LETTRE LVI.
La Baronne de Cotyto à la Vicomtesse de Thor.
De Plombières.
Les plaisirs se succèdent à un point, qu’il faut que je prenne sur mon sommeil pour vous écrire. Vous avez eu bien tort, ma chère Belle, de ne pas être de la partie ; à coup sûr vous n’êtes pas aussi heureuse chez votre immortel oncle[Par Ethan P] Votre immortel oncle : expression ironique, il est malade et la Vicomtesse de Thor est retenu chez lui pour s'en occuper. . J’ai cependant eu un petit moment d’inquiétude ; M. de Cotyto a écrit à un Officier de ses Amis[Par Ethan P] Cela fait référence à une lettre à laquelle nous n'avons pas accès. pour s’informer de mon genre de vie aux eaux. J’en ai été prévenue à temps, et j’ai si bien arrangé mes petits intéréts, que j’ai mis dans mes chaînes le Mentor[Par Clement P] Mentor : nom propre qui est devenu appellatif, et qui se dit de celui qui sert de conseil, de guide, et comme de gouverneur à quelqu’un. chargé d’épier mes actions[Par Clement P] J’ai mis dans mes chaînes le Mentor chargé d’épier mes actions : tournure métaphorique, à travers laquelle la Baronne affirme être parvenu à mêler un de ses opposants à ses affaires. ; il a fait la réponse que j’ai voulue, et tout va le mieux du monde. La petite vérole[Par Clement P] Petite vérole : nom que l’on donnait à la variole. du Marquis a fait un tapage inconcevable. Les Prudes[Par Clement P] Prudes : qui affectent un air sage, réglé et circonspect dans leurs mœurs, dans leurs paroles, dans leurs conduites. me fuient, les Pères ont emmené leurs fils ; enfin ils me craignent autant qu’une magicienne. La marquise d’Hersilie n’a pas peu contribué à tout ce vacarme ; elle est arrivée tout éplorée[Par Clement P] Éplorée : qui est tout en pleurs. pour garder son Mari. Je suis fort mécontente d’elle depuis que M. d’Hersilie est hors de danger. Elle vient quelquefois se promener avec le Chevalier d’Ernest et une espèce de Philosophe qu’elle a amené de sa Province ; mais ce qui vous paraîtra fort étonnant, c’est que Madame de Singa est avec elle. Je les rencontrai il y a quelque temps, je les saluai, et me levai pour aller au-devant d’elles ; croiriez-vous qu’elles eurent la malhonnêteté de me faire une révérence froide et composée et de se retirer pour m’éviter ? J’appelai le Chevalier d’Ernest, à qui je fis de vifs reproches ; il ne me répondit pas un mot, me salua respectueusement, me quitta. Vous jugez dans quelle colère j’étais ; aussi en retournant à la fontaine, je les ai tournés en ridicule d’une jolie manière : le Chevalier de Zéthur a été surpris de l’apparition de Madame de Singa. J’ai besoin de redoubler d’efforts pour qu’il ne la voie pas. Cet étourdi n’est pas ferme dans ses résolutions. On dit que cet imbécile de Marquis est d’un grand bien avec sa femme ; dans le fait il n’a rien de mieux à faire, il est si laid. J’ai pourtant envie, malgré cela, aussitôt qu’il pourra reparaître en société, d’exercer mon ascendant sur lui, pour me venger de sa Prude. Nous verrons cela dans le temps, si je n’ai pas d’occupations plus intéressantes. Je compte dans peu retourner à Paris ; (car je dois ici de tous les côtés) et l’on commence à ne plus vouloir me faire du crédit. Je n’ai point sujet de regretter mes dépenses, car je me suis bien amusée. Adieu, je vous embrasse.
LETTRE LVII.
La Comtesse de Fionie à la Marquise d’Hersilie.
Du Château de Fionie.
Vous m’avez causé bien de l’inquiétude, ma chère Marquise, j’avais besoin de votre Lettre pour rendre la tranquillité à mon cœur. Vous devez maintenant espérer un avenir heureux ; M. d’Hersilie reconnaitra ses torts, et vous rendra justice : la Baronne ne gagnera pas à la comparaison. J’attends avec grande impatience votre retour ici, pour me réjouir avec vous. La saison commençant à s’avancer, nous retournons incessamment à Paris. Cette Madame de Cotyto, mon Amie, nous a causé à tous bien des chagrins. Je tremble d’apprendre à Monsieur de Fionie la résolution de son Neveu. Il est décidé à ne pas quitter la Baronne, il se ruine et finira par se déshonorer. Je connais mon Mari, il ne lui pardonnera jamais. Cette femme est une vraie Sirène[Par Clement P] Sirène : créature qui envoûte les marins par ses chants dans l'Odyssée d'Homère. Se dit aussi d'une femme qui séduit par ses attraits, par ses manières insinuantes. ; quittez bien vite le pays qu’elle habite, l’air en est dangereux. Adieu, ma chère Marquise, dites mille choses de ma part à notre Amie, au Chevalier d’Ernest, et embrassez pour moi votre Mari.
LETTRE LVIII.
La Baronne de Cotyto à la Vicomtesse de Thor.
De Plombières.
Oh ! pour le coup, je suis d’une colère affreuse ; ce vilain Monsieur d’Hersilie, cela lui sied bien de faire le cruel ; avec sa laideur. Il est épouvantable ! Il fallait que j’eusse autant d’envie de mortifier[Par Clement P] Mortifier : causer du chagrin à quelqu’un, et lui faire de la peine par quelque réprimande, ou par quelque procédé dur et fâcheux. sa prude de femme, pour oser même l’entrevoir. Mais écoutez, et vous allez juger si j’ai raison d’être de si mauvaise humeur. Il y a quelques jours, nous étions à la promenade, la Marquise d’Hersilie y vint avec cette Madame de Singa : elle affecte un air langoureux qui la rend d’une bêtise insupportable. Le Marquis, son Provincial, le Chevalier d’Ernest et le Médecin leur servaient d’Écuyers ; rien n’était plus plaisant que cette Société. Ils s’assirent en face de nous ; je ne regardais pas les femmes, Monsieur d’Hersilie me salua ; je voulus envoyer le Chevalier de Zéthur lui dire de venir me parler, ce petit automate n’eut-il pas la hardiesse[Par Clement P] Hardiesse : témérité, insolence, impudence. de me refuser. J’ordonnai, et il ne m’écouta pas. J’étais furieuse ; je pris mon parti, et j’envoyai le Marquis de Lubeck. Monsieur d’Hersilie fit réponse qu’il me priait de l’en dispenser ; qu’il y aurait trop de danger pour moi, et qu’il ne se pardonnerait jamais d’avoir gâté une aussi jolie figure ; que cette crainte l’avait déterminé à ne jamais m’approcher. Je ris aux éclats quand le Marquis me rendit compte de son ambassade[Par Clement P] Ambassade : dans le discours familier, se dit de certains messages entre particuliers. ; mais, je vous l’avoue, j’étais outrée de dépit. Nous fîmes beaucoup de folies qui nous attirèrent tous les regards. Ceux de Madame de Singa s’étant arrêtés sur le Chevalier de Zéthur, il la fixa un moment, puis se retira. Qu’il ne croie pas que je souffrirai d’être quittée pour cette petite femme ! j’emploierai, pour le conserver, plus de moyens que pour en enchaîner vingt. Malgré nos rires forcés, Monsieur d’Hersilie ne parut pas plus ému, et continua de causer avec sa femme. Je pensai me brouiller avec Monsieur de Lubeck, qui s’avisa de trouver Madame d’Hersilie et la petite Singa intéressantes. Intéressantes est bien le mot qui leur convient. Elles sont belles, à la vérité, mais sans grâces et sans vivacité, et toujours mises comme des Bourgeoises. D’honneur, je ne sais où j’avais les yeux d’aimer Madame d’Hersilie ! Sans vous, pourtant, je me laissais entraîner à mon penchant ; j’étais perdue pour le plaisir. Ah, combien je vous ai d’obligations ! Décidément nous partons la semaine prochaine, et nous avons projeté d’aller descendre chez vous pour nous remettre un peu au courant. Les Modes sont sûrement changées depuis mon départ. Faites-moi le plaisir d’avertir Mademoiselle Bertin[Par Ethan P] Mademoiselle Bertin : seule apparition de son nom dans le texte. Cela fait référence à Rose Bertin, marchande de modes, un des grands noms de la mode de l'époque., afin que je trouve chez moi tout ce qu’il y a de plus nouveau.