Corpus Les Dangers de la coquetterie

Lettres XXXVII à XXXIX

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LETTRE XXXVII.

Madame de Singa à la Marquise d’Hersilie.

Du Château de Fionie.

Mon malheur est décidé, mon Amie, M. de Zéthur a rompu ouvertement. Ma douleur me faisant rechercher la solitude, j’ai entendu dans un bosquet une conversation avec un de ses rivaux, qui m’a déchiré l’âme. Ah ! mon Amie, plaignez-moi, l’illusion est cessée ; M. de Zéthur est l’Amant déclaré de Madame de Cotyto : il l’a suivie, et depuis huit jours nous n’avons point eu de ses nouvelles. M. de Fionie est furieux ; il voulait aller trouver le Ministre, et faire partir le Chevalier, sur le champ, pour son Régiment : ce n’est qu’à ma pressante sollicitation qu’il a cédé. M. de Zéthur est dans l’erreur ; il faut que le temps le corrige. Un acte de violence ne lui inspirerait pour moi que de la haine, et j’en mourrais. Je ne veux opposer à sa légèreté, que des preuves de ma tendresse ; il a perdu considérablement ; il est prêt à partir pour Plombières avec la Baronne ; il est fort embarrassé : je vais lui faire passer de l’argent, sans qu’il sache que c’est de moi qu’il le tient. Oui, je veux le forcer à regretter le cœur qu’il afflige : je veillerai sans cesse sur lui, et je préviendrai tous ses besoins ; mais concevez-vous la Baronne ? Elle se fait un jeu des tourments des autres ; elle a une douzaine d’Amants en titre, et il n’y en a qu’un de libre : car enfin, mon Amie, M. de Zéthur ne l’est pas. N’ai-je pas reçu ses serments ? Mon sort n’allait-il pas être lié au sien pour la vie ? Je touchais au bonheur, et le manège le plus affreux m’en prive. Je n’ose faire voir à Madame de Fionie tout mon chagrin ; elle est elle-même très affectée. Combien Madame de Cotyto cause de malheurs ! Combien elle fait verser de larmes ! Est-il possible qu’un Être qui réunit autant de qualités, ne les emploie que pour le tourment des autres : elle pourrait contribuer au bonheur de ses Amis, et elle empoisonne leurs jours, déshonore son Mari, et se perd pour la vie. Que lui ai-je fait pour m’accabler ainsi ? Je la plaignais, j’employais tous mes soins à la tirer de son erreur, et je tâchais de lui prouver que le bonheur consistait dans la paix du cœur et l’estime de soi-même ; que cet essaim d’Amants lui faisait tort, quoiqu’elle ne fût pas réellement coupable. Je lui demandais si la vie bruyante qu’elle menait, ne laissait pas toujours un vide dans son âme, qui serait nécessairement remplacé par les remords les plus déchirants. Je lui faisais enfin le tableau d’une union bien assortie, et je peignais d’avance le bonheur dont j’allais jouir, en épousant M. de Zéthur : elle paraissait m’écouter, m’applaudissait et tramait en même temps la plus noire perfidie. Ah ! mon Amie, je ne puis penser à sa conduite sans frémir. C’est elle qui a tout fait, n’en doutez point. M. de Zéthur m’aimait, Madame de Cotyto a employé tous les ressorts de la coquetterieCoquetterie : manière ou parole employée à dessein de plaire, d’attirer, d’engager. pour se l’attacher : elle triomphe, et moi je suis dans les larmes.

LETTRE XXXVIII.

La Marquise d’Hersilie à Madame de Singa.

Du Château d’Hersilie.

IL[Par Ophelie G] Il est temps, mon Amie, d’appeler la raison à votre secours. Madame de Cotyto triompherait trop de votre douleur. Plus elle vous saura affectée, plus elle emploiera de moyens pour captiver le Chevalier. Ce sont les principes de Madame de Thor, qui la gouverne. Je n’approuve point votre dessein de fournir aux dépenses de M. de Zéthur : telle précaution que vous preniez, on finira par savoir que c’est vous ; et cet acte de bienveillance fera un tort considérable à votre réputation.

Attendez tout du temps, mon Amie, il vaut beaucoup mieux, si le Chevalier revient à vous, et que vous lui pardonniez, payer les foliesFolies : passions excessives et déréglées pour quelque chose. de votre Mari, que de fournir aux extravagances de votre Amant. Si vous aviez affaire à des gens sensés et raisonnables, ils ne verraient dans votre conduite, qu’une grandeur d’âme bien estimable ; mais ces étourdis ne manqueront pas de dire que vous craignez le Chevalier, et que vous payez cher sa discrétion. Je tremble pour vous, si vous persistez dans ce dessein.

Au nom de l’amitié la plus tendre, renoncez à un projet qui vous deviendrait funeste ; ne craignez pas de déposer vos chagrins dans le sein de Madame de Fionie : vous vous consolerez mutuellement. La douleur concentrée absorbe nos facultés, et ne nous laisse aucun moyen pour parer aux événements. Je sais, comme vous, que les peines du cœur sont les plus sensibles ; mais il faut de la fermeté, du courage et de la constance, pour supporter les maux dont nous sommes assaillis.

LETTRE XXXIX.

La Vicomtesse de Thor à la Baronne de Cotyto.

Du Château de….

On n’entend pas plus parler de vous, que si vous étiez noyée dans les bains : voilà ce que c’est, vous ne m’écrivez que lorsque vous avez besoin de mes conseils, mais toujours trop tard ; aussi je vous promets de vous tenir rigueur ; vous m’en montrez l’exemple. J’aurais bien l’envie de vous laisser ignorer l’aventure de la Comtesse de Menippe, mais ce serait porter ma rancune un peu trop loin. Je serais la première punie ; elle fera d’ailleurs rire beaucoup à Plombières, où l’on n’a rien de mieux à faire. Depuis qu’il y a des femmes, et par conséquent depuis qu’il règne dans notre sexe une rivalité, on n’a pas plus humilié une CoquetteCoquette : qui fait la galante, qui cherche à plaire. que je ne l’ai fait. Il faut bien que je vous venge ; car sans moi vous vous laisseriez jouer impunément par tout le monde. Le Chevalier de Luzak n’a pas manqué de se rendre à une invitation que je lui avais faite de venir passer quelque temps chez mon Oncle. Jamais je ne l’ai vu si empressé et si galant. Tous les matins, sa muse légère et badine lui fournissait un couplet, ou un quatrain, et en dépit de Madame de Menippe, il louait la blancheur de mon teint ; celle-ci arriva quatre jours après lui, et parut fort étonnée de trouver avec nous le Chevalier. Son cœur palpitait de joie et de crainte ; (car je ne manquai pas de paraître très bien avec lui) elle en était au désespoir, mais cela ne suffisait pas encore pour assouvir ma vengeance. Je soupçonnais que Madame de Menippe se peignait les sourcils ; j’en fis confidence au Chevalier de Luzak qui, pour me faire sa cour, me promit de s’en assurer. Vous savez qu’elle a beaucoup de couleurs, et qu’elle affecte de ne pas mettre de rouge. Il y avait un cercle nombreux, la société était fort gaie, nous étions à faire mille folies, lorsque le Chevalier arriva tout essoufflé du jardin. J’ai fait, dit-il, un parti très-sûr ; qui veut être de moitié avec moi ? De quoi s’agit-il, lui demandai-je ? d’un charmant bal ; mais il faut que la Comtesse de Menippe me permette de vérifier si les roses de son teint ne sont point factices. Volontiers, dit-elle, prenez un mouchoir, faites votre épreuve, et je donne un second bal, si vous trouvez du rouge. Le Chevalier se met en devoir d’essuyer les joues, et maladroitement appuie trop sur un des sourcils, qui reste en partie sur le linge avec lequel il noircit un côté de la Comtesse ; alors il retourne adroitement le linge, et montre à tout le monde qu’il est blanc. L’héroïne, qui était restée dans son fauteuil, ne s’en aperçut pas ; on riait à gorge déployée ; elle-même étouffait de rire, et donnait des ordres pour le bal ; enfin elle se leva, et courut à la glace s’admirer. Vous ne verrez jamais une pareille furie, elle partit comme un éclair, en s’arrachant les cheveux, et en jurant qu’elle s’en vengerait de la manière la plus éclatante. Sa figure était si grotesque, que mon Oncle qui, depuis dix ans ne s’était déridé, pensa tomber en pâmoisonPâmoison : défaillance, évanouissement. à force de rire. La Comtesse courut s’enfermer dans sa chambre, et ne voulut plus paraître de la journée, telles instances qu’on ait pu faire ; elle est partie le lendemain, avant que personne ne fût levé. Toute l’assemblée a condamné le Chevalier de Luzak à donner un bal à ses dépens, pour réparation de son espièglerie ; je vous jure que j’y danserai de bien bon cœur. Adieu, ma belle Amie.

Fin de la Première Partie.


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