Corpus Le Docteur mysterieux

Tome 2 - Chapitre 39

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XXXIX La Gironde et la Montagne[Par GaelleGuilissen] Ce chapitre a été publié dans les numéros du Siècle du 17 et du 18 février 1870.

Danton l’avait dit : Dans la femme était la pierre d’achoppement de la Révolution.

Ce qui se passait chez lui se reproduisait à tout moment et partout.

Depuis le Palais-Royal, regorgeant de maisons de jeu et de maisons de filles, jusqu’aux steppes de la Bretagne, où l’on rencontre de lieue en lieue une chaumière, c’était la femme qui énervait l’homme.

Si l’on peut compter quelques femmes ardentes et courageuses, comme Olympe de Gouges[Par ClaireCheymol] Olympe de Gouges (1748-1893), femme de lettres et personnalité politique, elle se démarque par ses idées de réforme dès le début de la Révolution. Elle adresse à la reine sa Déclaration des droits de la femme de la citoyenne (1791) qui reprend point par point les articles de la Déclaration universelle des droits de l’homme (1789). Elle dote la femme d’un statut juridique et de nombreux droits tels que le droit de vote, de divorce ou de reconnaissance des enfants illégitimes. et Théroigne de Méricourt[Par ClaireCheymol] Anne-Josèphe Théroigne de Méricourt (1762-1817), surnommée « la Belle Liégeoise », « l’Amazone rouge » ou encore « la furie de la Gironde », est une personnalité politique de tous les combats : vêtue d’une culotte, elle participe à la marche des femmes sur Versailles le 5 et 6 octobre 1789, elle crée un salon nommé « le Club des amis de la loi », elle intègre le Club des Cordeliers, s’exprime dans les tribunes et entreprend la composition d’une armée de femmes en 1792 afin de combattre la guerre qui s’installe., quelques nobles matrones patriotes comme madame Roland[Par ClaireCheymol] Jeanne-Marie ou Manon Philipon, plus connue sous le nom de Mme Roland (1754-1793), épouse de Jean-Marie Roland, ministre girondin, installée à Paris. Passionnée par la politique, elle tient un salon influent où se rencontre tout le Paris révolutionnaire. Elle y reçoit notamment Robespierre, Pétion de Villeneuve, Buzot, Barbaroux, Condorcet et Brissot. Elle assiste son mari au ministère et exerce son ascendant sur la politique des Girondins. et madame de Condorcet[Par ClaireCheymol] Sophie Marie Louise de Grouchy, marquise de Condorcet (1764-1822), femme de lettres, elle tient et anime un salon fréquenté par les philosophes des Lumières. Partageant les opinions de son mari, le marquis de Condorcet, conventionnel, elle exerce son influence dans la sphère politique girondine., quelques amantes dévouées comme madame de Kéralio[Par ClaireCheymol] Louise-Félicité Guynement de Kéralio (1756-1822), personnalité politique, journaliste, et rédactrice en chef du Mercure national. En 1791, elle anime les « sociétés de femmes » qui avaient pour vocation l’éducation civique du peuple, les femmes compris. et Lucile[Par ClaireCheymol] Anne-Lucile-Philippe Desmoulins née Laridon Duplessis (1770-1794) d’une famille bourgeoise, elle épouse le député Camille Desmoulins avec lequel elle forme l’un des couples tragiques de la Révolution. En 1794, Camille Desmoulins est exécuté avec les dantonistes et Lucile, accusée d’avoir comploté en prison, est guillotinée peu après. Le peintre Jacques-Louis David (1748-1825) immortalise l’image d’une tendre union. https://www.histoire-image.org/sites/default/vers1_david_001f.jpg, le nombre des torpilles fut incalculable.

Les émotions politiques trop vives, les alternatives de la vie et de la mort, poussaient l’homme aux plaisirs sensuels.

On accusait Danton de conspirer.

– Est-ce que j’ai le temps ! répondit-il. Le jour je défends ma tête ou demande la tête des autres ; la nuit je m’acharne à l’amour.

Craignant de mourir, on prenait l’amour comme une distraction.

Las de vivre, on prenait le plaisir comme un suicide.

À mesure qu’un parti politique faiblissait, loin de se recruter, loin de se défendre, il ne songeait plus, comme ces sénateurs de Capoue[Par AnneBolomier] [sénateurs de Capoue] : dans son Histoire romaine, Tite-Live livre le récit du suicide collectif des sénateurs de Capoue, ancienne ville d'Italie du sud, accompagnant Vibius Virrius dans la mort. qui s’empoisonnèrent à la fin d’un repas, qu’à se couronner de roses et à mourir.

C’est ainsi que meurt le constitutionnel Mirabeau ; c’est ainsi que mourra le girondin Vergniaud[Par ClaireCheymol] Pierre Victurien Vergniaud (1753-1793), président sous l’Assemblée législative et sous la Convention, député et conventionnel girondin, grand orateur, il est le premier à déclarer la patrie en danger et à réclamer la guerre. Il fait voter le décret de déportation des prêtres réfractaires et la suspension du roi le 10 août 1792. Lorsque chute la Gironde, il est décrété d’arrestation et refuse en effet de boire le poison qu’il détenait sur lui pour adoucir la mort de ses compatriotes girondins. Il meurt sur l’échafaud. ; c’est ainsi que mourra le cordelier Danton ; et qui sait si l’amour du Spartiate Robespierre pour la Lacédémonienne Cornélie n’a pas énervé les derniers moments du chef des jacobins ?

Il y avait du plaisir pour tous les tempéraments.

Il y avait le Palais-Royal, tout éblouissant d’or et de luxe, où des courtisanes patentées venaient à vous et vous priaient d’être heureux.

Il y avait les salons de madame de Staël[Par ClaireCheymol] Anne-Louise Germaine Necker, baronne de Staël-Holstein, dite Madame de Staël (1766-1817), écrivaine et philosophe, fille de Jacques Necker, banquier et dernier ministre des finances du roi Louis XVI. D’abord favorable à la Révolution et enthousiasmée par les idées des Lumières, elle publie ses Lettres sur Jean-Jacques Rousseau en 1788. S’effrayant de la marche rapide de la Révolution, elle condamne les massacres de septembre desquels elle échappe et émigre. De retour en France après le 9 thermidor, exilée sous le règne de Napoléon puis revenue à Paris, elle écrit ses Considérations sur les principaux événements de la Révolution dans lequel elle défend avec constance la monarchie constitutionnelle basée sur le modèle anglais. et de madame de Buffon[Par ClaireCheymol] Marguerite Françoise Bouvier de la Mothe de Cepoy (1767-1808), par son premier mariage comtesse de Buffon, maîtresse en titre de Philippe Egalité., où l’on vous permettait de l’être.

Les filles étaient en général pour l’ancien régime, les grands seigneurs payaient mieux évidemment que tous ces nouveaux venus de province arrivés pour faire les affaires de la France.

Les deux salons que nous venons de nommer, sans vouloir faire et sans permettre qu’il soit fait aucune comparaison, tenaient l’autre extrémité de l’échelle sociale, mais, comme les étages inférieurs, avaient une tendance à la réaction.

Supposez tous les étages intermédiaires occupés par la bourgeoisie, qui depuis le 2 septembre était paralysée par la peur.

Et vous aurez l’inertie entre deux forces attractives.

Au milieu de ces deux forces attractives, agissant au haut et au bas de la société, les hommes politiques s’énervaient.

Dans le milieu inerte, ils se résignaient.

Un homme politique qui se résigne est un homme perdu.

Tous ces hommes qui étaient arrivés pleins d’enthousiasme, croyant à l’unité, à l’égalité, à la fraternité, et qui voyaient dès l’abord les dissensions terribles d’une Assemblée qui devait durer trois ou quatre ans[Par GaelleGuilissen] [qui devait durer trois ou quatre ans] "qui devaient durer trois ou quatre ans" (l'accord du verbe "devoir" se fait avec le groupe nominal "les dissensions terribles" au lieu du groupe nominal "une Assemblée")., faisaient naturellement un soubresaut en arrière ; alors ils étaient attirés dans un des milieux que nous avons dit, et peu à peu ils y perdaient non pas la force de mourir, mais celle de vaincre.

Madame de Staël n’avait jamais été véritablement républicaine. Mais, du temps où s’il était agi de défendre son père, elle avait fait une ardente opposition. Apôtre de Rousseau d’abord, après la fuite de son père elle devint disciple de Montesquieu. Ambitieuse et ne pouvant jouer un rôle par elle-même, ne pouvant jouer un rôle par son honnête et froid mari, elle avait voulu en jouer un par son amant. Un jour, on la vit tout éperdue d’amour pour un charmant fat sur la naissance duquel couraient les bruits les plus étranges. M. de Narbonne fut nommé ministre de la Guerre ; elle lui mit aux mains l’épée de la Révolution. La main était trop faible pour la porter, elle passa à celle de Dumouriez.

On la croyait très bien avec les girondins, Robespierre lui aussi ; mais c’était le malheur de ces pauvres honnêtes gens d’être compromis, non point parce qu’ils changeaient d’opinion, mais parce que les modérés prenaient la leur : les girondins ne devenaient pas royalistes, mais bon nombre de royalistes se faisaient girondins.

Le salon de madame de Buffon, quoique placé sous le drapeau du prince Égalité, n’en passait pas moins pour un salon réactionnaire, et à coup sûr celui-là n’avait pas volé sa réputation. Les Laclos, les Sillery et même les Saint-Georges avaient beau faire les démocrates, si le dernier n’était pas un grand seigneur, c’était au moins le bâtard d’un grand seigneur.

Quand on est trompé par ce titre, la Gironde, on commence par chercher dans ce malheureux parti des hommes de Bordeaux ou tout au moins du département, mais on est tout étonné de n’en trouver que trois, les autres sont Marseillais, Provençaux, Parisiens, Normands, Lyonnais, Genevois même.

Cette différence d’origine n’a-t-elle pas été pour quelque chose dans leur facile décomposition ? Les hommes d’un même pays ont toujours quelques points d’homogénéité par lesquels ils se soudent les uns aux autres ; quel lien naturel voulez-vous qu’il y ait entre le MarseillaixMarseillais Barbaroux, le Picard Condorcet et le Parisien Louvet ?

La première condition de cette dissonance territoriale fut la légèreté.

Il y eut un moment où la Montagne eut deux chefs : au lieu de la laisser se diviser par la dualité, les girondins se crurent assez forts pour les abattre l’un après l’autre.

Lorsque Danton donna sa démission du ministère de la Justice, les girondins lui demandèrent des comptes[Par GaelleGuilissen] [les girondins lui demandèrent des comptes] "les girondins lui demandèrent ses comptes" ; des comptes à Danton, qui rentrait aussi pauvre dans son triste appartement et dans sa sombre maison des Cordeliers qu’il en était sorti.

Ces comptes, il fallait les rendre. Tant qu’ils n’étaient pas rendus, Danton était accusé. Il s’abrita sous le drapeau de la Montagne ; Robespierre tenait ce drapeau, il fallait à son tour attaquer Robespierre.

Robespierre avait toujours avancé à force d’immobilité ; ce n’était pas lui qui marchait, c’était le terrain même sur lequel il était placé ; ses adversaires, en se détruisant, ne lui ouvraient pas un chemin pour aller aux événements, mais ouvraient un chemin aux événements pour venir à lui.

Vergniaud n’avait pas voulu qu’on attaquât Danton, qu’il regardait comme le génie de la Montagne.

Brissot ne voulait point que l’on attaquât Robespierre, que l’on n’était pas sûr d’abattre.

Mais madame Roland haïssait Danton et Robespierre ; elle était haineuse comme sont les âmes austères, comme étaient les jansénistes ; enfermée dans une espèce de temple, elle avait son Église, ses fidèles, ses dévots ; on lui obéissait comme on eût obéi à la vertu et à la liberté réunies.

Ces hommages presque divins l’avaient gâtée ; elle avait fait deux grands pas vers Robespierre, mais tout aux Duplay, elle n’avait eu aucune prise sur lui.

Elle lui écrivit en 91 pour l’attirer au parti qui fut depuis la Gironde. Il se contenta d’être poli, et refusa.

Elle lui écrivit en 92. Il ne répondit point. C’était la guerre.

Nous avons vu comment elle avait été déclarée à Danton.

On décida d’attaquer Robespierre.

Mais, au lieu de le faire attaquer par un homme comme Condorcet, comme Roland, comme Rabaut-Saint-Étienne, par un pur enfin, on le fit attaquer par un jeune, ardent, plein de feu, c’est vrai, mais qui ne pouvait rien contre un homme continent comme Scipion[Par AnneBolomier] [Scipion] : au sujet de Scipion voir la note au chapitre 4., incorruptible comme Cincinnatus[Par AnneBolomier] [Cincinnatus] : homme politique romain (né en 519 av. J.-C. et mort en 430 av. J.-C.), Cincinnatus est nommé consul puis dictateur à deux reprises pour sauver la République. Il est représenté comme un modèle de vertu et d'humilité, dévoué à la cause de sa patrie. .

On le fit attaquer par Louvet de Couvrai[Par GaelleGuilissen] [Louvet de Couvrai] Le nom est écrit "Louvent de Coupvrai"., par l’auteur d’un roman sinon obscène, du moins licencieux ; on le fit attaquer par l’auteur de Faublas[Par ClaireCheymol] Jean-Baptiste Louvet de Couvray (1760-1797), écrivain et partisan de la cause républicaine, il propose à l’Assemblée législative un décret d’arrestation contre les princes et les émigrés. Rédacteur à la Sentinelle, journal d’inspiration girondine, élu député à la Convention, il prend la défense des girondins et attaque Robespierre en 1792. On lui doit Les Amours du Chevaliers de Faublas (1787-1790). Le roman décrit l’adolescence et les péripéties amoureuses du jeune Faublas après son installation dans la capitale..

On fit attaquer le visage pâle, la figure austère, l’âme intègre, par un jeune homme souriant, délicat et blond[Par ClaireCheymol] Le portrait s'inspire de celui que brosse Michelet : "(...) ce belliqueux louvet, l'ardent champion de la guerre, c'était un petit homme blond, d'une figure douce et jolie, qui sans doute, comme Faublas, eût pu passer pour une femme". p.671, Michelet, Histoire de la Révolution française, Paris, Laffont, "Bouquins", Volume 1, Livre VI, Chapitre V. "Suite de la question de la guerre"., paraissant de dix ans plus jeune qu’il n’était, par un marchand de scandale qui en avait fait pas mal pour son compte, car on prétendait que lui-même était le héros de son roman.

Quand il monta à la tribune pour attaquer, il n’y eut qu’un cri[Par ClaireCheymol] Le 29 octobre 1792, Louvet de Couvrai prononce sa « robespierride », diatribe contre la Montagne et la fait paraître sous le titre "A Maximilien Robespierre et à ses royalistes". :

– Tiens, Faublas ![Par GaelleGuilissen] [Tiens, Faublas !] On trouve ici un retour à la ligne dans le journal. L’accusation échoua.

Dès lors il y eut rupture complète entre Robespierre et les Roland, entre la Montagne et la Gironde.[Par GaelleGuilissen] [entre la Montagne et la Gironde.] Fin de la partie du chapitre publiée dans Le Siècle du 17 février.

Revenons à ce que nous avons dit au commencement de ce chapitre : que depuis le Palais-Royal regorgeant de maisons de jeu et de maisons de filles, jusqu’aux steppes de la Bretagne où l’on rencontre de lieue en lieue une chaumière, c’était la femme qui énervait l’homme.

Généreuse contre elle-même, la révolution, par un de ses premiers décrets, abolissait la dîme.

Abolir la dîme, c’était faire rentrer en ami dans la famille le prêtre qui jusque-là en avait été regardé comme l’ennemi.

Faire rentrer le prêtre dans la famille, c’était préparer à la révolution son ennemi le plus dangereux : la femme.

Qui a fait la sanglante contre-révolution de la Vendée ? La paysanne, – la dame, – le prêtre.

Cette femme agenouillée à l’église et disant son chapelet, que fait-elle ? Elle prie. – Non, elle conspire.

Cette femme assise à sa porte, la quenouille au côté, le fuseau à la main, que fait-elle ? Elle file.[Par GaelleGuilissen] Il n'y a pas de retour à la ligne ici.

– Non, elle conspire.

Cette paysanne qui porte un panier avec des œufs à son bras, une cruche de lait sur sa tête, où va-t-elle ? Au marché. – Non, elle conspire.

Cette dame à cheval qui fuit les grandes routes et les sentiers battus pour les landes désertes et les chemins à peine tracés, que fait-elle ? – Elle conspire.

Cette sœur de charité qui semble si pressée d’arriver, qui suit le revers de la route en égrenant son rosaire, que fait-elle ? Elle se rend à l’hôpital voisin. – Non, elle conspire.

Ah ! voilà ce qui les rendait furieux, ces hommes de la Révolution qui se sont baignés dans le sang ; voilà ce qui les faisait frapper à tâtons, tuer au hasard. C’est qu’ils se sentaient enveloppés de la triple conspiration de la paysanne, de la dame et du prêtre, et qu’ils ne les voyaient pas.

Eh bien ! tout sortait de l’église, de cette sombre armoire de chêne qu’on appelle le confessionnal.

Lisez la lettre de l’armoire de fer, la lettre des prêtres réfractaires réunis à Angers, en date du 9 février 1792. Quel est le cri du prêtre ? Ce n’est pas d’être séparé de Dieu, c’est d’être séparé de ses pénitentes. On ose rompre ces communications que l’Église non seulement permet, mais autorise[Par GaelleGuilissen] [permet, mais autorise] "permet et autorise".

Où croyez-vous que soit le cœur du prêtre ? Dans sa poitrine ? Non, le cœur n’est pas où il bat, il est où il aime ; le cœur du prêtre est au confessionnal.

Et, s’il est permis de comparer les choses profanes aux choses sacrées, nous vous montrerons cet acteur ou cette actrice. Sublimes de sentiment, de poésie, de passion, pour qui jouent-ils si ardemment, pour qui tentent-ils d’atteindre à la perfection ? Pour un être idéal qu’ils se créent, qui est dans la salle, qui les regarde, qui les applaudit.

Il en est de même du prêtre, même en le supposant chaste ; il a, au milieu de ses pénitentes, une jeune fille, mieux encore, une jeune femme, – avec la jeune femme, le champ des investigations est plus complet, – dont le visage, vu à travers le grillage de bois, l’éclaire jusqu’à l’éblouissement, dont la voix, dès qu’il l’entend, s’empare de tous ses sens et pénètre jusqu’à son cœur[Par GaelleGuilissen] dont la voix, dès qu'il l'entend, s'empare de tous ses sens et pénètre jusqu'à son cœur] "une voix qui dès qu’il l’entend s’empare de tous ses sens et pénètre jusqu’à son cœur" : cette proposition n'est pas correcte syntaxiquement, contrairement à celle proposée dans le livre avec la subordination par le biais du pronom relatif "dont"..

En enlevant au prêtre la mariage charnel, on lui a laissé le mariage spirituel, le seul dont on dût se défier. Aux yeux de l’Église même, ce n’est pas saint Joseph qui est le vrai mari de la Vierge, c’est le Saint-Esprit.

Eh bien ! dans ces terribles années 92, 93, 94, tout homme dont la femme se confessa eut un Saint-Esprit ignoré dans la maison. Cent mille confessionnaux envoyaient la réaction au foyer domestique, soufflant la pitié pour le prêtre réfractaire, soufflant la haine contre la nation, comme si la nation n’avait pas été l’homme, la femme, les enfants ! soufflant le doute contre les biens nationaux, c’est-à-dire contre la prospérité, le bien-être, le bonheur de l’avenir.

Voici pour la province, pour la Bretagne et la Vendée surtout. Paris eut la légende du Temple.

Le roi et sa famille affamés ou à peu près !

Le roi avait au Temple trois domestiques et treize officiers de bouche.

Son service se composait de quatre entrées, de deux rôtis de trois pièces chacun, de quatre entremets, de trois compotes, de trois assiettes de fruits, d’un carafon de bordeaux, d’un de malvoisie, d’un de madère.

Pendant les quatre mois que le roi resta au Temple, sa dépense de bouche fut de 40 000 francs ; 10 000 francs par mois, 333 francs par jour.

On sait que le roi était grand mangeur, puisqu’il mangeait à l’Assemblée tandis que l’on tuait les défenseurs du château qu’il venait d’abandonner. Mais enfin, avec 333 francs par jour, cinq personnes ne meurent pas de faim.

Les gens que l’on retrouva fous ou hébétés à la Bastille, ne se rappelant même pas leur nom, avaient dû être plus mal nourris que ceux-là[Par GaelleGuilissen] [plus mal nourris que ceux-là] "plus mal nourris que cela".

Toute la promenade du roi se composait de terrains secs et nus, avec des compartiments de gazons flétris et quelques arbres brûlés au soleil de l’été ou effeuillés au vent d’automne ! Il s’y promenait avec sa sœur, sa femme et ses enfants.

Mais Latude, qui resta trente ans dans les cachots de la Bastille, eût regardé comme une grande faveur de faire une pareille promenade une fois tous les huit jours.

Mais Pellisson, qui dans les mêmes cachots n’avait pour distraction qu’une araignée que son geôlier lui écrasa, à qui on enleva l’encre et le papier, qui écrivit avec le plomb de ses vitres sur les marges de ses livres, mais Pellisson, que le grand roi tint cinq ans en prison, n’avait ni la table ni la promenade de Louis XVI.

Mais ce Silvio Pellico, brûlé par les plombs et dévoré par les moustiques de Venise ; mais cet Andryane qui laissait une de ses jambes gangrenées aux chaînes de son cachot, avaient-ils pour satisfaire leur appétit un dîner à trois services et un carré de terre pour se promener ?

Ce n’étaient pas des rois, je le sais bien, mais c’étaient des hommes ; aujourd’hui qu’on sait qu’un roi n’est qu’un homme, je demande la même justice pour eux, la même haine pour leurs bourreaux que s’ils eussent été rois.

Nous avons employé tout ce chapitre à tracer le travail sourd qui se faisait non seulement dans toute la France, mais à Paris, pour séparer la miséricordieuse Gironde de l’inexorable Montagne.

Seulement, la réaction, au lieu d’amener la pitié, amena la Terreur.

Veut-on savoir où la réaction était arrivée ? – Lisons ces quelques lignes de Michelet, – puissent-elles donner à la France entière l’idée de lire les autres !

« À la Noël de 92, il y eut un spectacle étonnant à Saint-Étienne-du-Mont ; la foule y fut telle que plus de mille personnes restèrent à la porte et ne purent entrer.

» Chose triste que tout le travail de la Révolution aboutît à remplir les églises. Désertes en 88, elles sont pleines en 92, pleines d’un peuple qui prie contre la Révolution, c’est-à-dire contre la victoire du peuple. »

Ce fut ce qui détermina Danton à faire une dernière tentative pour rapprocher la Montagne et la Gironde.


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