XXXVI Le jugement[Par GaelleGuilissen] Ce chapitre a été publié dans les numéros du Siècle du 15 et du 16 février 1870.
Jacques Mérey fut envoyé à Paris par Dumouriez et chargé de présenter à la Convention le jeune Baptiste Renard[Par ShanonPomminville] [le jeune Baptiste Renard] Jean Pierre Louis Renard, dit Baptiste Renard (1768-1827), est le valet de chambre de Dumouriez. Il joue un rôle déterminant dans la bataille de Jemmapes et reçoit à cette occasion le grade de Capitaine aide de camp. , qui avait rallié une brigade au moment où celle-ci pliait.
Il partit le 6, à trois heures, courut la poste toute la nuit, et arriva le 7 à temps pour se présenter à la Convention et annoncer la nouvelle, attendue mais inespérée.
– Citoyens représentants, dit-il, messager de Valmy, je viens vous annoncer la victoire de Jemmapes ; en quatre heures, nos braves soldats ont enlevé des positions que l’on croyait inexpugnables.
– Comment cela ? demanda le président.
– En chantant, répondit Jacques Mérey.
– Et que demande le général pour sa brave armée ?
– Du pain et des souliers.
Il y eut un moment d’enthousiasme immense ; les canons des Invalides semblèrent faire feu d’eux-mêmes ; la nouvelle s’élança par toutes les portes et s’abattit sur Paris.
La grande ville, qui n’était qu’à moitié rassurée par la victoire de Valmy qui la débarrassait des Prussiens, fut folle de joie.
Les maisons s’illuminèrent toutes seules et dégorgèrent leurs habitants ; les rues s’emplirent, les cloches sonnèrent, la foule se porta aux Tuileries.
Marie-Joseph Chénier[Par ShanonPomminville] [Marie-Jospeh Chénier] Pour consulter les références biographiques de Marie-Joseph Chénier, voir la note au chapitre XIX., qui était de la Convention, fit, séance tenante, la première strophe de son hymne :
La victoire, en chantant, nous ouvre la barrière[Par ShanonPomminville] [nous ouvre la barrière] Le Chant de départ est un hymne à la liberté écrit en 1794 par Marie-Joseph Chénier pour les paroles et Étienne Nicolas Méhul pour la musique. …
Méhul[Par ShanonPomminville] [Méhul] Étienne Nicolas Méhul (1763-1817) est un compositeur français, surtout connu pour ses hymnes patriotiques tels que l'Hymne à Bara et Viala ou l'Hymne du 9 thermidor. en fit la musique.
Jacques Mérey détourna l’attention de lui et la ramena sur le jeune Baptiste Renard. Il raconta ce qu’il avait fait comme il savait raconter ; il montra l’âme du soldat sous la livrée du domestique, et comment tout avait grandi en France, jusqu’aux cœurs des mercenaires.
La Convention comprit qu’il fallait qu’elle grandît celui qui s’était élevé ; elle lui vota et lui donna séance tenante les épaulettes de capitaine.
Puis elle reprit sa séance interrompue.
Le jour où l’on apprit la victoire de Valmy, la République fut proclamée ; le jour où l’on apprit la victoire de Jemmapes, le roi fut mis en jugement.
Puis les choses marchèrent à pas de géant[Par ShanonPomminville] [à pas de géant] Tout comme la progression de ce chapitre qui s'ouvre avec le retour de Jacques Mérey à Paris le 7 novembre 1792 pour se clore le 20 janvier 1793, à la veille de l'exécution de Louis XVI. Sans oublier la digression que se permet Dumas, et qui entraîne le lecteur hors du contexte historique dans lequel s'inscrit le récit, pour effectuer un voyage spatio-temporel de 1792 à 1848. .[Par GaelleGuilissen] [Puis les choses marchèrent à pas de géant.] On trouve ici un retour à la ligne dans le journal. Bruxelles fut occupé par le général Dumouriez.
La Convention rendit un décret par lequel elle promettait aide et secours à tous les peuples qui voudraient renverser leur gouvernement[Par ShanonPomminville] [renverser leur gouvernement] Dans le décret du 19 novembre 1792, la Convention annonce qu'elle accordera « fraternité et secours à tous les peuples qui voudront recouvrer leur liberté ». .
Qu’on me permette d’ouvrir ici une parenthèse que je n’ouvrirais pas dans un autre roman que celui-ci, ni dans un autre journal que le Siècle[Par ShanonPomminville] [Le Siècle] Le Siècle, Journal politique, littéraire et d'économie sociale est un quotidien français paru de 1836 à 1932. D'abord à tendance constitutionnelle, le journal prend un virage en 1848 et devient républicain. Dumas y fait notamment paraître, entre 1844 et 1848, la série des Mousquetaires : Les Trois Mousquetaires, Vingt ans après et Le Vicomte de Bragelonne. Le Docteur mystérieux est quant à lui publié de décembre 1869 à mars 1870. .
On a dû remarquer, ceux du moins qui nous ont lus avec attention, combien nous avons pris à tâche[Par GaelleGuilissen] [combien nous avons pris à tâche] "combien nous avions pris à tâche" d’introduire l’histoire nationale dans nos livres, et combien la popularité qu’on nous a faite a été mise au service de l’éducation publique.
Michelet, mon maître, l’homme que j’admire comme historien, et je dirai presque comme poète, au-dessus de tous, me disait un jour :
« Vous avez plus appris d’histoire au peuple que tous les historiens réunis. »
Et ce jour-là, j’ai tressailli de joie jusqu’au fond de mon âme ; ce jour-là, j’ai été orgueilleux de mon œuvre.
Apprendre l’histoire au peuple, c’est lui donner ses lettres de noblesse, lettres de noblesse inattaquables et contre lesquelles il n’y aura pas de nuit du 4 août[Par ShanonPomminville] [de nuit du 4 août] La nuit du 4 août 1789 correspond à l'abolition des privilèges féodaux. .
C’est lui dire que quoiqu’il ait toujours eu ses racines dans la nation, que quoiqu’il ait existé comme commune, comme parlement, comme tiers, il ne date réellement que du jour de la prise de la Bastille.
Pour monter dans les carrosses du roi, il fallait faire ses preuves de 1399[Par ShanonPomminville] [ses preuves de 1399] « Pour avoir droit à un titre, il fallait établir les preuves de noblesse reconnue jusqu'en 1399, époque du premier anoblissement. On appela cette procédure preuves de Cour », Pons Louis François Villeneuve, De l'agonie de la France, t. 2, Paris, Paul Miquignon, 1835, p. 475. .
La noblesse du peuple date du 14 juillet.[Par GaelleGuilissen] [La noblesse du peuple date du 14 juillet.] On trouve ici un retour à la ligne dans le journal. Il n’y a pas de peuple sans liberté.
Mais, nous qui oublions parfois cette sainte maxime, mais qui toujours à un moment donné nous en souvenons, il est bon de voir, malgré nos défaillances, à quel point nous avons infiltré en Europe le principe révolutionnaire ; et, disons-le, relativement à la durée de la vie des peuples comparée à la vie humaine, combien rapidement il s’est fait jour !
Nous venons de dire que le 19 novembre, treize jours après la bataille de Jemmapes, la Convention, comprenant sa puissance et mesurant son droit, avait promis protection et secours à tous les peuples qui voudraient renouveler leur gouvernement.
Pourquoi n’avons-nous pas, l’un après l’autre, le temps de dire ce qu’étaient les rois qui représentaient ces gouvernements ?
Angleterre : Georges III, un idiot ; – Russie : Catherine, une goule ; – Autriche : François II, un Tibère[Par AnneBolomier] [Tibère] : deuxième empereur romain de la dynastie Julio-Claudienne, Tibère est le beau-fils d'Auguste, second époux de sa mère. ; – Espagne : Charles IV, un palefrenier ;[Par GaelleGuilissen] [Charles IV, un palefrenier ;] Il n'y a pas de retour à la ligne ici dans le journal.
– Prusse : Frédéric-Guillaume, un mannequin dont ses maîtresses tenaient le fil.
Mais les peuples ne marchent que les uns après les autres sur la route de Damas[Par ShanonPomminville] [sur la route de Damas] Épisode biblique racontant la conversion de Paul après avoir vu le Christ sur la route le menant à Damas (Nouveau testament, Épîtres de Saint Paul, Première aux Corinthiens). Hors de son contexte proprement religieux, l'expression « le chemin de Damas », ou ici « la route de Damas », insinue un changement radical de perspective., et il leur faut des années de tyrannie pour que les écailles leur tombent des yeux.
L’appel aux peuples de 1792 fut proclamé ; le Brabant seul y répondit. La révolution du Brabant fut étouffée.
La révolution de 1830 arriva ; le gouvernement provisoire appela les peuples à la liberté. Trois peuples répondirent :
L’Italie, la Pologne, la Belgique.
Deux peuples furent noyés dans leur sang : l’Italie et la Pologne. La Belgique y gagna la liberté et une constitution.
Puis vint la révolution de 1848, qui appela tous les peuples à la république.
Et alors ce ne fut plus seulement trois peuples qui réclamèrent leur liberté et demandèrent une constitution ; ce fut l’Autriche, ce fut la Prusse, ce fut Venise, ce fut Florence, ce fut Rome, ce fut la Sicile, ce furent les provinces danubiennes, ce fut tout ce qui est éclairé enfin par le soleil de la civilisation qui proclama la république.
L’Italie y gagna son unité ; l’Autriche, la Prusse, les provinces danubiennes, des constitutions.
Et nunc intelligite, reges[Par ShanonPomminville] [reges !] « Et maintenant, rois, comprenez ! » Bossuet utilise une formule semblable lors de l'oraison funèbre de Henriette-Marie de France : « Et nunc, reges, intelligite, erudimini qui juridatis terram », que l'on traduit : « Et maintenant, rois, comprenez, instruisez-vous, vous qui jugez du sort du monde ». De manière tout à fait ironique, l'abandon de la deuxième partie de la citation chez Dumas s'inscrit dans le projet républicain de la souveraineté populaire. !
Reprenons la suite des événements.
Le 27, un décret réunit la Savoie à la France.
Le 30, prise de la citadelle d’Anvers par le général La Bourdonnaye.
Arrêtons-nous ici encore un moment et jetons un coup d’œil sur l’Angleterre, sur l’Angleterre que nous appelions notre sœur aînée et que nous appelons notre amie.[Par GaelleGuilissen] [que nous appelons notre amie.] Fin de la partie du chapitre publiée dans Le Siècle du 15 février.
L’Angleterre, le pays le plus savant en sciences mécaniques, le plus ignorant en force morale, nous avait depuis 1789 regardé faire, sans s’inquiéter autrement de nous ; elle avait haussé les épaules à notre enthousiasme, elle avait raillé nos volontaires ; au premier coup de canon prussien ou autrichien, elle avait cru les voir s’envoler vers Paris comme une volée d’oiseaux.
Pitt[Par ShanonPomminville] [Pitt] William Pitt (1759-1806) est un homme politique britannique, notamment connu sous la Révolution pour avoir participé à la coalition contre la France révolutionnaire., ce grand politique qui n’a jamais été qu’un commis haineux, Pitt, doublé des Grenville[Par ShanonPomminville] [doublé des Grenville] William Wyndham Grenville (1759-1834) est un homme politique britannique qui, aux côtés de Pitt, s'engage activement dans la coalition contre la France révolutionnaire. , voyait la France, envahie par la Prusse, former une seconde Prusse.
Tout à coup elle voit s’illuminer le côté de la Belgique. Qu’y a-t-il ?
La France est au Rhin ; la France est aux Alpes ; Anvers est pris !
La baïonnette de la France est sur la gorge de l’Angleterre.
Alors l’île aux quatre mers est prise d’une de ces paniques qui lui sont particulières, comme elle en prit une en 1805 quand elle vit Napoléon à Boulogne, un pied sur les bateaux plats[Par ShanonPomminville] [sur les bateaux plats] En vue d'un éventuel débarquement en Angleterre, Napoléon Bonaparte ordonne aux alentours de Boulogne-sur-Mer un rassemblement de soldats connu sous le nom de « Camp de Boulogne », mais pour des raisons militaires, il renonce finalement à envahir le pays. ; et une autre, en 1842, quand trois millions de chartistes entourèrent le parlement[Par ShanonPomminville] [entourèrent le parlement] Le chartisme est un mouvement politique ouvrier qui se développe en Angleterre au milieu du XIXe siècle. 1842 correspond à l'une des trois grandes pétitions présentées par les chartistes au Parlement britannique. .
Déjà une société anglaise étant venue féliciter la Convention, son président Grégoire[Par ShanonPomminville] [son président Grégoire] Premier prêtre ayant signé la Constitution civile du clergé, Henri Baptiste Grégoire (1750-1831) est élu président à la Convention en novembre 1792. Grande figure révolutionnaire, il est aussi connu pour avoir réclamé la liberté des cultes en février 1795. leur dit à leur grande épouvante :
– Estimables républicains, la royauté se meurt sur les décombres féodaux ; un feu dévorant va les faire disparaître ; ce feu, c’est la Déclaration des droits de l’Homme[Par ShanonPomminville] [des droits de l'homme] Nous n'avons pu repérer cette citation ailleurs que dans le Chapitre VI (« Invasion de la Belgique - Lutte de Cambon et de Dumouriez ») du Livre VIII de l'Histoire de la Révolution française de Michelet. Voir Jules Michelet, Ibid., t. 5, p. 368. La plupart des autres citations invoquées par Dumas dans cette partie du roman et la réflexion qu'il propose sur la culpabilité du roi sont pour leur part inspirées du premier chapitre (« Louis XVI était coupable ») du Livre IX. Voir Jules Michelet, Ibid., t. 6, p. 21-36. .
Vous figurez-vous l’effet que ferait la Déclaration des droits de l’Homme dans un pays où un paysan n’a pas le droit de tuer le renard qui mange ses poules ni le corbeau qui abat ses noix ?
Cependant le procès du roi se poursuivait, et la nécessité de faire disparaître tout ce qui faisait obstacle à la Révolution devenait impérieuse.
Faire la conquête du monde, pour la France, n’était pas urgent ; mais faire la conquête d’elle- même était nécessaire.
La France avait contre elle trois principes ennemis :
L’Église ;
La noblesse ;[Par GaelleGuilissen] [La noblesse ;] Il y a ici un retour à la ligne dans le journal. La royauté.
L’Église, on l’a vu par la guerre de la Vendée, qui fut toute aux mains des prêtres.
La noblesse, on l’a vu par les six mille émigrés de Condé qui portèrent les armes contre la France.
La royauté ! la royauté, qui était coupable, comme l’ont prouvé les royalistes eux-mêmes, lorsque chacun a réclamé, en 1815, la récompense de services qui n’étaient rien autre chose que des trahisons, et qui cependant, par sa fausse éducation, par son invincible ignorance, par l’erreur du droit divin, pouvait se croire innocente[Par ShanonPomminville] [se croire innocente] En guise de récompense pour leur fidélité à la monarchie pendant la Révolution, les royalistes les plus conservateurs demandent, à la suite de la chute définitive de Bonaparte en 1815, la restitution de leurs privilèges d'antan. .
La France s’était débarrassée de l’Église en décrétant la mise en vente des biens des couvents.[Par GaelleGuilissen] [des biens des couvents] "des biens de couvents"
La noblesse avait débarrassé la France d’elle en émigrant.
Restait donc la royauté.
C’était le dernier obstacle ; de là tant de haine dans sa destruction.
La maxime favorite de Louis XVI, c’est M. de Malesherbes[Par ShanonPomminville] [c'est de M. de Malesherbes] Magistrat, homme d'état et botaniste français, Guillaume Chrétien de Lamoignon de Malesherbes (1721-1794) est surtout connu pour avoir soutenu l'Encyclopédie contre la censure royale et, paradoxalement, pour avoir assuré, aux côtés de François Denis Tronchet et de Raymond de Sèze, la défense de Louis XVI lors de son procès en décembre 1792. , son défenseur, lui-même qui l’a dit, maxime qui dérive directement du fameux mot de Louis XIV : L’ÉTAT, C’EST MOI, était celle-ci :
– LA LOI SUPRÊME, C’EST LE SALUT DE L’ÉTAT.
Seulement, la question est là :
L’État est-il dans la royauté ou dans la nation ?
La question est reconnue aujourd’hui, et ceux- là mêmes qui règnent avouent en montant sur le trône qu’ils ne sont que les mandataires de la nation.
Il est vrai qu’une fois sur le trône ils l’oublient presque aussitôt.
Mais oublier un principe n’est pas le détruire, c’est forcer les autres de s’en souvenir, voilà tout.
L’erreur disait : « La loi suprême est le salut de l’État. »
La vérité dit : « La loi suprême est le salut public. »
Or le roi avait conspiré contre le salut public :
En essayant de sortir du royaume ;
En continuant ses relations avec ses frères ;[Par GaelleGuilissen] [En continuant ses relations avec ses frères ;] Il y a ici un retour à la ligne dans le journal. En protestant contre la Révolution dans son adresse au roi de Prusse ;
En demandant à son beau-frère ou en faisant demander par la reine, ce qui était la même chose, les secours de troupes autrichiennes.
La Convention ignorait tout cela, puisque ces faits ne nous furent révélés qu’à la Restauration ; mais elle comprenait instinctivement que la mort du roi était nécessaire.
Le roi vivant, qu’en eût-on fait ?
Prisonnier, il eût constamment conspiré pour sortir de sa prison.
Exilé, il eût constamment conspiré pour rentrer en France.
La vie du roi était inviolable, dira-t-on.
Mais la vie de la France était-elle moins inviolable que celle du roi ?
Tuer un homme est un crime.[Par GaelleGuilissen] [Tuer un homme est un crime.] On trouve ici un retour à la ligne dans le journal. Tuer une nation est un forfait.
Et cependant tous ces hommes hésitaient à porter la main, non pas sur le roi, mais sur l’homme.
Presque tous, soit dans leurs discours, soit dans leurs écrits, s’étaient prononcés contre la peine de mort.
Ces hommes qui ont tant tué – nécessité aux coins de fer ! – ces hommes avaient presque tous pour principe cette première loi de l’humanité :
Ce qu’il y a de plus sacré, c’est la vie humaine.
Duport avait dit : « Rendons l’homme respectable à l’homme. »
Robespierre avait dit : « Il faut au moins pour condamner que les jurés soient unanimes. »
Aussi, pour porter le dernier coup à Louis XVI, choisit-on un homme dont l’entrée à la Chambre était une violation de la justice : il n’avait que vingt-quatre ans, Saint-Just[Par ShanonPomminville] [Saint-Just] Louis Antoine Léon de Saint-Just (1767-1794) est un homme politique français, le plus jeune élu à la Convention nationale. Siégeant du côté des Montagnards, il prend une part active dans l'affaire du jugement de Louis XVI, à l'occasion de laquelle il prononce deux discours à la Convention. .
Étrange précaution de la Providence.[Par GaelleGuilissen] [Étrange précaution de la Providence.] On trouve ici un retour à la ligne dans le journal. Il monta à la tribune.
Nous connaissons tous Saint-Just. Nous l’avons vu dans ses portraits, grave, mince, roide, le cou perdu dans sa cravate de batiste, avec son teint mat, ses yeux bleu faïence d’une dureté slave, ses sourcils les couronnant comme une barre tirée à la règle au-dessus d’eux, avec cela le front bas et les cheveux descendant jusqu’aux sourcils.
– Pour juger César il n’a fallu, dit-il, d’autre formalité que vingt-deux coups de poignard.
– Il faut tuer[Par GaelleGuilissen] [Il faut tuer] "Il faut le tuer", il n’y a plus de loi pour le juger, lui-même les a détruites.
– Il faut le tuer comme ennemi, on ne juge qu’un citoyen ; pour juger le tyran il faudrait d’abord le faire citoyen.
– Il faut le tuer comme coupable pris en flagrant délit, la main dans le sang. La royauté est d’ailleurs un crime éternel, un roi est hors la nature ; de peuple à roi, nul rapport naturel.
Il faut lire cette page, que nous empruntons à Michelet, pour se faire une idée exacte de l’effet que produisit le discours de Saint-Just.[Par GaelleGuilissen] [cette page, que nous empruntons à Michelet [...] le discours de Saint-Just.] Cette citation de Michelet est tirée du tome VI de l'Histoire de la Révolution française, p. 126-127 (chapitre V). Elle est absolument littérale, comme l'indiquent les guillemets, et ce sont les variantes que l'on trouve dans le journal, indiquées aux notes suivantes, qui suivent correctement le passage de Michelet.
« L’atrocité du discours eut un succès d’étonnement. Malgré les réminiscences classiques qui sentaient leur écolier (Louis est un Catilina[Par AnneBolomier] [Catilina] : Lucius Sergius Catilina (né en 108 av. J.-C. à Rome et mort en 62 av. J.-C. à Pistoria) est un homme politique romain connu pour deux conjurations visant à renverser le Sénat de la République romaine. , etc., etc.), personne n’avait envie de rire.
La déclaration[Par GaelleGuilissen] [La déclaration] "La déclamation" n’était pas vulgaire ; elle dénotait dans le jeune homme un vrai fanatisme. Ses paroles, lentes et mesurées, tombaient d’un poids singulier et laissaient de l’ébranlement, comme le lourd couteau de la guillotine. Par un contraste choquant, elles sortaient, ces paroles froidement impitoyables, d’une bouche qui semblait féminine. Sans ses yeux bleus fixes et durs, ses sourcils fortement barrés, Saint-Just eût pu passer pour une femme[Par GaelleGuilissen] [passer pour une femme] "passer pour femme". Était-ce la vierge de Tauride[Par AnneBolomier] [la vierge de Tauride] : il s'agit d'une référence à Iphigénie, fille d'Agamemnon et de Clytemnestre, sacrifiée par son père désireux d'apaiser le courroux de Diane qu'il avait irritée et qui réclamait le sang d'une princesse de sa famille. Mais la déesse, apaisée, mit à la place d'Iphigénie une biche qui lui fut immolée, et transporta dans la Tauride cette princesse, pour en faire sa prêtresse (Dictionnaire de la fable de Noël). ? Non, ni les yeux, ni la peau, quoique blanche et fine, ne portaient à l’esprit un sentiment de pureté. Cette peau très aristocratique, avec un caractère singulier d’éclat et de transparence, paraissait trop belle et laissait douter s’il était bien sain.
» L’énorme cravate serrée, que seul il portait alors, fit dire à ses ennemis, peut-être sans cause, qu’il cachait des humeurs froides. Le cou était comme supprimé par la cravate, par le collet roide et haut ; effet d’autant plus bizarre que sa taille longue ne faisait point du tout attendre cet accourcissement du cou[Par GaelleGuilissen] [accourcissement du cou] "accourcissement du col". Il avait le front très bas, le haut de la tête comme déprimé, de sorte que les cheveux, sans être longs, touchaient presque aux yeux. Mais le plus étrange était son allure d’une roideur automatique qui n’était qu’à lui. La roideur de Robespierre n’était rien auprès. Tenait-elle à une singularité physique, à un excessif orgueil, à une dignité calculée ? Peu importe. Elle intimidait plus qu’elle ne semblait ridicule. On sentait qu’un être tellement inflexible de mouvement devait l’être aussi de cœur. Ainsi, lorsque dans son discours, passant du roi à la Gironde, et laissant là Louis XVI, il se tourna d’une pièce vers la droite et dirigea sur elle avec sa parole, sa personne tout entière, son dur et meurtrier regard, il n’y eut personne qui ne sentît le froid de l’acier. »
Louis XVI fut condamné à mort sans sursis à la majorité de trente-quatre voix.
Jacques Mérey motiva ainsi son vote :
– Ennemi de la mort comme médecin et ne pouvant cependant méconnaître la culpabilité de Louis XVI, je vote pour la prison perpétuelle.
Il venait de prononcer deux arrêts à la fois : celui de Louis XVI et le sien.