LII Arrestation des commissaires de la Convention[Par GaelleGuilissen] Ce chapitre a été publié dans les numéros du Siècle du 6 et du 9 mars 1870.
Dumouriez, dont le projet était de surprendre Valenciennes, avait transporté son quartier général au bourg de Saint-Amand, où sa cavalerie de confiance était cantonnée.
C’était le général Neuilly qui commandait à Valenciennes et qui, croyant à tort pouvoir rester maître de la place, lui écrivait qu’il pouvait en tous points compter sur son concours et sur celui de la ville.
Cependant Dumouriez commençait à douter. À chaque instant il était obligé d’épurer l’armée en faisant arrêter quelque jacobin.
Le 1er avril, ce fut un capitaine du bataillon de Seine-et-Oise nommé Lecointre, fils du député de Versailles du même nom, et l’un des plus ardents montagnards, qui déclamait contre les constitutionnels.
Le même jour, une arrestation eut encore lieu, celle d’un lieutenant-colonel, officier d’état- major de l’armée, nommé de Pile, qui déclamait contre le général en chef.
La veille, le général Leveneur, qui avait suivi La Fayette dans sa fuite et que Dumouriez avait pris auprès de lui, vint lui demander la permission, sous prétexte de santé, de se retirer de l’armée.
Le général la lui accorda[Par GaelleGuilissen] [Le général la lui accorda] "Le général la lui accordait" aussitôt.
Même permission était accordée au général Stetenhoffen.
Enfin il apprenait que Dampierre, le général Chamel, les généraux Rosière et Kermowant avaient donné parole aux commissaires de rester fidèles à la Convention.
Toutes ces nouvelles étaient désespérantes, du moment où l’on sait quel était le projet de Dumouriez.
Ce projet, que je ne trouve dans aucun historien et qui cependant avait bien son importance, était celui-ci :
Depuis longtemps Dumouriez se fût déclaré rebelle et eût marché sur Paris, en supposant que ses soldats eussent voulu le suivre, ce dont il commençait à douter, s’il n’eût été arrêté par la crainte que cette marche ne fût fatale au reste de la famille royale enfermée[Par GaelleGuilissen] [au reste de la famille royale enfermée] Dans le journal, le participe passé "enfermé" employé comme adjectif s'accorde au masculin singulier avec "reste" et non avec "famille". au Temple.
Voici ce qui avait été arrêté à Tournai entre lui et les généraux de Valence, Chartres et Thouvenot.
Le colonel Montjoye[Par GaelleGuilissen] [Montjoye] Le nom est ici orthographié "Montjoie", ce qui n'est pas le cas dans les autres occurrences. et le colonel NormannNordmann devaient être envoyés en France sous prétexte d’arrêter la fuite des déserteurs de l’armée ; ils auraient pour le ministre de la Guerre Beurnonville des dépêches qui annonceraient leur séjour à Paris pendant deux ou trois jours. Ils devaient, la veille de leur départ, envoyer leurs trois cents hommes à Bondy, puis la nuit suivante arriver par le boulevard du Temple, enfoncer la garde, entrer au Temple, enlever en croupe les quatre prisonniers, retrouver dans la forêt une voiture, et les mener à toute bride jusqu’à Pont-Sainte-Maxence, où un autre corps de cavalerie les recevrait, puis les conduirait à Valenciennes et à Lille.
Mais pour cela il fallait être sûr de Lille ou de Valenciennes, et Dumouriez venait d’apprendre que les deux villes tiendraient pour la Révolution.
Ce fut alors que Dumouriez pensa à se procurer le plus d’otages possible lui répondant de la vie des prisonniers.
Et, en attendant des otages plus illustres, il commença par remettre au général Clerfayt les deux prisonniers qu’il venait de faire, Lecointre et de Pile.
Le 2 avril au matin, Dumouriez reçut avis par un capitaine de chasseurs à cheval, qu’il avait posté à Pont-à-Marck, que le ministre de la Guerre avait passé, se rendant à Lille, et disant qu’il se rendait près de son ami le général Dumouriez.
Dumouriez fut étonné de cette nouvelle ; comment n’était-il pas prévenu ?
Cette nouvelle ne pouvait que l’inquiéter dans la situation politique où il se trouvait.
Vers quatre heures de l’après-midi, deux courriers, dont les chevaux étaient couverts d’écume, annoncèrent au général qu’ils ne précédaient que de quelques instants les commissaires de la Convention nationale et le ministre de la Guerre. Les courriers ne doutaient point que les quatre commissaires et le général Beurnonville ne vinssent pour arrêter le général Dumouriez.
Ils précédaient les commissaires et le général à si peu de distance, que ceux-ci arrivèrent au moment même où ils achevaient leur annonce.
Beurnonville entra le premier ; Camus, Lamarque, Bancal et Quinette le suivaient.
Le ministre embrassa d’abord Dumouriez, sous lequel il avait servi et qu’il aimait beaucoup ; puis il lui montra de la main les commissaires, et lui dit :
– Mon cher général, ces messieurs viennent vous notifier un décret de la Convention nationale.
En apprenant l’arrivée du ministre de la Guerre et des commissaires de la Convention, tout l’état-major de Dumouriez l’avait entouré. Il y avait là le général Valence, Thouvenot, qui venait d’être élevé à ce grade, le duc de Chartres, et les demoiselles de Fernig, dans leur uniforme de hussard.
Camus lui adressa le premier la parole, et, d’une voix ferme, il le pria de passer dans une chambre à côté pour entendre la notification du décret.
– Oh ! dit Dumouriez, je le connais d’avance, votre décret. Vous venez me reprocher d’avoir été trop honnête homme en Belgique, d’avoir forcé à rendre l’argenterie aux églises, de n’avoir pas voulu empoisonner un pauvre peuple avec vos assignats. En vérité, vous, Camus, qui êtes un dévot, je suis étonné, je vous l’avoue, qu’un homme qui affiche autant de religion que vous, qui restez des heures entières devant un crucifix pendu dans votre chambre, vous veniez ici soutenir le vol des vases sacrés et des objets de culte d’un peuple ami. Allez voir à Sainte-Gudule les hosties foulées aux pieds, dispersées sur le pavé de l’église, les tabernacles, les confessionnaux brisés, les tableaux en lambeaux ; trouvez un moyen de justifier ces profanations, et voyez s’il y a un autre parti à prendre que de restituer l’argenterie et de punir exemplairement les misérables qui ont exécuté vos ordres.
» Si la Convention applaudit à de tels crimes, si elle ne les punit pas[Par GaelleGuilissen][Si la Convention applaudit à de tels crimes, si elle ne les punit pas] "Si la convention applaudit à de tels crimes, si elle ne s'en offense pas, si elle ne les punit pas", tant pis pour elle et pour ma malheureuse patrie. Sachez que s’il fallait commettre un crime pour la sauver, je ne le commettrais pas. Les crimes atroces que l’on s’est permis au nom de la France tournent contre la France, et je la sers en cherchant à les effacer.
– Général, dit Camus, il ne nous appartient pas d’entendre votre justification, ni de répondre à vos prétendus griefs ; nous venons vous notifier un décret de la Convention.
– Votre Convention, dit Dumouriez, voulez- vous que je vous dise ce que c’est que votre Convention ? C’est la réunion de deux cents scélérats et de cinq cents imbéciles. Je vais marcher sur elle, votre Convention, je suis assez fort pour me battre devant et derrière. Il faut un roi à la France ; peu m’importe qu’il s’appelle Louis ou Jacobus !
– Ou même Philippus, n’est-ce pas ? dit Bancal.
Dumouriez tressaillit. On venait de le frapper au cœur de ses projets.
– Pour la troisième fois, dit Camus, voulez- vous passer dans une chambre à côté, pour entendre la notification du décret de la Convention ?
– Mes actions ont toujours été publiques, dit le général, elles le seront jusqu’au bout. Un décret donné par sept cents personnes ne saurait être un mystère. Mes camarades doivent être témoins de tout ce qui se passera dans notre entrevue.
Mais alors Beurnonville s’avança :
– Ce n’est point un ordre que nous te donnons, dit-il, c’est une prière que je te fais. Qu’un de ces messieurs t’accompagne, nous te l’accordons.
– Soit ! dit Dumouriez. Venez, Valence.
– Seulement la porte restera ouverte, dit Thouvenot.
– La porte restera ouverte, soit, répondit Camus.
Camus présenta alors au général le décret de la Convention qui lui ordonnait de se rendre immédiatement à Paris.
Dumouriez le rendit en haussant les épaules.
– Ce décret est absurde, dit-il ; est-ce que je puis quitter l’armée désorganisée, mécontente comme elle l’est ? Si je vous suivais, vous n’auriez plus dans huit jours un seul homme sous les drapeaux. Lorsque j’aurai terminé mon travail de réorganisation, ou lorsque l’ennemi ne sera pas à un quart de lieue de moi, j’irai à Paris, moi- même et sans escorte. Je lis du reste dans ce décret que, en cas de désobéissance, vous devez me suspendre de mes fonctions et nommer un autre général. Je ne refuse pas positivement l’obéissance, je demande un retard, voilà tout. Maintenant, décidez ce que vous avez à faire ; suspendez-moi si vous voulez ; j’ai offert dix fois ma démission depuis trois mois, je l’offre encore.[Par GaelleGuilissen] [j'ai offert dix fois ma démission depuis trois mois, je l'offre encore.] Fin de la partie du chapitre publiée dans Le Siècle du 6 mars.
– Nous sommes compétents pour vous suspendre, dit Camus, mais non pour recevoir votre démission.
– Une fois votre démission donnée, général, demanda Beurnonville, que comptez-vous faire ?
– Redevenant libre de mes actions, je ferai ce qu’il me conviendra, répondit Dumouriez ; mais je vous déclare, mon cher ami, que je ne reviendrai point à Paris pour me voir avili par les jacobins et condamné par le tribunal révolutionnaire.
– Vous ne reconnaissez donc pas ce tribunal ? demanda Camus.
– Si fait, dit le général. Je le reconnais pour un tribunal de sang et de crimes, et, tant que j’aurai trois pouces de fer au côté, je vous déclare que je ne m’y soumettrai pas. J’ajoute même que je le regarde comme l’opprobre d’une nation libre, et que si j’en avais le pouvoir il serait aboli.
– Citoyen général, dit Quinette, il ne s’agit d’aucune résolution funeste contre vous. La France vous doit beaucoup, et votre présence fera tomber toutes les calomnies ; votre voyage sera court, et, si vous l’exigez, les commissaires et le ministre resteront au milieu de vos soldats tant que durera votre absence.
– Et, dit Dumouriez, si les hussards et les dragons dits de la République, qu’on a disséminés sur la route que je dois suivre, m’assassinent, soit à Gournay, soit à Roye, soit à Senlis, où ils m’attendent, ce ne sera pas de la faute du général Beurnonville ni de vous autres, messieurs les commissaires, mais je n’en serai pas moins assassiné.
– Citoyen général, dit Quinette, je m’engage à vous accompagner pendant toute la route ; je m’engage à vous couvrir de mon corps si le danger se présente ; je m’engage enfin à vous ramener ici sain et sauf.
– Citoyen général, dit Bancal, rappelez-vous l’exemple de ces généraux de Rome ou de Grèce qui, au premier appel de l’aréopage ou des consuls, venaient rendre compte de leur conduite.
– Monsieur Bancal, reprit Dumouriez, nous nous méprenons toujours sur nos citations et nous défigurons l’histoire romaine en donnant pour excuse à nos crimes l’exemple de ces vertus que nous dénaturons.
» Les Romains n’avaient pas tué Tarquin comme vous avez tué Louis XVI. Les Romains avaient une république bien réglée et de bonnes lois ; ils n’avaient ni club des jacobins, ni tribunal révolutionnaire. Nous sommes dans un temps d’anarchie. Des tigres veulent ma tête, je ne la leur donnerai pas. Je puis vous faire cet aveu sans craindre que vous m’accusiez de faiblesse ; puisque vous puisez vos exemples chez les Romains, laissez-moi dire que j’ai joué assez souvent le rôle de Décius pour qu’on me dispense de celui de Curtius.
Bancal reprit la parole. Il était girondin.
– Vous n’avez affaire ni aux jacobins ni au tribunal révolutionnaire, dit-il. Vous n’y êtes appelé que pour paraître à la barre de la Convention et pour revenir sur-le-champ à votre armée.
Le général secoua la tête.
– J’ai passé le mois de janvier à Paris, dit-il ; et certainement, après des revers, Paris ne s’est pas calmé depuis. Je sais par vos feuilles que la Convention est dominée par Marat, par les jacobins et par les tribunes. La Convention ne pourrait pas me sauver de leur fureur, et, si je pouvais prendre sur ma fierté de paraître devant de pareils juges, ma contenance seule m’attirerait la mort.
– Assez, dit Camus, nous perdons notre temps en paroles inutiles. Vous ne voulez pas obéir aux décrets de la Convention ?
– Non, dit Dumouriez.
– Eh bien ! dit Camus, je vous suspens et je vous arrête.
Pendant la discussion, tous les familiers de Dumouriez étaient entrés un à un dans la salle.
– Quels sont tous ces gens-là ? demanda l’intrépide vieillard en regardant particulièrement les demoiselles de Fernig, dont il était facile de reconnaître le sexe malgré leur déguisement. Allons, donnez-moi tous vos portefeuilles.
– Ah ! c’est trop fort ! dit Dumouriez en français.
Puis il ajouta en allemand et à voix haute :
– Arrêtez ces quatre hommes !
Les hussards allemands, qu’on avait fait venir dans la chambre à côté, se précipitèrent alors dans celle où était Dumouriez et arrêtèrent les quatre commissaires.
– Eh bien ! quand je vous l’affirmais, dit Camus, que nous avions affaire à un traître !… Tout prisonnier que je suis, je te déclare traître à la patrie ; tu n’es plus général ; j’ordonne qu’on ne t’obéisse plus !
Alors Beurnonville alla reprendre son rang parmi les commissaires.
– Et moi, dit-il à son tour, je t’ordonne de m’arrêter avec mes compagnons, pour qu’on ne croie pas que je pactise avec toi et que, comme toi, j’ai trahi la nation !
– C’est bien, dit Dumouriez, arrêtez-le avec les autres ; seulement, ayez les plus grands égards pour lui et laissez-lui ses armes.
Les quatre commissaires et le ministre arrêtés furent conduits dans la chambre voisine. Là on leur servit à dîner pendant qu’on attelait la voiture qui devait les conduire prisonniers à Tournai.
Dumouriez recommanda de nouveau les plus grands égards pour le général Beurnonville ; puis il écrivit une lettre au général Clerfayt[Par GaelleGuilissen] [Clerfayt] Le nom est ici orthographié "Clairfayt"., lui mandant qu’il lui envoyait des otages qui répondraient des excès auxquels on pourrait se livrer à Paris.
Une heure après, la voiture partait, escortée de ces mêmes hussards de Berchiny, qui avaient, le 13 juillet 1789, chargé dans le jardin des Tuileries.
En même temps que les commissaires de la Convention partaient pour Tournai sous escorte, Dumouriez envoyait le colonel Montjoye pour prévenir Mack de ce qui s’était passé, et pour le prier de hâter une entrevue entre lui, le prince de Cobourg et le prince Charles.
La journée du lendemain se passa sans que l’événement du 2 eût fait grand bruit et fût bien connu de l’armée. Mais cependant, dans l’après- midi du 3, le mot de traître commença de circuler.
Dumouriez voulait s’assurer de Condé afin d’en purger la garnison, de réunir dans cette ville tous ceux de son armée, soldats ou généraux, qui voudraient s’attacher à sa fortune, et de Condé, avec une armée mixte, autrichienne et française, marcher sur Paris.
La réponse du général Mack avait été que le 4 au matin le prince Cobourg, l’archiduc Charles et lui se trouveraient entre Boussu et Condé, où le général se rendrait de son côté, et que là on conviendrait du mouvement à imprimer aux deux armées.
Le 4 au matin, le général Dumouriez partit de Saint-Amand avec le duc de Chartres, le colonel Thouvenot, Montjoye et quelques aides de camp.
Ils n’avaient pour escorte que huit hussards d’ordonnance, qui, avec les domestiques, formaient un groupe de trente chevaux.
Une escorte de cinquante hussards qu’il avait commandée se faisant attendre, Dumouriez, qui voyait se passer l’heure du rendez-vous du prince de Cobourg, laissa un de ses aides de camp pour se mettre à la tête de l’escorte et lui indiquer la route qu’elle devait suivre.
Parvenu à une demi-lieue de Condé, entre Fresnes et Doumet, il vit arriver au grand galop un adjudant qui venait de la part du général Neuilly, pour lui dire que la garnison était en grande fermentation et qu’il serait imprudent à lui d’entrer dans la ville.
Il renvoya cet officier avec ordre de dire au général Neuilly d’envoyer au-devant de lui le dix-huitième régiment de cavalerie dont il croyait être sûr.
Il attendrait ce régiment à Doumet.
En ce moment, il fut rejoint sur le grand chemin par une colonne de trois bataillons de volontaires qui marchaient sur Condé avec leurs bagages et leur artillerie. Étonné de voir s’accomplir une marche qu’il n’avait point ordonnée, il appela quelques-uns des officiers et leur demanda où ils allaient.
Ils répondirent qu’ils allaient à Valenciennes.
– Allons donc, dit le général, vous lui tournez le dos, à Valenciennes.
Puis il ordonna de faire halte et s’éloigna à cent pas du grand chemin pour entrer dans une maison et donner par écrit l’ordre à ces trois bataillons de retourner au camp de BruillBruille, d’où ils étaient partis.
Il était déjà descendu de cheval pour entrer dans la maison, lorsque la tête de colonne rebroussa chemin et se porta sur lui.
Il se remit aussitôt en selle et s’éloigna au petit trot jusqu’à ce qu’il fût arrêté par un canal qui bordait un terrain marécageux.
Des cris, des injures, le mot : « Arrête ! arrête ! » et la marche toujours plus rapide des volontaires, qui avait pris l’allure d’une poursuite, le forcèrent à passer le canal. Mais son cheval s’étant refusé à le franchir, il abandonna l’animal rétif et le passa à pied.
Mais alors, aux cris de : « Arrête ! arrête ! » commencèrent de succéder des coups de fusil.
Il n’y avait pas moyen de faire face à un pareil danger, il fallait fuir. Mais Dumouriez ne pouvait fuir à pied.
Son neveu, le baron de Schomberg, qui était arrivé la veille, et qui avait couru mille dangers pour arriver jusqu’à lui, avait sauté à bas de son cheval, le pressant[Par GaelleGuilissen] [le pressant] "le pressait" de le prendre. Dumouriez refusa obstinément ; mais il sauta sur le cheval d’un domestique du duc de Chartres, qui, étant très leste, répondait de se sauver à pied.
Pendant ce temps-là, les coups de fusil continuaient.
Deux hussards furent tués ainsi que deux domestiques du général, dont un portait sa redingote. Thouvenot eut deux chevaux tués sous lui, et se sauva en croupe de ce même Baptiste Renard qui, ayant reformé un bataillon en déroute à Jemmapes, avait été nommé capitaine par la Convention.
Le général dit lui-même, dans ses Mémoires, que plus de dix mille coups de fusil furent tirés sur lui. Son secrétaire, Quentin, fut pris, et le cheval du général, resté de l’autre côté du canal, fut conduit en triomphe à Valenciennes.
Dumouriez ne pouvait rejoindre son camp ; les volontaires lui en coupaient le chemin et ne paraissaient pas décidés à l’épargner. Il longea l’Escaut, et, toujours poursuivi d’assez près, il arriva à un bac en avant du village de Mihers.
Il passa le bac, lui sixième.
Il était sur la terre de l’Empire, traître et émigré.
Avec lui étaient le général Valence, le duc de Chartres, Thouvenot, Schomberg et Montjoye.
Et cependant le lendemain, tant la patrie est chose sacrée, tant le nom de traître est lourd à porter, Dumouriez, déterminé à périr s’il le fallait pour se relever, Dumouriez annonça au général Mack qu’il allait retourner au camp français voir s’il avait encore quelque chose à attendre de l’armée.
Mais cette fois il voulut s’exposer seul.
Mack ne voulut pas le laisser partir sans lui donner une escorte de douze dragons autrichiens.
Ce fut sa perte. Ces manteaux blancs, tant détestés de nos soldats, criaient trahison contre lui.
Sans eux peut-être réussissait-il ?
Le bruit s’était répandu dans l’armée que Dumouriez avait failli être victime d’un assassinat ; on le croyait mort.
Les soldats furent tout joyeux de le revoir vivant. La ligne, s’attendrissant à sa vue, cria :
« Vive Dumouriez ! »
Les volontaires seuls restaient menaçants et sombres.
– Mes amis, dit Dumouriez, passant sur le front de la ligne, je viens de faire la paix ; nous allons à Paris arrêter le sang qui coule.
Quand les soldats sont en paix, ils demandent la guerre ; mais bientôt las, quand la guerre est malheureuse, ils demandent la paix. Cette nouvelle, annoncée par Dumouriez, que la paix était faite, produisit une grande impression.
Il était alors en face du régiment de la couronne, et il embrassait un officier qui s’était distingué à la bataille de Nerwinde.
Un jeune homme sortit alors des rangs, un fourrier, nommé Fichet ; il vint se placer à la tête du cheval de Dumouriez, et, montrant du doigt les Autrichiens qui l’accompagnaient :
– Qu’est-ce que ces gens-là ? dit-il à Dumouriez. Et qu’est-ce que ces lauriers qu’ils portent à leurs bonnets ? Viennent-ils ici pour nous insulter ?
– Ces messieurs, dit Dumouriez, sont devenus nos amis ; ils formeront notre arrière-garde.
– Notre arrière-garde ! reprit le jeune fourrier, ils vont entrer en France ! Ils fouleront la terre de France ! Nous sommes bien assez de trente millions de Français pour faire la police chez nous ! Des Autrichiens sur la terre de la République, c’est une honte, c’est une trahison ! Vous allez leur livrer Lille et Valenciennes ! Honte et trahison ! répéta-t-il à haute voix.
Ces deux mots, honte et trahison, coururent comme une traînée de poudre sur toute la ligne ; Dumouriez fut ajusté. Le fusil détourné fit long feu. Un bataillon tout entier le mit en joue.
Dumouriez sentit qu’il était perdu, il piqua son cheval des deux pieds[Par GaelleGuilissen] [il piqua son cheval des deux pieds] "il piqua son cheval des deux" et s’éloigna au galop. Les Autrichiens le suivirent. Ils avaient tracé entre lui et la France un abîme que jamais il ne put franchir.
Pour lui, la Restauration arriva vainement. Voyant les Bourbons remonter sur le trône, il comptait sur le bâton de maréchal de France. Ils lui jetèrent dédaigneusement une pension de 20 000 francs comme général en retraite ; et, le 14 mars 1823, ignoré, oublié de ses contemporains, flétri par l’histoire, trop sévère peut-être pour lui, il mourut à Turville-Park.
Il avait passé cinquante ans dans les intrigues, trois ans sur un théâtre digne de lui, trente ans en exil.
Deux fois il avait sauvé la France.