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Ce fut pour Éva comme une révélation de toute la nature ; ce qu’elle avait vu dans son extase, le ciel, Dieu, les anges, resta
Mais le miracle ne se borne point à la vue extérieure.
Pour la première fois, à cette lumière nouvelle, elle distingua sous leur véritable aspect le ciel, la terre, les oiseaux, les fleurs ; jusque-là, dans le demi-jour de son indifférence, Éva n’avait rien apprécié de toutes ces merveilles. Il faut, pour voir et entendre la Création, autre chose que des yeux et des oreilles.
Il faut de l’amour.
À mesure que le cercle des objets visibles et matériels s’élargissait pour elle, Éva apprenait à parler de toutes ces choses jusque-là inconnues, car les idées nouvelles inspirées par des objets nouveaux appellent naturellement des paroles afférentes à ces idées et à ces objets.
Cette éducation était ce que les psychologistes d’alors appelaient une
Éva recevait tout de Jacques ; le docteur lui apprit le nom des plantes, des animaux, des étoiles. Il lui raconta le poème tout entier de la Création.
La jeune fille l’écoutait avidement et devinait en quelque sorte la science de Jacques, tant ce qu’il lui disait était imprégné de sympathie et d’amour. En lui, elle étudiait par cœur toute la nature ; dans la pensée du maître, elle lisait sa pensée à elle et la raison des choses, non seulement perceptibles, mais abstraites, non seulement visibles, mais invisibles
L’immensité de l’univers et le spectacle de la vie expliqué par Jacques lui donnaient le sentiment de l’existence de Dieu, dont lui avaient seulement parlé jusque-là le chant des oiseaux, le parfum des fleurs, le rayon caressant du soleil de mai.
Au grand livre de la nature, le docteur donna pour commentaire les ouvrages des poètes allemands ou anglais, qu’Éva ne tarda point à lire et voulut absolument comprendre.
La langue allemande et la langue anglaise étaient aussi familières à Jacques que sa langue maternelle, et, au bout de deux ou trois mois, Éva savait lui dire :
Ce jeune cerveau était comme ces terres vierges de l’Amérique qui n’ont rien produit depuis la création et qui, pour donner trois moissons à l’année, n’attendaient qu’une triple semence.
Jacques apprenait ainsi à Éva non seulement à devenir savante, mais en même temps elle apprenait toute seule à devenir belle : elle avait pour cela des dispositions très rares.
Mais, en dépit de ses grands yeux, de ses traits irréprochables, de ses formes admirablement modelées, elle ne produisait, dans son état primitif, sur le peu d’étrangers qu’elle voyait, qu’une impression pénible et presque désagréable ; pour être belle, il lui manquait d’être femme.
Le traitement moral du docteur révéla chez Éva une beauté toute nouvelle, la beauté de l’âme, la beauté de la vie, la beauté de la pensée.
Sa physionomie, autrefois morne et uniforme, commença de se multiplier comme par miracle.
Ce sentiment pour lequel nous n’avons pas de nom, que les Allemands désignent sous le nom de
Avec l’amour se déclara chez elle la coquetterie, qui est pour ainsi dire la fleur de l’amour. Éva, jusque-là insouciante d’elle-même, prit un plaisir extrême à soigner sa toilette, à relever et à lisser elle-même ses longs cheveux, à être belle enfin.
La perpétuelle relation dans laquelle vivaient Jacques et Éva avait créé, et chaque jour resserrait entre ces deux êtres une sympathie unique et sans borne.
Ils étaient évidemment sous l’entière puissance de cette loi universelle que les savants appliquent au monde et les poètes aux individus ; que les premiers appellent l’attraction et que les autres appellent l’amour.
Encore le mot d’amour, si délicat et si puissant qu’il soit, ne saurait-il exprimer cette vie à deux que le lien magnétique avait formé entre ce jeune homme et cette jeune fille.
Tout ce qu’on observe des affinités mystérieuses qui existent entre certains frères jumeaux que la nature a soudés l’un à l’autre, tout ce que les poètes ont raconté des sympathies de l’héliotrope
Et, en effet, ils se pressentaient, ils se devinaient, ils se cherchaient, se parlaient dans la rêverie des bois, dans la plainte éternelle des fontaines, dans l’harmonie générale des êtres. Ils aspiraient l’un et l’autre à tout ce qui s’élève, à tout ce qui monte vers le ciel. Les jours où l’un était malade, l’autre était souffrant. S’il arrivait à Jacques de rougir, le même nuage rose se formait sympathiquement sur les joues d’Éva. Dans les moments de gaieté, un même sourire de bonheur glissait sur leurs lèvres. Ils étaient émus de la même manière par les mêmes lectures ; ce que l’un pensait, l’autre l’avait deviné déjà. C’était le même être aimant deux fois dans une seule existence ; le lien qui les unissait l’un à l’autre était une sorte d’égoïsme double.
Ils buvaient, si l’on peut s’exprimer ainsi, la vie à la même coupe.
Jacques, voulant exprimer cette parfaite conformité de sentiment, nommait Éva sa sœur ; Éva appelait Jacques son frère ; mais ces deux mots comme tous les autres étaient impuissants à caractériser cette union que les langues humaines n’ont pas prévue.
Les choses trop tendres que Jacques avait pudeur de dire, car leur attachement, si intime qu’il fût, se distinguait surtout par l’absence des procédés terrestres, ou par leur innocence s’il était forcé d’y recourir, les choses trop tendres que Jacques avait pudeur de dire, il les communiquait aux arbres sous lesquels Éva venait s’asseoir ; ces arbres agitaient sur la tête de la jeune fille leurs rameaux, et leurs feuilles, comme autant de langues vertes et mobiles, racontaient dans un chuchotement mystérieux le cœur de Jacques au cœur d’Éva !
Le magnétisme a comme la magie ancienne des signes et des moyens occultes pour bouleverser les rapports naturels des choses et même pour changer les choses de goût, de nature et d’aspect. Jacques se servait de cette puissance sur Éva. Il donnait aux roses l’odeur des violettes ; il changeait l’eau en vin ; il multipliait le pain de la table ; il faisait sécher et reverdir les arbres à fruit. Tous ces miracles, bien entendu, n’existaient que dans l’esprit halluciné du sujet. Or, c’était précisément l’intention de Jacques de créer autour d’Éva un monde fabuleux sur lequel dominât sa pensée. Jacques ne se servait de cette influence redoutable que pour le bonheur de son élève. S’il s’était fait le dieu d’Éva, c’était pour achever en elle l’œuvre imparfaite du Créateur.
Un jour que Jacques était allé voir un pauvre malade à une lieue d’Argenton, et qu’une opération trop difficile pour qu’il la confiât à un autre le retenait deux heures de plus qu’il ne comptait consacrer à ce voyage, voulant voir jusqu’où allait chez lui la transmission de la pensée, il prit une feuille de papier à lettres, blanche, tailla une plume neuve, et écrivit sans encre sur le papier, de manière que pour tout autre qu’Éva, l’écriture ne laissait aucune trace.
C’était ainsi que le docteur appelait le pommier, depuis l’aventure où, pour la première fois, Éva avait rougi.
Puis il noua le billet au cou de Scipion et lui ordonna d’aller retrouver Éva.
Scipion obéit.
Il trouva Éva près du ruisseau où il avait l’habitude de boire ; il vint à elle : la jeune fille dénoua le billet, et, quoiqu’il ne portât aucune trace d’écriture, elle lut
Éva n’avait ni montre ni pendule, mais, sans même regarder le ciel pour voir où en était le soleil, à cinq heures moins cinq minutes, elle vint s’asseoir sur le tertre.
À cinq heures précises, Jacques, rentré par la petite porte du jardin, venait s’asseoir à l’ombre du pommier où Éva, cinq minutes auparavant, venait s’asseoir elle-même.
Jacques poussa un cri de joie, Éva avait la seconde vue.
Il faisait une belle soirée d’automne. Les deux amants étaient fiers et heureux de vivre, de se voir, de se toucher sympathiquement par toutes les fibres de l’âme ; leur poitrine se gonflait superbement, il leur semblait à chaque bouffée d’air qu’ils respiraient le ciel.
À la figure solennelle et grave de Jacques, Éva se douta tout de suite qu’elle allait recevoir une communication délicate et importante.
Et en effet celui-ci regardait doucement et sérieusement la jeune fille.
Éva, lui dit-il, j’ai exercé jusqu’ici sur vous une action qui était nécessaire pour vous amener au point moral et physique où vous êtes parvenue aujourd’hui, mais à laquelle je renonce.
Jacques, vous savez bien que c’est inutile, répondit Éva, mon fiancé, c’est vous.
Jacques appuya la main d’Éva contre son cœur, et, tirant un anneau d’or de son doigt :
Si telle est votre volonté, Éva, telle est aussi la mienne. Recevez donc, selon l’usage, cet anneau d’or, c’est le témoin de notre promesse, c’est notre anneau de fiançailles.
Et il lui glissa au doigt un anneau magnétisé par lui avec l’intention
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