Corpus Le Docteur mysterieux

Tome 2 - Chapitre 30

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XXX Une lettre d’Éva[Par GaelleGuilissen] Ce chapitre a été publié dans les numéros du Siècle du 10 et du 11 février 1870.

Jacques Mérey n’avait pas perdu un instant : à dix heures du matin, des chevaux de poste étaient attelés à une solide calèche de voyage ; et lui, attendait sa mission en costume de voyageur.

À onze heures du matin, Danton lui remettait l’ordre signé Garat, les deux amis s’embrassaient, et à onze heures cinq minutes, après avoir recommandé à Danton de veiller sur la santé de sa femme, Jacques Mérey criait au postillon :

– Route d’Allemagne !

C’était celle qu’il venait de faire à son retour avec Dumouriez.

Il revit Château-Thierry, Châlons. Il salua en passant le champ de bataille de Valmy, encore tout bosselé de tombes. Il trouva Verdun occupé, par une trop grande rigueur peut-être, à faire oublier sa trop grande faiblesse. Les représailles commençaient : les malheureuses jeunes filles, dont la plupart, sans comprendre la grandeur d’un pareil crime, avaient été ouvrir les portes au roi de Prusse, étaient arrêtées et l’on instruisait leur procès. On sait que plus tard elles furent exécutées.

Il entra dans le Palatinat par KaiserlauternKaiserslautern et arriva à Mayence le troisième jour après son départ ; il avait fait deux cents lieues[Par GaelleGuilissen] [deux cents lieues] "deux cent huit lieues" en soixante heures.

Mais le général Custine avait continué sa marche, et il était déjà à Francfort-sur-le-Mein.

Jacques Mérey s’informa auprès des officiers restés en garnison à Mayence, s’il n’était pas à leur connaissance que les émigrés[Par GaelleGuilissen] [les émigrés] "des émigrés" pris les armes à la main eussent été fusillés.

Le fait était exact, et la chose avait même fait une profonde sensation dans la ville ; le décret était du 9, et c’était la première fois qu’il était appliqué.

Il l’avait été dans toute sa rigueur. Aucun des sept accusés n’avait échappé à la peine capitale.

Il demanda les noms de ces malheureux : on les avait oubliés.

Enfin on lui dit qu’un des officiers qui avaient fait partie du conseil de guerre était encore à Mayence, et on lui donna son nom et son adresse.

Jacques Mérey alla le trouver.

L’officier, qui était un capitaine, se rappelait parfaitement que le chef des six cavaliers émigrés avait déclaré se nommer Charles-Louis- Ferdinand de Chazelay ; mais, en tout cas, il trouverait le dossier dans les mains du rapporteur, qui était le plus jeune membre du conseil, et qui appartenait comme officier d’ordonnance à la maison militaire du général Custine.

Or, nous l’avons dit, le général était à Francfort.[Par GaelleGuilissen] [le génréla était à Francfort.] On trouve dans le journal un autre paragraphe après celui-ci : "Jacques Mérey repartit le jour même, et le soir il descendait sur le Zeill, à l'hôtel d'Angleterre."

Jacques Mérey s’était muni des noms du jeune officier, il se nommait Charles André.

Le lendemain, au point du jour, Jacques Mérey se présenta chez le général ; il était déjà levé et s’apprêtait à passer une revue de son corps d’armée.

Son titre de représentant du peuple effraya d’abord quelque peu Custine. Custine appartenait comme Dumouriez, par ses antécédents, au parti royaliste, et si son bras avait loyalement combattu, peut-être sa conscience n’avait-elle pas toujours été de l’avis de son bras.

La lettre de Dumouriez le rassura. Ce fut donc avec un grand allégement du cœur qu’il fit appeler l’officier d’ordonnance Charles André, et lui donna l’ordre de mettre à la disposition de Jacques Mérey tous les documents qu’il pouvait avoir sur le ci-devant seigneur de Chazelay.

Le jeune officier promit d’être à l’hôtel d’Angleterre dans une demi-heure, avec le dossier du mort et les papiers qui avaient été trouvés sur lui et qui constataient son identité.

Il tint parole.

Ces papiers consistaient dans son interrogatoire, dans le procès-verbal d’exécution, et dans trois lettres à lui écrites par sa sœur, ex-chanoinesse à Bourges.

L’interrogatoire était conçu en ces termes :

« Le 21 octobre, à huit heures du soir, a comparu devant le Conseil de guerre établi dans la ville de Mayence pour juger les émigrés pris les armes à la main, le ci-devant seigneur de Chazelay, lequel a répondu de la façon suivante aux questions qui lui ont été faites :

» D. Vos noms, prénoms et qualités ?

» R. Charles-Louis-Ferdinand, seigneur de Chazelay.

» D. Votre âge ?

» R. Quarante-cinq ans.

» D. Le lieu de votre naissance ?

» R. Le château de Chazelay, près Argenton.

» D. Pourquoi avez-vous quitté la France ?

» R. Pour ne pas être complice des crimes qui s’y commettaient.

» D. Où avez-vous été en quittant la France ?

» R. Me joindre au corps des émigrés qui servait en Champagne sous le prince de Ligne.

» D. Quand avez-vous quitté la Champagne ?

» R. Huit jours après la bataille de Valmy, quand j’ai su de la bouche même de M. de Calonne que la retraite était décidée.

» D. Pourquoi quittiez-vous la Champagne ?

» R. Parce qu’il n’y avait plus rien à y faire.

» D. Et vous êtes venu à Mayence pour y prendre de nouveau du service contre la France ?

» R. Non pas contre la France, mais contre le gouvernement qui la déshonore.

» D. Vous connaissez le décret de la Convention du 9 octobre, qui condamne à la peine de mort tout émigré pris les armes à la main ?

» R. Je le connais mais ne le reconnais pas.

» D. Vous n’avez rien à dire pour votre défense ?

» R. Né royaliste et catholique, je meurs royaliste et catholique, c’est-à-dire dans la foi de mes pères.

» Le prévenu éloigné, le conseil a délibéré ; mais comme Charles-Louis-Ferdinand, ci-devant seigneur de Chazelay, n’a rien dit qui pût appuyer sa défense, et qu’au contraire il a été pour ainsi dire au-devant du châtiment qu’il avait mérité, il a été condamné à l’unanimité à la peine de mort.

» Le condamné, rappelé devant le conseil, a entendu tranquillement la lecture de son arrêt et a répondu par le cri de “Vive le roi !” à la demande à lui faite s’il n’avait rien à ajouter ou à réclamer.

» Le lendemain, au point du jour, il a été fusillé et enterré dans les fossés de la citadelle. »

Jacques Mérey resta quelque temps absorbé en lui-même par cette lecture.

La conduite du seigneur de Chazelay en face du tribunal qui le jugeait était celle d’un mauvais patriote, c’est vrai, mais d’un gentilhomme brave et loyal qui, ayant engagé son serment au roi, tient son serment à la rigueur.

Comment cette foi politique se trouvait-elle dans le même homme qui, vis-à-vis de lui, avait manqué à toutes les lois de la délicatesse ?

C’est que la plupart du temps, chez l’homme, la conscience n’est qu’une affaire d’éducation ; l’éducation de la noblesse en général lui traçait des devoirs pour ce qui était au-dessus d’elle, mais laissait la plus grande latitude pour ce qui était au-dessous.

Or, dans l’esprit du seigneur de Chazelay, un médecin de village était tellement au-dessous de lui, que sa conscience, qui lui avait si courageusement fait affronter la mort pour un principe politique, ne lui avait rien inspiré en faveur du grand principe moral qu’il avait violé.

Le droit divin n’était pas seulement pour les rois, il était aussi pour la noblesse, et, de même que le roi régnait de droit divin sur la noblesse, la noblesse régnait de droit divin sur ce qu’elle appelait le peuple.

– Pardon, lieutenant[Par GaelleGuilissen] [lieutenant] "mon lieutenant", dit le docteur, après avoir roulé pendant un instant ces pensées dans son cerveau et en avoir tiré les déductions que nous en avons tirées nous-même, mais ne m’avez-vous pas dit que trois lettres étaient jointes au dossier de M. de Chazelay ?

– En effet, les voici, dit le jeune officier.

– Est-ce une indiscrétion que de demander à en prendre connaissance ?

– Aucunement ; j’ai ordre de vous communiquer les pièces[Par GaelleGuilissen] [j'ai ordre de vous communiquer les pièces] "et j'ai ordre de vous communiquer les pièces", et même de vous en laisser prendre les copies.

– Ces lettres, disiez-vous, étaient de mademoiselle de Chazelay, ex-chanoinesse aux Augustines de Bourges.

– Voulez-vous me permettre de vous les passer par rang de date ?

Jacques Mérey fit un signe affirmatif.

La première était du 16 août ; elle disait :

« Mon très cher et très honoré frère,

» Je suis revenue à Bourges avec le précieux dépôt dont vous m’avez chargée.

» Mais jusqu’à présent je ne puis, en vérité, l’apprécier que du côté physique ; quant au côté moral, je n’ai reçu de vous qu’une belle créature sans initiative et sans volonté, ne répondant pas à son nom d’Hélène et ne donnant signe d’intelligence qu’à celui d’Éva.

» Au nom d’Éva, en effet, son œil brille un instant ; elle l’arrête sur la personne qui l’a prononcé ; mais comme cette personne n’est pas celle qu’elle cherche, son œil se referme aussitôt et elle retombe dans sa somnolence habituelle.

» Je vous demande donc la permission de continuer à l’appeler Éva, puisque c’est le seul nom auquel elle réponde.

» Vous me dites, dans votre lettre reçue ce matin, que vous êtes décidé à quitter la France et à aller prendre du service à l’étranger, et vous voulez bien, sur cette grande résolution, prendre l’avis d’une pauvre servante du Seigneur.

» Mon avis est qu’un Chazelay, dont les ancêtres ont participé à deux croisades, et qui porte d’azur à la croix pattée d’argent, cantonnée d’une fleur de lys d’or, ne doit point pactiser, même par sa présence, avec les choses qui se passent aujourd’hui.

» Partez donc, et quand vous trouverez à propos que nous allions vous rejoindre, écrivez- moi ; vos ordres seront ponctuellement exécutés[Par GaelleGuilissen] [vos ordres seront ponctuellement exécutés] "vos ordres seront toujours ponctuellement exécutés".

» Votre sœur obéissante et qui vous aime,

» MARIE DE CHAZELAY,

» En religion SŒUR ROSALIE. »

Cette lettre était déjà de la plus haute importance pour Jacques Mérey. Il savait quelle profonde douleur avait ressentie Éva de leur séparation. L’amour est égoïste jusqu’à la cruauté. La douleur d’Éva mettait un baume sur la sienne.[Par GaelleGuilissen] [La douleur d'Éva mettait un baume sur la sienne.] Fin de la partie du chapitre publiée dans Le Siècle du 10 février.

Le jeune officier lui passa la seconde.[Par GaelleGuilissen] [le jeune officier lui passa la seconde.] Il y a un retour à la ligne ici dans le journal. Elle était conçue en ces termes :

« Très cher et très honoré frère,

» C’est avec un grand bonheur que j’ai appris que vous étiez arrivé à Verdun[Par GaelleGuilissen] [que vous étiez arrivé à Verdun] "que vous étiez arrivé sans accident à Verdun", où vous êtes du moins en sûreté. J’ai été enchantée de l’accueil que S. M. le roi de Prusse vous a fait, et ne puis qu’applaudir à la résolution que vous avez prise d’entrer dans les volontaires du prince de Ligne ; c’est un noble seigneur de vieille souche, un vrai prince du saint-empire ; ce doit être, d’après son âge et le portrait que vous m’en faites, le fils de Charles-Joseph, le petit-fils de Claude de l’Amoral second ; son père, Charles-Joseph, était un des plus braves et des plus spirituels gentilshommes qui aient existé. Un Chazelay peut servir sans déroger sous un l’Amoral.

» Hélène va un peu mieux, quoiqu’elle s’obstine à ne pas répondre à ce nom qu’elle semble ne pas connaître. Au reste, depuis le jour où je l’ai emmenée du château de Chazelay, pas un mot n’est sorti de sa bouche. Elle a commencé à prendre quelques cuillerées de potage, qui, avec un ou deux verres de sirop qu’elle avale par jour, suffisent à la soutenir. Hier, au lieu de la faire asseoir à la fenêtre donnant sur la cour, je l’ai fait asseoir à celle donnant sur le jardin. À la vue de la verdure et du petit cours d’eau qui l’arrose, elle a jeté un faible cri, s’est soulevée sur son fauteuil et est retombée en disant d’une voix désespérée : Non ! non ! non ! Je ne sais ce qu’elle voulait dire, mais au moins elle a parlé.

» Comme je crois qu’il y a beaucoup de mauvaise volonté dans ce mutisme et d’entêtement dans cette prostration, ayant entendu du bruit dans la chambre de votre fille avant-hier, après que Jeanne l’eût mise au lit, hier soir, je me ménageai, à l’aide d’un trou pratiqué dans la boiserie, la facilité de voir ce qu’elle faisait lorsque Jeanne fut sortie de sa chambre.

» Elle se leva et en s’appuyant aux meubles elle alla s’agenouiller sur le prie-Dieu placé au-dessous du crucifix qui est entre les deux fenêtres, et là, je ne sais si ce fut des lèvres ou du cœur, car je n’entendis rien, là elle fit ou parut faire une longue prière.

» Il paraît que cet homme près duquel elle est restée trop longtemps, pour son malheur, n’était pas dénué de tout sentiment chrétien, puisque la pauvre enfant cherche un refuge en Dieu et prie.

» Voilà pour le moment tout ce que j’ai à vous dire. J’espère que cette lettre, que j’adresse à Verdun avec ordre de faire suivre, vous arrivera.

» [Par GaelleGuilissen] [MARIE DE CHAZELAY] La mention "Votre soeur toute dévouée" précède le nom de Marie de Chazelay dans le journal.MARIE DE CHAZELAY,

» En religion SŒUR ROSALIE. »

Jacques Mérey tendit vivement la main pour avoir la troisième lettre.

Voici ce qu’elle contenait :

« Très cher et très honoré frère,

» D’après ce que vous me dites de la victoire des Prussiens à Grand-Pré et de la déroute de l’armée française, ce n’est pas nous qui irons vous rejoindre en Allemagne, mais vous qui, dans quelques jours, serez à Paris.

» Hélas ! vous y arriverez trop tard pour empêcher les crimes abominables qui ont été commis[Par GaelleGuilissen] [qui ont été commis] "qui y ont été commis", mais à temps du moins pour les venger.

» Notre pauvre roi et la famille royale sont, comme vous le savez, prisonniers au Temple. On parle de mettre l’élu du Seigneur en jugement ; mais le Seigneur pressera votre marche pour que ce crime atroce, le plus odieux de tous, ne s’accomplisse pas.

» Il n’y aurait rien d’étonnant que ce fût cet homme que vous avez cru reconnaître à la lueur d’un coup de pistolet qui fût en effet dans les rangs des républicains. Il a été nommé, comme vous le savez, membre de la Convention, et j’ai lu sur un journal qu’il était parti pour l’armée de l’Est avec une mission pour Dumouriez.

» Hélène a essayé de mettre une lettre à la poste ; mais elle a si peu de jugement que, sans penser que Jeanne, au lieu de la porter à la poste, me la remettrait, elle l’a confiée à Jeanne.

» Jeanne me l’a apportée comme une honnête fille qu’elle est. C’est le fruit d’une tête en délire. Je vous l’envoie pour que vous puissiez juger par vous-même de la folle passion de cette enfant et de la nécessité de lui faire quitter la France le plus tôt possible, si, contre notre attente, vous n’étiez pas dans quelques jours à Paris.

» Inutile de vous dire que j’ai recommandé à Jeanne d’assurer Hélène que sa lettre avait été mise à la poste ; il en sera de même de toutes celles qu’elle continuera de lui écrire. »

Jacques Mérey jeta un cri ; il venait de reconnaître entre les deux pages de la lettre de mademoiselle de Chazelay l’écriture d’Éva.

Il jeta de côté la lettre de mademoiselle de Chazelay et dévora les lignes suivantes :

« Mon ami, mon maître, mon roi – je dirais mon Dieu si je ne devais pas garder Dieu pour le supplier de te réunir à moi.

» J’ai voulu mourir quand j’ai compris que nous étions séparés et que l’on m’a dit que c’était pour toujours.

» Mon père ou a eu peur de ma résolution ou s’est lassé de mes plaintes. À tout ce que l’on me disait je répondais par ton nom adoré, ou par ces mots : Je l’aime !

» Il a fait venir ma tante, la chanoinesse de Bourges, et il m’a donnée à elle pour qu’on veille sur moi.

» On me croit folle. Peu s’en faut que je ne le sois, et j’ai mes idées bien troubles[Par GaelleGuilissen] [j'ai mes idées bien troubles] "j'ai mes pauvres idées bien troubles". Si ce n’est que je te vois sans cesse devant mes yeux et que je sais que tu vis, je me croirais morte et déjà dans le pays des ombres, tant tout me paraît gris, terne, impalpable. Cela doit être ainsi quand le cœur est mort et qu’on est enfermé dans le tombeau.

» Quitter le château de Chazelay a été pour moi une nouvelle douleur. Là je n’étais qu’à trois ou quatre lieues de toi, mon bien-aimé, et à chaque porte qui s’ouvrait je croyais que c’était toi qui allais paraître.

» En montant dans la voiture, ou plutôt quand on m’a portée dans la voiture, je me suis évanouie ; depuis lors je n’ai jamais bien complètement repris mes sens.

» Le second jour de mon arrivée à Bourges, on m’a fait asseoir à la fenêtre du jardin au lieu de me faire asseoir à celle de la rue. Là j’ai jeté un cri de joie et il m’a semblé qu’un rayon de lumière m’inondait et que je me trouvais en face de notre Éden. Il y avait une pelouse comme la nôtre[Par GaelleGuilissen] [une pelouse comme la nôtre] "une pelouse comme la nôtre, un bassin comme le nôtre, mais pas de grotte", pas de tonnelle de tilleul, pas d’arbre de la science, et surtout pas de Jacques Mérey.

» Ô mon bien-aimé, je n’ai qu’une pensée, je n’ai qu’une espérance, je ne fais à Dieu qu’une prière :

» Te revoir !

» Si je ne te revois, je mourrai. Mais, sois tranquille, auparavant je ferai tout au monde pour te rejoindre.

» Je procède de toi, j’allais à toi, sans toi il n’y a plus de moi.

» ÉVA. »

– Oh ! monsieur, s’écria Jacques Mérey, vous avez dit, n’est-ce pas, que je puis copier les pièces[Par GaelleGuilissen] [vous avez dit, n'est-ce pas, que je puis copier les pièces] "vous avez permis, n'est-ce pas, que je puisse copier des pièces" dont je désirerais avoir le double ?

– Faites mieux, interrompit le jeune officier qui comprenait le désir du docteur, laissez-nous copie de cette lettre, que vous certifierez conforme, et gardez l’original.

Jacques Mérey jeta les bras au cou du jeune officier, voulut lui répondre pour le remercier, mais les larmes étouffèrent sa voix.

Il baisa vingt fois la lettre d’Éva, puis, d’une main tremblante, il commença à la copier.

La lettre copiée, il l’appuya sur son cœur.

– Monsieur, dit-il au jeune officier, je n’oublierai jamais ce que vous venez de faire pour moi.

L’officier paraissait avoir quelque chose à lui dire.

Mais il hésitait.

Jacques vit son hésitation et la comprit.

– Monsieur, lui dit-il, je n’ai pas besoin de vous dire que j’aime la fille de M. de Chazelay et que c’est moi qu’elle aime. Cette lettre que la mort de son père fait passer dans mes mains d’une si douloureuse façon m’était adressée, comme mon nom deux fois répété dans la lettre en fait foi. Je vais rentrer en France et faire tout au monde pour revoir la pauvre enfant qui sans moi est perdue. Savez-vous quelque chose de plus que ce que vous m’avez dit ?

– Monsieur, répondit le jeune officier, je me compromets en vous avouant tout cela ; mais je suis sûr que vous me garderez le secret. C’est moi qui ai commandé le feu le matin de l’exécution, et, sur le terrain même où elle allait avoir lieu, M. de Chazelay m’a remis une lettre pour sa sœur, en me priant de la lui faire passer comme sa volonté dernière. Je lui ai promis de mettre la lettre à la poste, et je lui ai tenu ma parole.

– Et, demanda Jacques Mérey, en recevant votre promesse, il n’a rien dit ?

– Il a murmuré ces mots : « Peut-être arrivera-t-elle à temps. »

Jacques Mérey sonna, baisa une dernière fois la lettre d’Éva, la mit sur son cœur, embrassa le jeune officier, fit mettre des chevaux de poste à sa voiture, passa au quartier général pour remercier Custine et lui serrer la main ; puis, avec le même laconisme que, trois jours auparavant, il avait dit : Route d’Allemagne, il dit : Route de France.

Et la voiture partit avec une égale rapidité.


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