Corpus Le Docteur mysterieux

Tome 2 - Chapitre 37

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XXXVII L’exécution[Par GaelleGuilissen] Ce chapitre a été publié dans Le Siècle du 16 février 1870.

De tout ce que nous venons d’écrire, il demeure clair pour les lecteurs que Louis XVI fut condamné parce qu’il était un danger national.

La France, qui devait non seulement vivre et prospérer par sa mort, mais secouer, lui mort, l’esprit de la révolution sur les autres peuples, devait mourir avec lui et par lui.

Ce qu’on voulut tuer surtout, avec le roi, c’est l’appropriation d’un peuple à un homme.

Le Breton Lanjuinais l’a dit : Il y a de saintes conspirations[Par ShanonPomminville] [saintes conspirations] Juriste et homme politique français, Jean-Denis Lanjuinais (1753-1827) est connu sous la Révolution pour son opposition à la mise en place du procès de Louis XVI. C'est à cette occasion, lors de la séance du 26 décembre 1792, alors que la situation tourne en sa défaveur pour avoir qualifié les acteurs du 10 août de « conspirateurs », qu'il se défend en assurant qu'il s'agissait « de saintes conspirations ». On demeure néanmoins perplexe devant cette citation au sens tout à fait incertain. Est-ce que Dumas connaissait bien le contexte dans lequel elle avait été prononcée ? .

Les conspirations saintes, c’est le retour du droit, c’est la rentrée du vrai maître dans la maison, c’est l’expulsion de l’intrus.

Les vrais régicides ne sont point Thraséas et ses complices qui tuèrent Caligula, ce sont les flatteurs qui persuadèrent à Caligula qu’il était dieu[Par AnneBolomier] [Les vrais régicides ne sont point Thraséas et ses complices qui tuèrent Caligula] : la référence de Dumas à cet épisode de l'assassinat de l'empereur romain Caligula (né en 12 à Antium et mort en 41 à Rome) est confuse. L'empereur a bien été assassiné dans des conditions restées floues mais les historiens romains Suétone (Vie de Caligula) et Dion Cassius (Histoire romaine) s'accordent pour nommer le centurion Cassius Chaerea, principal régicide, aidé d'autres membres de la garde de l'empereur, et non pas Thraséas, stoïcien célèbre ayant vécu sous le règne de Néron (né en 37 à Antium et mort en 68 à Rome), autre empereur de la dynastie Julio-Claudienne, comme Caligula. L'erreur de Dumas vient certainement du fait que ces deux empereurs apparaissent dans l'imaginaire collectif comme des despotes cruels exerçant un pouvoir de droit divin. !

Le roi entendit avec beaucoup de calme sa sentence, que le ministre de la Justice alla lui lire au Temple.

Une circonstance bizarre, presque providentielle, l’avait depuis longtemps mis en face de sa propre mort.

M. de Richelieu, le courtisan par excellence, avait à prix d’or, et pour en faire cadeau à madame du Barry, acheté le beau portrait de Charles Ier par Van Dick[Par CharisseBabouche] "acheté le beau portrait de Charles Ier par Van Dick". Il s'agit du Portrait du roi à la chasse, peint par le peintre flamand Van Dick vers 1635. Le tableau représente le roi Charles Ier, descendant de sa monture lors d'une partie de chasse. On aperçoit au second plan deux pages, dont l'un serait l'ancêtre de Madame du Barry, selon la fable contée par Richelieu. Il est aujourd'hui exposé au Louvre. http://www.louvre.fr/oeuvre-notices/charles-ier-roi-d-angleterre-1600-1649.

Quel rapport y avait-il entre madame du Barry, le roi d’Angleterre et le peintre flamand ?

Il fallait un bien fin courtisan pour le trouver.

Le jeune page qui tient le cheval du roi était portrait comme le roi. C’était le page favori de Charles Ier. Il s’appelait Bary.

Il s’agissait de faire accroire à madame du Barry que le page était un des ancêtres de son mari.

Ce ne fut pas chose difficile ; la pauvre créature croyait tout ce que l’on voulait.

Elle avait son appartement dans les mansardes de Versailles. Elle plaça le tableau debout contre la muraille. Il était de hauteur avec l’appartement[Par GaelleGuilissen] [Il était de hauteur avec l'appartement] "Il était de hauteur juste avec l'appartement".

M. de Richelieu l’avait au reste renseignée sur ce qu’était Charles Ier.

Et quand Louis XV la venait voir, elle le faisait asseoir sur son canapé, placé juste en face du portrait, et elle lui disait :

– Tu vois, la France, c’est un roi qui a eu le cou coupé pour n’avoir pas osé résister à son parlement.

Louis XV mourut. Madame du Barry fut exilée. Le chef-d’œuvre de Van Dyck[Par GaelleGuilissen] [Van Dyck] Le nom est systématiquement écrit "van Dick" dans le journal (on trouve d'ailleurs cette orthographe un peu plus haut dans le texte :"le beau portrait de Charles Ier par Van Dick"). demeura dans les mansardes de Versailles.

Puis les journées des 5 et 6 octobre[Par ShanonPomminville] [les journées des 5 et 6 octobre] Les journées des 5 et 6 octobre 1789 correspondent à la marche des femmes vers Versailles, ainsi qu'à l'établissement de la famille royale dans la capitale. arrivèrent. Louis XVI et la famille royale furent ramenés à Paris.

Les Tuileries, inhabitées depuis longtemps, étaient démeublées. On prit au hasard, dans les appartements vides de Versailles, des meubles et des tableaux.

Les appartements des anciennes favorites fournirent leur contingent.

Louis XVI, en entrant dans sa chambre à coucher, se trouva en face du portrait[Par GaelleGuilissen] [en face du portrait] "en face le portrait" (même si, d'après le Littré, la construction de la locution est bien "en face de"). de Charles Ier.

Il prit ce hasard pour un avertissement de la Providence, et depuis ce jour pensa à la mort[Par CharisseBabouche] "et depuis ce jour pensa à la mort". Le roi Charles Ier est mort en 1649. Il fut exécuté à la suite d'une guerre civile qui renversa la monarchie et instaura la république du Commonwealth, ce qui explique le rapprochement funeste entre Louis XVI et Charles Ier. .

Il dormit profondément la veille de l’exécution, se réveilla avant le jour, entendit la messe à genoux, refusa de voir la reine à qui il avait promis de dire adieu la veille, de peur de s’attendrir.[Par GaelleGuilissen] [de peur de s'attendrir.] On ne trouve pas de retour à la ligne ici dans le journal.

Enfin, à huit heures, il sortit de son cabinet et entra dans sa chambre à coucher, où l’attendait la troupe.[Par GaelleGuilissen] [où l'attendait la troupe.] On trouve ici un retour à la ligne dans le journal. Tout le monde avait le chapeau sur la tête.

– Mon chapeau ? demanda Louis XVI.[Par GaelleGuilissen] [Mon chapeau ? demanda Louis XVI.] On trouve ici un retour à la ligne dans le journal. Cléry[Par ShanonPomminville] [Cléry] Valet de chambre du dauphin depuis la naissance de ce dernier en 1785, Jean-Baptiste Can-Hannet, dit Cléry (1759-1809), obtient la permission le 26 août 1792 de servir le roi dans la prison du Temple. le lui remit et il se coiffa.

Puis il ajouta :

Cléry, voici mon anneau d’alliance ; vous le remettrez à ma femme et lui direz que ce n’est qu’avec peine que je me sépare d’elle.[Par GaelleGuilissen] [ce n'est qu'avec peine que je me sépare d'elle.] On trouve ici un retour à la ligne dans le journal. Puis, tirant son cachet de sa poche :

– Voici pour mon fils, dit-il.

Sur le cachet étaient gravées les armes de France.

Dans les traditions royales, c’était le trône qu’il lui transmettait.

Il s’approcha d’un homme de la Commune, nommé Jacques Roux[Par ShanonPomminville] [nommé Jacques Roux] Prêtre constitutionnel sous la Révolution, Jacques Roux (1752-1794) est l'un des premiers en 1790 à signer la Constitution civile du clergé. Avec Marie-Joseph Chalier et Jean Varlet, il est l'un des représentants des Enragés, groupe révolutionnaire radical réclamant des mesures économiques et sociales en faveur des plus démunis. .

– Voulez-vous recevoir mon testament ? Lui demanda-t-il.

L’homme se recula.

– Je ne suis ici, dit-il, que pour vous conduire à l’échafaud.

– Donnez, dit un autre municipal ; je m’en charge.

– Prenez-vous votre redingote, sire ? demanda Cléry.

Il fit signe que non.

Il était en habit de couleur sombre, en culotte noire, en bas blancs, en gilet de molleton blanc.

Au fond de la voiture, son confesseur, l’abbé Edgeworth[Par ShanonPomminville] [l'abbé Edgeworth] Henri Essex Edgeworth de Firmont (1745-1807) est un prêtre catholique irlandais. Devenu le chapelain de Madame Élisabeth en 1791 et recommandé par celle-ci au roi déchu, il assiste Louis XVI dans ses derniers moments. , Irlandais, élève des jésuites de Toulouse, prêtre non assermenté, l’attendait.

Il y monta, s’assit près de lui. Deux gendarmes montèrent derrière lui et s’assirent sur la banquette de devant.

Le roi tenait un livre de messe à la main ; il se mit à lire des psaumes.

Il était dans une voiture à lui.

Les rues étaient à peu près désertes, portes et fenêtres étaient fermées ; personne ne paraissait même derrière les vitres.

On eût dit une nécropole.

Le pouls de Paris ne battait plus que sur la place de la Révolution.

Il était dix heures dix minutes lorsque la voiture s’arrêta en face du pont tournant[Par GaelleGuilissen] [en face du pont tournant] "en face le pont tournant" (même remarque concernant la construction syntaxique que pour l'expression plus haut "en face du portait")..

Les commissaires de la Commune étaient sous les colonnes du garde-meuble ; ils avaient mission d’assister à la mort et de dresser procès-verbal de l’exécution ; autour de l’échafaud, une triple batterie de canons menaçait les spectateurs de trois côtés, laissant entre leurs affûts et la plate-forme un grand espace vide ; de tous côtés on ne voyait que troupes, car il avait été question d’un complot pour enlever le prisonnier.

Grâce à cette quadruple haie de troupes qui environnaient de tous côtés l’échafaud, et qui s’ouvrirent pour laisser passer les condamnés, les spectateurs les plus proches étaient à plus de trente pas.

Ces militaires étaient des fédérés que l’on avait choisis parmi les plus exaltés.

Vingt tambours, avec leurs caisses, se tenaient sur la face de l’échafaud où se trouvait la lucarne, et tournaient le dos par conséquent au pont Louis XV.

La voiture s’arrêta à quelques pas des degrés par lesquels on montait à la plate-forme.

Le roi retrouva quelques paroles impérieuses pour recommander son confesseur aux deux gendarmes qui étaient avec lui dans la voiture.

Puis il descendit vaillamment le premier ; son confesseur le suivit.

Les aides de l’exécuteur se présentèrent pour le déshabiller, mais lui fit un pas en arrière, jeta à terre son habit, son gilet et sa cravate.

Alors, au pied des degrés, une lutte d’un instant eut lieu entre les valets et lui.

Ils voulaient lui lier les mains avec des cordes.

Mais alors Sanson s’avança. Comme il l’avait dit à Jacques Mérey, il était un vieux serviteur de la royauté[Par ShanonPomminville] [serviteur de la royauté] Dumas confond Sanson père (qui est mort à la fin du chapitre XVIII) avec Sanson fils. C'est bien Sanson père qui affirme dans le chapitre XVIII : « Oui, cette exécution m'attriste profondément ; je puis l'avouer, à vous, monsieur, qui me paraissez être un philosophe ; nous sommes, dans notre famille, les vieux serviteurs de la royauté ; il m'en coûte, à mon âge, de changer de maître et de devenir le valet du peuple ». .

De grosses larmes roulaient le long de ses joues.

Voyant que le roi ne voulait pas se laisser lier les mains avec des cordes, il tira de sa poche un mouchoir de fine batiste, et, avec la même humilité qu’un valet de chambre :

– Avec un mouchoir, sire, dit-il.

Ce mot, sire, que Louis XVI n’avait entendu depuis si longtemps que dans la bouche de son défenseur Malesherbes, qui, quoique en face de la Convention, ne l’appela jamais autrement, le toucha profondément. Il tendit les deux mains et se les laissa lier avec le mouchoir.

Pendant ce temps, l’abbé Edgeworth s’était approché du roi et lui disait :

– Souffrez cet outrage comme une dernière ressemblance avec le Dieu qui va être votre récompense.

Mais déjà le roi avait tendu les deux mains, et, en tendant les mains, acceptant cette comparaison entre lui et Jésus-Christ :

– Je boirai le calice jusqu’à la lie, dit-il[Par ShanonPomminville] [jusqu'à la lie] « Boire le calice jusqu'à la lie, souffrir une humiliation, une douleur, un malheur dans toute son étendue » (Littré). .

Le roi s’appuya sur le prêtre pour monter les marches de l’échafaud trop roides pour qu’il pût[Par GaelleGuilissen] [pour qu'il pût] "pour qu'il puisse" les gravir sans soutien ; mais à la dernière marche une espèce de vertige lui prit ; il s’élança sur la plate-forme jusqu’à son extrémité et s’écria :

– Français, je meurs innocent du crime que l’on m’impute. Je pardonne…

En ce moment, à un signe de Henriot, les vingt tambours partirent à la fois et étouffèrent la voix du roi dans leur roulement.

Le roi devint très rouge, frappa du pied en criant d’une voix terrible :

– Taisez-vous !

Mais les tambours continuèrent.

– Je suis perdu, reprit le roi. Je suis perdu.[Par GaelleGuilissen] [Je suis perdu.] On trouve ici un retour à la ligne dans le journal. Et il se livra aux bourreaux.

Mais, pendant qu’on lui mettait les sangles, il continua de crier :

– Je meurs innocent, je pardonne à mes ennemis. Je désire que mon sang apaise la colère de Dieu.

Les tambours continuèrent de battre et de couvrir sa voix jusqu’à ce que sa tête fût tombée[Par ShanonPomminville] Si Dumas, en accordant le droit de parole ultime à Louis XVI, s'inscrit dans la conception républicaine de l'exécution du roi, l'absence de communication réelle avec le peuple laisse planer le doute quant à l'ancrage politique de ce passage, voire de ce chapitre : « Dans toutes les versions républicaines, le discours royal est mené jusqu'à son terme ou, plus précisément, jusqu'au terme de l'une de ses phrases. Les royalistes choisissent au contraire d'interrompre le discours de Louis : des points de suspension marquent que la guillotine coupe aussi la parole du roi, laissant la marge d'un non-dit développer ses suggestions », voir Daniel Arasse, Ibid., p. 112. .

Le valet du bourreau la prit et la montra au peuple. Sanson, appuyé à la guillotine, était prêt à se trouver mal.

Pendant les quelques secondes où le bourreau montra la tête au peuple, le peintre Greuze[Par ShanonPomminville] [le peintre Greuze] Jean-Baptiste Greuze (1725-1805) est un peintre et dessinateur français. Ses oeuvres comme La Piété filiale (1763) ou La mère bien aimée (1769) lui valent une immense renommée en France et un peu partout en Europe. Frôlant l'emprisonnement pendant la Terreur, possiblement pour n'avoir affiché aucune position politique précise, il ne joue pourtant aucun rôle déterminant dans la Révolution. , qui se trouvait là, et qui au reste avait eu souvent l’occasion de voir le roi, fit un terrible portrait de cette tête coupée[Par CharisseBabouche] "fit une terrible portrait de cette tête coupée". Greuze a bien réalisé un portrait de Louis XVI, mais quand celui-ci était enfant. Les seules représentations de l'exécution de Louis XVI sont des estampes anonymes. .

Le corps, placé dans un panier, fut porté au cimetière de la Madeleine[Par ShanonPomminville] [au cimetière de la Madeleine] Ancien cimetière de Paris, il servait sous la Révolution à inhumer les personnes guillotinées sur la place de la Révolution (actuelle place de la Concorde). Les dépouilles de Louis XVI et de Marie-Antoinette y sont ensevelies avant leur transfert à la basilique de Saint-Denis le 21 janvier 1815. et plongé dans la chaux vive.

Pendant ce temps, les fédérés avaient rompu leurs rangs pour tremper leurs baïonnettes dans le sang. Le peuple se précipita à son tour, acheva de les disperser, et alors, soit haine, soit vexation, chacun voulut avoir une part de son sang ; les uns y trempèrent leurs mouchoirs et les autres les manches de leurs chemises, les autres enfin du papier.

Quelques cris de grâce se firent entendre.

Pour beaucoup, la sensation que produisit cette mort fut terrible, pour quelques-uns mortelle.

Un perruquier se coupa la gorge avec son rasoir, une femme se jeta dans la Seine, un ancien officier mourut de saisissement, un libraire devint fou.

L’agitation causée dans Paris par cette exécution fut doublée par un assassinat qui avait eu lieu la veille et qui en faisait craindre d’autres[Par ShanonPomminville] [en faisait craindre d'autres] Considéré comme le premier martyr de la Révolution, Louis-Michel Le Peletier de Saint-Fargeau est assassiné le 20 janvier 1793 par Philippe Nicolas Marie de Pâris, pour avoir voté la mort du roi. .

Ce n’était point sans raison qu’on avait parlé d’un complot ayant pour but d’enlever le roi. Cinq cents royalistes s’y étaient engagés, vingt- cinq seulement se réunirent ; la tentative même échoua.

Mais un de ces hommes voulut, autant qu’il était en son pouvoir, venger le roi pour son compte.

C’était un ancien garde du corps nommé Pâris[Par ShanonPomminville] [nommé Pâris] Membre de la garde constitutionnelle du roi, Philippe Nicolas Marie de Pâris (1763-1793) est sans emploi après la dissolution de celle-ci. Ardent royaliste, il commet l'assassinat pour lequel son nom est passé à la postérité. Après avoir pris la fuite vers l'Angleterre, il est reconnu par un marchand et met fin à ses jours le 31 janvier 1793. .

Il se tenait caché à Paris, rôdant autour du Palais-Royal, dans le but de tuer le duc d’Orléans.

Il était l’amant d’une parfumeuse ayant sa boutique à la galerie de bois.

Après le vote, et après avoir lu les noms de ceux qui avaient voté, il alla dîner dans un de ces restaurants souterrains comme il y en avait quelques-uns au Palais-Royal.

Celui-là avait une certaine réputation, et se nommait Février.

Il y voit un conventionnel qui soldait sa dépense, il entend quelqu’un en passant dire :

– Tiens, c’est Saint-Fargeau !

Il se rappelle qu’il vient de lire que Saint-Fargeau a voté la mort du roi.

Il s’approche de lui.

– Vous êtes Saint-Fargeau ? lui demanda-t-il.

– Oui, répondit celui-ci.

– Vous avez pourtant l’air d’un homme de bien, dit le garde du corps d’une voix triste.

– Je le suis en effet, dit Saint-Fargeau.

– Si vous l’étiez, vous n’auriez pas voté la mort du roi.

– J’ai obéi à ma conscience, dit-il.

– Tiens, dit le garde du corps, moi aussi j’obéis à la mienne.

Et il lui passa son sabre au travers du corps.

Le hasard faisait dîner Jacques Mérey à une table voisine. Il s’élança, mais à temps seulement pour recevoir le blessé entre ses bras.

On le transporta dans la chambre des maîtres de l’établissement, mais en le posant sur le lit il expira[Par ShanonPomminville] [sur le lit expira] Passage intéressant, dans lequel, pour la seconde fois, Jacques Mérey est impuissant à sauver un homme de la mort. Du point de vue de l'Histoire, Saint-Fargeau, tout comme Sanson, était destiné à mourir, et le lecteur connaît avant même le dénouement de ces deux tentatives leur fatale issue. Ces extraits annoncent une vision de l'Histoire surplombant les événements, une Histoire qui, en dépit de toute volonté humaine, fait son chemin. La Révolution échappe au contrôle des révolutionnaires, comme la mort échappe au contrôle du médecin. .

– Heureuse mort ! s’écria Danton en apprenant l’événement. Ah ! si je pouvais mourir ainsi !

On a vu que, dans le récit de la mort du roi, je rectifie une erreur et donne une explication. L’erreur que je rectifie est d’exonérer la mémoire de Santerre du fameux roulement de tambour.

Santerre s’en était allé avec la commune du 10 août. Henriot était venu avec la commune révolutionnaire.

Je dois cette rectification au fils de Santerre lui-même, qui est venu me trouver la preuve à la main.

Quant à l’explication, elle porte sur le débat qui eut lieu au pied de l’échafaud entre le roi et les exécuteurs.

Le roi ne luttait pas dans un désespoir inintelligent pour prolonger sa vie. Il luttait pour n’avoir pas les mains liées avec une corde.

Il ne fit pas de difficulté lorsqu’il s’agit d’un mouchoir.

Je dois ce curieux détail à M. Sanson lui- même, l’avant-dernier exécuteur de ce nom.


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