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Le Chevalier de Zéthur au Chevalier d’Ernest.
De Chatou.
Madame de Cotyto vient de m’assurer, Chevalier, que vous étiez du voyage de Plombières, dit-elle vrai ? Quel motif vous y engage ? Seriez-vous aussi ? … non, cela est impossible ? Que ma question ne vous étonne point ; il me paraît tout naturel que d’Hersilie, Lubeck et moi, suivions la Baronne : elle a un attrait irrésistible ; mais vous, que la Sagesse
Vingt fois j’ai pris la résolution d’aller me jeter aux pieds de Madame de Singa, lui avouer mes erreurs et tâcher d’obtenir mon pardon, vingt fois cette dangereuse Baronne m’en a détourné par de nouvelles prévenances qui m’enchantent et font que je m’oublie moi-même. Ah ! mon Ami, je suis vraiment à plaindre. Ma conduite doit offenser ma Tante, que je chéris tendrement, et Madame de Singa, je le crois ; mais je ne veux plus y penser, ce souvenir empoisonne le plaisir dont je jouis avec Madame de Cotyto. C’en est fait, mon Ami, elle l’emporte.
Serai-je heureux avec elle ? mes rivaux me désespèrent ; eh bien ! mon amour, mes soins, mes complaisances m’en feront triompher, et je pourrais me flatter d’être aimé de la plus adorable femme de Paris.
Le Chevalier d’Ernest au Chevalier de Zéthur.
De Paris.
Votre question est embarrassante, mon cher Chevalier ; permettez que je n’y réponde pas. Quel que soit le motif qui m’ait déterminé à être du voyage de Plombières, il est très vrai que j’y vais.
La Baronne est charmante, il est très difficile de n’être pas séduit par ses grâces et ses agréables folies, j’en conviens avec vous ; mais quand vous parviendriez à vous en faire aimer, ce qui est fort difficile, seriez-vous aussi heureux que vous le croyez ? Ne craignez-vous donc point les remords qui accompagnent la perfidie ?
Madame de Cotyto est-elle libre, pour que vous lui adressiez vos vœux ? Je ne vois jamais, sans frissonner, former le projet de séduire une femme engagée sous les lois de l’hymen
Renoncez à la Baronne, mon cher Chevalier ; cette liaison vous deviendrait funeste ; et vous payeriez, par des années de peine, un moment d’illusion. Ma morale sans doute vous paraîtra sévère ; mais songez que l’amitié lui dicte ses leçons. Je vous en conjure, suivez mes avis. Ah ! croyez-moi, on est jamais heureux quand on a des reproches à se faire.
Adieu, mon cher Chevalier, je désire bien sincèrement de pouvoir aller vous voir à Fionie avant mon départ pour Plombières.
Le Chevalier de Zéthur au Chevalier d’Ernest.
De Chatou.
Non, Chevalier, non, je ne puis quitter la Baronne. Je sens toute la force de vos raisonnements, je cours à ma perte, je le vois, mais je l’adore et ne m’en séparerai qu’à la mort ; s’il est vrai cependant que je ne sois pas aimé… cruel ami, que vous ai-je fait pour me déchirer le cœur ! et pourquoi ne m’aimerait-elle pas ? Ah, vous vous trompez ; elle partage mes feux
La Baronne est sensible, je le crois, je le jurerais. Elle m’a dit qu’elle m’aimait, et je ne lui ferai pas l’injure d’en douter ; cependant, s’il était vrai que la Baronne fût aussi dangereuse que vous le croyez, je serais bientôt guéri de la fatale passion qu’elle m’a inspirée. Oui, abjurant mes erreurs, et tout entier à Madame de Singa, que je ne cesserai jamais d’aimer, je pourrais encore jouir du bonheur que je m’étais promis dans mon union avec elle. Je le crains, et le désire. Ah ! mon Ami, plaignez-moi, je suis bien malheureux.
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