générale. Je vous l’ai toujours prédit, vous finirez par vous faire béguineDans ces deux phrases, la Vicomtesse de Thor utilise un vocabulaire religieux, auquel elle donne une tournure moqueuse. Directeur désigne un prêtre ou une autorité religieuse pouvant guider la Baronne de Cotyto sur le droit chemin. Une confession générale est une pratique religieuse consistant à dire tous ses péchés. Béguine désigne une femme appartenant à une communauté religieuse. Nous devinons ici les opinions anticléricales de la Vicomtesse, auquel aucun discours de l'institution religieuse ne répond dans ce roman. Nous pouvons voir ici une expression des opinions anticléricales de Gacon-Dufour. Cette critique de l'institution religieuse rejoint son féminisme, puisque l'Eglise empêche l'éducation et la protection des femmes. C'est une critique que l'on retrouve également chez Laclos, dans les Liaisons dangereuses. ; et si vous n’acquérez pas une force d’esprit et un caractère plus ferme et plus décidé, vous serez très malheureuse. Vous avez fait une sottise, il faut en subir les suitesSubir les suites : assumer les conséquences de ses actes.. Allez-vous-en passer quelque temps chez la Comtesse de Fionie, c’est une bonne femme, son seul défaut est d’être bégueuleBégueule : être excessivement prude. ; il vous sera facile de faire naître une querelle qui vous brouillera. Vous aurez satisfait votre Mari, et il ne pourra plus rien exiger de vous. Je me fais fort de vous venger complètement ; je ménage à la Comtesse de Menippe un tour de ma façon, j’aurai bien du plaisir à la voir humilier ; nous n’avons jamais pu nous souffrir. Mandez-moi le résultat de votre aventure, et qu’elle vous serve de leçon pour l’avenir. Vous me trouverez toujours aussi dévouée à vos intérêts ; je n’aurai pas de plus grand plaisir qu’à vous donner des preuves de ma sincère amitié.

LETTRE XXVIII.

Madame de Singa à la Marquise d’Hersilie.

Au Château de Fionie.

Votre absence, ma chère Marquise, me cause bien des chagrins. Il est cruel d’être séparée de l’Amie de son cœur, quand ce cœur a besoin de s’épancherS'épancher : ici, donner libre cours à un sentiment, le confier en toute liberté et sincérité.. Vous savez que, veuve à quinze ans, j’avais bien peu d’expérience pour me conduire dans le monde, et pour faire un choix capable de me rendre heureuse. Mme de Fionie me donna les soins d’une mère ; sa maison devint la mienne, et j’y passais des jours tranquilles. Le Chevalier de Zéthur était aussi regardé comme son fils. Son oncle et sa tante voyaient naître avec plaisir des sentiments qui devaient assurer notre bonheur ; mais M. de Fionie ne voulut y consentir que lorsque le Chevalier aurait un Régiment. Il vient d’être obtenu ; je touchais au moment de jouir, quand Madame de Cotyto est venue troubler ma tranquillité. Ne me croyez pas jalouse, ma chère Amie ; non, je ne la suis pas. Je suis inquiète ; et tremble de voir mes craintes se réaliser. Madame de Cotyto est aimable ; mais quel espoir le Chevalier peut-il avoir ? N’est-elle pas engagéeEngagée : ici, fiancée. ? Veut-il déshonorer son Ami ? déchirer un cœur tout à lui en rompant des liens qui allaient devenir indissolubles. Il parle d’aller à Sainte-Maure, chez la Baronne, passer le reste de l’été. Que veut dire cette conduite ? lui qui ne s’absentait jamais, et se plaignait sans cesse du retard que son oncle apportait à notre union. Ah ! ma chère Amie, les hommes sont bien étranges ! si je ne craignais pas de fâcher Madame de Fionie, j’irais puiser dans votre seinDans votre sein : se réfugier dans un lieu intime qui pourrait offrir du réconfort. Ici, Madame de Singa aimerait être réconforter par la Marquise d'Hersilie. des consolations dont j’ai grand besoin. Donnez-moi de vos nouvelles, elles feront diversion à ma douleur.


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