Corpus Le Docteur mysterieux

Tome 2 - Chapitre 31

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XXXI Recherches inutiles[Par GaelleGuilissen] Ce chapitre a été publié dans Le Siècle du 12 février 1870.

Jacques Mérey, à son retour, traversa la France avec la même vitesse qu’à son départ. Seulement, à Kaiserslautern, au lieu de prendre la route de la Champagne par Sainte-Menehould, il prit celle de la Lorraine par Nancy.

Il allait droit à Bourges[Par GaelleGuilissen] [Il allait droit à Bourges] "Il allait tout droit à Bourges".

En arrivant à l’hôtel de la Poste, il s’informa si l’on connaissait à Bourges une demoiselle de Chazelay, ex-chanoinesse.

À cette demande, le maître de poste s’approcha.

– Citoyen, dit-il (le 10 du même mois d’octobre, dont on gagnait la fin, un décret avait substitué les noms de citoyen et citoyenne aux appellations de monsieur et de madame), citoyen, nous connaissons parfaitement la personne dont vous vous informez, seulement elle n’est plus à Bourges.

– Depuis quand ? demanda Jacques Mérey.

– Tenez-vous à le savoir d’une façon positive ?

– Très positive. Je viens de faire plus de quatre cents lieues pour la voir.

– Je vais vous dire cela d’après mon registre.

Le maître de poste alla consulter son registre et cria de l’intérieur :

– Elle est partie le 23, à quatre heures de l’après-midi.

– Seule ou accompagnée ?

– Accompagnée de sa nièce, que l’on disait très malade, et d’une femme de chambre.

– Vous êtes sûr qu’elles étaient trois ?

– Parfaitement, car je leur ai fait observer qu’elles pouvaient ne mettre que deux chevaux à la voiture et payer le troisième en l’air1 ; ce à quoi la chanoinesse a dit : « Mettez-en trois, mettez-en quatre, s’il le faut, nous sommes pressées. » Alors je leur ai mis leurs trois chevaux et elles sont parties.

– Pour où sont-elles parties ?

– Je n’en sais, ma foi ! rien.

– Vous devez le savoir.

– Comment cela ?

– Je présume que vous ne vous êtes pas exposé à donner des chevaux sans vous être fait présenter le passeport.

– Oh ! pour un passeport, elles en avaient un, seulement pour quel pays ? le diable m’emporte si je me le rappelle !

– Ce serait fâcheux[Par GaelleGuilissen] [Ce serait fâcheux] "Ce serait fâcheux pour vous", mon ami, dit gravement Jacques Mérey, si vous l’aviez oublié.

– Dans tous les cas, si vous y tenez absolument, vous pourrez le savoir à la préfecture qui l’a délivré.

1 Terme de poste qui signifie qu’on peut ne pas mettre le troisième cheval, pourvu qu’on paie moitié de son prix.[Par GaelleGuilissen] Il faudrait peut-être mettre la note en bas de la page ?

– C’est vrai, dit Jacques Mérey.

Et, comme il n’avait pas de temps à perdre :

– À la préfecture ! cria-t-il.

Le postillon monta la rue au galop, et au galop entra dans la cour.

Jacques Mérey sauta rapidement à terre ; mais pensant qu’il fallait faire plus de façons avec un préfet qu’avec un maître de poste, il se munit de la lettre de Garat qui le chargeait de rechercher l’identité du seigneur de Chazelay, et, sa lettre à la main, il entra dans le cabinet du préfet.

– Citoyen préfet, dit-il, je suis chargé par le ministre de la Justice, dont voici l’ordre, de constater l’identité du ci-devant seigneur de Chazelay, qui a été fusillé le 20 du présent mois à Mayence. J’arrive de Mayence, où cette identité a été constatée ; mais ma mission ne s’arrêtait point à lui ; elle s’étendait aux autres membres de sa famille, à sa sœur et à sa fille, qui habitent[Par GaelleGuilissen] [qui habitent] "qui habitaient" Bourges.

– Mais qui ne l’habitent plus, monsieur ; elles sont parties le 24 de ce mois-ci.

– Et où sont-elles allées ?

– Je ne pourrais pas vous le dire précisément ; leur passeport était pour l’Allemagne.

– Sans désignation de ville ?

– Sans désignation de ville. Je l’ai délivré sur le certificat du médecin constatant que la jeune fille malade avait besoin de prendre les eaux d’Allemagne.

– Et quel est le médecin qui soignait la jeune fille ?

– Un excellent médecin, très patriote, M. Dupin.

– Seriez-vous assez bon pour me dire où demeure M. Dupin ?

– Tout près, rue de l’Archevêché.

Jacques Mérey salua le préfet, et se fit conduire chez M. Dupin.

Là, le même interrogatoire recommença et faillit amener les mêmes réponses ; mais, pressé de questions, le médecin voulut bien se rappeler qu’il avait désigné les eaux de Baden ou de Wiesbaden, seulement il ne se rappelait plus lesquelles.

Restait à Jacques Mérey à s’assurer, chose par laquelle il eût dû commencer peut-être, si quelque âme vivante n’était point restée à la maison qui pût donner des nouvelles de celles qui l’habitaient.

Mais le postillon fit observer à Jacques Mérey que, s’il le tenait une heure encore ainsi, il arriverait à lui faire doubler sa poste, ce qui était défendu par les statuts de l’administration.

Jacques Mérey reconnut la vérité de l’observation et se fit ramener hôtel de la Poste.

Là, le docteur s’informa de la demeure de mademoiselle de Chazelay.

Elle habitait la maison n° 23 de la rue du Prieuré.

Jacques prit un gamin qui était commissionnaire à l’hôtel et se fit conduire.

La maison n° 23 de la rue du Prieuré était hermétiquement close.

Le gamin frappa à toutes les portes et à toutes les fenêtres ; fenêtres et portes restèrent fermées.

Une voisine sortit et répéta ce que Jacques Mérey savait déjà, c’est-à-dire que le 23, vers quatre heures de l’après-midi, ces dames étaient parties.

Elles avaient tout fermé, emporté toutes les clefs, et la chanoinesse, interrogée sur son retour probable, avait dit qu’elle allait rejoindre son frère en Allemagne et qu’elle ignorait si elle reviendrait jamais.

Par la date du départ, il était évident qu’elles ignoraient encore la mort de M. de Chazelay.

Maintenant, qu’était devenue la lettre qu’il avait écrite à l’heure de sa mort ?

Le facteur passait.[Par GaelleGuilissen] [Le facteur passait.] Il y a ici un retour à la ligne dans le journal. Jacques Mérey l’appela.

– Mon ami, demanda Jacques Mérey, mademoiselle de Chazelay a-t-elle dit en partant où il fallait lui adresser ses lettres ?

– Non, monsieur, répondit le facteur.

– Elles en ont reçu une cependant depuis leur départ.

– Elles ne l’ont pas reçue, dit le facteur, puisqu’elles n’y étaient pas.

– Je te remercie de m’avoir fait remarquer que j’étais encore plus bête que toi, mon ami, lui dit Jacques Mérey. Mais cette lettre, qu’en as-tu fait ?

– Bon ! comme elle était affranchie, je l’ai lancée par-dessous la porte ; quand ces dames reviendront, elles la trouveront.

Jacques Mérey fit un geste d’impatience ; le facteur le remarqua.

– Pourquoi donc aussi affranchissent-ils leurs lettres ? dit-il. Du moment où les lettres sont affranchies, la poste ne s’en occupe plus.

Et le facteur passa son chemin, enchanté d’avoir laissé derrière lui cette maxime tout à la louange de l’administration des postes.

Le gamin approcha sa joue des pavés et regarda par-dessous la porte.

– Tiens, dit-il, on la voit, la lettre. Rien ne serait plus facile que de l’attirer avec une baguette.

– Mon ami, dit Jacques Mérey après avoir réfléchi un instant, cette lettre n’est point à moi, cette lettre n’est point pour moi, je n’ai pas le droit de la lire.

Et il lui donna six francs en remerciement de la peine qu’il avait prise de l’accompagner.

Puis il rentra et se fit servir à dîner.[Par GaelleGuilissen] [Puis il rentra et se fit servir à dîner.] Il y a ici un retour à la ligne dans le journal. Mais, tout en dînant, il lui vint une idée.

Comme le petit commissionnaire, pour les six francs qu’il avait reçus, croyait devoir rester pour toute la journée au service du voyageur, et qu’il se tenait à la porte de la salle à manger son chapeau à la main :

– Comment t’appelles-tu ? lui demanda Jacques.

Francis, monsieur, pour vous servir, répondit l’enfant.

– Va me chercher le postillon qui, le 23, a conduit mademoiselle de Chazelay[Par GaelleGuilissen] [mademoiselle de Chazelay] Il y a quelques imprécisions sur le nom de mademoiselle de Chazelay dans le journal : ici par exemple, elle est appelée Mme de Chazelet (ce sera à nouveau le cas dans l'expression "courir après mademoiselle de Chazelay" à la fin du chapitre) ; plus haut déjà (au niveau de "de la demeure de mademoiselle de Chazelay"), c'était Mlle Chazelet (sans la particule de noblesse) ; aux autres reprises par contre, son nom est écrit correctement..

– Je le connais, dit le gamin, c’est Pierrot.

– Tu en es sûr ?

– Si j’en suis sûr ! à preuve qu’il m’a donné un coup de fouet parce que j’avais ramassé et que je mangeais une prune qui était tombée du panier de provisions de mademoiselle Jeanne.

Et Jacques se rappela en effet que, dans une de ses trois lettres à son frère, mademoiselle de Chazelay désignait sa femme de chambre sous le nom de Jeanne.

– Eh bien ! va me chercher Pierrot, garçon, dit Jacques au commissionnaire.

Pierrot accourut avec une promptitude qui annonçait que Francis lui avait parlé des façons libérales du voyageur.

Le postillon avait le visage souriant.

– C’est toi, lui demanda Jacques, qui as conduit la voiture de mademoiselle de Chazelay, le 24 octobre dernier, à trois heures de l’après- midi ?

Mademoiselle de Chazelay ? attendez donc, dit Pierrot, une vieille à mine de religieuse, avec une femme de chambre et une jeune fille[Par GaelleGuilissen] [une jeune fille] "une jeune" qui avait l’air malade, n’est-ce pas ?

– C’est cela, dit Jacques Mérey.

– Tu sais bien, Pierrot, que tu m’as donné un coup de fouet[Par GaelleGuilissen] [que tu m'as donné un coup de fouet] "que tu m'as envoyé un coup de fouet" ?

– Je ne m’en souviens plus, dit Pierrot.

– Ah ! mais moi je m’en souviens, dit Francis.

– Ça devait être moi, ça devait être moi, dit le postillon en essuyant sa bouche avec la manche de sa veste, geste familier aux Berrichons.

– Alors tu te rappelles qu’elles ont pris la route de Dijon ?

– Oh non ! pas tout à fait.

– Alors celle d’Auxerre ?

– Non plus, dit Pierrot en secouant la tête, oh ! vous n’y êtes pas.

– Comment, je n’y suis pas ?

– Je ne voudrais pas vous contrarier, mais vous me demandez la vérité, n’est-ce pas ? faut que je vous la dise.

– Vous ne me contrariez pas, mon ami ; au contraire, vous me rendrez service[Par GaelleGuilissen] [vous me rendrez service] "vous me rendez service" en m’indiquant la véritable route qu’elles ont prise. Il faut que je les rejoigne, comprenez-vous ? pour une affaire de la plus haute importance.

– Ah bien ! si vous voulez les rejoindre, ça n’est ni sur la route de Dijon, ni sur la route d’Auxerre qu’il faut courir.

– Mais sur laquelle alors ?

– C’est tout l’opposé, sur celle de Châteauroux.

Un éclair passa dans l’esprit de Jacques.

– Ah ! dit-il, elles sont allées au château de Chazelay. Les chevaux à ma voiture, mon ami, les chevaux tout de suite !

– Bon, dit Pierrot, c’est justement à mon tour de conduire.

Et il s’élança dans la cour. Francis disparut en même temps que lui.

Un quart d’heure après, les chevaux étaient à la voiture et Pierrot en selle.

Jacques Mérey paya sa dépense, chercha des yeux son petit commissionnaire pour lui donner le reste de la monnaie que lui avait rendue le maître de poste, mais il ne le vit nulle part.

La voiture partit au grand trot, ce qui était la preuve toujours que Francis n’avait pas gardé le secret sur son écu.

Mais, en sortant de la ville, Jacques Mérey vit son commissionnaire qui lui barrait la route.

Il tenait une lettre à la main.

Sur ses signes réitérés qu’il avait quelque chose à dire à son voyageur, Pierrot arrêta sa voiture.

Le gamin sauta lestement sur le marchepied.

– Qu’y a-t-il encore ? demanda Jacques Mérey.

– Il y a, répondit Francis, que, puisque vous allez courir après mademoiselle de Chazelay jusqu’à ce que vous la rejoigniez, il vaut mieux lui porter sa lettre que de la laisser sous la grand- porte. Elle a plus de chance pour arriver.

– Eh bien ? demanda Jacques Mérey.

– Eh bien ! la voilà, dit Francis en jetant la lettre dans la voiture, en sautant au bas du marchepied, et en criant à Pierrot : « Fouette, postillon. »

Jacques Mérey réfléchit que ce que venait de lui dire l’enfant était plein de logique ; que la lettre que venait de lui remettre Francis contenait, selon toute probabilité, les dernières volontés du père d’Éva ; qu’en la laissant où elle était, le vent et la pluie l’auraient bientôt rendue illisible ; que mieux valait donc que, dépositaire fidèle, il la conservât intacte et inconnue jusqu’au moment où il la remettrait à l’une des deux personnes[Par GaelleGuilissen] [l'une des deux personnes] "l'une des deux seules personnes" qui avaient le droit de l’ouvrir, à Éva ou à mademoiselle de Chazelay.

Il la mit en conséquence dans la poche secrète de son portefeuille.


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