Corpus Les Dangers de la coquetterie

Lettres LXIV à LXVI

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LETTRE LXIV.

La Marquise d’Hersilie à la Comtesse de Fionie.

Du Château d’Hersilie.

Nous sommes tous arrivés en parfaite santé, et d’une gaîté charmante ; mon Mari a caressé beaucoup ses enfants. Ils ne voulaient pas absolument le reconnaître surtout Fanfan qui disait que son Papa était plus beau que ce Monsieur. Le Gouverneur que j’avais prévenu, nous avait préparé une petite fête charmante ; elle m’a paru délicieuse, parce que M. d’Hersilie s’y est amusé. Les embellissements que j’ai faits paraissent fort de son goût, et l’on continue les travaux. Vous ne reconnaîtrez pas mon Mari. Dès le matin il sort avec le Gouverneur, et tous deux, la toiseToise : ancienne règle de métreur correspondant à une unité de mesure longue de six pieds (1,949 mètre). à la main, ils tracent des plans, reviennent les corriger sur le papier, et me demandent mon avis, qui passe toujours sans contradiction. Ce changement me fait espérer qu’il pourra s’en opérer un semblable pour notre AmieNotre amie : Madame de Singa. : qui mérite plus qu’elle d’être heureuse ? J’emploie tout mon savoir pour lui faire oublier ses chagrins ; elle est si bonne Amie, que le spectacle de ma félicitéFélicité : joie, grand bonheur. fait disparaître le sentiment de ses peines. Quand viendrez-vous donc partager mon bonheur ? ce ne sera jamais assez tôt au gré de mes désirs.

LETTRE LXV.

La Baronne de Cotyto à la Vicomtesse de Thor.

De Paris.

Il faut, ma chère Amie, que je vous fasse rire. Depuis huit jours je n’ai pas arrêté chez moi, et en rentrant je trouvai sur ma liste la Comtesse de Fionie. Je m’étais levée d’assez bonne heure aujourd’hui pour lui rendre enfin sa visite ; mais à peine était-il jour, qu’on m’annonça la Comtesse. Je m’excusai du mieux que je pus de n’avoir pas été chez elle, et je jetai ma faute sur les embarras du retour. Vous ne deviez pas, Madame, reprit-elle froidement, attendre de moi les premières démarches, après la scène indécente qui nous a séparées, mais j’ai encore assez bonne opinion de vous, pour croire que vous voudrez bien ne pas rejeter la prière que je viens vous faire. Le Chevalier de Zéthur est attaché à votre charAttaché à votre char : dévoué à vous. ; assez d’autres, sans lui, font gloire de porter vos chaînesVos chaînes : liens affectifs attachant un être à un autre. pour que vous mettiez un grand prix à son hommage ; rendez-moi le service, Madame, de le consigner à votre porteConsigner à votre porte : ici, l'éconduire., ou vous serez cause de sa perte. Sa famille, extrêmement mécontente, est prête à prendre un parti violent. Elle met pour condition du pardon, qu’il renonce à votre sociétéSociété : compagnie.. Je suis désespérée que vous m’ayez forcée à faire une démarche qui doit vous déplaire, mais qui aurait des suites funestes si vous n’acquiesciez pas à ma demande ; elle se tut, et je lui répondis qu’elle était bien bonne de se mêler de mes affaires, que je ne croyais pas l’en avoir priée. M. de Zéthur est le maître de ses actions, Madame, vous permettrez que je ne suive pas votre exemple. Je ne m’ingèreM'ingère : se mêle de quelque chose sans en être requis. pas de donner des conseils à qui que ce soit. Il faut des raisons d’un grand poids pour consigner quelqu’un à sa porte ; je n’en ai aucunes de me plaindre du Chevalier, ainsi trouvez bon que j’attende tranquillement l’événement dont vous me menacez. Elle m’a quittée sans me répondre : avez-vous jamais vu une folie semblable ? En vérité, ces Prudes de professionPrudes de profession : ici, la Baronne de Cotyto catégorise ces femmes en fonction de leur mode de vie. Elle en fait un genre marqué par la monotonie, en opposition avec sa coquetterie. sont des êtres bien maussadesMaussades : ennuyeux., on devrait les chasser de toutes les sociétés ; elles sont le tourment des jeunes femmes. La Comtesse m’a donné beaucoup d’humeur, mais elle peut être sûre que je m’en vengerai ; et ne fût-ce que pour la narguer, je ne ferai pas une partie que le Chevalier n’en soit. Adieu, ma chère Amie, je vous embrasse.

LETTRE LXVI.

La Comtesse de Fionie à Madame de Singa.

De Paris.

Que je suis satisfaite, mon aimable Amie, de votre séjour à Hersilie ; vous n’auriez jamais pu supporter le nouveau chagrin qui vient de m’arriver. Depuis le retour du ChevalierChevalier : le Chevalier de Zéthur., j’avais tenté vainement de le voir ; il me fuyait, épiait l’instant où j’étais sortie pour venir se faire écrire, et je ne le rencontrais dans aucun endroit ; enfin jugeant trop bien la Baronne, je me déterminai à faire une démarche auprès d’elle, qui a été infructueuseInfructueuse : qui n'a donné aucun résultat.. M. de Fionie est parti pour Saint-Maur, où le Chevalier était depuis huit jours, il a fait de vifs reproches à son Neveu, et a exigé qu’il renonçât à Madame de Cotyto, et lui a déclaré que c’était le seul moyen de faire revenir son Père de la colère où sa conduite l’avait mis ; qu’il ne lui dissimulait pas que le Marquis de Zéthur était en route dans le desseinDans le dessein : dans le but, dans l'objectif. de se convaincre lui-même de son désordre, et qu’il avait projeté de recourir à l’autorité pour y mettre fin. Le Chevalier a reçu fort mal les remontrances de son oncle qui l’a quitté furieux, et a écrit sur le champ à son Beau-frère pour l’engager à se joindre à lui, afin d’obtenir un ordre contre son fils qui le déshonorait. À la réception de la Lettre de M. de Fionie, le Marquis de Zéthur est parti ; il est passé par Plombières, où il a appris que le Chevalier avait emprunté 80000 liv.80 000 liv. : livre française, monnaie utilisée en France entre 781 et 1795, ce qui correspond à 800 000 euros aujourd'hui. et répondu de 60000 liv.60 000 liv. : ce qui correspond à 600 000 euros aujourd'hui. pour Madame de Cotyto. Il est arrivé à Fionie dans une colère extrême ; il voulait faire enfermer son fils. D’après mes pressantes sollicitations, il s’est cependant borné à lui faire rejoindre son Régiment. Il en a facilement obtenu l’ordre ; mais comme le Chevalier ne quitte Saint-Maur que pour venir au SpectacleVenir au Spectacle : assister à une pièce de théâtre., on lui a envoyé cet ordre chez la Baronne, qui, à ce qu’on dit, est furieuse ; elle a juré de se venger. Je ne sais pas ce qu’elle veut entreprendre ; ce qu’il y a de certain, c’est que tout retombera sur elle. Le Chevalier est parti ce matin ; son père et M. de Fionie ont refusé de le voir. Il a écrit une Lettre de soumission à M. de Zéthur, qui n’a pas daigné la lire. J’espère beaucoup, puisqu’on a pu parvenir à le séparer de cette dangereuse femme. Quand il va être livré à ses réflexions, il reconnaîtra sûrement ses torts. J’aurais bien du plaisir à vous le présenter digne de vous. Adieu, mon Amie, que ce nouveau chagrin ne prenne pas sur votre santé. Vous savez que vous avez des Amies à qui vous êtes chère, et pour lesquelles vous devez vous conserver.


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