La catastrophe a éclaté les 9 et 10 thermidor ; le public en connaît les détails mieux que moi, alors détenu.
Je dois m’attacher à faire quelques observations capitales : il a existé un décemvirat, à la tête duquel s’est trouvé un nouvel Appius Claudius. Appius Claudius Sabinus, homme politique romain, a présidé un collège de décemvirs en 450-449 av. J.-C. et il s'est maintenu illégalement au pouvoir. La parfaite identité du comité de salut public avec le décemvirat de Rome, est démontrée, et par le passage de l’Esprit des LoisDe l'Esprit des lois est une œuvre de Montesquieu. Vilate en cite un extrait plus haut dans le texte. , et par la tyrannie momentanée, sous laquelle a gémi toute la France. Les meneurs de ce décemvirat, Robespierre, Collot-d’Herhois, Barère, Couthon, Billaud-Varennes, et Saint-Just, ont toujours été parfaitement d’accord pour subjuguer le sénat français, la nation tout entière.
Il faut sans cesse rappeler à la convention, disait Barère, depuis le 10 thermidor, son état d’oppression, afin qu’elle n’y retombe plus. Auparavant tous leurs discours, toutes leurs actions concertées, ont tendu à condenser cet état d’oppression, et leur tyrannie sur le peuple.
Ne sont-ce pas eux qui ont surpris à la convention nationale, le décret qui les autorisait à mettre ses membres en arrestation ? Ils se sont aidés mutuellement de leurs forces respectives : Collot disait de Saint-Just : ce jeune et vigoureux athlète de la révolution. Barère défendait Robespierre des attaques du manifeste du duc d’YorkDans une déclaration reprise par les journaux français, le duc d'York avait qualifié Robespierre de «roi de France et de Navarre». Voir Jean-Clément Martin, Robespierre, la fabrication d'un monstre, p. 284., où on le taxait d’aspirer à la dictature, au patriarcat ; où on les traitait d’égorgeurs. Ils se sont entendus à repousser Magenthiès, lorsqu’en homme libre, il venait redemander à la Convention nationale, et la liberté d’elle-même, et la souveraineté du peuple. Ils se sont entendus à défendre leurs satellites, d’AubigniJean-Louis Marie Villain D'Aubigny, né en 1754 et mort le 1er septembre 1804, était un homme de loi. Ami de Danton, il faisait partie dès le début des adhérents du club Jacobin. , LebonJoseph Lebon, né le 25 septembre 1765 et mort le 10 octobre 1795, était un révolutionnaire français. En 1793 il siégea à la Montagne. Le 14 septembre de la même année, il fut élu au comité de sûreté générale. Il se trouvait au côté de Le Bas qui se trouve être un des fidèles de Robespierre., etc. On ne finirait pas à recueillir tous les traits qui démontrent l’évidence de leur conjuration. Ce décemvirat, sous prétexte de régénérer les mœurs du peuple français, avait réellement conçu l’idée immense de réaliser le projet agraire. Ils avaient devant leurs yeux l’exemple des jeunes GracquesLes « Gracques » est le nom donné aux deux frères romains Tiberius Gracchhus et Caius Gracchus, hommes d’État qui ont tenté de réformer le système social romain. Tiberius soumet une proposition de loi agraire qui prévoit la limitation au droit de « possessio » individuelle et la redistribution aux citoyens pauvres des terres récupérées. Caius cherche à diminuer les pouvoirs du Sénat romain et accroître ceux des comices pour relever la République. Ils sont connus pour avoir déclenché une vague de violence à Rome à cause des divergences politiques. , qui devinrent victimes de leur inexpérience.
Ils ont suivi l’exemple de Sylla, qui dans le même dessein, employa les proscriptionsLe pouvoir de Robespierre est jugé aussi sanglant pour Vilate que le pouvoir de Sylla qui fut un dictateur romain à l'origine du triomphe des optimates sur les populares de son opposant, Marius. , les confiscations. En effet, la France fut bientôt couverte d’espions, de sbyres, de bastilles, d’échafauds : ils ne lui auraient laissé qu’une population de veuves et d’orphelins. N’a-t-on pas encore entendu Barère, depuis le 10 thermidor, parler du partage des terres confisquées ?
Hélas ! Ils s’imaginaient réformer les mœurs, en détruisant le luxe des vêtements. « Lorsque la tyrannie eut commencé à faire couler le sang, dit Tacite, sous Tibère, et qu’il ne fût plus possible de jouir d’une haute renommée, ceux qui échappèrent aux massacres devinrent plus prudents : les profusions se portèrent à des dépenses secrètes, avec une violence que rien n’était capable d’arrêter. . . . . . » Mais ces haines, ces vengeances, cet abus effroyable d’odieuses délations, ce désespoir de l’homme de bien, alarmé de ses vertus mêmes ; sont-ce là les germes d’une régénération de mœurs ? . . . . .
Leur salut contre leurs innombrables ennemis, n’eût résidé que dans la conservation du pouvoir ; et ils eussent infailliblement usurpé la permanence de la tyrannie sur leur pays.
Ils n’avaient pas, comme Sylla, dont ils ont renouvelé les fureurs, le javelot avec lequel il triompha à Archomène : seulement ils avaient le souvenir de l’insulte qu’il reçut en abdiquant la dictature, et sa réponse au jeune insolent qui l’outragea : ce que tu fais là, empêchera que j’aie des imitateursMots prononcés par Sylla à son abdication. Ici Vilate oppose la dignité avec laquelle un dictateur romain quitte le pouvoir à l'obstination de Robespierre.. . . . .
Certes, ils eussent fini par prodiguer les propriétés confisquées à leurs satellites, pour se les attacher comme des défenseurs, et l’on aurait vu un nouveau genre de dépravation jusqu’alors inconnue.
Les calamités publiques portées à leur comble, ont enfin frappé les regards des membres de la représentation nationale ; et la convention s’est trouvée forcée simultanément par tous les sentiments d’humanité, à s’opposer aux projets dévastateurs. Les combats politiques sont des combats à mort ; et les nouveaux tyrans ne pouvant soutenir leur système de proscription générale, que par de plus grandes proscriptions, bientôt les plus marquants de la Convention nationale ont été désignés pour les échafauds. La suppression des tribunaux sanguinaires, l’ouverture subite de toutes les bastilles, après les journées des 9 et 10 thermidor ; les déclamations de Robespierre, de Barère, de Collot-d’Herbois, contre la prétendue faction des indulgents, tout démontre ce qui vient d’être avancé.
Pouvait-on continuellement garder trois cent mille hommes dans les prisons ? Pouvait-on envoyer au supplice tous les jours deux à trois cents victimes (1) ? . . .
(1) Ce nombre n’est point exagéré, quand on se rappelle la multiplicité des tribunaux révolutionnaires répandus sur la surface de la république.
La scission survenue entre les meneurs du comité de salut public, sur quelques victimes à immoler, a transformé le décemvirat en deux parties de triumvirsSous la Rome antique, les triumvirs sont les membres d'un collège de trois (tres) hommes (viri), fonctionnaires ou de commissaires, tels que les triumvirs monétaires, capitaux, ou épulons. Par la suite, ce nom est donné à certains personnages politiques qui s'associent pour gouverner, formant ainsi un triumvirat. , qui, pendant quelques jours, ont lutté pour se supplanter. D’un côté, Robespierre, Couthon, Saint-Just ; de l’autre, Barère, Collot-d’Herbois, Billaud-Varennes. Dans le doute des événements, celui-ci a eu la bassesse de flagorner celui-là jusqu’au moment de sa chute. D’une part, on se rappelle les discours de Robespierre aux Jacobins, son testament politique du 8, à la convention nationale. D’autre part, Barère disait en faveur de Robespierre : Un représentant du peuple qui jouit d’une réputation patriotique, méritée par cinq années de travaux, et par les principes imperturbables d’indépendance et de liberté. Barère n’a-t-il pas appuyé la demande en impression du soi-disant testament politique ?