Corpus Les Dangers de la coquetterie

Lettres XLIX à LI

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LETTRE XLIX.

M. de Saint-Albert au Chevalier d’Ernest.

De Moulins.

Tels ménagementsMénagements : agir avec beaucoup d’égard pour ne pas choquer ou blesser autrui. que j’ai pu prendre pour annoncer à Madame d’Hersilie que son Mari était malade à Plombières, elle s’est vivement alarmée. Il m’a été impossible de l’empêcher de partir ; nous serions déjà arrivés, sans la difficulté d’avoir des chevaux. J’ai mis tout en usage pour la tranquilliser ; rien ne peut l’arrêter. Son imagination est exaltée à un point que je ne puis vous rendre. Cette vertueuse femme, oubliant les torts de son Mari, n’écoute que son cœur et la tendresseTendresse : forme d’amour à prédominance sentimentale. qu’elle a pour lui. Elle ignore quelle est sa maladie : je n’ai osé le lui apprendre ; elle est dans l’état le plus triste. Si ma lettre arrive avant nous, venez à notre rencontre à deux lieues de Plombières, épargnez-lui un moment aussi affreux. Ah ! mon ami, quels maux nous menacent !

LETTRE L.

La Baronne de Cotyto à la Vicomtesse de Thor.

De Plombières.

Que je me sais bon gré, ma chère Amie, de n’avoir pas suivi le conseil de ce vilain médecinVilain médecin : médecin doté d’une incompétence professionnelle. : le pauvre Marquis va mourir, à ce qu’on dit ; cela est même à désirer pour lui, car il a perdu un œil, et est d’une laideur amèreLaideur amère : laideur qui inspire la rancœur ou un sentiment désagréable. ; il sera impossible de le regarder sans frémir. Quel ravage cette exécrable maladie fait sur nous ! Le Marquis était d’une charmante figure. Eh bien, ma chère Amie, me voilà, je crois, dans le cas d’être citée ; un homme qui meurt pour moi ! J’en suis cependant fâchée, et si j’avais pu le prévoir je me serais bien gardée de l’exiger ; c’est ce maudit Médecin qui est cause de cela, aussi lui ai-je fait une bonne querelleQuerelle : altercation. : il prétend que c’est la faute de M. d’Hersilie, et M. de Lubeck dit que le Docteur a raison : cela n’en est pas moins fort malheureux ; mais à quelque chose malheur est bon. Voilà sa femme libre. J’ai ri, aux larmes, de l’aventure des sourcils ; je donnerais tout au monde pour avoir été spectatrice : me voilà donc vengée ; il n’y a plus que le Financier que je vous prie de corriger, car il était de moitié dans la tromperie. La maladie du Marquis a un peu interrompu nos plaisirs, et nous avons été obligés de jouer pour passer le temps. J’ai fait une fortune considérable, mais M. de Lubeck a horriblement perdu : il a heureusement trouvé des Juifs qui ont réparé ses pertes : ce soir nous allons à un bal charmant ; il me semble pourtant qu’il serait décent de ne pas m’y trouver si le Marquis est mort ; car enfin personne n’ignore qu’il a fait cet essai pour moi. Je suis réellement fâchée de cet accident, chacun en parle à sa manière ; mais je ne suis qu’une cause secondeLa Baronne n'admet pas que l'état du Marquis soit de sa faute. ; apparemment que cela devait arriver. Adieu, ma chère Amie.

LETTRE LI.

Le Chevalier d’Ernest à la Comtesse de Fionie.

De Plombières.

Madame la Comtesse, vous ignorez, sans doute, les chagrins qui accablent Madame la Marquise d’Hersilie. Je lui avais fait part que son mari était tombé malade de la petite vérole. Elle est partie sur le champ pour Plombières avec M. de Saint-Albert. M. d’Hersilie est plus mal ; on ne peut plus compter sur lui. Cette respectable femme est sans cesse au pied de son lit ; sa douleur ne lui permettant pas de vous écrire, elle m’a chargé de vous prévenir de sa situation. Elle ignore que M. d’Hersilie s’est fait inoculer pour faire sa cour à cette folle de Baronne de Cotyto. Cet événement fait ici grand bruitGrand bruit : les commérages et les discussions. ; tout le monde crie vengeance contre la Baronne ; il se passe des choses affreuses : en vérité, je ne conçois pas comment les Maris souffrent que leurs femmes emploient les nuits à jouer des jeux d’enfer, à donner des bals, et à faire des dépenses exorbitantes. La Baronne de Cotyto tient l’étatTient l'état : tient la manière de vivre. d’une Princesse ; une foule d’Adorateurs l’ont suivie, parmi lesquels se trouve le Chevalier de Zéthur. Je ne puis, par l’intérêt que je prends à lui, et par le bonheur qu’il a de vous appartenir, vous cacher qu’entraîné par la Baronne et par toutes les jeunes follesLes jeunes folles : des jeunes femmes insouciantes, dotées d’un comportement s’écartant des normes sociales dominantes. qui sont ici, il se dérange beaucoup. Si vous m’en croyez, usez de votre autorité pour le faire revenir. Je suis avec respect, etc.


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