Corpus La Bande noire

Tome 1 - Chapitre 6

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VI.

Madame Évon avait vingt ans ; fille d'un riche herbager[Par VincentBierce] Herbager : paysan qui élève des bêtes dans des herbages. de la Normandie, elle était, depuis deux ans, la femme du fermier Guillaume. Son éducation, développée sans méthode, avait nourri en elle ces germes funestes qui contribuent le plus souvent à précipiter les femmes dans l'abîme des fautes et des douleurs ; elle se complaisait à ces lectures, échauffantes parce qu'elles sont vides, qui surexcitent l'imagination sans la fortifier et mettent en relief ses dangereuses saillies. Dans sa vie ordinaire, elle conservait toujours cet air de puissance humiliée et de résignation souffrante où l'orgueil, peut-être, tient plus de place que la sensibilité ; et il était aisé de deviner, à son langage, qu'elle croyait sa carrière manquée, son existence gâtée et perdue. Au milieu de ces occupation journalières, de ces travaux d'intérieur qui absorbent les femmes de la campagne, et, à force d'agitation physique, annihilent l'agitation de la pensée, elle semblait, par ses façons réservées et hautaines, protester à chaque instant contre un sort injuste, et accuser le hasard qui l'avait jetée hors de ses légitimes voies. Elle se rappelait sans cesse, avec un charme attendrissant et mélancolique, le petit pensionnat de Lisieux où s'étaient passées les premières années de sa jeunesse, ses amies dont elle s'était vue séparée, ses promenades le soir aux environs de la ville, ses lectures mystérieuses qui avaient laissé en elle des traces si profondes, surtout ses rêveries dans le silence du dortoir, lorsque la veilleuse venait à s'éteindre, et qu'à travers les rideaux des hautes croisées la lune glissait ses pâles rayons[Par VincentBierce] Dès l’abord, le portrait de Marguerite est placé (comme le suggérait déjà le chapitre IV) sous le signe de la mélancolie et de la rêverie, du contraste entre les aspirations romanesques de la jeune femme et la réalité triviale. C’est tout le chapitre qui va en fait illustrer et développer ce contraste, en mettant en scène d’abord une rêverie puis l’intrusion de la réalité par l’intermédiaire de son mari..

Comme depuis ce temps elle n'avait vu du monde qu'un horizon étroit et borné, elle avait conservé, dans leur fraîcheur et leur vivacité primitives, ses impressions premières et ses illusions du jeune âge. Sous le toit de la fermière, elle était restée, comme auparavant, une petite pensionnaire un peu guindée, très rêveuse, et son esprit aventureux suivait toujours les mêmes sentiers qu'il avait suivis autrefois. La monotonie de son existence uniforme fatiguait son âme et la révoltait ; cette jeune imagination, ainsi refoulée dans le cercle d'une réalité triviale, avait besoin de pâture, et le repos l'accablait. Souvent elle allait dans la prairie, sous les peupliers, un livre à la main ; et là, assise entre les hautes herbes, elle éprouvait un étrange plaisir à parcourir les espaces d'un monde imaginaire, à évoquer les images du passé, à interroger les secrets désirés de l'avenir. Comme toutes les jeunes filles, elle se plaisait à se croire opprimée et malheureuse, elle aimait à se répéter qu'elle était une pauvre victime, une femme mal assortie à la vulgarité de sa condition, et chaque fois qu'il arrivait qu'on parlât devant elle d'un mariage forcé, d'une union disparate, elle hochait doucement la tête et souriait d'un air d'intelligence profonde et de tristesse intime.

Elle prenait au sérieux les romans qu'elle avait lus[Par VincentBierce] Il est bien difficile, en lisant l'ensemble de ce portrait, et particulièrement cette phrase, de ne pas penser à la Madame Bovary de Flaubert., comme certains estomacs blasés ne peuvent supporter les mets simples et naturels ; sa tête, échauffée au feu des fictions mensongères, fermentait en silence, et sa pensée n'était qu'une longue révolte contre cette existence tranquille et reposée qui lui ramenait tous les jours la même série de devoirs à remplir et d'heures à occuper. Il lui semblait parfois qu'elle était née pour une vie plus remplie et plus agitée, et avec la même ardeur que d'autres demandent le calme et l'oubli, elle demandait les fatigues et les bouleversements du cœur. La palme des grandes passions et des grandes douleurs avait pour elle d'irrésistibles séductions ; elle eût été heureuse de mourir martyre. Et cette disposition d'esprit que nous signalons n'est point une chimère inventée à plaisir[Par VincentBierce] Formule qui rappelle celle de La Fontaine "Ceci n'est pas un conte à plaisir inventé" dans "Le Berger et la mer". Jules David fait ainsi discrètement écho à sa préface, dans laquelle il explique que son étude de moeurs doit servir de leçon., c'est dans notre époque surtout que ces caractères excentriques sont une réalité palpable. Qui n'a pas touché du doigt cette plaie que peut-être on ne cicatrisera jamais ? Qui ne sait comment certaines imaginations, manquant entièrement de lest, se laissent entraîner à la dérive ? Barques fragiles qui errent à la merci des vagues sur une mer inconnue, et vont se briser aux récifs des falaises[Par VincentBierce] Le bovarysme de Marguerite, ici contextualisé et généralisé à l'ensemble d'une génération par l'intermédiaire d'un vocabulaire relevant de l'ordre du cliché, est ainsi décrit comme le pendant féminin du mal du siècle dix-neuviémiste. !

Madame Évon n'aimait pas son mari, parce qu'elle se croyait supérieure à lui[Par VincentBierce] A la scène de la vie de campagne succède la scène de la vie privée. La différence morale au sein du couple est donnée comme la cause première du malheur féminin : ce motif balzacien, qu'énoncera précisément l'"Avant-Propos" de La Comédie humaine en 1842 ("Il peut y avoir deux êtres parfaitement dissemblables dans un ménage. La femme d’un marchand est quelquefois digne d’être celle d’un prince, et souvent celle d’un prince ne vaut pas celle d’un artiste."), est déjà illustré en 1837 par de nombreux textes, comme dans les premiers récits qui composeront la version finale de La Femme de trente ans. ; elle le regardait comme un inutile et tyrannique compagnon de voyage auquel sa destinée se trouvait fatalement accouplée, et leur union lui semblait une lourde chaîne[Par VincentBierce] Du point de vue de la construction romanesque, l'auteur travaille ici le contraste avec le chapitre V : à la chaîne d’or offerte en gage lors de la scène précédente par Arthur à Mme Evon répond ici la métaphore de la chaîne qui attache Marguerite à son mari. qu'elle rongeait silencieusement, faute de pouvoir la briser. Dans ses rapports avec lui, elle était froide, réservée, dédaigneusement soumise comme l'esclave révolté qui maudit en son cœur la tyrannie de son maître, et proteste par son obéissance même contre le joug à lui imposé. Lorsque, par hasard, Guillaume Évon se laissait aller à ces emportements des natures grossières, sans cause et sans mesure, elle se sentait presque heureuse d'avoir le droit de l'accuser, et disposée qu'elle était à toujours se plaindre, elle bénissait l'injustice qui justifiait ses plaintes continuelles. Le ménage du fermier Évon était donc une de ces unions malheureuses où deux volontés contradictoires se combattent en secret et luttent avec acharnement dans l'ombre, comme deux ennemis couvrant leur ressentiment d'un masque, et cachant sous un manteau transparent la pointe de leurs poignards. Du reste, aux emportements de Guillaume et à ses accès de mauvaise humeur, Marguerite ne répondait jamais que par des mots entrecoupés, et ces réticences hautaines qui caractérisent l'orgueil blessé et le dédain d'une âme soi-disant supérieure. Quand Guillaume lui donnait impérieusement ses ordres, elle les exécutait en silence avec une fidélité scrupuleuse, et ce n'était que le soir, lorsque, retirée dans sa chambre, elle jetait un coup d'œil à la glace, que le gonflement de son cœur s'échappait en un long soupir.

Marguerite mêlait à ces apparences romanesques un fond de coquetterie réelle qui, dans cette sorte de caractère, s'allie assez naturellement aux inspirations fausses d'une imagination égarée. Sous cette enveloppe de pensionnaire poétique, la femme perçait quoiqu'elle en eût, et les reflets d'une nature colorée et active flairaient assez souvent ce voile de brouillard dont elle aimait à s'entourer. Le dimanche, lorsqu'elle allait à la messe, les paysans admiraient l'élégance qui présidait à sa toilette, et cet instinct de bon goût qui, chez certaines femmes, ressemble presque à du génie. Aussi, la réputation de madame Évon était elle acceptée comme une réputation incontestable, et il était rare qu'on n'accompagnât pas son nom d'un sobriquet louangeur et d'un sourire d'admiration et de malice. Partout une sorte de déférence s'attache à la beauté, comme à toutes les supériorités de ce monde. On reconnaissait donc volontiers que la réputation de la belle fermière était jusque-là inattaquable, mais un geste d'incrédulité attestait ordinairement les doutes qu'il était permis de concevoir sur son avenir. À Corbeil même, madame Évon était connue de tous les jeunes gens, et les femmes ne parlaient d'elle qu'avec cette ironie qui contient implicitement le plus bel éloge. On l'avait vue figurer dans plusieurs fêtes de village, et toujours elle avait repoussé avec une froideur désespérante les hommages qui lui étaient adressés, quoique pourtant on l'accusât de les rechercher quelquefois. Peut-être les adorations d'une petite ville lui paraissaient-elles un trop faible tribut, et à cette réserve elle avait gagné d'inspirer cet intérêt mystérieux qui s'attache toujours aux secrets irrévélés, aux énigmes incomprises[Par VincentBierce] Ainsi Marguerite se trouve-t-elle discrètement reliée à Madame de Noï par cette notation sur ses prétentions amoureuses non dénuées d'orgueil..

Il y avait, dans l'intérieur de la ferme, une petite chambre spécialement destinée à madame Évon et où la jeune femme se renfermait pendant des heures entières ; c'était là, pour ainsi dire, son sanctuaire, et les gens de la maison se gardaient avec une déférence respectueuse d'en troubler la solitude. L'aspect de cette petite chambre formait un contraste singulier avec l'extérieur rustique des salles de service ; c'était une sorte de boudoir, mi-partie campagnard, mi-partie mondain, où tous les secrets instincts de la fermière se trouvaient représentés : un tapis de moquette à carreaux nuancé de diverses couleurs en couvrait le parquet et absorbait les bruits extérieurs comme pour protéger le sommeil d'une jeune fille, ou procurer à la pensée le silence dont elle avait besoin. Le papier qui en tapissait les parois était d'un bleu tendre et velouté, dont la nuance reproduisait assez bien l'azur du ciel, et n'apportait à l'œil que des teintes molles et adoucies. Dans le fond d'une alcôve dont les ondulations d'une mousseline à fleurs formaient l'encadrement, apparaissait une glace plus large que haute, et qui, avec sa bordure d'or, scintillait sous les rayons du soleil et renvoyait en tous sens sur les dessins du tapis, sur le velours du papier, ses chatoyants reflets. En face du lit, un canapé couvert en soie bleue se dessinait entre deux fauteuils comme une riante anomalie au milieu de cette vie toute rustique, comme un signe de repos élégant, de coquetterie paresseuse, comme une promesse de bonheur volé aux réalités d'une existence laborieuse et pleine. Dans un coin de la chambre, s'enfonçait une toilette d'acajou à dessus de marbre avec tous ces accessoires qui parfument si harmonieusement la chambre d'une femme ; seulement le gracieux rideau qui se jouait capricieusement à la flèche de la croisée, en cachait à demi la vue, comme si l'habitante d'un pareil séjour eût craint de choquer des yeux prévenus, et de manquer à des obligations consenties à regret. Sur une console soutenue par deux pieds de sphinx, deux vases de porcelaine présentaient avec un mystérieux éclat leurs couronnes de fleurs à demi fanées, et derrière eux, se montraient à peine deux ou trois petites boîtes pleines de bagues, d'anneaux et de ces mille riens brillants, luxe des jeunes filles. Vis-à-vis de la console, sur un casier appendu à la muraille, vous eussiez vu une cinquantaine de petits volumes rangés avec symétrie, et étalant avec art leurs reliures dépareillées. Enfin, derrière le lit, une guitare accrochée à un clou complétait l'ensemble de ce tableau, et lui donnait cette physionomie enfantine dont la vue des peintures de Van Ostade et de Mieris[Par VincentBierce] La double référence picturale renvoie à des peintres flamands du XVIIe siècle spécialisés dans les peintures de genre, et notamment des illustrations de la vie paysanne et ouvrière. empreint nos rêves[Par VincentBierce] La description de la chambre se fonde de nouveau sur l'esthétique du contraste pour souligner par l'intermédiaire du décor l’inadéquation de Marguerite avec la vie qu’elle mène. Elle s’est inventé une sorte de cocon, de lieu personnel, d’utopie intime qui rappelle à la fois certains contes (ainsi le miroir, les couleurs bleues et les motifs floraux font apparaître en filigrane le qualificatif « fleur bleue » qui sied au personnage) et le procédé balzacien qui rapproche l’habitant et l’habitat. Quant aux couronnes de fleurs à demi fanées, elles forment l'évidente métaphore de l’existence même du personnage, dont le nom de fleur n'est pas non plus sans renvoyer à la jeune héroïne de Goethe dans la chambre de laquelle Faust cherche à pénétrer. .

La clef de cette chambre n'était jamais confiée à personne, et madame Évon la conservait avec une attention jalouse, tant telle redoutait de voir troubler par les profanes la paix de ce petit empire. Là, en effet, elle se créait un monde à son gré, et ses meubles, ses joyaux, les fleurs de sa console étaient pour elle autant de sujets dévoués qui écoutaient secrètement ses confidences, et ne les trahissaient pas. Elle s'était fait une telle habitude des plus menus détails de cette retraite choisie, qu'elle les associait, pour ainsi dire, à ses pensées, à ses rêves, à sa vie tout entière ; et peut-être, en contemplant les cordes toujours détendues de la guitare silencieuse, un poëte eût-il cru y voir l'image de cette jeune femme elle-même, dont le cœur incompris n'avait plus qu'à se taire[Par VincentBierce] A la métaphore des fleurs fanées succède celle des cordes détendues qui renvoie une nouvelle fois à l'existence de Marguerite : le narrateur balise son texte d'indices pédagogiques qui explicitent pour le lecteur le sens de la description..

Le soir, quand elle n'allait pas à la veillée (et elle y allait rarement), pendant que Guillaume se délassait au cabaret voisin des rudes travaux du jour, et absorbait toute son intelligence dans les combinaisons monotones de la triomphe[Par VincentBierce] Le jeu de la triomphe est un jeu de cartes du XVIe siècle encore en vogue dans la première moitié du XIXe. La couleur dominante qui est appelée triomphe et donne son nom au jeu, sera progressivement remplacée par l'expression "à-tout", contractée en "atout", dénomination que l'on emploie encore aujourd'hui., jeu primitif et patriarcal ! madame Évon se renfermait dans sa chambre et en ôtait la clef comme pour se séparer le plus complètement possible d'un monde qui la blessait ; alors elle ouvrait la croisée qui donnait sur la plaine, et se laissait aller, en regardant filer les nuages, à ces rêveries où l'on prend la mémoire pour l'imagination et où on se souvient quand on croit inventer. Souvent, lorsqu'à force d'échauffement elle avait perdu la trace de la réalité, il lui arrivait de se créer des positions aimées, de se forger des aventures, et sur ce théâtre qu'elle bâtissait elle-même, elle se mettait en scène et jouait son rôle après l'avoir composé.

Quelquefois, par un de ces caprices féminins dont la psychologie ne peut expliquer l'étrange mobilité, elle se prenait à essayer, pour elle seule et dans le secret de son appartement, ses plus belles parures et ses plus voluptueuses séductions. Seule ainsi devant sa glace, elle semblait sourire à une image inaperçue, et répondre à une voix mystérieuse qui lui disait : "Vous êtes belle[Par VincentBierce] Cette description teintée de mélancolie construit une tonalité très proche de celle du conte, tonalité que l'on retrouve dans le paragraphe suivant lorsque la jeune Marguerite songe devant son miroir en revêtant sa robe de bal. Ne manquent plus que les pantoufles de verre et les citrouilles qui se transforment en carrosse.".

Le lendemain de la veillée elle eut un caprice de cette nature. Vers les huit heures du soir, lorsque Guillaume Évon fut sorti, selon son habitude elle s'enferma dans sa chambre, et accoudée sur l'appui de la croisée ouverte, longtemps elle contempla la voûte du ciel ; puis fermant subitement la fenêtre, elle tira avec précaution d'une armoire pratiquée dans le mur une robe de percale blanche, et l'étala complaisamment sur le couvre-pied de son lit ; enfin, comme une femme qui s'apprête aux délices d'un bal, elle passa dans les tresses de ses cheveux noirs les dents d'un peigne d'écaille ; les épingles qui attachaient son fichu furent enlevées successivement ; et lorsque ses doigts agiles eurent fait tomber la robe noire de la veille, elle se para en souriant de sa robe nouvelle, ainsi qu'une jeune mariée, heureuse et fière de quitter ses vêtements journaliers pour une éclatante quoique fugitive parure. Quand sa toilette fut achevée, quand elle eut placé sous la garniture tuyautée de son bonnet deux boutons de rose naturels, coquetterie des champs, alors elle se posa devant sa glace, prit dans une boite toutes les bagues qu'elle contenait, et se les mit aux doigts. Seulement une pensée de désappointement plissa sa bouche, lorsqu'elle passa la main sur son col ; avait-elle un regret ? s'apercevait-elle qu'il manquait une chaîne à sa parure[Par VincentBierce] Avec la mention de la chaîne, le cadre général de la rêverie est sensiblement et subtilement détourné vers un objet fixe qui fonctionne comme la métonymie du personnage d’Arthur. Voir la métaphore, quelques lignes plus bas, lors de la question qu’elle adresse à son mari : « suis-je tellement enchaînée ? » ?

Il est dans la physiologie féminine des traces si fugitives que l'écrivain est impuissant à les reproduire et à les expliquer[Par VincentBierce] On retrouve ici le cliché de l'insuffisance du langage à traduire précisément les inflexions de l'âme., pensées rapides qui effleurent l'âme comme le vol d'un oiseau la surface des flots, comme l'aile d'un papillon le calice des fleurs ; ombres légères qui s'évanouissent ainsi que le chant d'un rossignol dans les bois ; éclairs spontanés qui disparaissent au moment même où le regard cherche à en fixer l'image. Une pensée de cette nature avait-elle sillonné l'âme de madame Évon, je ne sais ; mais un moment elle demeura pensive, tourmentant machinalement du doigt l'échancrure de sa robe, comme un musicien rêveur qui laisse courir sa main distraite sur les touches du clavier sonore. En ce moment, trois coups frappés à la porte la réveillèrent en sursaut, et la ramenèrent au sentiment réel de sa position[Par VincentBierce] Ces trois coups extrêmement théâtraux symbolisent, de même que la porte fermée à clef, les frontières entre les deux univers, le monde de la rêverie et le monde réel de son mari. . Par un mouvement de pudeur irréfléchie, elle prit un fichu et le croisa sur sa poitrine nue, semblable à la Suzanne surprise au bain[Par VincentBierce] Par la référence à cet épisode biblique, le narrateur fait coup double : d'une part il inscrit la référence à l'adultère, puisque Suzanne, après avoir été observée durant son bain par deux vieillards et avoir refusé leurs propositions malhonnêtes, va être accusée d'adultère, d'autre part il renvoie une nouvelle fois à l'esthétique du tableau, car cette scène a été peinte à de très nombreuses reprises, et surtout par des peintres flamands et vénitiens.. Le son d'une voix rude et enrouée la fit tressaillir de nouveau.— Marguerite, dit en dehors Guillaume Évon, ouvrez-moi donc, et ne me faites pas ainsi rester à la porte !

La fermière jeta sur sa toilette un de ces regards qui expriment le doute de l'âme, et ces inquiétudes vagues qui troublent certaines femmes à l'approche d'un orage[Par VincentBierce] La métaphore de l'orage est la première d'une série destinée à traduire le danger que représente son mari pour Marguerite (voir quelques lignes plus bas le grognement du chien, puis la bourrasque)..— Ne pouvez-vous pas me laisser dormir, Guillaume? dit-elle d'une voix douce et presque suppliante ; il était tard, et je me suis couchée.— Relevez-vous et venez m'ouvrir ! dit Guillaume.

La voix du fermier s'enflait par degrés comme le grognement d'un chien, pendant la nuit, à l'approche d'un danger qui menace la maison de son maître.— Ouvrez-moi donc ! répéta-t-il.

La jeune femme comprit alors que tonte résistance était inutile, et cachant son dépit, et sa terreur peut-être, sous l'apparence froide et réservée qui lui était habituelle, elle se décida à introduire Guillaume Évon dans sa chambre[Par VincentBierce] L'entrée de Guillaume dans la chambre privée de Marguerite constitue un symbole d’intrusion assez explicite qui renvoie d'un point de vue métaphorique à la pénétration sexuelle qui n’aura pas lieu, enjeu qui s’immisce au cœur de tout l’entretien qui suit comme un non-dit extrêmement présent. On songe également au conte de Barbe bleue dans lequel il est aussi question de portes qui s’ouvrent alors qu’elles doivent restées fermées et de violence sexuelle..

Celui-ci avait cet air soucieux, symptôme ordinaire de mauvaise humeur que Marguerite distinguait au premier coup d'œil, ainsi que les matelots distinguent à l'horizon le point noir qui signale la bourrasque. Sa bouche était pincée et comme tendue par l'irritation des nerfs, son œil enfin affectait ces clignotements de la colère contenue encore, et qui cherche, avant d'éclater, à déjouer toutes les prévisions.— Vous n'étiez donc pas couchée ? dit-il en se jetant sur un fauteuil.— Non, répondit Marguerite ; mais je suis indisposée, j'ai besoin de repos, et je voulais être seule.— Vous êtes malade ? dit le fermier en se levant, et d'une voix plus douce et plus émue qu'il ne l'aurait désiré peut-être ; çà, qu'avez- vous, Marguerite ? Voulez-vous que j'envoie chercher un médecin à Corbeil !— Non pas, reprit vivement la fermière ; mais, je vous en prie, mon bon Guillaume, laissez-moi seule !

Pour la première fois, le regard du fermier s'arrêta sur le visage de sa femme, il la vit pâle et émue ; puis son regard redescendit peu à peu, et lorsque, par un coup d'œil rapide, il eut toisé de la tête aux pieds Marguerite, élégante et parée, quand il eut saisi l'ensemble de cette fraîche toilette qui lui apparaissait à pareille heure comme une anomalie choquante, ou pour peindre ces sensations par un langage qui leur est propre, comme un mauvais rêve, sa maigre figure se rembrunit de mécontentement, un éclair de dépit illumina le fond terne de ses yeux, et brilla sous le voile de ses cils grisonnants ; il s'assit de nouveau, et allongeant ses jambes sur le tapis avec un calme affecté :— Est-ce que vous comptiez aller au bal ce soir ? demanda-t-il à la jeune femme qui, debout et immobile devant lui, baissait obstinément la vue. Voici deux heures que je vous ai quittée, et vous n'aviez pas alors de si beaux atours ! Savez-vous bien qu'on vous prendrait pour une grande dame ainsi parée, et non pas pour la femme d'un paysan comme moi ?

Guillaume Évon avait prononcé ces paroles du ton le plus propre à provoquer une réponse. Il en est de la colère comme de l'incendie qui s'éteint faute d'aliments ; Guillaume cherchait des aliments à sa colère.

Marguerite se taisait toujours. Sa figure était pâle, mais sans être altérée ; il y avait à la fois, dans l'expression de ses traits, de la résignation et du dédain. Décidée qu'elle était à n'opposer aux efforts actifs de Guillaume qu'une résistance passive et une force d'inertie elle gardait intrépidement le silence et attendait.— Tenez, Marguerite, continua Guillaume en adoucissant un peu le son de sa voix, il faut que je vous dise la vérité : vous prenez une mauvaise route, l'état de fermière ne vous convient pas, et vous seriez mieux placée dans quelque beau salon de Paris que dans la cuisine d'une ferme. Et voilà ce que c'est que d'élever les enfants comme des poupées ! On leur apprend à écrire en anglaise, à réciter des vers, à danser, à pincer de la guitare, et au lieu de bonnes ménagères, on en fait de petites mijaurées propres tout au plus à lire et à rêvasser à l'ombre des peupliers ! Ce que je dis là n'est-il pas vrai, Marguerite ? Voilà-t-il pas de beaux talents pour une femme de savoir se broder des fichus, lire un tas de balivernes qui n'ont pas un seul brin de raison, chanter des romances au clair de la lune, et donner plus de temps à sa glace qu'à sa basse-cour ou à sa bergerie ! Croyez-vous pas qu'il soit agréable pour un honnête homme qui veut faire honneur à ses affaires et payer, comme il convient, son loyer tous les six mois, d'avoir devant soi une petite image toujours parée comme une bonne vierge et enfermée dans sa chambre comme dans une châsse ? Au lieu de mettre de belles robes et des pompons dans ses cheveux, ne vaudrait-il pas mieux faire la soupe aux moissonneurs et aux charretiers ? Mais non, on a peur de noircir ses mains, de gâter ses habits ! On se ménage, on s'attife comme une petite-maîtresse qui a des valets à faire enrager et un trésor à dissiper[Par VincentBierce] La tirade de Guillaume reprend le thème à la mode dans le premier dix-neuvième siècle de l'éducation des jeunes filles, et qui sera par exemple l'occasion d'un débat passionné entre Balzac et Sand à l'occasion de la publication en 1841 de Mémoires de deux jeunes mariées. Il est ici une fois encore question de l’inadéquation de Marguerite avec le monde dans lequel elle évolue, problème déjà évoqué dans le chapitre précédent, qui est symbolisé par la chambre de la jeune femme et que l’on retrouvera bien sûr dans la suite du roman. !

Guillaume s'échauffait en parlant, et le mouvement convulsif de son pied accentuait par intervalle ses paroles avec une impatience croissante. Le silence opiniâtre de Marguerite augmentait son irritation, et comme s'il eût craint de voir son éloquence se perdre dans le vide :— Voyons, ajouta-t-il d'une voix retentissante, tout cela n'est-il pas la vérité ? Parlez ! mais parlez donc[Par VincentBierce] L'injonction de Guillaume à Marguerite annonce l’intéressante variation que constitue cette scène autour de la scène topique de l’aveu. L’ensemble de ce chapitre peut en effet se lire comme une réactualisation de la scène de jalousie et de la scène d’aveu – elle est pleine de sous-entendus, et c’est d’ailleurs ironiquement le mari qui finira par avouer lui-même le fond de ses pensées (ses soupçons jaloux d’adultère). !— Vous avez raison, dit la fermière sans lever les yeux, et d'une voix doucement vibrante qui ressemblait aux accents d'un écho affaibli.— Oui, j'ai raison ! reprit Guillaume ; et songez-y bien, je vous parle autant dans votre intérêt que dans le mien ; je n'ai pas envie, moi, de me tuer le corps et l'âme pour subvenir aux frais de votre toilette ! Quand l'homme travaille, il faut que la femme travaille aussi ; et il n'est pas juste que l'un ait tout le mal et l'autre tout le plaisir !— Ai-je donc, jusqu'à présent, objecta Marguerite, manqué à mes devoirs ? Quels reproches fondés avez-vous à me faire ? Quelles obligations ai-je oublié de remplir ? Quelles occupations ai-je tant négligées ?

À cette interpellation, Guillaume hésita un instant, comme un homme surpris et qui craint de tomber dans un piège.— Vous voilà bien, dit-il, avec votre voix mielleuse et vos belles phrases ! Je ne fais pas de phrases, moi, mais je dis ce qui est.— Guillaume, répondit la jeune femme, il est tard et j'ai besoin de repos ; vous savez que demain il faut être sur pied de bonne heure ?— C'est cela, dit le fermier, tâchez de me donner le change. Vous savez bien où je veux en venir, et voilà ce qui vous effraye[Par VincentBierce] L'équivoque est intéressante, puisque cette assertion peut désigner à la fois le soupçon d’adultère, conséquence de la scène lors de la veillée dont a été témoin Guillaume et de l’accoutrement inadéquat de sa femme, ainsi que l’acte sexuel attendu par le mari. La suite du dialogue tend à confirmer les deux interprétations. ! Pourquoi cette toilette ce soir ? Répondez !

La jeune femme redressa pour la première fois la tête ; sur son visage reparut cette expression de fierté dédaigneuse qu'elle avait un moment dissimulée. Ses grands yeux noirs se fixaient sur ceux de Guillaume afin de sonder le fond de sa pensée et d'en explorer les plus secrets replis. Les femmes ont, en de certains instants, un instinct d'assurance que rien ne saurait troubler ; comme tous les êtres faibles, leur énergie n'éclate que par soubresauts, et leurs accès de courage ressemblent à ces éclairs qui déchirent, dans les ténèbres, les sombres voiles des cieux.— Ne puis-je pas, dit-elle d'une voix ferme, mettre la robe qui me plaît ? Et suis-je tellement enchaînée que je doive vous rendre compte de mes actions les plus insignifiantes ? Êtes-vous un juge, un espion ?

Guillaume ne comprit qu'à moitié le sens de cette réponse, et, comme il arrive ordinairement aux esprits incultes, ce fut plutôt la consonance des mots qui le frappa que leur signification.— Un espion, répéta-t-il avec véhémence, un espion ! Avez-vous jamais ouï dire que Guillaume Évon ait mangé de ce pain-là ? Il faut que vous sachiez que j'ai toujours eu la tête haute et la parole claire : les cachotteries ne me vont pas ! Quand j'ai quelque chose sur le cœur, je m'en débarrasse, et voilà ! Mais pour m'abaisser jusqu'à l'espionnage, pour faire comme le loup qui s'embusque dans nos bois et attend le troupeau, c'est un rôle que je ne jouerai jamais.

Guillaume s'était levé ; il y avait dans son attitude, dans le froncement significatif de ses sourcils, cette sorte de dignité roide que les hommes du commun prennent pour de la majesté ; il se souvenait sans doute que tous ses voisins lui parlaient chapeau bas et l'appelaient M. le maire.

A cette sortie bruyante, Marguerite se contenta de répondre par un hochement de tête ; et peut-être, dans l'angle de sa bouche, eût-on pu découvrir la trace d'un sourire. Elle comprenait en ce moment toute sa supériorité relative et s'en glorifiait dans son cœur.— Mais vous ne me ferez pas croire, reprit Guillaume, qu'une femme mette ses plus beaux atours, le soir, pour rester seule dans sa chambre et deviser avec son miroir ! Quand on s'habille, c'est qu'on veut aller à la messe et entendre dire derrière soi : Voilà une femme bien tournée ! Ou encore, c'est qu'on va à une fête, à une assemblée, à un bal ! Ou enfin...

Guillaume s'arrêta. Il venait de tourner longtemps autour de la difficulté, et au moment de la trancher, il hésitait encore. Sous des apparences brusques, il cachait un fond de faiblesse naturelle qui paralysait ses efforts et enchaînait sa volonté.— Eh bien ! que voulez-vous dire ? demanda Marguerite.

Cette question, faite avec assurance, réveilla l'énergie accidentelle du fermier.— Vous attendiez quelqu'un ! dit-il en éclatant.

Marguerite resta impassible ; sur son front pur et posé, cette accusation, lancée à bout portant, n'amena pas un seul pli, ne creusa pas une seule ride. Peut-être, sous les emportements de Guillaume Évon, avait-elle pressenti depuis longtemps l'idée fixe qui se manifestait à la fin ; et, comme un guerrier qui prévoit toutes les chances d'une bataille, elle les acceptait toutes sans trembler.— Dites-moi donc que vous n'attendiez personne ! continua Guillaume; voyons, soutenez la pariure jusqu'au bout En langue populaire, la pariure désigne une gageure ou un pari. ! Je vous croirai si vous me le dites une bonne fois, quoique la chose soit difficile à croire ! mais enfin, les femmes ont de si singuliers caprices !

Le sourire qui avait à peine paru sur les lèvres de la fermière se dessina alors plus nettement. Et comme si elle eût répondu elle-même à sa pensée, elle se contenta de baisser la tête en signe de muet assentiment. Ce sourire n'échappa pas à Guillaume, et comme il n'en comprit pas le sens, son mécontentement s'en augmenta.

- Rire n'est pas répondre! dit-il furieux et hors des gonds; je vous le répète, vous attendiez quelqu'un !— Ne vous êtes-vous pas aperçu, dit froidement Marguerite, que la porte de ma chambre était fermée ?— Il s'agit bien de porte ! dit Guillaume qui commençait à perdre la tête, et ne pesait plus la valeur de ses mots ; ne peut-on entrer que par la porte[Par VincentBierce] Cette scène trouvera son exact inverse lorsque Guillaume se rendra chez Arthur où Marguerite est précisément cachée derrière une porte fermée à clef. ?— C'est vrai, dit la fermière, j'oubliais la fenêtre.

L'ironie perçait sur la figure et dans les paroles de Marguerite; sa bouche avait cette expression railleuse de la puissance qui se joue d'un être faible ; c'était elle à son tour qui avait pris la position supérieure. Seulement, elle s'aperçut que peut-être il serait dangereux de continuer son manège ; quand on les pousse à bout, les hommes tels que Guillaume ne connaissent plus ni mesure ni frein : on ne contient pas la rage aveugle.— Et qui pouvais-je attendre à cette heure ? dit Marguerite d'une voix adoucie.— Que sais-je, moi ! dit Guillaume ; cet intrigant qui vient d'acheter le château de Saintry, ce beau monsieur qui vous passait hier soir une chaîne d'or au cou, Arthur Raimbaut enfin[Par VincentBierce] A travers son rôle d’opposant et de mari jaloux, Guillaume Evon semble également avoir une fonction de dévoilement : il permet, en prononçant ce nom, d’expliciter à Marguerite elle-même le fond de sa pensée, de formuler ce qui n’était chez elle qu’impensé, qu’inconscient. Sa réaction le prouve assez. .

En entendant prononcer ce nom, la fermière, jusque-là digne et fière, sentit un nuage passer sur sa vue. Ce nom avait-il réveillé dans les profondeurs de son âme un écho assoupi, une pensée à peine formulée ? Les pommettes de ses joues se veinèrent de filets rouges dont l'incarnat fit ressortir la fixité terne de son regard. Elle demeura longtemps sans voix, et ce ne fut qu'avec peine qu'elle retrouva la conscience de l'injuste accusation qui pesait sur elle. Mais alors sa fierté s'irrita d'autant plus qu'elle en avait perdu d'abord le sentiment.— Voilà bien de vos soupçons ! dit-elle à Guillaume, et je reconnais là votre délicatesse accoutumée. J'attendais, n'est-ce pas, ici, dans ma chambre, un homme que je n'ai jamais vu qu'une fois ! Ah ! monsieur, vous me faites rougir pour vous !

Pendant qu'elle prononçait ces mots, une grosse larme roula lentement le long de sa joue et y traça un sillon. La colère de Guillaume tomba à cet aspect ; sa figure tendue jusque-là, se dérida tout d'un coup, et prenant la voix caressante d'un enfant qui veut se faire pardonner une faute :— Allons, voilà qu'elle pleure à présent ! dit-il. Voyons, Marguerite, ne peux-tu pas me répondre sans t'emporter et pleurer ainsi ? Mes soupçons sont injustes, je le veux, et je suis parfois un peu bourru ; mais au fond, tu sais bien que je t'aime, et que je souffre quand tu souffres !

Chose singulière que les larmes d'une femme produisent même sur les natures les plus grossières une réaction subite, et fassent succéder à l'irritation la plus intense l'amollissement et la faiblesse. Guillaume avait pris une attitude suppliante, et implorait du regard le pardon de sa femme ; quant à elle, à demi couchée sur le coussin du canapé, pâle et les yeux fermés, elle ressemblait à une de ces belles créations de Paul Cagliari[Par VincentBierce] Paul Cagliari, que la postérité a retenu sous le nom de Véronèse, est un peintre maniériste vénitien dont la référence permet une nouvelle fois d'insister sur l'esthétique du tableau, de s'inscrire dans la lignée du modèle narratif balzacien et d'ajouter des connotations érotiques à la vision de Marguerite., où la vie apparaît encore ardente et chaude sous un voile de discrétion et de retenue. Déroulés au hasard, ses cheveux ruisselaient sur ses joues et les encadraient de leurs festons[Par VincentBierce] Festons : guirlande de fleurs et de feuilles que l'on suspend dans un but décoratif et de manière qu'elle retombe en arc. luisants ; débarrassée de son fichu, sa gorge rebondissait sous la percale et haletait avec effort[Par VincentBierce] La narration oscille ici brillamment entre le point de vue omniscient du narrateur et le point de vue interne du personnage : la description érotisée de la gorge de sa femme produit l’"irrésistible attraction" de Guillaume et la tentative sexuelle à venir..

Guillaume s'approcha d'elle et la contempla pendant quelque temps d'un air d'admiration silencieuse. Entraîné par une irrésistible attraction, il se pencha lentement sur son visage, et lui dit :— Sais-tu que tu es belle, Marguerite ? Voyons, ne me fais pas la moue et pardonne-moi ! Veux-tu me pardonner ?

En même temps, il passa son bras autour de sa taille, comme pour la soulever vers lui.

La jeune femme tressaillit de tout son corps, et se levant avec la précipitation d'un ressort subitement tendu, d'un seul bond elle se trouva à deux pas de Guillaume qui la regardait d'un air étonné.— Là, là, dit le fermier en l'apaisant de la main comme on apaise un enfant mutiné ; ne soyez pas si méchante, Marguerite, on ne veut plus troubler votre repos. S'il est vrai que vous êtes indisposée, souffrante, je vais vous laisser seule, car je ne veux que votre bien, moi.

La jeune femme récompensa cette soumission, inespérée peut-être, par un signe d'adieu gracieux et souriant.— Allons, dors bien, petite ! dit Guillaume en lui prenant la main ; bonsoir[Par VincentBierce] Ainsi s’achève un chapitre qui joue d’un schéma traditionnel et cliché pour traduire sur le plan symbolique à la fois la mélancolie de Marguerite et son inadéquation au monde dans lequel elle évolue, la domination non dénuée de violence sexuelle de Guillaume et l’amour naissant de sa femme pour Arthur..


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