XXVIII Les hommes de la Convention[Par GaelleGuilissen] Ce chapitre a été publié dans les numéros du Siècle des 5, 6 et 9 février 1870.
Ce fut le lendemain de la grande journée que nous venons de raconter, que la salle de spectacle des Tuileries[Par CharisseBabouche] Le Théâtre des Tuileries est une salle de spectacle construite dans l'ancien Palais des Tuileries à Paris. Inauguré en 1662 sous le règne de Louis XIV, il fut détruit en 1871 pendant la Commune. La révolution française interrompit les représentations mais de nombreuses séances de la Convention prirent place dans ce théâtre. s’ouvrit pour recevoir les membres de la Convention.
Nous connaissons tous ce petit théâtre de cour, destiné à contenir cinq cents personnes à peine et qui allait recevoir sept cent quarante-cinq conventionnels.
En général, plus l’arène est petite, plus le combat est acharné.
Le rapprochement, qui rend l’amitié plus solide, rend la haine plus grande.
Quand deux ennemis se touchent, ils ne se menacent plus, ils se frappent.
Que devait être la Convention ?
Un concile politique où la France, écrivant son nouveau dogme, allait assurer son unité.
Par malheur, avant d’être, elle était déjà divisée.
Et cependant où était le centre de l’unité vitale ? où était le cœur de la France dans la Convention ?
Forte comme elle l’était, la France pouvait lutter contre le monde.
Mais pouvait-elle lutter contre elle-même ?[Par GaelleGuilissen] [Mais pouvait-elle lutter contre elle-même ?] Il y a ici un retour à la ligne dans le journal. Là était la question.
Triompherait-elle avec le schisme de la Montagne et de la Gironde dans son sein ?
Triompherait-elle avec la guerre civile dans la Vendée ?[Par GaelleGuilissen] [Triompherait-elle avec la guerre civile dans la Vendée ?] On trouve à la suite de cette phrase un autre paragraphe : "La France ne craignait pas l'invasion. On l'a vu."
Elle ne craignait pas la royauté. Le jour où le roi avait menti, il avait donné sa démission.
UN ROI NE MENT PAS.
Elle craignait sa guerre civile de l’Ouest, ses prêtres armant le peuple contre le peuple.
Ce qu’elle craignait, c’est ce qui arriva.
Au fur et à mesure qu’ils entraient, ces hommes, tous enfants du 10 août, tous inspirés de l’esprit qui avait présidé à cette grande journée, ces hommes se désignaient par les noms de royalistes et d’hommes de Septembre.
Ces hommes qui venaient combattre pour la France et qui, au lieu de combattre pour la France, avaient combattu l’un contre l’autre, ces hommes s’ignoraient complètement.
Ils se frappèrent sans se connaître.
Les girondins n’étaient pas royalistes, c’étaient eux que l’on désignait sous ce nom.
Ce fut un discours de Vergniaud qui fit le 10 août.
« Nous avons vu, avait-il dit en désignant du doigt les Tuileries, nous avons vu vingt fois la terreur sortir de ce château. Qu’elle y rentre une fois, et que tout soit dit ! »
Les montagnards n’avaient rien à faire avec Septembre. On savait que Danton lui-même, qui en avait pris la responsabilité pour que le sang versé ne tachât point la France, on savait que Danton n’y était pour rien.
On savait que c’était Marat et Robespierre qui avaient tout fait, avec un agent secondaire, Panis.
Les deux accusations était donc fausses.
Presque tous les girondins, qu’on accusait de royalisme[Par GaelleGuilissen] [qu'on accusait de royalisme] Le substantif "royalisme" est en italique dans le journal., votèrent la mort du roi.
Presque tous les montagnards désapprouvèrent Septembre.
Seulement, ils ne voulurent pas que Septembre fût puni. Au moment où la France avait besoin de tous ses enfants, ce n’était pas le moment, parmi les plus ardents patriotes, de se juger, de se punir et de s’épurer.
On a calculé du reste que, sur sept cent quarante-cinq membres qui s’assirent sur les bancs de la Convention le jour de son ouverture, cinq cents n’étaient ni girondins ni montagnards ; tous ces nouveaux arrivants de province, marchands, avocats, bourgeois, professeurs, journalistes, venaient en amis du bien, de l’humanité, de la France. Ils voulaient tous la prospérité de la nation ; mais ils n’étaient, nous le répétons, ni girondins ni montagnards.
C’était à la Montagne à les attirer à elle par la terreur.
C’était à la Gironde à les rallier[Par GaelleGuilissen] [C'était à la Gironde à les rallier] "C'était à la Gironde de les rallier" à son parti par l’éloquence.
Cependant on put voir, à la nomination du président et des secrétaires, combien l’horreur de Septembre dominait l’envie qu’inspirait la Gironde.
Pétion fut nommé président.
Les six secrétaires furent : Camus et Rabaud-Saint-Étienne, deux constituants ;
Les quatre autres, Brissot, Vergniaud, Lassource, des girondins ;
Condorcet, un ami de la Gironde, qui devait mourir avec elle, et par sa mort comme par sa vie, – juste qu’il était, – la justifier dans l’histoire.
Pas un homme de la Montagne, tout est pris à droite.
La majorité est donc à la droite.
Aussi, dès son entrée, la masse, cette éternelle victime de l’erreur, était-elle dans l’erreur. Ses instincts vulgaires, ses craintes personnelles, la vue basse de la bourgeoisie, ne lui permettaient pas de regarder en face l’énergique légion de la Montagne, dans laquelle était le salut national.
Il est vrai qu’au sommet de cette âpre et dure Montagne siégeait la pâle et froide figure de Robespierre, peau de parchemin collée sur un crâne d’inquisiteur, sphinx[Par AnneBolomier] [sphinx étrange posant éternellement des énigmes] : sur le sphinx, voir la note au chapitre 4. étrange posant éternellement des énigmes dont il ne disait jamais le mot ; Danton, masque terrible du damné, avec sa bouche torse, son visage labouré par la petite vérole, sa voix de dictateur, son attitude de tyran ; et Marat, ce roi des batraciens, qui semblait, comme Philippe-Égalité, avoir renoncé à la royauté – des reptiles – pour s’appeler Marat tout court ; Marat, par son père Sarde ; Marat, par sa mère Suisse, n’ouvrant la bouche que pour demander des têtes, n’ouvrant ses lèvres jaunes que pour demander du sang.
Danton le méprisait, Robespierre le haïssait, et tous deux cependant le toléraient.
Marat faisait peur physiquement et moralement.
En opposition à cette masse de républicains farouches, formée à cette heure encore du double club des Jacobins et des Cordeliers, on voyait les vingt-neuf girondins autour desquels se groupait le parti de la Gironde, tous hommes de bien sur lesquels la calomnie même n’avait pas de prise, ou n’avait à reprocher que des fautes communes à beaucoup dans cette époque de mœurs légères, plusieurs jeunes et beaux, presque tous pleins de talent, Brissot, Roland, Condorcet, Vergniaud, Louvet, Gensonné, Duperret, Lassource[Par GaelleGuilissen] [Lassource] Le nom est écrit "Lasource" dans tout le chapitre., Fonfrède, Ducos, Garat, Fauchet, Pétion, Barbaroux, Guadet, Buzot, Salles, Sillery.
Évidemment la sympathie était là.[Par GaelleGuilissen] [Évidemment la sympathie était là.] Il y a ici un retour à la ligne dans le journal, tout comme à la suite de la phrase suivante. Chacun prit sa place bruyamment. Puis on fit l’appel nominal.
Quand on en vint au nom de Jacques Mérey, Danton répondit pour lui :
– En mission près de Dumouriez.
L’appel nominal fini, le président et les secrétaires nommés, la Convention constituée enfin, le premier qui parla, au milieu d’un silence solennel, fut le cul-de-jatte Couthon, l’apôtre de Robespierre.
Il se souleva, et de sa place dit quelques paroles qui avaient une portée immense.
– Je propose d’ouvrir la nouvelle session en jurant haine à la royauté, haine à la dictature, haine à toute puissance individuelle.
Quoique venant de la Montagne, la proposition fut accueillie par un bravo unanime, auquel succéda un formidable cri de : « Vive la nation ! »
On eût dit l’écho de celui qui avait été poussé la veille sur le champ de bataille de Valmy.
Mais Danton se leva.[Par GaelleGuilissen] [Mais Danton se leva.] Il y a ici un retour à la ligne dans le journal. On fit silence.
– Avant, dit-il, d’exprimer mon opinion sur le premier acte que doit faire l’Assemblée nationale, qu’il me soit permis de résigner dans son sein les fonctions qui m’avaient été déléguées par l’Assemblée législative. Je les ai reçues au bruit du canon ; hier nous avons reçu la nouvelle que la jonction des armées était faite ; aujourd’hui la jonction des représentants est opérée. Je ne suis plus que mandataire du peuple, et c’est en cette qualité que je vais parler. Il ne peut exister de constitution que celle qui sera textuellement, nominativement, acceptée par la majorité des assemblées primaires. Ces vains fantômes de dictature dont on voudrait effrayer le public, dissipons-les ; disons qu’il n’y a de constitution que celle qui est acceptée du peuple. Jusqu’ici, on l’a agité, il fallait l’éveiller contre les tyrans. Maintenant que les lois sont aussi terribles contre ceux qui les violeraient que le peuple l’a été en foudroyant la tyrannie, qu’elles punissent tous les coupables, abjurons toute exagération, déclarons que toute propriété territoriale et industrielle sera éternellement maintenue.
Cette déclaration répondait si merveilleusement aux paroles du roi de Prusse à Verdun et aux craintes de la France, qu’elle fut couverte d’applaudissements, quoiqu’elle vînt de celui que l’on regardait comme le chef des septembriseurs.
Et, en effet, la crainte générale n’était pas le massacre. Chacun savait bien que, dans ce cas, organiser la défense serait chose facile. Non, la crainte générale était qu’on ne reprît les biens des émigrés, et que l’on ne déclarât nuls les ventes et les achats.
Le peuple français avait admirablement compris le mot révolution. Il l’avait décomposé, il savait qu’il voulait dire :
Propriété facile, à bon marché, à la portée de tous, un toit pour le pauvre, un foyer pour le vieillard, un nid pour la famille.
Au milieu des bravos suscités par cette promesse de l’Adamastor de la Chambre, deux voix protestèrent.
– J’eusse mieux aimé, dit Cambon, que Danton se bornât à sa première proposition, c’est- à-dire qu’il établît seulement le droit que le peuple a de voter sa constitution. Mais Danton est en opposition avec lui-même. Quand la patrie est en danger, a-t-il dit, tout appartient à la patrie. Qu’importe alors que la propriété subsiste si la personne périt !
Du groupe des girondins une voix, celle de Lassource[Par GaelleGuilissen] [une voix, celle de Lassource] "une autre voix, celle de Lasource", s’éleva :
– Danton, s’écria-t-il, en demandant que l’on consacre la propriété, la compromet. Y toucher, même pour l’affermir, c’est l’ébranler. La propriété est antérieure à la loi !
La Convention alla aux voix et les deux propositions de Danton furent résumées ainsi :
1° Il ne peut y avoir de constitution que lorsqu’elle est acceptée par le peuple[Par GaelleGuilissen] [acceptée par le peuple] "acceptée du peuple" ;
2° La sûreté des personnes et des propriétés est sous la sauvegarde de la nation.
Ce fut alors que Manuel se leva et dit, en étendant la main avec ce geste qui commande l’attention et le silence :
– Citoyens, ce n’est pas tout ! Vous avez consacré la souveraineté du vrai souverain, le peuple ; il faut le débarrasser de son faux souverain, le roi.
À ces mots, une voix de droite s’écria :
– Le peuple seul doit juger[Par GaelleGuilissen] [Le peuple seul doit juger] "Le peuple seul doit en juger".
Mais, à ces mots, Grégoire, l’évêque de Blois, se leva.
Grégoire avait eu une grande autorité dans la première assemblée où il avait siégé. Il s’y était trouvé le chef du clergé populaire. La fusion des ordres consommée, il avait été élu secrétaire à la presque unanimité, avec Mounier, Sieyès, Lally-Tollendal, Clermont-Tonnerre et Chapelier. Dans la Déclaration des droits de l’Homme, il fit inscrire celle de ses devoirs, et le nom de Dieu ; le premier il avait adhéré à la constitution civile du clergé.[Par GaelleGuilissen] [le premier il avait adhéré à la constitution civile du clergé.] Fin de la partie du chapitre publiée dans Le Siècle du 5 février 1870.
Les membres de la Constituante ne pouvaient être réélus à la Législative. Grégoire alors s’était établi dans son diocèse et avait publié ses lettres pastorales ; enfin, à la presque unanimité encore, il avait été nommé à la Convention.
On attendait avec impatience les paroles qui allaient sortir de sa bouche dans cette grave question.
– Inutile d’attendre, dit-il ; certes, personne ne proposera jamais de conserver en France la race funeste des rois. Nous savons trop bien que toutes les dynasties n’ont jamais été que des races dévorantes vivant de chair humaine. Mais il faut pleinement rassurer les amis de la liberté ; il faut détruire ce talisman dont la force magique serait propre à stupéfier encore bien des hommes. Je demande donc que, par une loi solennelle, vous consacriez l’abolition de la royauté.
Au milieu des bravos et des cris frénétiques de toute l’Assemblée, d’accord en principe sur ce point, le montagnard Bascle se leva :
– Je demande, dit-il, que l’on ne précipite rien et qu’on attende le vœu du peuple.
Mais Grégoire, qui s’était rassis, se redressa à ces paroles, et, tirant du plus profond de son cœur cette terrible phrase, il la jeta au visage de son adversaire :
– Le roi est dans l’ordre moral ce que le monstre est dans l’ordre physique.
Et, à l’instant même, d’un élan unanime, toute la salle s’écria :
– La royauté est abolie.
En ce moment, un homme dont la pâleur dénonçait la fatigue, les habits un long voyage, le costume un représentant du peuple aux armées, entra brusquement dans la salle, tenant entre ses bras trois drapeaux, deux autrichiens et un prussien.
– Citoyens, s’écria-t-il l’œil rayonnant d’enthousiasme, l’ennemi est battu, la France est sauvée. Dumouriez et Kellermann vainqueurs vous envoient ces drapeaux pris sur les vaincus. J’arrive à temps pour entendre la grande voix de la Convention proclamer l’abolition de la royauté. Place parmi vous, citoyens, car je suis des vôtres !
Et, sans répondre aux signes que lui faisait Danton pour venir prendre place près de lui sur la Montagne, il alla s’asseoir[Par GaelleGuilissen] [il alla s'asseoir] "il alla s'asseoir au banc des girondins ; mais, avant de s'asseoir", agitant son chapeau aux plumes tricolores encore tout imprégnées de la fumée de la bataille :
– Vive la République ! cria-t-il, et qu’elle date sa naissance du jour qui l’a consolidée : 21 septembre 1792[Par GaelleGuilissen] [21 septembre 1792] On peut lire dans le journal la date erronée du "20 septembre 1792"..
Et en même temps on entendit le canon tonner. Il croyait ne tonner que pour la victoire de Valmy, il tonnait en même temps pour l’abolition de la royauté et la proclamation de la république.
*
Et, de même qu’en terminant le dernier chapitre nous nous sommes inclinés devant ces hommes qui avaient sauvé militairement la France, inclinons-nous devant ces autres hommes dont la mission était bien autrement dangereuse et fut pour eux bien autrement mortelle.
Une seule fois j’ai été appelé à assister à un spectacle donné dans cette salle des Tuileries[Par GaelleGuilissen] [cette salle des Tuileries] "cette salle du théâtre des Tuileries" où se tint cette formidable séance que nous venons de rapporter, et tant d’autres qui en furent la suite et la conséquence.
On jouait le Misanthrope[Par CharisseBabouche] Le Misanthrope (1666). Comédie en vers et en cinq actes.http://www.toutmoliere.net/IMG/pdf/misanthrope.pdf et Pourceaugnac[Par CharisseBabouche] Monsieur de Pourceaugnac (1669). Comédie-ballet en trois actes qui fut créée pour un divertissement royal..[Par GaelleGuilissen] [On jouait le Misanthrope et Pourceaugnac.] Il y a ici un retour à la ligne dans le journal. On applaudissait ce double chef-d’œuvre de Molière[Par CharisseBabouche] Jean-Baptise Poquelin dit Molière (1622-1673). Comédien et dramaturge français. , qui présente les deux faces de son auteur, le rire et les larmes.
Deux rois et deux reines étaient assis avec une foule de princes sur une estrade et applaudissaient.
Et je me demandais comment les rois osaient entrer dans une pareille salle, où la royauté avait été abolie, où la république avait été proclamée, où tant de spectres sanglants secouaient leurs linceuls, sans craindre que ce dôme, qui avait entendu les applaudissements du 21 septembre 1792, ne s’écroulât sur eux.
Oui, certes, nous devons beaucoup à ces hommes, à Molière, à Corneille[Par CharisseBabouche] Pierre Corneille (1606-1684). Dramaturge français. , à Racine[Par CharisseBabouche] Jean Racine (1639-1699). Dramaturge français. , qui ont tant fait pour la gloire de la France, à laquelle ils ont consacré leur génie.
Mais combien ne devons-nous pas plus à ces hommes qui ont prodigué leur sang pour la liberté.
Les premiers ont fondé les principes de l’art.[Par GaelleGuilissen] [Les premiers ont fondé les principes de l'art.] Il y a ici un retour à la ligne dans le journal. Les autres ont consacré ceux du droit.
Sans les premiers nous serions encore ignorants peut-être ; sans les autres, à coup sûr, nous serions encore esclaves.
Et ce qu’il y a d’admirable dans ces hommes de 1792, c’est que tous lavèrent dans leur propre sang leurs erreurs ou leurs crimes.
Je mets à part Marat, dont le couteau de Charlotte Corday a fait justice, et qui n’était d’aucun parti.
Les girondins, qui causèrent la mort du roi, furent punis de cette mort par les cordeliers.
Les cordeliers furent punis de la mort des girondins par les montagnards.
Les montagnards furent punis de la mort des girondins par les hommes de thermidor.
Enfin ceux-ci se détruisirent entre eux.
Ce qu’ils ont fait de mal, ils l’ont emporté dans leurs tombes sanglantes.
Ce qu’ils ont fait de bon est resté.
Et tous, malgré leurs erreurs, leurs fautes, leurs crimes mêmes, étaient de grands citoyens, d’ardents amis de la patrie ; leur amour jaloux pour la France les aveugla, ce fut cet amour frénétique qui en fit des Orosmane et des Othello politiques : ils haïrent et tuèrent parce qu’ils aimaient.
Mais, parmi ces sept cent quarante-cinq hommes, pas un traître, pas un concussionnaire. Rien de lâche en eux. Fondateurs de la république, ils l’avaient dans le cœur. La république, c’était leur foi, c’était leur espoir, c’était leur déesse. Elle montait avec eux dans la charrette, elle les soutenait dans le douloureux trajet de la Conciergerie à la place de la Révolution. C’était elle qui les faisait sourire jusque sous le couteau.
Le dix thermidor, elle ne voulut point descendre de l’échafaud et fut guillotinée entre Saint-Just et Robespierre.
Et voilà ce à quoi je pensais, voilà ce que je voyais comme à travers un nuage dans cette salle des Tuileries où des rois et des reines, inintelligents du passé et insoucieux de l’avenir, applaudissaient ces deux excellents comédiens que l’on appelait mademoiseille Mars[Par CharisseBabouche] Anne-Françoise-Hippolyte Boutet dite Mademoiselle Mars (1779-1847). Actrice française de la Comédie Française. et Monrose.[Par CharisseBabouche] Il n'existe aucune trace d'une double représentation du Misanthrope et de Monsieur Pourceaugnac au XIXème siècle. Cependant, le 10 juin 1837, Louis-Philippe inaugure la Galerie des Batailles du Château de Versailles en présence de nombreux ministres ainsi que de son fils, Ferdinand-Philippe d'Orléans et de l'épouse de ce dernier, la princesse Hélène Mecklembourg-Schwerin. La galerie réunit les grands tableaux représentants des batailles de l'histoire nationale. Une représentation du Misanthrope est donnée avec Mlle Mars dans le rôle de Célimène et Monrose dans le rôle de Dubois. Alexandre Dumas assiste à cette inauguration. https://www.histoire-image.org/etudes/louis-philippe-inaugure-galerie-batailles?language=fr
Notre récit serait incomplet si, le lendemain de ce grand jour que nous venons de faire apparaître rayonnant dans le lointain de notre histoire, nous ne suivions pas Jacques Mérey retournant près de Dumouriez, portant des instructions secrètes de Danton.
Jacques Mérey avait été absent trois jours ; à son retour à Sainte-Menehould, il ne trouva rien de changé : les Français, faisant toujours face à la France, semblaient l’envahir ; les Prussiens, lui tournant le dos, semblaient la défendre.
Les instructions de Danton étaient précises :
Tout faire pour que les Prussiens abandonnassent la France, et, en abandonnant matériellement la France, abandonnassent moralement le roi.
En somme, la bataille de Valmy n’était qu’un échec ; ce n’était point une bataille, mais une canonnade ; comme nous l’avons dit, les Prussiens y avaient perdu douze ou quinze cents hommes, nous sept à huit cents.
Les Prussiens n’étaient nullement entamés matériellement ; démoralisés, oui.
Les deux armées comptaient un nombre à peu près égal de combattants, soixante-dix à soixante-quinze mille hommes ; mais celle des coalisés était dans un état déplorable.
Les escarmouches sur le front de l’armée n’amenaient aucun résultat, et il avait été convenu d’un commun accord de les cesser ; mais Dumouriez avait détaché toute sa cavalerie dans les environs : il avait lancé tous ses cavaliers à cette chasse des vivres dont nos soldats se faisaient un plaisir et qui amenait l’abondance dans notre camp tout en poussant la famine dans le camp prussien.
L’armée coalisée perdait deux ou trois cents hommes par jour de la dysenterie.
Cependant Sa Majesté Frédéric-Guillaume tint bon pendant douze jours.
Mais nul n’était, dans toute cette armée composée d’éléments divers, plus troublé que le roi de Prusse lui-même. Il y avait schisme dans son camp, guerre civile dans sa tente, combat dans son cœur.
Le roi avait une maîtresse qu’il adorait. Les femmes n’aiment pas la guerre ; la comtesse de Lichtenau était à la tête du parti des pacifiques ; elle s’était avancée jusqu’à Spa et n’osait aller plus loin.
Elle craignait pour la vie de son royal amant, bien plus encore pour son cœur ; les fêtes qu’on lui avait données à Verdun, ces vierges voilées qui avaient été au-devant de lui avec des fleurs et des dragées, n’étaient aucunement rassurantes. On voile souvent les vilains visages ; mais plus souvent encore les beaux. Elle écrivait au roi des lettres désespérées.
En échange, la nouvelle de l’échec de Valmy avait été reçue par le parti de la paix avec autant de joie que la trahison de Verdun avait causé de terreur. Brunswick, qui prenait ses soixante-huit ans, voyant que la campagne de France ne serait point, comme il l’avait cru, précisément une promenade militaire, aspirait au repos et à son duché, loin de se douter encore que son fameux manifeste les lui ferait perdre tous les deux. Le roi, de l’avis de Brunswick et des pacifistes, n’était plus retenu que par un certain respect humain. À toutes les observations des uns et des autres, et même de sa maîtresse, il répondit[Par GaelleGuilissen] [il répondit] "il répondait" :
– Mais la cause des rois, mais la liberté de Louis XVI ! c’est une affaire d’honneur qu’un roi ne saurait abandonner sans une suprême honte.
Puis, il faut le dire, les nouvelles arrivaient désastreuses pour la coalition. Le 21 septembre, abolition de la royauté et proclamation de la république ; le 24, Chambéry ouvre ses portes ; le 29, c’est Nice : la république, comme le Nil, commençait à déborder sur le monde pour le fertiliser.
Vers les derniers jours de septembre, le malaise devint intolérable dans l’armée des coalisés. Frédéric-Guillaume, que l’empereur d’Autriche et l’impératrice Catherine attendaient à la table splendide où ils dévoraient la Pologne, n’avait pas de quoi manger dans son camp.
Dumouriez lui envoya douze livres de café, c’est tout ce qu’il en avait lui-même.
Ces douze livres de café furent le prétexte des accusations qui s’élevèrent contre Dumouriez, et, il faut le dire aussi, la seule preuve.
Aux propositions faites par les premiers parlementaires envoyés, Dumouriez avait répondu au nom de l’Assemblée :
– Les Français ne traiteront avec l’ennemi que lorsqu’il sera sorti de France.[Par GaelleGuilissen] [Les Français ne traiteront avec l'ennemi que lorsqu'il sera sorti de France.] Fin de la partie du chapitre publiée dans Le Siècle du 6 février 1870.
Mais les instructions secrètes que rapportait Jacques Mérey étaient loin d’avoir cette rudesse toute romaine :
Remporter une victoire moins glorieuse, mais aussi importante que celle de Valmy, sans combattre ;
Ne pas pousser l’ennemi à un de ces désespoirs qui nous ont valu Crécy et Poitiers ;
Reconduire l’armée prussienne avec tous les honneurs de la guerre, mais enfin la reconduire jusqu’à la frontière ;
Constater bien clairement que Frédéric-Guillaume, en abandonnant la cause de Louis XVI, abandonnait la cause des rois ; au lieu de mettre obstacle à la retraite des Prussiens, leur donner toute facilité de l’opérer.
Enfin, le 1er octobre, les Prussiens, ne pouvant tout à la fois résister à l’épidémie et à la disette, commencèrent à décamper.
Ils firent une lieue ce jour-là, une lieue le lendemain, mais enfin c’étaient deux lieues en arrière.
Le 30 septembre, une entrevue avait eu lieu entre Kellermann et Brunswick.
Brunswick avait deviné le plan de Dumouriez, mais Kellermann, esprit moins délié, ne l’avait pas compris.
Kellermann tenait absolument à poser les bases d’un arrangement.
Brunswick l’évitait ; il trouvait qu’il avait bien assez écrit comme cela.
Trop peut-être !
– Mais, insista Kellermann, comment tout cela finira-t-il ?
– Rien de plus simple, répondit Brunswick ; nous nous en retournerons chacun chez nous, comme les gens de la noce.
– D’accord, dit Kellermann. Mais qui paiera les frais de la noce ? Il me semble que l’empereur, qui a attaqué le premier, nous doit bien les Pays-Bas pour indemniser la France.
– Quant à cela, la chose ne nous regarde en rien ; c’est l’affaire des plénipotentiaires.
Et, comme nous l’avons dit, la retraite commença le lendemain.
La retraite fut un échange de bons procédés. Dillon seul, qui n’approuvait pas cette manière de faire la guerre, se fit donner deux ou trois fois sur les ongles en voulant serrer l’ennemi de trop près.
L’ennemi, on le caressait, on le choyait, on lui donnait du pain et du vin pour qu’il eût la force de gagner plus vite la frontière.
Verdun fut abandonné le 14, Longwy le 22.
Enfin, le 26 octobre, le dernier Prussien vivant repassait la frontière.
L’armée coalisée laissait trente-cinq mille morts pour engraisser les plaines de la Champagne.